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LE TESTAMENT
DE
SAINT
LOUIS-MARIE GRIGNION
DE MONTFORT
 
 
 
 
 
ÉTUDE HISTORIQUE
 
 
 
 
 
PIERRE EYCKELER
MONTFORTAIN
 
 
 
EDITIONS "ERNEST VAN AELST".
M AESTRICHT (PAYS BAS)
VROENHOVEN (BELGIQUE)

 
 
 
 
Imprimatur :
 
L. ROOD S.I.
 
Mosae-Traiecti, 9 Octobris 1953.
 
 
 
 
Nihil obstat:
 
C. M. HEIJLIGERS S.M.M.
Sup. Prov.
 
Marsanae, 11 Octobris 1953.
 

INTRODUCTION.. 6
TABLE DES MATIÈRES. 8
BIBLIOGRAPHIE. 12
I. MANUSCRITS. 12
II.   LES IMPRIMÉS. 12
Ire PARTIE "LE TESTATEUR" SAINT LOUIS MARIE DE MONTFORT GRIGNION.. 14
Chapitre I LA VOCATION A L'ŒUVRE DES MISSIONS. 14
§ I La Formation sacerdotale. 14
§ II St. Clément de Nantes. 15
§ III L'Hôpital Général de Poitiers. 16
A. LA CONGRÉGATION-DES FILLES DE LA SAGESSE. 17
B. LA MISSION CONTINUELLE. 17
§ IV Le Saint à la recherche de collaborateurs pour l'œuvre des missions. 18
A. UN ENTRETIEN AVEC M. LESCHASSIER. 18
B. LE DÉSISTEMENT DE JEAN BAPTISTE BLAIN. 19
C. CLAUDE POULLART DES PLACES ET LE SÉMINAIRE DU ST. ESPRIT. 19
Chapitre II MONTFORT MISSIONNAIRE. 22
§ I La carrière du missionnaire. 22
§ II Les auxiliaires prêtres. 23
A. LES RELIGIEUX. 23
B. LES PRÊTRES SÉCULIERS. 23
§ III Les collaborateurs-frères. 26
Conclusions. 33
Chapitre III LA REGLE DES PRETRES-MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE MARIE. 36
AVANT-PROPOS. 36
§ I La "Règle Manuscrite" 36
§ II Extraits de la Règle Manuscrite. 37
§ III La date de la composition de cette Règle. 40
§ IV Le Recrutement selon la "Règle Manuscrite" 40
§ V Un séminaire de la Compagnie de Marie. 42
§ VI L'accord avec le Séminaire du St. Esprit. 45
§ VII La "Règle Manuscrite" et l'accord avec le Séminaire du S. Esprit. 48
Chapitre IV LES PREMIERS MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE MARIE. 51
§ I Le départ manqué de M. Caris. 51
§ II Le recrutement difficile. 53
§ III Un conseil d'ami 54
§ IV Les vocations définitives. 55
Chapitre V. SAINT LOUIS DE MONTFORT ET LES ECOLES. 58
§ I Comment se pose le problème?. 58
§ II Les écoles fondées pendant les missions. 58
§ III Les écoles fondées indépendamment des missions. 64
Chapitre VI. LES DONATIONS DE VOUVANT. 70
§ I La Grotte dans la forêt de Mervent 70
§ II Les Donatrices de Vouvant 71
§ III Les Documents de Vouvant 73
Chapitre VII LES TESTAMENTS DE VOUVANT. 79
§ I Les Documents Arcelin. 79
§ II Commentaire du Testament Arcelin. 80
§ IV Commentaire du Testament La Brûlerie. 83
§ V Les Bénéficiaires des Donations de Vouvant 87
Chapitre VIII L'HEURE DÉCISIVE. 89
§ I La lettre à M. Caris. 89
§ II Faire violence au ciel 91
IIme PARTIE "LE TESTAMENT" 94
Chapitre IX LA RÉDACTION DU TESTAMENT. 94
§ I La mission de S. Laurent-sur-Sèvre. 94
§ II Le Rédacteur du Testament 94
§ III La Rédaction du Testament 96
§ V Grandet a-t-il tronqué le texte du Testament?. 97
Chapitre X LE DOCUMENT. 100
§ I Le Testament 100
§ II Le document officiel 101
§ III Le document remanié. 104
§ IV La Division du Commentaire. 105
Chapitre XI LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 108
Ire Partie LA DÉPOUILLE DU SAINT. 108
§1 L'enterrement prévu par le Saint 108
IIme partie LES LEGS A CEUX QUI NE SONT PAS DE LA COMMUNAUTÉ. 108
§ I Les statues du Calvaire. 109
§ II Les étendards et les bannières. 109
§ III Les Sermonnaires. 111
Chapitre XII. LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 115
IIIme partie LES CLAUSES FINANCIÈRES. 115
§ I L’argent dû au frère Nicolas. 115
§ II La gratification aux auxiliaires laïques. 117
§ III Une dette à payer. 119
§ IV Une somme à restituer. 120
§ V M. Mulot gérant de la bourse commune. 123
Chapitre XIII LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 125
IVme Partie, A LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT ET LES MISSIONS. 125
§ I Les petits meubles et livres de mission à l'usage des frères. 126
§ II L'intervention de Monseigneur de La Rochelle et de M. Mulot 128
§ III La Communauté du S. Esprit 130
Chapitre XIV LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 133
IVme Partie, B LES DONATIONS DE VOUVANT À LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT. 133
§ I La maison de la Rochelle. 133
§ II La Maison Creuzeron. 133
§ III Le terrain donné par Mad. La Lieutenante. 134
§ IV La maison Arcelin. 134
Chapitre XV LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 143
IVme Partie, C LE CALICE, LES CHASUBLES, LES ORNEMENTS D'ÉGLISE ET DE MISSION À LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT. 143
§ I La teneur de l'art. 11° 143
§ II Le rôle de M. Mulot dans la Communauté du S. Esprit 144
Chapitre XVI LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 147
IVme Partie D LA COMPAGNIE DE MARIE DANS LE TESTAMENT DE MONTFORT. 147
§ I Communauté du S. Esprit et Communauté du S. Esprit 148
§ II Communauté du S. Esprit et Compagnie de Marie. 150
Chapitre XVII LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT. 154
Appendice LE "CODICILLE" 154
§ I Tous les meubles qui sont à Nantes. 154
§ II Seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école. 154
§ III Les frères qui tiennent l'école. 155
§ IV Tant que l'école subsistera. 157
IIIme PARTIE "L'EXECUTION DU TESTAMENT" 160
Chapitre XVIII LE DÉPÔT DU TESTAMENT. 160
§ I. Les circonstances du dépôt. 160
§ II. Le dépôt du Testament aurait été fait à Nantes pour la défense des frères enseignants. 163
§ III. Le dépôt du Testament à Nantes pour la défense des frères. 164
§ IV. Les frères de l'école de Nantes appartiennent-ils à une Congrégation fondée par Montfort. 167
§ V. Le dépôt du Testament à Nantes pour assurer la garde des statues du Calvaire. 173
§ VI. Le dépôt du Testament à Nantes pour faciliter une rencontre avec le frère Philippe. 174
Chapitre XIX. L'EXÉCUTION DU TESTAMENT. 176
§ I. La Glorification du Saint. 176
§ II. Un commencement d'exécution. 176
§ III. Les membres de la Communauté du S. Esprit. 179
§ IV. Les immeubles de la Communauté du S. Esprit. 186
§ V. Les petits meubles et livres de mission. 187
Chapitre XX. L'HÉRITAGE RECUEILLI. 190
§ I. Le récit de Besnard. 190
§ II. Les premières missions. 195
§III. Les signatures de S. Pompain. 196
§ IV. Les bénéfices de Vihiers. 199
Chapitre XXI. LES FILS DU PÈRE DE MONTFORT. 202
§ I. La Communauté du S. Esprit. 202
§ II. Les incohérences de Grandet. 206
§ III. L'établissement à S. Laurent. 208
APPENDICE. 212

INTRODUCTION
 
 
Le 20 Juillet 1947, dans un St. Pierre scintillant des feux de tous ses lustres, une foule nombreuse de pèlerins venus des quatre coins du monde, acclamait Saint Louis-Marie Grignion de Montfort.
Sa Sainteté Pie XII célébra avec ferveur les mérites de l'Apôtre Marial, exalta les vertus du Saint, bénit l'œuvre du Fondateur de la Compagnie de Marie et de la Congrégation des Filles de la Sagesse.
Il y avait 59 ans que l'illustre Pontife Léon XIII, le Pape des Encycliques sur le Rosaire, avait béatifié ce pauvre prêtre presque inconnu alors, dont le modeste livre, "Le Traité de la Vraie Dévotion à la Ste. Vierge", devait tant contribuer à répandre une dévotion sincère et solide envers la Reine des deux.
Si la glorification suprême de l'Apôtre de Marie avait tant tardé, ne faut-il pas en chercher la cause dans le fait qu'un problème historique peu ordinaire avait surgi au moment même où le Procès de Béatification s'acheminait vers une solution glorieuse?
Une troisième Congrégation s'était mise à revendiquer l'honneur d'avoir été fondée par celui qu'on espérait alors nommer bientôt: "le Bienheureux Père de Montfort".
Avant de procéder à la Canonisation solennelle, le Souverain Pontife Pie XII demanda à la Sacrée Congrégation des Rites d'élucider auparavant cette question historique.
Après de longues recherches et l'étude approfondie d'une énorme masse de documents, la Section Historique de la Sacrée Congrégation des Rites publia le résultat de ses travaux en un respectable in-folio de plus de mille pages[1].
En conclusion des nombreux rapports présentés, les RR. Consulteurs se prononcèrent à l'unanimité pour la négative sur le doute proposé.
Est-ce que, historiquement parlant, saint Louis-Marie Grignion de Montfort peut être considéré comme Fondateur, non seulement des Prêtres Missionnaires de la Compagnie de Marie et des Filles de la Sagesse, mais aussi des Frères de l'Instruction chrétienne de St. Gabriel[2].
Le 25 Avril 1947 parut dans les Acta Apostolicae Sedis un décret émanant de la Sacrée Congrégation des Rites et portant la signature de son Eminence le Cardinal Salotti[3].
Ce décret constatait que sa Sainteté Pie XII avait daigné confirmer la décision à laquelle la Sacrée Congrégation s'était arrêtée.
"Sanctitas sua Purpuratorum Patrum responsum confirmare benigne dignata est".
Le respect dû à l'autorité suprême nous incite donc à considérer la cause comme jugée et le problème comme résolu.
Mais ne reste-t-il pas permis à l'historien de se livrer à une étude objective et détaillée sur l'un des documents versés au dossier de l'affaire, tout en acceptant d'avance avec une respectueuse soumission la décision intervenue?
Si tous les documents appartiennent à l'histoire et méritent donc notre attention, certains présentent un intérêt tout particulier. Personne ne niera p.e. l'importance qu'il faut attacher au Testament de Saint Louis Marie de Montfort. Ce document ne nous révèle-t-il pas les dernières volontés du Saint et son ultime pensée sur son œuvre?
C'est de ce Testament que nous voudrions traiter ici. Ce qui nous a encouragé à entreprendre ce travail, c'est le fait que ce document a été remis en cause dans un article publié en 1950 par les Analecta Bollandiana[4].
Un Testament, tout en étant un document officiel et public, est un acte tellement personnel, qu'on ne peut l'étudier avec objectivité si on ne connaît la personnalité de celui de qui il émane et les circonstances dans lesquelles il fut rédigé.
Nous nous excusons donc auprès du lecteur si nous sommes obligés de lui soumettre d'abord un certain nombre d'autres pièces dont la connaissance est nécessaire pour l'intelligence du Testament de ce pauvre prêtre, qui n'ayant pas de grands biens à léguer, avait pourtant un précieux héritage à transmettre.
Avant d'aborder l'étude du Testament, nous présenterons donc au lecteur le Saint qui a dicté ce dernier règlement de comptes qu'il voulait rendre aux hommes avant de s'occuper uniquement de "Dieu seul".
Pour saisir le sens exact d'un pareil document, il faut connaître les circonstances spéciales dans lesquelles il fut rédigé.
Comme il s'agit ici de dernières volontés, dont Montfort dut laisser l'exécution à d'autres, nous serons obligés d'étendre cette étude aux premières années qui ont suivi sa mort.
Ainsi s'impose la division que nous devons adopter dans cette Étude.

TABLE DES MATIÈRES
 
Ie Partie
LE TESTATEUR

 
Chapitre I.   LA VOCATION À L'OEUVRE DES MISSIONS.
La formation sacerdotale — S. Clément de Nantes — L'Hôpital Général de Poitiers — Le Saint à la recherche de collaborateurs: le désistement de J. B. Blain; l'accord avec Poullart des Places.                                                                                                 p. 1-8
 
Chapitre II   LE MISSIONNAIRE LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT.
La carrière du missionnaire — Les auxiliaires prêtres — Les collaborateurs frères: Mathurin, Jean, Pierre, Nicolas, Jacques — Les activités des frères — Les frères inconnus des biographes.                                                                          p. 9-23
 
Chapitre III.   LE FONDATEUR — LA "RÈGLE MANUSCRITE".
La "Règle Manuscrite" — Les Extraits de la Règle — La date de la composition — Le recrutement selon la "Règle Manuscrite” — Un Séminaire de la Compagnie de Marie — L'accord avec le Séminaire du S. Esprit — La "Règle Manuscrite” et l'accord avec le Séminaire,                                                                                                            p. 24-39
 
Chapitre IV.   LES PREMIERS  MISSIONNAIRES DE LA COM­PAGNIE DE MARIE.
Le départ manqué de M. Caris — Le recrutement difficile — Un conseil d'ami J. B. Blain — Les vocations définitives.                                                                        p. 40-47
 
Chapitre V. SAINT LOUIS DE MONTFORT ET LES ÉCOLES.
Un problème discuté — Les écoles fondées pendant les missions: les maitres et les maitresses; les frères et les pieux laïcs — Les écoles fondées en dehors des missions: Poitiers, Saint Laurent, Nantes, La Rochelle, Vouvant.                         p. 48-60

 
Chapitre VI.   LES DONATIONS DE VOUVANT.
La Grotte de la forêt de Mervent — Les Donatrices de Vouvant: Madame de la Brûlerie (Jeanne Creuzeron); Madame la Lieutenante de Vouvant (Catherine Dubois); la „bonne Femme" (Renée Arcelin) Les Documents de Vouvant: le Concept du Notaire; le Testament Arcelin; le Testament la Brûlerie.                 p. 61-68
 
Chapitre VII.   LES TESTAMENTS DE VOUVANT.
Les Documents Arcelin — Commentaire du Testament Arcelin: les biens donnés; les conditions posées — Le Testament la Brûlerie — Commentaire de ce Testament: les biens donnés; les conditions posées — Les Bénéficiaires des Donations de Vouvant.
p. 71-81

Chapitre VIII.   L'HEURE DÉCISIVE.
La lettre à M. Caris — Le Pèlerinage à Notre-Dame des Ardilliers Conclusion de la première Partie.                                                                                                         p. 82-86
 
 
IIe Partie
LE TESTAMENT
 
Chapitre IX.   LA RÉDACTION DU TESTAMENT.
La Mission de S. Laurent-sur-Sèvre — Le Rédacteur du Testament — La Rédaction du Testament — De qui ce Testament fut-il connu? — Grandet a-t-il tronqué le Testament?                                                                                                              p.   87—92
 
Chapitre X.   LE TESTAMENT DE LOUIS-MARIE DE MONTFORT GRIGNION.
Le Testament: le texte original — Le Document officiel: la version officielle et la version de Grandet — Le Document remanié: la version de Besnard et la version de Picot de Clorivière — La Division du Commentaire.                                          p.   93—99
 
Chapitre    XI.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
Ie et IIe Partie.
La Dépouille du Saint — Les Legs aux étrangers.
L'enterrement prévu par le Saint — Les statues du Calvaire de Pontchâteau — Les étendards et les bannières — Les Sermonnaires.                                             p. 100—106
 
Chapitre   XII.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
IIIe Partie.
Les Clauses Financières.
L'argent dû au frère Nicolas — La gratification aux auxiliaires laïques: Mathurin, Jean et Jacques — Une dette à payer: l'imprimeur — Une somme à restituer: M. Vatel — M. Mulot gérant de la bourse commune,                                                              p. 107—117
 
Chapitre XIII.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
IVe Partie, A.
La Communauté du S. Esprit et les Missions.
Les petits meubles et livres de mission — L'intervention de Mgr. De La Rochelle et de M. Mulot — La Communauté du S. Esprit.                                                p. 118—125
 
Chapitre XIV.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
IVe Partie, B.
Les Donations de Vouvant à la Communauté du S. Esprit.
La maison de La Rochelle — La maison Creuzeron — Le terrain donné par la Lieutenante — La maison Arcelin: la réalité; les hypothèses; la vraie réalité.       
p. 126—136
 
Chapitre   XV.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
IVe Partie, C.
Le calice, les chasubles et les ornements d'église et de mission.
La teneur de l'article 11 — Le rôle de M. Mulot dans la Communauté dû S. Esprit.          
p. 137—140
 
Chapitre XVI.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
IVe Partie, D.
La Compagnie de Marie dans le Testament de Montfort.
Communauté du S. Esprit et Communauté du S. Esprit — Communauté du S. Esprit et Compagnie de Marie.                                                                                      p. 141—148
 
Chapitre XVII.   LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT.
Appendice.
Le "Codicille".
Tous les meubles qui sont à Nantes — Seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école — Les frères qui tiennent l'école — Tant que l'école subsistera. p. 149—153
 
IIIe Partie
L'EXÉCUTION DU TESTAMENT
 
Chapitre XVIII.   LE DÉPÔT DU TESTAMENT.
Les circonstances du dépôt — Le dépôt à Nantes pour la défense des frères? — Le dépôt du Testament et l'école de Nantes — Les frères de l'école de Nantes appartiennent-ils à une Congrégation fondée par Montfort: le frère Louis Danto; le frère Pierre; le frère Jacques — Le dépôt du Testament à Nantes pour assurer la garde des statues du Calvaire — Le dépôt du Testament à Nantes et le frère Philippe.                                                                                                         p. 155—171
 
Chapitre XIX.   L'EXÉCUTION DU TESTAMENT.
La glorification du Saint — Un commencement d'exécution — Les membres de la Communauté du S. Esprit: les quatre frères et trois objections — Les immeubles de la Communauté du S. Esprit — Les petits meubles et livres de mission. p. 172—185
 
Chapitre XX.   L'HÉRITAGE RECUEILLI.
Le récit de Besnard — Les premières missions — Les signatures de S. Pompain — Les bénéfices de Vihiers.                                                                                        p. 186—197
 
Chapitre XXI.   LES FILS DU PÈRE DE MONTFORT.
La Communauté du S. Esprit: la supplique des deux curés; les approbations des Évêques — Les Incohérences de Grandet — L'établissement à S. Laurent: l'élection d'un supérieur; l'émission des vœux.                                                                     p. 198—207
 
Appendice.   LA VIE DE MONSIEUR DE GRIGNON DE MONTFORT.
Manuscrit de Grandet — Lettre de M. Bellier.                                               p. 208—212

BIBLIOGRAPHIE.
 
 
I. MANUSCRITS.
 
 
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
1. Le Livre des Sermons.
2. La Règle Manuscrite.
3. Le Testament.
Maître Bernier
4. Le Concept.
Renée Arcelin (La bonne femme)
5. Le Testament.
Jeanne Creuzeron (Mad. de la Brûlerie)
6. Le Testament.
Maître Forget
7. L'acte de dépôt.
Grandet, J.
8. La vie de Monsieur de Grignon de Montfort.
Blain, J. B.
9. Lettre à M. Grandet.
Soeur Florence
10. Chroniques de la Sagesse.
Besnard
11. La vie du Vén. L.-M. Grignion de Montfort.  
Besnard
12. La vie de Marie-Louise de Jésus.
Anonyme
13. Chroniques de Saint Laurent-sur-Sèvre.
Laveille, Mgr. A.
14. Lettres.
Lhoumeau, A.
15. Lettres.
Anonyme
16. S. L.-M. Grignion de Montfort a-t-il fondé des Frères (copie).
 
Les numéros 1, 2, 3, 7, 9, 14, 15 et 16: aux archives de la Compagnie de Marie.
Les numéros 10, 11 et 12: aux archives de la Congrégation de la Sagesse.
Les numéros 4 et 5: aux archives du notaire de Vouvant, Mtre Baudry.
Le numéro 13: aux archives départementales de La Roche-sur-Yon.
Le numéro 6: original introuvable, copie chez le notaire de Vouvant.
Le numéro 8: aux archives du Séminaire de S. Sulpice, Paris.
 
II.   LES IMPRIMÉS.
 
a. Les biographies.
Grandet, J.                            La Vie de L.-M. Grignion de Montfort. Nantes, 1724.
Picot de Clorivière, P. J.    La Vie de M. L.-M. Grignion de Montfort. Paris, 1785.
(Allaire)                                 Abrège de la vie et des vertus de la Soeur M.-L. de Jésus. Poitiers, 1768.
(Dalin)                                    La vie du Vén. serviteur de Dieu, L.-M. Grignion de Montfort. Paris, 1839.
Pauvert                                 Vie du Vén. L.-M. Grignion de Montfort. Paris, 1875.
Fonteneau                            La vie du Bienheureux L.-M. Grignion de Montfort. Paris, 1887.
Quérard, J. M.                     Vie du Bienheureux L.-M. Grignion de Montfort. Nantes, 1887.
Laveille, A.                            Le Bienheureux L.-M. Grignion de Montfort. Paris, 1907.
Laveille, Mgr A.                   Le Bienheureux L.-M. Grignion de Montfort et ses Familles religieuses. Tours, 1916.
Lecrom, L.                             Saint L.-M. Grignion de Montfort. 1942, 1947.
Dervaux J. F.                        Folie ou Sagesse, M.-L. Trichet. Paris, 1950.
 
Il y a d'autres biographies, et des plus intéressantes, que nous ne citons point ici, parce que les auteurs ne se sont pas spécialement intéressés à l'objet de notre étude.
 
b. ouvrages de controverse.
 
Le Bail, J.                               Nuovo studio sull'origine délla Congregazione dei Fratelli di San Gabriele. Roma, 1942 (pro manuscripto).
Le Bail, J.                               Le B. de Montfort et les Écoles charitables. Roma, 1943 (pro manuscripto).
Tisserant, card. Eugenio   Studio sull'origine della Congregazione dei Fratelli di San Gabriele. Roma, 1942 (pro manuscripto).
Tisserant, card. Eugenio   Luigi-Maria Grignion de Montfort, le Scuole di Carità e le origini dei Fratelli di San Gabriele. Roma, 1943.
Bernoville Gaetan              Grignion de Montfort, Apôtre de l'école et les Frères de S. Gabriel. 1945.
Sacra Congregatio Rituum           Nova Inquisitio jussu SSmi D.N. PII Papae preacta.
Tisserant, card. Eugenio   Le Testament de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
(dans Analecta Bollandiana, Tome LXVIII, 1950).
 
Nous avons préféré ne pas allonger démesurément cette bibliographie en citant les multiples ouvrages écrits depuis 1887 jusqu'en 1942 pour ou contre les deux thèses. Les auteurs modernes cités ici, ont repris tous les documents et les arguments apportés par leurs prédécesseurs. Si nous citons le livre de vulgarisation écrit par Bernonville, ce n'est pas parcequ'il apporte un document nouveau ou une opinion personnelle, mais parcequ'il est le dernier en date des partisans d'une thèse bien mieux défendue par d'autres aux quels l'auteur — d'après son Avertissement — a fait de multiples emprunts.

Ire PARTIE "LE TESTATEUR" SAINT LOUIS MARIE DE MONTFORT GRIGNION
 
Chapitre I LA VOCATION A L'ŒUVRE DES MISSIONS
 
§ I La Formation sacerdotale
Saint Louis-Marie Grignion naquit le 31 Janvier 1673 à Montfort-sur-Meu, comme deuxième enfant de Jean Baptiste Grignion, avocat à la cour, et de Jeanne Robert, fille d'un échevin de Rennes.
Il passa son enfance au Bois Marquer, modeste gentilhommière sise en Iffendic, et sa jeunesse à Rennes pour y suivre les cours du collège St. Thomas dirigé par les Jésuites.
Pendant sa Rhétorique il se lia d'une forte amitié avec deux de ses condisciples, Jean Baptiste Blain et Claude Poullart des Places[5].
Une intervention de la Providence permit à Louis Grignion de continuer ses études cléricales à Paris, d'abord dans la communauté de M. de la Barmondière, ensuite au collège Montaigu, et finalement au Petit S. Sulpice.
Ce séminariste, doué d'une intelligence peu commune et d'une rare vertu, ne passa point inaperçu. Le supérieur du Séminaire, M. Leschassier, voulut se charger de sa direction. Elle fut rigide, sévère, sans mansuétude. Le directeur, pour qui la règle et la mesure étaient les lois suprêmes, ne pouvait admettre l'extraordinaire. Il éprouva Louis Grignion longuement, durement, mais finit par admettre son obéissance parfaite, sa soumission totale.
Quand finalement M. Leschassier donna à son pénitent le conseil d'avancer aux ordres majeurs, il avait conçu l'espoir de garder ce sujet d'élite pour sa communauté de S. Sulpice. Mais le jeune prêtre ne pouvait dissimuler à son directeur l'attrait irrésistible qui le poussait vers l'œuvre des missions. Cette vocation de Louis Grignion s'était affermie par les contacts qu'il avait eu avec la pauvre jeunesse abandonnée des quartiers populeux de Paris.
Comme tous les étudiants du Séminaire il avait fait le catéchisme aux enfants de l'immense paroisse de St. Sulpice. Il avait même été nommé directeur des catéchismes du "Canton de la Grenouillère[6].
Il y avait fait merveille, et ses condisciples voulaient s'assurer par eux-mêmes du succès obtenu par Louis Grignion auprès de ces âmes revêches.
L'expérience de cette grande misère des âmes influença certainement Louis Grignion dans le choix d'une carrière. Nous l'entendrons maintes fois affirmer que le "catéchisme aux pauvres, voilà mon élément". Par ailleurs nous savons, par son ami Blain, comment il se préparait dès son Séminaire à l'œuvre des missions.
"Il s'occupait encore dans sa retraite, à composer des Cantiques spirituels qui lui ont servi dans la suite dans ses missions ..."[7].
Après son ordination sacerdotale Louis Grignion se donna entièrement à la préparation prochaine de son apostolat. Blain affirme: "Le reste du temps qu'il demeura dans le Séminaire, il le passa à compiler et préparer des matières de sermons et à faire un fonds suffisant, pour parler à toute heure et sur toutes sortes de sujets, comme il le fit dans la suite"[8].
Le jeune prêtre, originaire du diocèse de St. Malo, ne semble pas avoir gardé beaucoup d'attaches avec les autorités ecclésiastiques de ce diocèse. D'après le témoignage de certains contemporains, Louis Grignion songea même aux missions étrangères. Il s'offrit à M. Leschassier pour accompagner, comme missionnaire, les Sulpiciens qui se préparaient alors à partir pour le Canada.
M. Leschassier refusa son consentement. Ce fut alors qu'intervint M. Lévèque, un très vieil ami de St. Sulpice, et supérieur de la Communauté de St. Clément de Nantes.
 
§ II St. Clément de Nantes
M. Leschassier conseilla à Louis Grignion de se joindre à ce saint prêtre, pour acquérir sous sa conduite l'expérience qui lui manquait. Hélas la Communauté de St. Clément ne tint pas les promesses qu'à Paris on avait faites au jeune prêtre. Celui-ci écrivit à son directeur, le 6 Novembre 1700, cinq mois à peine après son ordination sacerdotale:
"… J'avais envie, aussi bien que vous, d'aller me former aux missions, et particulièrement à faire le catéchisme aux pauvres gens, qui est mon plus grand attrait; mais je ne fais rien de cela, et je ne sais même pas si je le ferai ici…
Je me trouve, depuis que je suis ici, comme partagé entre deux sentiments, qui semblent opposés. Je ressens d'un côté un amour secret de la retraite et de la vie cachée pour anéantir et combattre ma nature corrompue, qui aime à paraître; et de l'autre, je sens de grands désirs de faire aimer Notre Seigneur et sa sainte Mère, et d'aller d'une manière pauvre et simple faire le catéchisme aux pauvres de la campagne et exciter les pécheurs à la dévotion à la sainte Vierge ;…
Je ne puis m'empêcher, vu les nécessités de l'Eglise, de demander continuellement, avec gémissement, une petite et pauvre compagnie de bons prêtres qui s'exercent sous l'étendard et la protection de la sainte Vierge ..."[9].
La pieuse ténacité du jeune apôtre triompha des obstacles qu'on opposait à son zèle. Enfin on l'envoya faire la mission dans les paroisses abandonnées. Le succès fut surprenant.
"…M. Lévèque avec M. des Jonchères m'ont envoyé dans une paroisse de la campagne assez abandonnée. Pendant dix jours que j'y ai demeuré, j'y ai fait le catéchisme aux enfants, deux fois le jour, et trois prônes. Le bon Dieu et la sainte Vierge y ont donné bénédiction; c'est pourquoi M. des Jonchères et M. Lévèque, qui savent l'affaire de Poitiers, m'ont dit de vous écrire, et même me font offre de m'aider de leur bien et de leur autorité pour m'envoyer dans les paroisses les plus abandonnées du diocèse pour y continuer ce que j'ai heureusement commencé à Grandchamp (c'est le nom de la paroisse) ou plutôt ce que la divine Providence et la très sainte- Vierge ont opéré malgré ma misère ..."[10].
Les directeurs de St. Clément, qui auparavant conseillaient à Louis Grignion de chercher ailleurs un champ d'apostolat, regrettaient maintenant de perdre un missionnaire si zélé, que le peuple nommait déjà: le bon Père de Montfort.
 
§ III L'Hôpital Général de Poitiers
Il y eut encore une fois une curieuse intervention de la Providence. Madame de Montespan fit inviter le jeune prêtre à venir à Fontevrault assister à la vêture d'une de ses sœurs[11].
Pendant l'entretien qu'elle voulut avoir avec lui, elle lui conseilla de se mettre en rapport avec Mgr. Girard, ancien précepteur de ses enfants et évêque de Poitiers.
Montfort alla à Poitiers et Monseigneur étant absent, le saint se rendit à l'Hôpital Général. Les pauvres conçurent pour lui une telle sympathie qu'ils mirent tout en œuvre pour l'avoir pour leur prêtre.
Vers la Toussaint 1701, Montfort entra comme aumônier dans cette maison qu'il appellera bientôt: "cette pauvre Babylone".
Avait-il donc renoncé à sa vocation de missionnaire? Voici sa réponse:
"Monseigneur, après les pauvres de Poitiers, m'écrit pour aller m'enfermer dans son hôpital, mais je n'ai point d'inclination à me renfermer ...
L'espérance que je pourrais avoir de m'étendre avec le temps dans la ville et la campagne, pour profiter à plusieurs, peut seule me donner quelqu'inclination d'aller à l'hôpital.
Le catéchisme aux pauvres de la ville et de la campagne est mon élément ..."[12].
Ce fut donc bien contre son inclination qu'il se laissa enfermer dans cette maison de trouble. Mais la Providence en avait ainsi décidé pour donner au jeune prêtre l'occasion de jeter les fondements d'une œuvre bien attachante.
 
A. LA CONGRÉGATION-DES FILLES DE LA SAGESSE.
On connaît la méthode peu commune employée par Montfort pour cette fondation. Ses projets de réforme n'ayant pas abouti, à cause de l'opposition des infirmières laïques et des messieurs du bureau, il se tourna vers les pauvres. Il réunit en une pieuse assemblée un certain nombre de pauvres femmes infirmes ou malades, et nomma cette association "La Sagesse". Une jeune fille de bonne famille, Louise Trichet, lui ayant manifesté son désir d'être religieuse, Montfort lui conseilla de venir habiter à l'Hôpital général. Elle accepta et commença son apprentissage de la vie religieuse en se dévouant entièrement au service des pauvres infirmes de l'Association de la Sagesse. Son directeur lui fit prendre un costume spécial et lui permit d'émettre ses premiers vœux le 2 Février 1703, sous le nom de "Marie-Louise de Jésus, fille de la Sagesse".
Montfort ayant été obligé de quitter l'Hôpital Général, Marie Louise resta seule, pendant dix ans, avec comme unique soutien les lettres sporadiques de son directeur. Nous verrons plus tard Montfort appeler Marie-Louise à la Rochelle pour la placer à la tête de la première communauté des Filles de la Sagesse.
 
B. LA MISSION CONTINUELLE.
L'ardente activité du jeune prêtre débordait le cadre trop étroit de cette maison des pauvres. Il se dévouait de tout son cœur à ces malheureux, mais, du dehors, les âmes, par un secret instinct, avaient discerné la grande sainteté du recteur de l'Hôpital Général.
Il y eut donc bientôt un va et vient continuel de personnes, qui désiraient le consulter.
..Depuis que je suis ici, j'ai été dans une mission perpétuelle, confessant presque toujours depuis le matin jusqu'au soir, et donnant, des conseils à une infinité de personnes; et le grand Dieu, mon Père, que je sers quoique' avec infidélité, m'a donné, depuis que je suis ici, des lumières dans l'esprit, que je n'avais pas; une grande facilité pour m'énoncer et parler sur-le-champ sans préparation, une santé parfaite et une grande ouverture de cœur envers tout le monde ..."[13].
Un dévouement intégral aux pauvres, un succès extraordinaire auprès des âmes, il n'en fallait pas davantage pour susciter des orages.
Montfort fut obligé de quitter l'Hôpital Général, pour laisser, pendant son absence, se calmer les jalousies. Il reprit le chemin de Paris, parce qu’il espérait trouver là, auprès de ses fidèles amis, l'aide nécessaire pour réaliser son projet le plus cher: une petite et pauvre compagnie de bons prêtres.
 
§ IV Le Saint à la recherche de collaborateurs pour l'œuvre des missions
 
A. UN ENTRETIEN AVEC M. LESCHASSIER.
Montfort quitta Poitiers au printemps de 1703, quelques jours seulement après la fête de Pâques. Il semble bien qu'il se considérait comme libéré de toute obligation envers l'Hôpital Général de Poitiers, et qu'il se proposait de reprendre au plutôt l'apostolat des missions auquel il se savait appelé[14].
N'est-il pas tout à fait naturel qu'il aît voulu consulter M. Leschassier sur la voie à suivre? Il est vrai que le Supérieur Général de St. Sulpice l'avait prié dans une lettre du 12 Nov. 1701 de choisir un confesseur sur place. Le prudent Sulpicien ne voulait pas engager sa responsabilité à distance.
Mais puisque Montfort était à Paris, il a dû juger que son ancien directeur pourrait, mieux que tout autre, l'éclairer.
Faut-il admettre que le Supérieur Général de S. Sulpice, qui avait un rang à tenir dans le Clergé de la Capitale, ait jugé encombrant cet ancien pénitent, qui semblait ne pas réussir dans la vie?
Il est certain, que Montfort ne put le rencontrer qu'à Issy, pendant les vacances, c.a.d. en Juillet ou Août, 1703.
Et encore cette rencontre, probablement arrangée par Jean Baptiste Blain, laissa à celui-ci une impression plutôt pénible[15].
Incertain dans ses voies, il ne savait sur quelle route il devait marcher. Son oracle était muet, et ne voulut plus lui rendre de réponse ; il en fut même fort rebuté quand il alla se présenter devant lui.
Je parle de Mr. son Directeur, qui rejeta alors sa conduite et qui lui refusa ses avis, comme je l'ai déjà dit. Ce ne fut pas une petite croix pour Mr. Grignion, qui avait en lui une parfaite confiance. Qu'il fut mortifié, quand un jour, arrivé à une maison de campagne, où était ce cher directeur, avec plusieurs ecclésiastiques, dans le temps de la vacance; il le reçut avec un visage glacé, et le renvoya honteusement d'un air sec et dédaigneux, sans vouloir lui parler ni l'entendre.
Pour moi, qui étais présent, j'étais interdit, et ne souffrais pas peu de l'humiliation dont j'étais témoin[16].
 
B. LE DÉSISTEMENT DE JEAN BAPTISTE BLAIN.
Il est vrai que le texte du Mémoire de Jean Baptiste Blain ne parle pas explicitement de l'œuvre des missions, mais quand l'auteur nous dit qu'il voulait „servir de compagnon" à Montfort et "s'unir à lui", il est difficile d'admettre qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'un apostolat en commun.
"Comme je sentais un grand attrait à lui servir de compagnon, je m'intéressais davantage à tout ce qui le regardait et j'avais un grand désir de savoir ce qu'il en fallait penser au juste et dans la vérité. Je fis donc sonder par une bouche étrangère M. xx, pour savoir ses sentiments sur Mr. Grignion. — "Il est très humble, me répondit-il, très pauvre, très mortifié, très recueilli, et cependant j'ai de la peine à croire qu'il soit conduit par le bon esprit".
"Cette réponse était pour moi un mystère . . .
C'est cependant ce mystère qui me glaça envers Mr. de Montfort, qui m'empêcha de m'unir à lui, et qui me fit même appréhender d'avoir tant de commerce avec lui[17].
Blain refusa donc de s'associer avec Montfort. Est-ce que leur amitié souffrit du sentiment de méfiance qui s'était glissé dans l'esprit du futur chanoine de Rouen? Hélas nous n'avons plus aucun détail sur les relations des deux amis entre 1703 et 1714. A ce moment Montfort fera un long voyage pour aller consulter Blain, comme nous le verrons plus tard[18].
 
C. CLAUDE POULLART DES PLACES ET LE SÉMINAIRE DU ST. ESPRIT.
L'amitié qui unissait Montfort à cet autre ancien condisciple du collège de Rennes, Claude Poullart des Places, n'avait pas souffert de la méfiance, dont le Saint était l'objet dans certains milieux. Ils se retrouvèrent à Paris en cette année 1703, car Claude Poullart avait abandonné les études de droit, auxquelles le destinaient ses parents, pour entrer au séminaire des Jésuites à Paris.
Voici ce que Besnard nous raconte sur les plans conçus ensemble par les deux amis.
L'union étroite qui s'était formée entre lui et M. Grignion, bien loin de s'être ralentie par le laps de temps, recevait chaque jour de nouveaux accroissements ...
En ce même temps M. de Montfort méditait aussi un autre projet digne de son grand cœur: c'était de chercher des ecclésiastiques animés d'un même esprit et de se les associer pour en former une compagnie d'hommes apostoliques ...
M. des Places fut celui sur qui il jeta les yeux pour l'exécution de son projet. L'ayant été voir, il le lui proposa et l'invita de s'unir à lui pour être le fondement de cette bonne œuvre.
M. des Places lui répondit dans la candeur de son âme: „Je ne me sens point d'attrait pour les Missions, mais je connais trop le bien qu'on y peut faire pour ne pas y concourir de toutes mes forces et m'y attacher inviolablement avec vous".
"Vous savez que, depuis quelque temps, je distribue tout ce qui est en ma disposition pour aider de pauvres ecclésiastiques à poursuivre leurs études. J'en connais plusieurs qui avaient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne purent les faire valoir, et sont obligés d'enfouir des talents qui seraient très utiles à l'Eglise, s'ils étaient cultivés. C'est à quoi je voudrais m'appliquer en les assemblant dans une maison..."
"Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai, et vous les mettrez en exercice. Par ce moyen vous serez satisfait et moi aussi".
Tel fut le résultat de cet entretien, et le commencement de cette union et de ce rapport, qui a toujours subsisté entre la mission de M. Montfort et la communauté de M. des Places[19].
Dieu fit à Poullart des Places la grâce de réussir.
Avec l'aide de quelques bienfaiteurs il loua dans la rue des Cordiers quelques chambres, qui abritèrent les premiers séminaristes de son futur séminaire. Il les entretenait grâce à l'argent de sa pension et la libéralité de l'économe du collège des Jésuites.
Le jour de la Pentecôte 1703, les jeunes gens entouraient leur bienfaiteur pour assister à la messe du St. Esprit dans l'Eglise de St. Etienne des Grés. Cette messe fut-elle célébrée par le Saint? Cela semble probable. Il était le seul prêtre de tout le group, et Poullart l'associait autant que possible à son œuvre.
Il — Poullart des Places — conduisait à sa communauté ceux de ses amis, qui venaient le voir et en qui il reconnaissait le talent de la parole.
On pense bien, que son plus intime confident ne fut pas oublié. Je tiens de celui qui fut supérieur de cette maison après M. des Places, et qui avait été son élève, qu'un jour M. Grignion les avait prêches sur la Sagesse, et leur avait fait une très belle paraphrase du livre de l'Ecriture, qui en porte le titre[20]).
Le texte de Besnard cité plus haut prouve qu'en 1760 la tradition et de la Compagnie de Marie et de la Congrégation du St. Esprit était que Poullart des Places avait commencé à travailler à la formation des pauvres séminaristes dans le dessin de fournir à son saint ami des collaborateurs pour l'œuvre des missions. Nous verrons plus tard dans quelle relation le Saint voyait la fondation de ce séminaire avec la Compagnie de missionnaires, dont il rêvait depuis le 7 Novembre 1700[21].

Chapitre II MONTFORT MISSIONNAIRE
 
§ I La carrière du missionnaire
 
Il semble utile de donner ici un aperçu général de la carrière parcourue par le missionnaire. Ainsi le lecteur pourra plus facilement situer certaines activités de Montfort comme fondateur dans le cadre de son apostolat missionnaire.
Prenons comme point de départ l'été de 1705. A ce moment le Saint quitta définitivement l'Hôpital Général de Poitiers pour se consacrer désormais uniquement à l'œuvre des missions. Il est facile d'indiquer quatre périodes bien distinctes.
A - La première comprend les années 1705—1706 et est marquée par les succès extraordinaires remportés par le jeune prêtre dans la ville de Poitiers. Hélas, dès le commencement de l'année 1706 se manifestait une hostilité, parfois violente. Finalement Montfort se vit en butte à d'incompréhensibles mesures d'ostracisme. C'est alors qu'il entreprit son grand pèlerinage à Rome pour demander sa voie au Vicaire de Jésus-Christ.
B - La deuxième comprend les années 1706—1708. Après son retour de Rome, Montfort rejoignit la compagnie de missionnaires dirigée par M. Leuduger. Peu après il se sépara de cet irascible directeur, et continua à missionner seul dans le diocèse de S. Malo. Pendant presqu'une année entière il résida dans l'ermitage de S. Lazare, près de Montfort-sur-Meu.
C - La troisième période va de l'automne 1708 jusqu'au printemps de 1711. C'est la période Nantaise, celle des grands triomphes; mais elle finit dans l'amertume de la destruction du Calvaire de Pont-Château. Depuis Septembre 1710 jusqu'au printemps 1711 Montfort résida dans la ville de Nantes. La chaire lui étant interdite, il s'occupa entre autres de la fondation de l'Hôpital des Incurables. Comme activité extérieure on ne rapporte que sa collaboration au sauvetage des naufragés, lors d'une inondation de la Loire.
D - C'est au Carême de 1711, que commence la quatrième et dernière période, qui ne finit qu'avec la mort du Saint le 28 Avril 1716.
Montfort parcourut les diocèses de Luçon, de la Rochelle et de Saintes.
Mgr. de Champflour de la Rochelle et Mgr. des Lescure de Luçon le soutinrent contre tous les calomniateurs. Vers le milieu de cette dernière période — en 1713 — le Saint se rendit à Paris pour trouver des collaborateurs, de futurs missionnaires de sa Compagnie de Marie. Nous le verrons faire une démarche officielle auprès des supérieurs du Séminaire du St. Esprit pour leur rappeler les promesses que lui avait faites le fondateur Claude Poullart des Places.
 
§ II Les auxiliaires prêtres.
Pour ce qui regarde la collaboration de Montfort avec d'autres missionnaires, il faut distinguer dans sa carrière deux phases bien distinctes. Pendant la première période de cette carrière, nous voyons Montfort assumer seul la charge des prédications et ne demander assistance que pour les confessions.
Pendant la seconde période, il travailla d'abord avec la société de missionnaires dirigée par M. Leuduger. S'étant séparé de celui-ci, il prêcha seul mais se fit déjà aider par le frère Mathurin.
A partir de la période Nantaise, nous voyons Montfort toujours accompagné d'un ou de plusieurs prêtres. En outre il fut aidé presqu'à chaque mission par d'autres collaborateurs temporaires.
 
A. LES RELIGIEUX.
Au cours de sa carrière Montfort a rencontré parmi les religieux, des collaborateurs précieux. Il faut citer spécialement les Jésuites, les Capucins et les Dominicains. Mais on comprendra aisément que cette collaboration ne pouvait être que locale et temporaire. Elle dépendait évidemment des loisirs accordés à ces messieurs par leurs occupations ordinaires. D'ailleurs ce n'est pas parmi eux que Montfort pouvait trouver les futurs membres de la Compagnie de missionnaires qu'il voulait fonder.
 
B. LES PRÊTRES SÉCULIERS.
M. des Bastières.
Parmi les collaborateurs du Saint, la figure la plus connue est certes celle de M. des Bastières. Nous le trouvons dans la compagnie de Montfort dès le commencement de la période Nantaise, c.a.d. dès Novembre 1708.
Il le quitta au mois Août 1709, et ce départ inopiné affligea profondément le grand missionnaire, comme M. des Bastières nous le révèle lui même[22].
Mais aussitôt que Montfort eut repris l'œuvre des missions, dans le diocèse de Luçon, c.a.d. au commencement de la quatrième période, M. des Bastières, prêtre cependant du diocèse de Nantes, rejoignit le Saint au carême de 1711. Il lui restera fidèle jusqu'à la fin du mois de Janvier 1716. A ce moment la séparation dut être définitive, car on ne retrouve même plus le nom de M. des Bastières dans le testament du Saint, rédigé le 27 Avril de cette même année.
 
M. Olivier.
Les biographes nous disent que le Saint, après le départ de M. de la Bastières, avait demandé un autre auxiliaire et qu'on lui avait envoyé M. Olivier, prêtre du diocèse de Nantes, docteur de Rome et Missionnaire Apostolique. Ils travaillèrent ensemble pendant les années 1709—1710 M. Olivier fut témoin des difficultés qui surgirent à propos du Calvaire de Pontchâteau. Certains auteurs, surtout J. Baptiste Blain, lui attribuent dans cette affaire un rôle moins luisant. C'est lui qui reçut la pénible mission d'aller relever Montfort à la mission de St. Molf en Septembre 1710, l'évêque ayant enlevé au Saint toute juridiction. M. Olivier garda toute sa sympathie aux œuvres fondées par Montfort, qu'il aida même de sa fortune, mais nous ne le retrouvons plus parmi les collaborateurs du Saint, après le départ de celui-ci du diocèse de Nantes.
 
Gabriel François Grignion.
 
Pendant la dernière période de la carrière du Saint d'autres prêtres partagèrent ses travaux. Nous ne connaissons pas les noms de tous ces collaborateurs, nous ne savons presque rien de leur activité. Le frère du Saint, Gabriel François Grignion, se dépensa à organiser les processions pendant la grande mission de la Rochelle en 1711. Mais, trop faible de santé, il retourna à Iffendic, pour y mourir assez jeune encore.
 
M. le Bourhis et M. Keuntz.
Dans les registres de la paroisse de Thairé on rencontre à l'année 1712 les trois signatures suivantes: P. Keuntz, prêtre de la mission; L. M. de Montfort, prêtre de la mission; Thomas le Bourhis prêtre de la mission.
C'est tout ce que nous savons de ce M. Keuntz. Nous ignorons combien de temps il travailla avec le Saint. Le nom de Thomas le Bourhis se retrouve - sous la forme Boury - au Testament du Saint. Nous sommes tentés d'admettre qu'il collabora avec Montfort pendant les dernières années de la vie du Saint. Hélas! les preuves nous manquent.
M. Clisson.
Un autre prêtre est nommé au testament, M. Clisson. Son nom vient après celui de Le Bourhis. Faut-il admettre que ce dernier était un collaborateur plus ancien?
M. Clisson devait être assez bon prédicateur, puisqu'on lui demanda de faire l'oraison funèbre du Saint.
 
Les collaborateurs prêtres et la Compagnie de Missionnaires.
Les premiers biographes, Grandet et Besnard, parlent tous deux du dessein du grand missionnaire de fonder une Compagnie de Missionnaires. Mais aucun d'eux ne nomme les prêtres, dont nous avons cité les noms, comme candidats possibles pour cette communauté. Nous verrons comment Montfort dans son testament exclut formellement MM. Bourhis et Clisson de sa Communauté du St. Esprit[23].
Et pourtant il faut tenir compte dans l'étude de la Règle que le Saint écrivit pour les "Prêtres Missionnaires de la Compagnie de Marie", de la présence auprès de lui de ces auxiliaires-prêtres.
 
M. Vatel et M. Mulot.
Deux autres prêtres se sont joints au Saint en 1715, M. Vatel et M. Mulot. Ceux-ci sont nommés explicitement par les biographes: "Missionnaires de la Compagnie de Marie". Mais avant de parler de leur vocation il faut que le lecteur ait pris connaissance de la règle écrite par le Saint pour cette Compagnie.
 
Conclusion
Après avoir recueilli soigneusement tous les détails rapportés par les biographes sur les auxiliaires-prêtres du grand missionnaire, on peut se former une idée de la "Compagnie de Missionnaires" dont Montfort était le chef.
Nous apporterons des preuves formelles de l'existence de cette "société de missionnaires" du vivant du Saint. Il est plus difficile de savoir quelles relations existaient entre Montfort, le directeur de la mission et ses différents collaborateurs. Mais il est certain que la "Règle des prêtres missionnaires de la Compagnie de Marie" composée par le Saint en 1713, n'a pas été écrite uniquement pour des missionnaires qui devaient venir dans un avenir plus ou moins rapproché. Certains passages s'adressent directement à des auxiliaires, travaillant avec le saint au moment où il écrit: "Règle Manuscrite". Pratiques des missions. N°. 10.
"Ils ne sont ni trop rigides, ni trop relâchés dans les pénitences et les absolutions, prenant le milieu de la sagesse et de la vérité qui leur est marqué en détail dans la "Méthode uniforme, que les missionnaires doivent garder dans l'administration du sacrement de pénitence pour renouveler l'esprit du christianisme" ... et dans un petit livre manuscrit plus étendu, qu'ils ont dans les mains, intitulé le "Veni-Mecum" du bon missionnaire".
Il est bien regrettable, que M. des Bastières, qui nous a laissé tant de détails édifiants sur la vie du Saint et tant de traits curieux sur les missions auxquelles il assista, aît gardé un silence complet sur ses collègues. C'est lui qui aurait dû nous renseigner sur les relations entre Montfort et ses missionnaires.
Voici le seul point qu'il nous aît communiqué:
"M. Grignion ... s'était fait pauvre, avait renoncé à son patrimoine et à toutes sortes de bénéfices et fait vœu de pauvreté et il insinuait à tous les ouvriers, qui le suivaient en mission, de faire la même chose ...[24].
 
§ III Les collaborateurs-frères.
 
Tous les témoins contemporains parlent d'auxiliaires laïcs qui secondèrent le grand missionnaire. Souvent ils les désignent sous le nom de frères. Nous sommes obligés de constater que les premiers biographes ne nous ont pas mentionné les noms de tous les frères qui furent avec Montfort, comme ils ne nous ont pas renseigné sur les faits et gestes journaliers de ces fidèles collaborateurs. Nous pouvons leur en faire un reproche, mais nous ne pouvons pas suppléer à leur silence en attribuant aux frères des activités dont aucun document ne porte trace.
 
Le frère Mathurin. Voilà le premier et le plus fidèle des collaborateurs.
En 1705, un jeune homme, nommé Mathurin, vint à Poitiers pour se faire Capucin. Il entra par hasard dans l'église des Pénitentes pour y faire sa prière. M. de Montfort, l'ayant aperçu, lui fit signe de le venir trouver et ayant sçu son dessein, il l'engagea à demeurer avec lui, pour le servir dans ses missions, où pendant près de 15 ans, il a fait le catéchisme, l'école aux enfants, et chanté des Cantiques avec beaucoup de bénédiction ... Il a été tonsuré depuis la mort de M. de Grignion et a beaucoup de talents pour s'acquiter de ses fonctions[25].
Pendant le pèlerinage, que Montfort fit à Rome en 1706, frère Mathurin se retira au Prieuré de Ligugé pour y attendre le retour du Saint. Il l'accompagna ensuite dans son pèlerinage au Mont S. Michel. Lors du séjour du missionnaire à Rennes, c'est le frère Mathurin, qui reçut la visite de l'oncle du Saint, M. Alain Robert. Le même frère Mathurin alla à Montfort-la-Cane, demander gîte et couvert à la mère Andrée. A Dinan, c'est au frère Mathurin que le Dominicain Joseph-Pierre Grignion, frère du Saint, se plaignit d'être traité avec si peu de respect. Pendant le temps que Montfort missionne en compagnie de M. Leuduger, le frère Mathurin reste attaché exclusivement à celui qu'il nommait son maître.
Ensemble ils logèrent aux "Quatre Vents" à Plumieux, ensemble ils s'acheminèrent vers S. Brieuc. Frère Mathurin alla devant pour demander à la sœur tourière du couvent, où Montfort devait prêcher, un morceau de pain au nom de Jésus Christ.
Au village de la Trinité, les deux voyageurs se joignirent aux fidèles, qui vénéraient la Madone, Montfort prêcha, et frère Mathurin chanta les cantiques. Ce pieux exercice était comme la contribution ordinaire du frère Mathurin aux grandes cérémonies, comme aussi la récitation du rosaire.
En Février 1708 Montfort l'envoya seul pour aider son cher ami, le curé de Bréal.
"Cependant j'enverrai Mathurin mardi chez vous pour dire le Rosaire publiquement, chanter des cantiques et publiquement porter, de ma part, soixante petites croix de Saint-Michel à nos soldats, lesquelles vous aurez la bonté de leur distribuer, après que vous les aurez avertis dimanche de se trouver mardi...
Louis-Marie de Montfort, prêtre.
 
Au commencement de la quatrième période de sa carrière nous voyons Montfort s'acheminer en compagnie de frère Mathurin vers Luçon, pour entrer finalement le 11 Mai 1711 à la Rochelle.
Pendant une des grandes processions organisées dans la ville au mois d'Août de cette même année, l'officier Claude Masse remarqua le bon frère et retraça sa figure dans le dessin qu'il fit de la procession des dames:
"Frère Mathurin, serviteur du missionnaire, faisant marcher par ordre et ordonnant le chant des différents cantiques"[26].
Grandet, le premier biographe, affirme, que les malandrins qui voulaient attenter à la vie du Saint, en voulaient aussi au fidèle serviteur.
Le frère Mathurin n'est plus nommé par les biographes après cette année 1711. Nous verrons plus tard quel parti on a voulu tirer de ce silence. Dans son testament, Montfort fit un effort ultime pour décider le frère Mathurin à prendre des engagements définitifs. Le brave catéchiste ne put s'y résoudre en raison de ses scrupules mais il resta fidèle jusqu'à sa mort à l'apostolat auquel Montfort l'avait initié, le Catéchisme.
 
le frère jean. Quand il vint s'établir à l'ermitage de S. Lazare, Montfort trouva le prieuré en ruines. Aidé des paysans des environs il s'y installa le mieux possible et restaura complètement la chapelle.
"Ce fut dans cette sainte chapelle qu'il renouvela son vœu de ne vivre que d'aumônes; il l'observait si scrupuleusement qu'il ne demandait rien à personne pour lui-même; mais la Providence lui fournissait des secours abondants. On lui apportait, chaque jour, plus qu'il ne lui fallait pour lui, le Frère Mathurin, et le Frère Jean, qui s'était joint à eux[27].
Il faut constater que le frère Jean n'est jamais mentionné comme intervenant dans les exercices des missions. Il était plutôt l'homme des besognes pratiques. Je ne sais s'il faisait la cuisine des missionnaires; mais il est certain qu'il avait toutes les qualités requises pour être un bon commissionnaire. M. des Bastières raconte comment il rattrapa et ramena un confrère, qui s'était enfui avec la caisse.
"A la fin de la mission de N. un des frères laïcs de Monsieur Grignion s'enfuit pendant la nuit, et lui emporta quarante écus qu'on lui avait donnés par charité, et qu'il avait destinés aux pauvres de la paroisse; le Frère Jean courut après lui et l'attrapa, et le ramena à Monsieur Grignion, qui le reçut avec une douceur angélique"[28].
M. des Bastières-auquel Grandet emprunte ce détail-ne nous dit pas en quelle année eut lieu cet incident. Marquons seulement qu'à ce moment, en dehors du frère Mathurin et du frère Jean, il y avait au moins un autre frère qui accompagnait les missionnaires. Et puisque c'est M. des Bastières qui raconte l'événement, nous savons qu'il a dû se passer dans la troisième ou la quatrième période de la carrière du Saint. Montfort ne garda pas cet auxiliaire peu délicat.
"M. de Montfort lui donna de l'argent pour se conduire chez lui. C'est aujourd'hui un parfait honnête homme, qui rend service au public"[29].
En 1715 le Saint envoya le frère Jean de la Rochelle à Poitiers pour en ramener les sœurs de la Sagesse.
"Je vous enverrai mon Frère Jean, avec une monture et quelqu'argent pour vous conduire"[30].
Au testament du Saint, le frère Jean est parmi les collaborateurs qui n'ont pas émis de vœux.
 
le frère pierre. En 1709 Montfort, en compagnie de M. des Bastières, donnait une mission dans la paroisse de Vertou. En ce moment il avait avec lui un frère que les biographes ne nomment point ailleurs.
Besnard nous fait le récit de la guérison miraculeuse de ce frère, d'après le témoignage d'un ecclésiastique, M. Clouviers:
Je le crus si en danger, que je dis à M. de Montfort, qu'on tardait à lui donner l'Extrême-Onction. Il ne répondit rien, mais il parla ainsi au malade:
"Pierre où est votre mal?
Par tout le corps.
Donnez moi la main.
Je ne le puis.
Tournez vous de mon côté.
Il m'est impossible.
Avez vous la foi?
Hélas, mon cher Père, je voudrais bien en avoir plus que je n'en ai.
Voulez vous m'obéir?
De tout mon cœur.
Il lui mit la main sur la tête en lui disant: "Je vous commande de vous lever en une heure d'ici et de venir nous servir à table"[31].
Malgré cette guérison miraculeuse, le frère Pierre ne persévéra point. Il n'est pas le seul d'ailleurs. Nous n'osons l'identifier avec cet autre dont parle M. des Bastières.
"Dans le même temps, un de ses frères laïcs se révolta contre lui, et le chargea d'injures très atroces"[32]).
Pas davantage nous n'osons l'identifier avec cet autre dont M. des Bastières nous raconte l'équipée après avoir rapporté comment le frère Jean rattrapa un frère peu délicat:
"Pareille chose est arrivée à une autre mission le même jour qu'elle finit. Un des frères, qui était mercier, s'enfuit aussi furtivement et emporta tout l'argent des marchandises qu'il avait vendues et amena le mulet. Il était déjà tard lorsque Monsieur Montfort en fut averti. Il en donna avis à l'Hôte chez qui nous logions, qui monta à cheval sur le champ avec son valet et tous deux coururent après lui, l'attrapèrent et l'amenèrent à M. Grignion"[33].
 
le frère Nicolas. Rien ne permet de dater exactement les incidents pénibles que nous rapportons ici, non plus d'ailleurs que l'arrivée du frère Nicolas. Nous le rencontrons pour la première fois en 1711. Au moment où nous faisons sa connaissance, Montfort l'envoie avec un compagnon à Pontchâteau pour y chercher les statues du Calvaire.
"De Nantes ce 29 de Janvier 1711 Monsieur,
Le pur amour de Dieu règne en nos cœurs! Je vous prie de livrer au présent porteur et à Nicolas, par la voie qu'ils auront, mes figures.
Le transport est nécessaire et pour ma délivrance et pour l'obéissance et
pour la volonté de Dieu: et s'il ne le voulait pas, il ferait plutôt un miracle
pour empêcher qu'elles ne fussent transportées. Et quoiqu'on les apporte ici,
ce ne sera que pour retourner avec plus de gloire au Calvaire, lorsque la
Chapelle sera bâtie ...        De Montfort, prêtre"[34].
De cette lettre il faut déduire, que le curé de Pontchâteau connaissait le frère Nicolas, puisque celui-ci doit se porter garant de son compagnon, le porteur de la lettre. Le frère Nicolas était donc déjà dans la compagnie du missionnaire lors des événements qui advinrent autour du Calvaire dans les années 1709—1710.
Et ce compagnon du frère Nicolas? Un autre frère? Ou un batelier, qui devait amener les statues à Nantes par la Loire?
N'y avait-il pas un motif spécial pour confier au frère Nicolas le transfert des statues?
Grandet nous affirme, que Montfort avait avec lui dans ses missions un sculpteur, qui réparait les autels et les statues[35]. Au moment de la mort du Saint, frère Nicolas est à Poitiers pour apprendre le métier de sculpteur. Le missionnaire savait que cet auxiliaire, s'intéressant spécialement aux statues, traiterait avec les soins nécessaires celles de Pontchâteau.
 
le frère Nicolas et le frère Jacques. En 1714 Montfort entreprit le voyage de Normandie pour aller consulter à Rouen son grand ami Jean Baptiste Blain. Deux frères l'accompagnèrent, que nous verrons tour à tour entrer plus avant dans l'intimité du Saint. A ce moment nous rencontrons pour la première fois le nom du frère Jacques. Il dût se joindre au groupe des frères dans l'automne de 1714, comme l'insinue d'ailleurs sa propre affirmation, que nous rapporte Besnard:
"Pendant vingt-trois mois, dit le frère Jacques, que j'ai eu le bonheur de demeurer avec Mr. de Montfort, malgré toutes ses occupations et tous ses voyages, je ne l'ai jamais vu passer un seul jour sans dire la Ste. Messe, et il la célébrait avec tant de piété et une dévotion si tendre qu'il communiquait cette même ferveur de dévotion à tous les assistants"[36].
Qu'au moment du départ pour Rouen, le frère Jacques ait été une recrue toute fraîche, cela ressort aussi de ce que raconte Besnard à ce sujet:
Avant son départ de Rennes, il lui vint dans la pensée d'éprouver un frère qu'il avait avec lui sur l'abandon à la divine Providence. Il lui proposa d'aller à Tréguier.
"Mon enfant, lui dit Mr. de Montfort, il faut que vous partiez promptement pour aller à trente lieues d'ici".
Le bon frère lui répondit qu'il était prêt à obéir. Cependant, comme il vit qu'on ne lui donnait pas autre chose que des ordres et qu'il n'était pas encore au fait de la manière d'agir du serviteur de Dieu:
"Mon Père, lui dit-il, je pars, mais qui pourvoira à mes besoins pendant un si long voyage? Car je n'ai aucun argent et vous ne m'en donnez point".
"Ayez confiance en Dieu, lui répliqua Mr. de Montfort, et vous ne manquerez de rien"[37].
Finalement le frère Jacques fut pourvu de 50 sols, que Montfort venait de recevoir et il s'achemina vers Tréguier, tandisque le missionnaire et frère Nicolas prenaient le chemin d'Avranches.
 
Montfort et frère Nicolas. Le voyage fut plein de ces surprises peu agréables que rencontrent les pauvres vivant d'aumônes. A Mesnil-Herman on leur refusa le logement.
Assis l'un contre l'autre sur le seuil d'une maison délabrée, Montfort et son frère essayaient de se protéger contre le froid. Encore le frère réussit-il à somnoler, le missionnaire ne pouvait fermer l'œil. Au dessus de sa tête une enseigne grinçait sur ses gonds, et Montfort regardant l'inscription dont elle était décorée, rimait:
"J'ai toujours la croix à la main,
"Dont le pouvoir est si divin"[38].
A St. Lô l'accueil fut tout autre. Le Saint fut heureux d'y donner une mission, dont le succès fut prodigieux. Si éclatant même fut ce succès, qu'on cherchait quel pouvait être le secret de l'influence exercée par ce prêtre inconnu arrivé dans la ville, pauvre et misérable, ne possédant qu'un bâton surmonté d'un crucifix et un long chapelet.
Des dames trop curieuses découvrirent le secret si mystérieux.
Attirées par des bruits insolites, elles allèrent regarder par les fentes de la porte de la chambre où logeait le missionnaire.
Et elles virent le saint prêtre à genoux, les épaules découvertes, et derrière lui le bon frère, le bras armé d'une discipline. Et le boureau faisait bien son métier. Il frappait si fort qu'à chaque coup le pauvre prêtre pliait les épaules et laissait échapper un cri.
Naturellement les dames s'en prirent au frère, qui se trouva bien embarrassé. Comment se défendre? Il avoua que c'était à la seule condition de lui rendre ce service, que son maître l'avait pris et le gardait avec lui.
 
Montfort et ses deux frères à la mission de St. Lô. Le frère Jacques rejoignit le Missionnaire à St. Lô; il prêta mainforte pour organiser les processions. Car on nous dit que les gens de la petite ville ne pouvaient comprendre comment
"Montfort seul avec un ou deux frères laïques pouvait venir à bout de ranger ainsi un grand peuple[39].
Voilà la preuve, qu'en plus de Mathurin, d'autres frères apportaient une aide précieuse dans le travail des missions.
 
Montfort et le frère Jacques à Rouen. De St. Lô, frère Nicolas retourna vers Rennes, conduisant l'âne, qui portait les accessoires des missions. Et ce fut le frère Jacques qui accompagna le Saint pendant le reste du voyage vers Rouen.
Le chanoine Blain nous raconte comment Montfort atteignit le but de ce long pèlerinage:
"Il arriva sur le midi, avec un jeune homme de sa compagnie, après avoir fait six lieues le matin à pied à jeun[40].
L'entrevue de Montfort et de son ami Blain prit quelques jours. Pendant le séjour dans la ville, le frère ne perdait pas son temps. Il s'occupait à faire des chaînes et des disciplines de fer." Le débit était grand, à ses missions, des instruments de pénitence"[41].
 
Le retour vers La Rochelle. Après quelques jours passés à Rouen, Montfort prit congé de son ami et reprit le chemin de la Rochelle. C'était le frère Jacques qui l'accompagnait, et c'est aux notes laissées par ce frère que Besnard emprunte les détails, qui suivent:
Il était si absorbé en Dieu, et son silence était si peu interrompu qu'il passait souvent plusieurs jours de suite sans lui parler (au frère).
"Souvent, dit-il, il me commandait, par signe, de marcher devant lui; quel­quefois je regardais par derrière moi, pour voir s'il me suivait, et je le voyais la tête prosternée contre terre. Il marchait presque toujours son chapeau sous le bras, la tête découverte, par respect à la présence de Dieu, et je crois, selon ce que j'ai vu et ce que je puis juger, qu'il ne le perdait jamais de vue"[42].
Arrivé en vue de Nantes, le pauvre frère n'en pouvait plus. Montfort, si dur pour lui-même, se montra la bonté même, pour son brave compagnon. Frère Jacques en était tout bouleversé, comme il le raconte lui-même:
"Ce fut alors, que cet homme, tout admirable et tout rempli de charité pour son prochain, pour me soulager, me pria avec toutes sortes d'instances et avec un cœur vraiment paternel, de monter sur ses épaules, et j'eus bien de la peine à m'en défendre, parcequ'il ne cessait de m'en solliciter pendant près d'un quart de lieu; mais ne pouvant rien obtenir, il me fit quitter mon habit, qui était fort gros et embarrassant: le mit sur son épaule, le tenant d'une main, tandisque de l'autre il me tenait sous le bras pour m'aider à marcher et me conduire, près de trois lieues en cette situation"[43].
Arrivé à Nantes, le frère Jacques reçut l'ordre de se reposer pendant quelques jours dans la petite maison où Montfort avait installé les pauvres Incurables. Le Missionnaire, toujours infatigable, continua son chemin vers Rennes pour y aller saluer une dernière fois ses amis.
Cette fois c'est, de nouveau, frère Nicolas qui l'accompagne. Les voyageurs furent accueillis avec grand respect par M. Dorville, mais hélas! le pauvre frère fut à nouveau la victime de la curiosité des femmes.
Un soir, ce bon frère, pour satisfaire la grande envie, de la domestique de la maison de savoir quelques particularités de la vie et de la conduite de M. de Montfort, lui raconta ce qu'il en avait vu lui-même, et ce qu'il en avait entendu dire à autres.
Le lendemain, lorsque, comme à son ordinaire, il fut demander au Missionnaire la permission de communier, celui-ci la lui refusa.
Le frère, qui ne croyait pas avoir rien fait qui eût pu lui attirer ce refus, pria son Maître, de vouloir bien lui faire connaître quel mal il avait fait, afin qu'il s'en corrigeât:
„Vous avez violé, lui dit alors M. de Montfort, la règle, qui vous marque d'être retiré à neuf heures, et vous avez tenu avec la domestique de la maison des propos indiscrets à mon sujet"[44].
 
Les statues du Calvaire de Pontchâteau. De retour à Nantes, après ses adieux aux amis de Rennes, Montfort voulut régler la question toujours pendante des statues du Calvaire. En 1711 frère Nicolas avait été envoyé avec une lettre du Saint pour réclamer les figures. On n'a jamais su pourquoi, alors, le transfert n'eut pas lieu. Mais en cette année 1714, Montfort, accompagné du frère Jacques, se rendit lui-même à Pontchâteau.
Il fallut travailler dur pour charger les lourdes statues et la belle croix sur les bateaux; Montfort lui-même dut entrer dans la vase de la Loire et plier les épaules sous le poids énorme de la grande croix.
Puis laissant le frère accompagner les statues par eau, il marcha toute la nuit pour tout préparer à Nantes, en vue du dépôt des "figures" du Calvaire dans la maison des Incurables.
De Nantes, Montfort retourna à la Rochelle, toujours accompagné du frère Jacques, qui nous a laissé un récit émerveillé de toutes les démonstrations d'amour et de respect, dont le Saint fut l'objet de la part des habitants des contrées par où il passait.
 
Conclusions
 
A. LES ACTIVITÉS DES FRÈRES COADJUTEURS.
Les activités diverses que nous voyons exercées par les frères, sous l'autorité du Saint lui-même, cadrent bien avec les prescriptions insérées par Montfort dans sa Règle Manuscrite pour assigner leur tâche spéciale à ces précieux collaborateurs.
"On y reçoit cependant des frères laïques pour avoir soin du temporel, mais qui soient détachés, vigoureux et obéissants, prêts à faire tout ce qu'on leur ordonnera".
Il est manifeste qu'il ne faut pas prendre ces mots „prendre soin du temporel" dans un sens strict, comme si les frères n'avaient à s'occuper que de travaux manuels proprement dits. Leur activité s'étendait à tout ce qui dans l'œuvre des missions n'était pas du ministère du prêtre.
Il y avait certes la cuisine des missionnaires à faire; il fallait servir à table, comme le demandait Montfort au frère Pierre; il y avait à fabriquer les chaînettes, les chapelets, les disciplines: Frère Jacques semble voir excellé en ces travaux, comme le remarqua Blain.
Tous ces objets, et d'autres, étaient vendus, aux portes des églises, par le frère mercier. Parfois l'un de ces pieux négociants ne pouvait résister à la tentation et s'appropriait "l'argent de la boutique", comme s'exprime le Testament du Saint.
Il y avait les processions à organiser, les églises à nettoyer et à décorer; les «ornements d'église et de mission" à transporter d'une paroisse à l'autre, parfois d'un diocèse à l'autre, comme le fit frère Nicolas, lors du voyage de Rouen.
Les frères chantaient les cantiques pendant les missions; le frère Mathurin avait à son usage l'un des quatre manuscrits des cantiques qui nous ont été conservés. Le frère Jacques, de sa belle voix, savait émouvoir non seulement les simples fidèles, mais aussi les recteurs des paroisses, comme il arriva à S. Pompain.
M. des Bastières affirme que sa tâche ordinaire était de faire le catéchisme aux enfants et aux pauvres. Il est établi pourtant que le frère Mathurin excellait lui aussi dans ce genre d'apostolat. Ne lui a-t-on pas accordé la tonsure ecclésiastiques pour ses grands mérites et succès extraordinaires?
Il y avait aussi la classe à faire aux garçons. Nous parlerons ailleurs de ce que pouvait être cette activité scolaire des frères.
 
B. LES FRÈRES COADJUTEURS INCONNUS DES BIOGRAPHES.
Quand on a recueilli autant que possible tous les renseignements que nous ont laissés les biographes et les documents contemporains sur les frères du Père de Montfort, on se trouve tout d'un coup devant un problème insoluble. Comment est-il possible que nous ne puissions retrouver aucun détail sur trois des quatre frères nommés dans le Testament du Saint? Ils avaient pourtant dû vivre avec lui pendant un laps de temps assez long, puisqu'il leur a permis d'émettre des vœux dans sa Société. Le Testament nous fera voir que Montfort comptait sur eux pour continuer, sous la direction de M. Mulot, l'œuvre des missions.
On comprend que les biographes aient tu le nom de certains frères dont l'idéal n'était pas très haut placé. Ils sont encore excusables de ne pas nous avoir tout dit des activités journalières de ces collaborateurs. En lin de compte, ils écrivaient la vie du Saint et non l'histoire de ses congrégations. Mais il est étrange qu'ils n'aient prêté aucune attention à trois des collaborateurs dans lesquels le Saint semble mettre toute sa confiance.
Naturellement on a suggéré qu'il s'agissait ici d'une conjuration du silence, et même de destruction intéressée de documents. Et pour quelle raison, lancer une si noire accusation? On répète:
Il y a des gens qui ont intérêt à ce que ces frères restent inconnus, parceque ces frères ont fait l'école. Naïveté qu'une telle accusation! Qui accuser? — Grandet, le premier biographe écrivant de 1718 à 1723 qui a eu entre les mains tous les manuscrits laissés par Montfort et tous les rapports envoyés par ceux qui avaient connu le missionnaire? Pourquoi aurait-il tû ce qu'il savait des activités de ces frères, puisque tous les textes se rapportant à l'activité scolaire des frères nous viennent de Grandet? Reproduisant le texte du Testament il a dû s'apercevoir lui-même de la lacune que présentait sa biographie du Saint. Et pour la réparer il a inséré le texte suivant qui affirme ce qui est contredit par les faits:
"Les quatre frères coadjuteurs, dont Monsieur de Montfort parle dans son Testament, et qui ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, les suivent partout, et sont appliqués à faire le Catéchisme, l'école et la cuisine des missionnaires"[45].
Il est difficile, je pense, d'accuser Grandet, qui n'avait aucune raison de celer ce qu'il pouvait savoir sur ces frères.
Faut-il accuser Besnard, le second biographe? Les renseignements qu'ils nous a laissés sur les frères sont bien plus abondants que ceux de Grandet[46] ).
Nous verrons plus tard de quelle manière on a voulu suppléer les documents que les contemporains ne nous avaient pas transmis.
Il me semble plus honnête et plus réel d'accepter le fait regrettable, mais réel: Les biographes n'ont pas connu trois des quatre frères nommés dans le Testament du Saint.

Chapitre III LA REGLE DES PRETRES-MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE MARIE
 
 
AVANT-PROPOS.
Dès son premier contact avec les âmes, Montfort a senti la nécessité d'une petite compagnie de bons prêtres travaillant sous l'étendard de la Vierge. Quand il voit l'occasion propice, il redouble d'efforts pour trouver les collaborateurs qui acceptent de former avec lui cette société pauvre en biens, riche en dévouement.
Quand il est entré définitivement dans la carrière, des collaborateurs se joignent à lui. Tous ne sont pas fidèles et certains hésitent à s'engager à fond.
Ayant acquis, aux prix de bien des souffrances, une expérience précieuse, le grand missionnaire se décide à jeter les fondements durables de cette société de missionnaires qu'il a implorée du Seigneur toute sa vie avec pleurs et gémissements.
La preuve vraiment irréfragable que Montfort a fondé une Congrégation de missionnaires, nous est fournie par un précieux manuscrit heureusement conservé, qu'on a appelé la "Règle Manuscrite".
Une étude un peu poussée de ce document nous apportera la solution de certains problèmes qu'on a trop négligés. Se laissant influencer par les textes eschatologiques de la première partie du Manuscrit, on a supposé que cette Règle avait été écrite plutôt pour des missionnaires qui viendraient dans un avenir plus ou moins lointain mais non pour des collaborateurs du Saint partageant ses travaux[47].
La "Règle Manuscrite" prévoit comme moyen de recrutement un séminaire fonctionnant à Paris ; ce qui a fait croire à certains qu'il fallait identifier la Compagnie de Marie fondée par Montfort avec un institut fondé par un de ses amis.
Pour pouvoir étudier ces diverses questions nous reproduisons un certain nombre d'extraits empruntés à ce manuscrit. Mais auparavant nous devons consacrer un paragraphe à l'étude du document lui même.
 
§ I La "Règle Manuscrite"
Le Saint s'est servi d'un carnet, format de 17 x 11 cm., composé de plusieurs fascicules et comptant originairement 88 pages[48].
La première page du manuscrit ayant été perdue, nous ne pouvons savoir quel titre Montfort avait donné à l'ouvrage pris en son entier.
La première partie du manuscrit, qu'on a nommée "La Prière Embrasée", est manifestement une introduction à la Règle proprement dite. Cette introduction occupe les 23 premières pages du manuscrit.
La Règle proprement dite va de la page 24 à la page 74. On peut la diviser en deux parties, dont la première regarde la vie intérieure de la société, la seconde ses activités externes.
Cette première partie comprend six petits paragraphes, dont les trois premiers doivent être considères comme fondamentaux; le premier traitant de la fin de l'institut, le second et le troisième de la pauvreté et de l'obéissance, les deux vœux qu'ont émet dans la Compagnie.
La seconde partie traite des "Pratiques de leurs missions". L'œuvre des missions est en effet l'unique apostolat voulu par le fondateur, prévu et réglementé par les constitutions.
Cette seconde partie ne comprend que trois paragraphes; le premier parle des pratiques des missions en général, le second du Règlement à observer pendant les exercices; le troisième donne les "Règles du Catéchisme".
La troisième partie du Manuscrit porte comme titre: "Aux associés de la Compagnie de Marie" et est une exhortation à pratiquer réellement la pauvreté; moyen infaible pour obtenir la bénédiction de Dieu sur les travaux missionnaires.
Les trois parties ne sont pas indépendantes l'une de l'autre, elles ont une unité fondamentale: l'œuvre des missions.
La vision apocalyptique de la première partie se rapporte aux mêmes missionnaires auxquels Montfort recommande dans la troisième: "Estimez beaucoup et chérissez tendrement la pauvreté réelle et effective . . .", auxquels il donne des prescriptions si minutieuses dans la Règle proprement dite.
Nous reproduisons ici uniquement les extraits de la "Règle Manuscrite" nécessaires pour mieux comprendre les clauses du Testament dictées par Montfort.
 
§ II Extraits de la Règle Manuscrite
 
RÈGLES DES PRÊTRES MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE MARIE.
 
Fin  particulière de  la Compagnie.
1. On ne reçoit en cette compagnie que des prêtres déjà formés dans les séminaires, ainsi les ecclésiastiques des ordres inférieurs en sont exclus, jusqu'à ce qu'ils aient reçu le sacerdoce. Il y a cependant à Paris un séminaire où les jeunes ecclésiastiques, qui ont vocation aux missions de la Compagnie, se disposent par la science et la vertu à y entrer.
 
2. Il faut que ces prêtres soient appelés de Dieu à faire des missions sur les traces des pauvres apôtres, et non à vicarier, régir des cures, enseigner la jeunesse ou former des prêtres dans les séminaires, comme font tant d'autres bons prêtres, qui sont appelés de Dieu dans ces saints emplois.
Par conséquent, ils fuient ces emplois comme contraires à leur vocation apostolique, afin de pouvoir toujours dire avec Jésus-Christ: Pauperibus evangelizare misit me Dominus; ou avec les Apôtres: Non misit me Dominus baptizare sed evangelizare; et ils regardent comme une fine tentation les occasions, qui se présentent incessamment d'aider les peuples dans ces voies. C'est le change ou le détour qu’ont malheureusement pris plusieurs saintes communautés, qui ont été établies, dans ces derniers siècles, par le saint esprit de leurs fondateurs, pour faire des missions, et cela sous prétexte d'un plus grand bien. Les unes se sont appliquées à instruire la jeunesse, les autres à former des prêtres et ecclésiastiques ; et, si elles font encore quelques missions, ce n'est plus que par accident et comme en passant. . .
 
3. On n'y reçoit point de prêtres malsains et trop âgés, c.a.d. après soixante ans, étant pour lors hors des combats, que les missionnaires, comme de vaillants champions de Jésus-Christ, doivent livrer sans cesse aux ennemis du salut.
Si cependant quelque prêtre de la Compagnie devient par l'âge ou la maladie hors d'état d'aider aux missions, il se repose dans une maison que la Compagnie a pour ce sujet.
 
4. On y reçoit cependant des frères laïques pour avoir soin du temporel, mais qui soient détachés, vigoureux et obéissants, prêts à faire tout ce qu'on leur ordonnera.
 
5. Il faut que les uns et les autres soient sans bénéfices, même simples, et sans biens temporels, même de patrimoine: et s'ils en ont avant d'entrer dans la Compagnie, ils laissent leurs bénéfices entre les mains des présentateurs et leurs biens à leurs parents ou aux pauvres selon l'avis d'un homme sage, faisant ainsi échange de leurs biens de patrimoine en celui de Dieu même, qui est celui de sa divine Providence et qui est inépuisable.
 
6. Ainsi détachés de tout emploi et du soin de tout bien temporel, capables de les arrêter et fixer, ils sont légers pour courir avec les Saint Paul...
 
8. Pour être engagés pour toujours dans la Compagnie, ils font des vœux simples de pauvreté et d'obéissance, pour un an, entre les mains du supérieur, lesquels vœux ils renouvellent tous les ans; et, au but de cinq années non interrompues hors de la Compagnie, ils font les deux vœux de pauvreté et d'obéissance pour toujours; lesquels vœux n'étant que simples, ils pourraient, pour des raisons légitimes, en obtenir dispense de l'Evêque pour sortir de la Compagnie …
 
9. Jamais la Compagnie ne se charge d'écolier ni de pensionnaire ecclésiastique ou laïque, quand il y voudrait donner tout son bien.
Leur  détachement  et  pauvreté évangéliques.
 
3. La Compagnie n'a et ne peut avoir en propre que deux maisons dans le Royaume, la première à Paris pour former des ecclésiastiques à l'esprit apostolique ; la seconde hors de Paris, en une province du royaume, pour s'y aller reposer lorsqu' on est hors de combat et pour finir ses jours dans la retraite et la solitude après en avoir passé les plus beaux à la conquête des âmes.
La Compagnie peut recevoir des mains de la divine Providence les autres maisons qu'on lui donnera dans les différents diocèses où Dieu l'appellera, mais elle n'en recevra que la jouissance comme un locataire dans une maison, ou seulement la demeure comme un étranger dans une auberge; si personne ne veut lui donner de maison, elle n'en demandera point; elle se contentera d'en louer quelqu'une à la campagne plutôt qu'à la ville. Mais si quelque personne charitable lui fait don de quelque maison, elle en laisse le domaine entre les mains de l'évêque du lieu et de ses successeurs, et n'en conservera que la jouissance; l'évêque et ses successeurs aiant par là tout pouvoir et tout droit d'ôter la dite maison aux dits missionnaires, s'ils venaient avec le temps à y demeurer sédentaires et ne pas remplir leurs devoirs.
 
6. Ils disent, comme les religieux de la Compagnie de Jésus, toutes leurs messes gratis, pour ceux et celles qui leur en demandent ; ils peuvent même s'en charger jusqu'à une trentaine et non plus; mais si on veut leur en donner quelque reconnaissance ou rétribution, ils la font recevoir, après la mission ou même pendant la mission, par les mains du Directeur ou de l'Économe...
 
8.   Si quelque prêtre apporte quelqu’argent avec soi, en entrant dans la Compagnie, il le met tout sans réserve dans la bourse de la Providence. Si après son entrée dans la Compagnie, ses parents ou amis lui font quelqu'aumône ou lui donnent quelque rétribution de messes sans l'avoir demandée, il l'incorpore de même dans la bourse commune pour être appliquée aux besoins de toute la Communauté, sans en prétendre aucun fruit particulier ni aucun privilège singulier, tout de même que celui qui n'a rien apporté et auquel on n'a rien demandé.
 
9. Si le missionnaire, soit avant soit après ses vœux, vient à sortir, par sa tête, sans permission ou par une désobéissance formelle, hors de la Compagnie, il ne redemandera aucune partie ni aucun dédommagement de ce qu'il a donné par aumône à la compagnie des pauvres volontaires ; mais, s'il sort malgré lui, pour quelque faute considérable qui ne soit pas une désobéissance formelle, on lui tiendra compte, au moins en partie, de ce qu'il a donné, ses dépenses déduites.
 
Leur obéissance
7. Ils regardent la désobéissance formelle ou obstinée à un supérieur, même en petite chose, comme le plus grand crime qu'on puisse commettre dans la Compagnie et comme peut-être le seul, qui mérite exclusion de la communauté, quelqu’âgé et quelque saint qu'on soit d'ailleurs.
 
§ III La date de la composition de cette Règle
 
La critique interne ne retrouve qu'une seule indication permettant de dater plus ou moins approximativement la composition de cette règle Dans les "Pratiques des Missions" N° 8. le saint a écrit:
"Ils établissent de toutes leurs forces, ... la grande dévotion du Rosaire de tous les jours; et ils agrègent en cette Confrérie, comme ils en ont le pouvoir, tous ceux qu'ils peuvent ..."
Comme nous savons par ailleurs que Montfort avait demandé ce privilège au mois de Mai 1712, il faut admettre que la "Règle Manuscrite" soit postérieure à cette date.
Le premier biographe, Grandet, avait ce manuscrit entre les mains et a donné des extraits de la Prière Embrasée; il promet même une édition spéciale de la Règle, mais il est peu probable qu'il aît tenu cette promesse. Par ailleurs, il ne nous fournit aucun renseignement sur le moment où le saint aurait rédigé cette règle[49].
Le second biographe, Besnard, est plus précis, tout en n'osant être trop affirmatif.
Ce fut, selon toutes les apparences, pendant les petites retraites intermédiaires, qu'il traça le plan de sa nouvelle Congrégation. Ce qui est certain, c'est qu'il était dressé lorsqu'à la fin du mois de juin 1713, il partit pour Paris[50].
Ce texte nous avertit que Besnard voit une relation étroite entre la composition de la "Règle Manuscrite" et la visite que fit le Saint en 1713 au Séminaire du S. Esprit de Paris.
Mais avant d'aborder ce problème spécial, il nous faut d'abord examiner quelques questions soulevées par les textes de la Régie cités plus haut.
 
§ IV Le Recrutement selon la "Règle Manuscrite"
Quand on réduit à l'essentiel les quatre premiers numéros du premier paragraphe de la Règle, on obtient le résultat suivant:
1. On ne reçoit dans cette Compagnie que des prêtres déjà formés dans les séminaires et qui ne soient ni malsains ni trop âgés.
2. Ces prêtres doivent être appelés de Dieu à faire des missions sur les traces des pauvres Apôtres.
3. On y reçoit aussi des Frères laïques pour prendre soin du temporel.
4. Ces frères doivent être détachés, vigoureux et obéissants, prêts à faire tout ce qu'on leur ordonnera.
Nous verrons comment cette Règle, écrite en 1713, était pratiquée par des Missionnaires et par des frères formant groupe avec le Saint.
Retenons que c'est en cette année 1713, à la fin du mois de Juin, que le Grand Missionnaire voit le recrutement de sa Compagnie comme il le décrit ici.
 
A. LE RECRUTEMENT DES PRÊTRES.
On ne reçoit en cette Compagnie que des prêtres déjà formés dans les séminaires, ainsi les ecclésiastiques des ordres inférieurs en sont exclus jusqu'à ce qu'ils aient reçu le sacerdoce.
Il y a cependant à Paris un séminaire, où les jeunes ecclésiastique, qui ont vocation aux missions de la Compagnie, se disposent par la science et la vertu à y entrer.
Quelle est la règle fondamentale? On ne reçoit dans cette compagnie que des prêtres formés dans les séminaires[51].
Il n'est pas parlé d'un séminaire spécial; tout prêtre ayant reçu la formation demandée par le Concile de Trente, peut être admis. Mais aussi cette formation dans un séminaire, est une condition sine qua non.
Quand on relit le second membre de phrase: "ainsi les ecclésiastiques des ordres inférieurs en sont exclus jusqu'à ce qu'ils aient reçu le sacerdoce"; on se demande si cette ajoute n'est pas superflue; si on ne reçoit que des prêtres, les ecclésiastiques n'ayant pas encore reçu le sacerdoce sont déjà exclus.
Mais ce second membre de phrase est éclairé par celui qui suit: "Il y a cependant à Paris un séminaire ...".
Ce "cependant" annonce une dérogation à ce qui a été décrété dans la phrase qui précède. Cette dérogation n'a pas trait au premier membre de phrase, c.a.d. à l'admission exclusive de prêtres, mais au second, c.a.d. à l'exclusion d'ecclésiastiques non encore ordonnés.
Le sens exact est celui-ci: ces ecclésiastiques ne sont pas admis dans la Compagnie, mais dans un séminaire de la Compagnie, où ils peuvent se préparer par la science et la vertu à entrer réellement dans la compagnie.
En effet, cette phrase n'aurait pas de sens, si ce séminaire n'avait pas des rapports très étroits avec la Compagnie de Marie pour laquelle Montfort écrit cette Règle.
Comment le Saint voit-il ces rapports en cette année 1713, avant sa visite au Séminaire du St. Esprit? Il voit ce séminaire de Paris comme une des deux maisons appartenant en propre à la Société fondée par lui, comme nous le verrons tout à l'heure.
 
B. LE RECRUTEMENT DES FRÈRES.
La Règle manuscrite ne prévoit aucun moyen spécial pour assurer le recrutement des frères. Ceci est explicable, vu que les activités qu'on attendait d'eux, ne demandaient pas une formation spéciale.
Leur vocation était "avoir soin du temporel." Nous avons vu dans un chapitre précédent de quelle manière plusieurs d'entre eux se sont joint au grand missionnaire, et comment le Saint n'hésitait pas à leur confier des emplois divers. Le seul pour lequel une formation spéciale était prévue est le frère Nicolas, qui devait apprendre le métier de sculpteur. Mais c'est uniquement le Testament, donc le dernier document émanant du saint, qui nous a renseigné sur ce point[52].
 
§ V Un séminaire de la Compagnie de Marie
La preuve indéniable que telle est bien la pensée de Montfort nous est fournie par la "Règle Manuscrite" elle même.
Pour s'en convaincre il suffit de rapprocher deux textes empruntés réciproquement au premier et au deuxième paragraphe de la Règle.
1. Il y a cependant à Paris un séminaire où les jeunes ecclésiastiques qui ont vocation aux missions de la Compagnie se préparent par la science et la vertu à y entrer.
2. La Compagnie na et ne peut avoir en propre que deux maisons dans le royaume, la première à Paris pour former des ecclésiastiques à l'esprit apostolique ; la seconde hors de Paris, en une province du royaume, pour s'y aller reposer quand on est hors de combat...
Qui oserait affirmer que cette maison de Paris qui doit former des ecclésiastiques à l'esprit apostolique, ne soit pas le séminaire où les jeunes ecclésiastiques se préparent par la science et la vertu à entrer dans la Compagnie?
Mais alors ce séminaire de Paris est une maison que la Compagnie de Marie a et peut avoir en propre.
 
Ie . Objection. Certains s'insurgeront contre cette interprétation en disant: il est impossible que la Compagnie de Marie voulue par Montfort possédât un séminaire, car cela est absolument contraire à la Règle:
§ I. 2: Il faut que ces prêtres soient appelés de Dieu à faire des missions, et non à vicarier . . . ou former des prêtres dans les séminaires ...
Or si la Compagnie avait un séminaire, il faudrait que ses membres formassent des prêtres dans un séminaire.
Ce qui est impossible à admettre c'est que Montfort, écrivant cette Règle, soit en contradiction avec lui-même d'une page à l'autre.
Il suffit de relire un peu attentivement les extraits de la "Règle Manuscrite" cités par nous, pour voir que ce que Montfort défend à ses missionnaires c'est de prendre sur eux de former dans des séminaires n'appartenant pas à la Compagnie des séminaristes ne se destinant pas à l'œuvre des missions, apostolat spécial de la Compagnie de Marie. Relisez le reproche fait par le Saint à d'autres sociétés:
Plusieurs saintes communautés, qui ont été établies, dans ces derniers siècles, . . . pour faire des missions ... Les unes se sont appliquées à instruire la jeunesse, les autres à former des prêtres et ecclésiastiques ...
Il leur reproche d'avoir abandonné l'œuvre des missions pour former des ecclésiastiques, des séminaristes appartenant à des diocèses, mais il ne leur reproche point de former leurs propres successeurs à l'œuvre des missions. Et c'est ce qui se fait dans le séminaire de Paris que la Compagnie de Marie a en propre.
 
2e. Objection. D'autres diront: cette interprétation est contraire aux faits; la Compagnie de Marie n'a jamais possédé de séminaire à Paris.
Pardon! Il s'agit de savoir comment Montfort voyait les choses au moment où il écrivait sa "Règle Manuscrite" Oui ou non, Montfort a-t-il écrit: La Compagnie n'a et ne peut avoir en propre que deux maisons?
Il parle de deux maisons que la Compagnie a en propre, un séminaire et une maison de repos. S'il apparait qu'il a en vue une maison réellement existante quand il parle de la maison de repos, pourquoi le niera-t-on quand il s'agit du séminaire?
Or la maison de repos existait bel et bien, au témoignage de Grandet:
Une femme de piété, voyant les grands biens que Mr. Grignion faisait à la Rochelle, en fut si touchée, qu'elle lui donna une maison sa vie durant... pour y venir demeurer pendant les vacances ...[53].
Or cette maison de repos de la Rochelle, Montfort la considérait comme une maison de sa Compagnie. La preuve nous en sera fournie par le Testament, où il aura soin d'avertir ses héritiers que cette maison ne lui ayant été donnée que, sa vie durant, ne viendra pas à la Communauté après sa mort, „Comme la maison de la Rochelle retournera à ses héritiers naturels ..."
 
3e. Objection. Mais, affirmera-t-on, il s'agit du séminaire fondé par Poullart des Places, du Séminaire du St. Esprit et non d'un séminaire de la Compagnie de Marie.
Soit! Mais au moment où il écrit sa "Règle Manuscrite" le Saint considère le séminaire fondé par Poullart des Places, comme appartenant à la Compagnie de Marie. Voilà les faits. Quand on considère les choses de près, il n'y a rien d'étrange en cela.
 
a. l'accord avec Poullart des places.
Besnard insiste sur le fait que Montfort avait fini de dresser son plan pour une société de missionnaires à la fin du mois de juin 1713, c.a.d. avant son départ pour Paris. Il est évident que Montfort voyait les rapports de sa société avec l'institut que son ami Poullart avait commencé avec son aide, comme ils les avaient conçus ensemble. Or qu'est-ce que le même Besnard nous apprend sur l'accord conclu par les deux amis? Poullart avait dit à Montfort en 1703:
Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai, et vous les mettrez en exercice[54].
N'est-ce pas exactement ce que le Saint attend de cette maison de Paris? Il est absolument certain par ailleurs, que Poullart des Places, dans les premières années, ne songeait nullement à former un institut spécial, une société organisée. Ce qu'il recherchait, c'était le moyen d'aider de pauvres séminaristes à arriver au sacerdoce, pour qu’ils puissent ensuite se dévouer à l'apostolat auxquels ils se sentaient aptes. Montfort a eu, pendant les années 1703—1704, l'occasion d'intéresser les premiers séminaristes recueillis par Poullart, à l'œuvre des missions. Il est parti de Paris en l'automne de 1704. Il n'a plus revu Poullart, qui meurt en 1709. Au moment où il écrivit sa Règle, dans le but de la soumettre aux successeurs de son ami Poullart, n'etait-il pas en droit de considérer ce séminaire de Paris comme la maison de formation de ses missionnaires, comme la maison de formation de la Compagnie de Marie?
Le fait même que Montfort alla à Paris pour rappeler aux directeurs du Séminaire les promesses à lui faites par le fondateur, prouve qu'il était convaincu d'avoir des droits sur les ecclésiastiques des ordres inférieurs, qui s'y préparaient par la science et la vertu à entrer dans sa Compagnie de Marie.
 
b. La Compagnie de Marie existe en 1713.
Une lecture objective des textes cités plus haut, convaincra le lecteur que Montfort considérait les deux maisons — le séminaire de Paris et la maison de repos, c.a.d. l'ermitage de St. Eloi à la Rochelle — comme des maisons que sa compagnie avait en propre.
Mais alors il est évident aussi que Montfort au moment où il écrit sa Règle considère sa Compagnie de Marie comme existant hic et nunc.
On s'insurgera aussitôt contre cette affirmation en argumentant: On ne peut prétendre que cette compagnie existait, que si elle comptait des membres. Or en 1713 personne n'avait fait de vœux dans la Compagnie de Marie; donc elle n'existait point.
Admettons la majeure de ce syllogisme; mais examinons un peu la mineure. On affirme deux choses: personne n'avait fait de vœux et à cause de cela la Compagnie ne comptait pas de membres.
D'abord est-il vrai que personne n'avait fait de vœux? Il faudrait au moins excepter Montfort lui même, qui ayant déjà fait vœu de pauvreté en 1709 lorsqu'il résidait dans l'ermitage de St. Lazare, renouvela ce vœu en sortant du diocèse de Nantes en 1711[55].
Peut-on affirmer qu'aucun autre des missionnaires n'avait fait au moins le vœu de pauvreté? Grandet nous dit:
Monsieur Grignion . . . avait renoncé à son patrimoine ... et fait vœu de pauvreté, et il insinuait à tous les ouvriers qui le suivaient en mission, de faire la même chose ...[56].
Cela n'est certes pas une preuve formelle, mais il n'existe aucune preuve du contraire.
Le Testament du Saint nous apprendra qu'au mois d'avril 1716, quatre frères coadjuteurs avaient fait des vœux annuels. Montfort exprime l'espoir qu'ils renouvelleront ces vœux. On objectera naturellement que rien ne prouve que ces frères avaient déjà fait des vœux en 1713.
La Règle prévoit cinq années de vœux annuels. Le Testament affirme que les frères doivent encore renouveler leurs vœux. De quel droit peut-on assurer: aucun des quatre frères n'avait encore émis de vœux en Juin 1713.
Mais même si nous admettons que personne n'avait encore émis de vœux, en dehors du Saint s'entend, cela prouve-t-il que la Compagnie de Marie ne comptait pas de membres?
On insistera sur le texte de la Règle, Pargr. I. No. 5:
Pour être engagés pour toujours dans la Compagnie, ils font des vœux simples de pauvreté et d'obéissance, pour un an. . .
On oublie que Montfort parle ici d'engagements définitifs. Le texte même de la Règle nous prouve que Montfort considérait comme membres de sa Compagnie ceux qui n'avaient pas encore pris d'engagements définitifs.
Si le missionnaire, soit avant soit après ses vœux, vient à sortir, par sa tête, sans permission ou par une désobéissance formelle, hors de la Compagnie . . .
Pour qu'un missionnaire, avant ses vœux, puisse sortir "hors de la Compagnie" il faut nécessairement qu'il ait été "dans la compagnie". Nous verrons ce cas se réaliser, quand nous étudierons le Testament.
 
§ VI L'accord avec le Séminaire du St. Esprit.
 
A. La visite au séminaire.
On n'a pas fait de distinction entre l'accord conclu par Montfort avec Poullart des Places en 1703 et celui conclu en 1713 avec les successeurs de son saint ami.
Besnard, venu du Séminaire du S. Esprit à la Compagnie de Marie, nous a renseigné sur l'amitié qui avait uni les deux fondateurs, il va nous renseigner maintenant sur la visite faite par Montfort au Séminaire en l'année 1713.
Il commence par nous dire, que l'accueil réservé au missionnaire par ses anciens amis de Paris ne fut pas très cordial. Il cite en témoignage une lettre écrite par Montfort à sa sœur Louise à Rambervilliers[57]. Ensuite l'auteur insiste sur l'attitude bienveillante adoptée par les Directeurs du Séminaire:

MM. les Directeurs du Séminaire du S. Esprit, furent du nombre de ceux qui lui restèrent constamment attachés. Redevables de leur établissement à feu M. des Places, son ami, ils eurent toujours pour lui l'estime et l'amitié que cet illustre défunt lui avait témoigné jusqu'à la fin[58].
D'après Besnard, on avait donc gardé au Séminaire du S. Esprit le souvenir de l'étroite amitié qui avait lié les deux fondateurs. Il y avait encore, en effet, en 1713 au Séminaire de ces “pauvres séminaristes" recueillis en 1703 par Poullart, entre autres M. Caris, M. Thomas, M. Vincent le Barbier. Mais le Supérieur de la maison n'avait pas connu Montfort lors de la fondation de l'institut. Car M. Bouic, qui avait pris en 1710 la succession de Jacques Hyacinthe Granier, qui avait succédé lui-même en 1709 à Poullart des Places, n'était entré à la communauté qu'après la mort du fondateur.
Ces messieurs étaient-ils au courant des promesses faites par Poullart à son ami le missionnaire? Depuis dix ans aucun séminariste formé dans la maison de Poullart des Places n'était venu rejoindre Montfort.
Dès qu'il eut franchi le seuil de la maison où le Séminaire était venu s'installer Rue Neuve Ste Geneviève, Montfort avait compris que l'institut fondé par son ami avait évolué. On était loin du pauvre appartement de la Rue des Cordiers, où Poullart avait reçu ses premiers séminaristes. Le Séminaire était maintenant une institution florissante comptant une soixantaine de séminaristes et six ou sept Directeurs.
Le Saint a dû comprendre aussi que cette maison avait sa vie propre; que spécialement M. Bouic, forte personnalité, imprimait à cette œuvre de Poullart des Places un caractère personnel. Il a dû comprendre qu'il ne pouvait plus considérer ce séminaire comme une maison faisant partie de sa Compagnie de Marie.
D'ailleurs, si à Paris les choses avaient évolué, Montfort lui aussi avait fait du chemin. En 1703 Poullart des Places lui avait promis des collaborateurs pour l'œuvre des missions; en 1713 Montfort venait demander des missionnaires pour sa Congrégation religieuse. Pourtant l'accueil des directeurs du Séminaire et des séminaristes fut plein de respect et de cordialité.
Ce fut à la faveur de ce commerce mutuel d'amitié, de confiance et d'estime réciproque, qu'il s'ouvrit à eux sur le dessein qu'il avait de former une compagnie de missionnaires uniquement occupés à en faire les fonctions, et dégagés de tous autres soins que d'acquérir les connaissances et vaquer aux exercices de piété propres à leur état.
Il leur communiqua son plan et leur donna lecture du règlement qu'il avait fait pour ceux de leurs élèves et d'autres qui voudraient se joindre à lui pour entrer dans la même carrière.
Tous applaudirent à son projet, et Messieurs les Directeurs lui promirent d'y concourir efficacement en lui formant des sujets capables de soutenir et de perpétuer cette bonne œuvre[59].
b. le nouvel accord.
Il est indéniable que lors de cette visite, il se fit un accord entre le Saint et les Directeurs du Séminaire. Besnard, troisième Supérieur général de la Compagnie de Marie, est l'un des séminaristes venus à la société fondée par Montfort grâce à cet accord, et il avait vu d'autres condisciples se joindre à lui en vertu de ce même accord.
Mais il est évident aussi que ce nouvel accord ne concordait pas avec celui que Montfort avait conclu avec Poullart. Le Séminaire du S. Esprit voulait bien s'engager à former gratuitement des sujets qui se destineraient à l'œuvre des missions sur les traces de Montfort, mais gardait son indépendance complète par rapport à la Congrégation religieuse fondée par le Saint.
MM. les Directeurs lui procurèrent l'occasion de s'entretenir avec les séminaristes et de les enthousiasmer pour son idéal.
Les premiers à qui les touchantes exhortations de M. de Montfort inspirèrent le dessein de se consacrer à l'œuvre des missions furent MM. Thomas, Vatel, Heydan et Le Vallois. M. Vatel fut cependant le seul qui y travailla du vivant du serviteur de Dieu. Les trois autres n'eurent pas l'avantage de l'avoir pour maître et pour guide, et ne vinrent qu'après sa mort[60].
Il est impossible de savoir exactement sur quelles bases fut conclu cet accord, qui fonctionnait encore quand Besnard écrivait, c.a.d. vers 1760.
La nature des deux instituts était totalement différente. Le Séminaire abritait les séminaristes. Ces jeunes ecclésiastiques recevaient l'inestimable bienfait de la formation sacerdotale, mais n'avaient pas d'engagements spéciaux envers le séminaire. Leur stage terminé, ils étaient ordonnés sur des lettres dimissoires accordées par l'Archevêché de Paris, qui leur délivrait aussi leur lettres de mission.
Mais ils n'étaient pas appliqués à des œuvres relevant du Séminaire, ou de la Communauté du S. Esprit, dont nous parlerons tout à l'heure. Ils choisissaient eux mêmes leur champ d'apostolat. Plusieurs parmi eux partirent pour les Iles, comme M. Vatel en avait fait le projet.
Il y avait aussi au Séminaire, MM. les Directeurs.
Poullart des Places s'était agrégé plusieurs de ses premiers séminaristes pauvres pour l'aider dans la formation de leurs collègues. On avait fini par réglementer la chose et ainsi se forma "La Communauté du S. Esprit", un institut de prêtres séculiers se dévouant librement à la formation des séminaristes pauvres selon l'esprit de Poullart des Places. Pour être admis dans cette Communauté il fallait faire, après la prêtrise, un stage spécial de deux ans dans le séminaire et recevoir une formation technique spéciale. Mais les MM. de la Communauté ne prenaient envers leur société aucun engagement définitif. Eux aussi pouvaient se dévouer à un autre apostolat. On comprend que la reconnaissance ou les nécessités de la Communauté pouvaient les obliger à ne pas l'abandonner dans certaines circonstances. Ce sera le cas pour M. Caris, qui, après la visite de Montfort, avait Formé le projet de se joindre à lui. Certainement en 1713 la Communauté du S. Esprit de Paris n'était pas une société religieuse. On n'y émettait point de vœux. En 1734, lorsque M. Bouic réussit à faire accepter les statuts élaborés par lui, on se contenta d'un certain contrat entre les membres et la Société: "Sodalis admittatur per contractum civilem cum Sodalitate initum"[61].
Ce contrat donnait au Supérieur le droit de rappeler l'un ou l'autre de ces messieurs, quand il était persuadé que la Communauté ne pouvait se passer de ses services. Ce fut le cas pour M. Thomas qui était venu se joindre aux missionnaires de S. Laurent.
L'accord conclu par Montfort avec MM. les Directeurs du Séminaire du S. Esprit ne peut donc être considéré comme un accord entre deux Congrégations religieuses.
La Compagnie de Marie pour laquelle Montfort avait écrit en 1713 la „Règle Manuscrite" était une Congrégation religieuse à vœux simples: la Communauté du S. Esprit de Paris une association de prêtres séculiers, qui obtint les lettres patentes du Roi le 2 mai 1726 et l'approbation de l'Archevêque de Paris le 2 mai 1734[62].
 
§ VII La "Règle Manuscrite" et l'accord avec le Séminaire du S. Esprit.
Besnard affirme que Montfort avait fini d'écrire la Règle au mois de Juin 1713, qu'il la soumit aux Directeurs du Séminaire du S. Esprit de Paris qui applaudirent son projet. Il nous assure:
Ils lui promirent d'y concourir efficacement en lui formant des sujets capables de soutenir et de perpétuer cette bonne œuvre[63].
L'auteur continue par une affirmation qui nous semble bien sujette à caution:
En conséquence de cette déclaration, qu'on regarda de part et d'autre comme une espèce de traité, il écrivit aussitôt, en tête de sa Règle, ces paroles, qui en furent comme la formule:
Il y a à Paris un séminaire, et c'est celui du S. Esprit, où les jeunes ecclésiastiques, qui y ont vocation aux missions de la Compagnie de Marie, se disposent par la science et la vertu, à y entrer.
Et pour mieux en inculquer le souvenir dans l'esprit des lecteurs, il les écrivit une seconde fois dans le corps de l'ouvrage[64].
D'après Besnard, Montfort aurait donc écrit ce passage de la Règle, après qu'il eut conclu son accord avec les MM. du Séminaire. Et l'auteur est formel: Montfort l'aurait écrit comme une correction, une ajoute en tête de sa Règle.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur le texte de la "Règle Manuscrite", pour voir que le passage auquel Besnard fait allusion ne s'y trouve pas tel quel et surtout ne s'y trouve point comme ajoute.
Le Biographe Quérard avait déjà fait cette constatation, mais il en tira une conclusion qui nous semble inadmissible[65].
En effet, d'après Quérard la "Règle Manuscrite" que nous possédons n'est pas la Règle soumise par Montfort aux MM. du Séminaire, mais une refonte de ce texte primitif, dans lequel on retrouverait alors le texte cité par Besnard comme une ajoute[66].
Seulement Quérard doit reconnaître qu'il n'a jamais eu sous les yeux ce texte primitif, qui d'ailleurs n'a jamais existé.
Malgré tout, on a voulu conclure à l'existence d'une "Règle Primitive" et d'une “Règle définitive" cette dernière serait alors la "Règle Manuscrite". On oublie simplement que Besnard affirme que Montfort écrivit les paroles qu'il avait déjà mises en tête de la Règle, une seconde fois dans le corps de l'ouvrage. Littéralement les mêmes, ou les mêmes quant au sens? Il est difficile d'admettre que Montfort les aurait répétées littéralement ailleurs, puisqu'il ne traite plus nulle part du recrutement. Nous croyons qu'il est facile de retrouver ce second passage, où il est parlé de ce séminaire de Paris.
La Compagnie n'a et ne peut avoir en propre que deux maisons dans le royaume, la première à Paris pour former des ecclésiastiques à l'esprit apostolique...
Mais il est inadmissible que Montfort ait écrit ces paroles après sa visite au Séminaire du S. Esprit en 1713. Car il n'est pas possible qu'il ait continué à considérer ce séminaire après cette visite et après son accord avec ces Messieurs, comme une maison propre de sa Compagnie de Marie.
Le Saint lui-même nous en fournit une preuve indéniable.
En 1713, lorsqu'il écrit sa "Règle Manuscrite", il nomme sa société de missionnaires: "la Compagnie de Marie"; en 1716, quand il accepte pour sa société de missionnaires les donations de Vouvant, il se fait intituler dans les pièces officielles et s'intitule lui-même:
Prêtre Missionnaire de la Compagnie du S. Esprit[67].
 
Conclusion de ce chapitre.
Montfort a écrit une Règle pour une Congrégation à vœux simples dont l'unique but était l'œuvre des missions. Cette "Règle Manuscrite" était déjà rédigée avant que le saint ne fasse un accord avec les Directeurs du Séminaire du S. Esprit de Paris pour assurer le recrutement de sa société. Pour faciliter les rapports de sa Congrégation avec le Séminaire de Paris, qui avait promis de lui envoyer des recrues, il nomma sa Congrégation de Missionnaires "la Compagnie du S. Esprit."
 
Je soussigné Louis Marie De Montfort grignion
missionnaire de la compagnie du St esprit accepte
le présent testament avec ses conditions apposées
Louis Marie De Montfort grignion prestre
missionnaire de la compagnie du St. esprit

Chapitre IV LES PREMIERS MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE MARIE
 
 
L'accueil fait au saint missionnaire par les habitants du Séminaire du S. Esprit fut d'une grande cordialité mêlée de respect.
Les séminaristes furent édifiés par l'extrême pauvreté de ce grand prédicateur, dont on disait qu'il exerçait un pouvoir extraordinaire sur les foules. Messieurs les Directeurs reconnurent sa haute sainteté. M. Bouic, qui le voyait pour la première fois, fut heureux de l'amitié que le saint prêtre lui manifestait. Le supérieur alla jusqu'à demander un souvenir à ce prêtre qui, en un séjour si bref, avait conquis tous les cœurs. Montfort lui donna un objet d'une valeur commerciale peu considérable, et pourtant très précieux: un petit crucifix en cuivre usé par les baisers de l'ardent apôtre de la croix.
Le saint voulut laisser au séminaire un souvenir de son passage, qui serait en même temps un rappel des promesses qu'on lui avait faites. Il fit faire une statue de la Vierge étendant son manteau sur douze jeune lévites qui s'étaient donnés à Elle[68]. Pendant de longues années cette statue eut la place d'honneur dans le hall d'entrée du Séminaire, et personne ne qui-tait la maison ou y rentrait sans adresser un Ave à la Reine des Apôtres.
Mais s'il est certain que l'accord fait avec le Séminaire contenait des promesses pour l'avenir, on voudrait savoir quel fut pour le saint missionnaire le résultat immédiat de sa visite.
 
§ I Le départ manqué de M. Caris
 
Laissons Besnard nous raconter ce qu'il avait appris de celui-là même qui fut le héros de cette histoire.
Quoique MM. les Directeurs de la Communauté du St. Esprit ne fussent alors qu'un nombre suffisant de prêtres pour remplir les emplois et conduire la maison, le désir qu'ils avaient d'obliger Mr. de Montfort, en secondant son zèle, les porta à faire pour lui quelque sacrifice, et il fut arrêté d'en détacher un d'entre eux pour l'accompagner dans ses courses apostoliques, en attendant qu'on lui eût formé des sujets.
Mr. Caris fut celui de tous qui marqua plus d'empressement pour suivre le saint homme: non content de former des missionnaires, il voulut devenir missionnaire lui-même; et il prit si bien ses mesures qu'il fit tomber le sort sur lui.
Depuis ce moment, qui lui paraissait le plus heureux de sa vie, il ne songea plus qu'à se préparer aux missions. Le jour du départ fut fixé. Déjà le bâton à la main et le bréviaire sous le bras, il allait faire les adieux, lorsque Mr. le Supérieur, qui n'avait pu dormir toute la nuit, le prévient et lui dit: "Qu'à la vérité il ne doutait nullement qu'il ne fît beaucoup de bien dans les missions, mais qu'il était persuadé qu'il en ferait encore bien plus à la communauté, et qu'il ne pouvait le laisser partir; qu'en un mot, il retirait le consentement qu'il lui avait donné".
Un changement si soudain, et auquel on ne s'attendait pas, fut, pour lui, un coup de foudre. Il se soumit cependant; et l'on a eu depuis tout le loisir de se convaincre que l'opposition du supérieur était véritablement fondée sur le besoin que la maison avait de Mr. Caris. Le succès extraordinaire avec lequel il en a gouverné le temporel pendant plus de cinquante ans, et les bénédictions que Dieu a répandues sur son économie sont une preuve qu'il lui était réservé d'en être le soutien, le père nouricier et le ministre de la Providence dans les différentes traverses qu'elle a eu à essuyer.
Pour lui il ne se consola de n'avoir pu être disciple de Mr. de Montfort que par son attention à lui en procurer. Voyez comme il s'en explique lui-même aux sujets qu'il envoyait à sa communauté:
"Vous êtes heureux, disait-il à l'un d'eux, mon enfant, et que j'ambitionne votre sort; que ne m'est-il permis de partir avec vous, ou d'aller dans votre place. J'ai toujours soupiré après cette sainte mission. Je l'ai souvent demandé. J'aurais même été choisi pour y aller et j'étais sur le point de mon départ, lorsque mes péchés vinrent à l'encontre".
Il répéta la même chose à un autre qui le consultait:
"Allez, mon cher enfant, partez sans délai pour le Poitou; vous y ferez beaucoup de bien. Allez y occuper ma place, car je devais y aller. Déjà le bréviaire sous le bras et le bâton à la main, je partais pour aller avec Mr. de Montfort, lorsque Mr. le Supérieur m'arrêta tout court. Il n'y a que l'obéissance qui m'a toujours retenu et qui me retient encore ici".
C'est ainsi qu'il les encourageait tous. Il mourut en saint, comme il avait vécu, le 21 Juin 1757 ...
Mr. de Montfort quitta donc Paris sans emmener avec lui de missionnaires de la Communauté du St. Esprit; mais outre M. Vatel, qui a eu l'avantage de travailler avec lui, elle lui en a formé d'excellents, qui se sont associés à ses missions après sa mort[69].
 
§ II Le recrutement difficile
Montfort dut reprendre seul le chemin de La-Rochelle. Il y retrouvait M. des Bastières, M. le Bourhis, peut-être même M. Clisson, des collaborateurs dévoués, mais il semble bien qu'aucun d'eux n'avait pris d'engagement définitif envers la Société de missionnaires que Montfort était en train de fonder.
On peut se demander quelle fut la raison pour laquelle le saint Missionnaire trouvait si difficilement des Associés pour sa Compagnie, comme il les appelle dans la troisième partie de sa "Règle Manuscrite"; et pour quoi ces Messieurs du Séminaire de Paris tardèrent tant à lui envoyer les recrues promises? N'est-ce pas parceque le Saint posait à ceux qui voulaient s'associer à sa compagnie des conditions qui paraissaient bien dures à certains?
Et la première de ces conditions c'était une pauvreté vraie et réelle, dont il donnait lui même l'exemple.
"Monsieur Grignion appuyé sur ces grandes vérités de foy, s'était fait pauvre, avait renoncé à son patrimoine et à toutes sortes de bénéfices, et fait vœu de pauvreté, et il insinuait à tous les Ouvriers qui le suivaient en mission de faire la même chose, et il leur a laissé, sur cette pauvreté volontaire et Evangélique, des écrits admirables, en leur prescrivant des règles convenables pour la pratiquer.
Bien plus il a formé une société de prêtres, sous le titre de la Compagnie de Marie, voulant qu'ils fussent semblables aux Apôtres, à qui Notre-Seigneur a dit: marchez sans argent, et sans bourse, sans chaussure ...
Ce dépouillement universel de toutes choses, où était parvenu Mr. Grignion, n'empêcha pas les ennemis du bien qu'il faisait, de l'accuser très souvent d'exaction et d'avarice, disant qu'il s'appropriait toutes les restitutions déterminées et indéterminées qui se faisaient à ses missions, et qu'il refusait l'absolution et les Sacrements à ceux qui ne voulaient pas lui donner de l'argent, ce qui l'obligea en sortant de Nantes de réitérer le vœu de pauvreté qu'il avait déjà fait...[70].
Comme le dit Grandet, Montfort a écrit, pour ceux qui voulaient le suivre dans sa carrière, des règles convenables pour les aider à pratiquer la pauvreté. On a trop négligé cette troisième partie de sa "Règle Manuscrite" où il s'adresse: "Aux Associés de la Compagnie". Ces règles convenables, comme s'exprime Grandet, sont des règles sublimes:
"A.   Estimez beaucoup et chérissez tendrement la pauvreté réelle et effective, que vous avez embrassée...
B.   Expérimentez volontiers les effets de la pauvreté; savoir:
1°. les travaux, ne mangeant votre pain qu'à la sueur de votre front, dans une chaire et un confessionnal. 2°. les humiliations et les mépris, qu'on fait ordinairement aux pauvres ecclésiastiques; 3°. les autres incommodités, qui accompagnent la pauvreté, soit dans les vêtements, soit dans la nourriture, soit dans les logements, soit dans les fatigues et les voyages ..."[71].
Nous avons déjà fait remarquer que dans toute sa Règle Manuscrite Montfort considère sa Compagnie de Marie comme existante.
Est-il nécessaire d'insister sur le fait qu'il s'adresse ici à des „Associés de la Compagnie de Marie" qui existent, qui sont vraiment membres de cette compagnie, qui „ont embrassé la pauvreté réelle". Et ce sont des prêtres qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front dans une chaire où un confessionnal.
Comment, après cela, soutenir que du vivant de Montfort la Compagnie de Marie n'existait point?
 
§ III Un conseil d'ami
En l'année 1713 Montfort a fait le voyage de Paris pour demander aide et secours aux Directeurs du Séminaire du S. Esprit.
L'année suivante il fit son grand voyage en Normandie pour aller consulter son ami Blain, chanoine de Rouen.
Quel fut l'objet précis de cette visite? Nous n'en savons que ce que Blain nous en a révélé dans son „Mémoire"; mais un de sujets principaux de leurs entretiens fut le recrutement de missionnaires pour la société fondée par Montfort.
"Je commençai donc l'entretien par lui décharger mon cœur sur tout ce que j'avais à dire et entendu dire contre sa conduite et ses manières. Je lui demandai quel était son dessein et s'il espérait jamais trouver des gens qui voulussent le suivre dans la vie qu'il menait ; qu'une vie si pauvre, si dure, si abandonnée à la Providence était pour les Apôtres, pour les hommes d'une force, d'une grâce et d'une vertu rare: pour des hommes extraordinaires; pour lui, qui en avait l'attrait et la grâce; mais non pour le commun qui ne pouvait atteindre si haut, que ce serait témérité de le tenter: que s'il voulait s'associer dans ses desseins et ses travaux d'autres ecclésiastiques, il devait rabattre de la rigueur de sa vie, ou de la sublimité de ses pratiques de perfection pour condescendre à leur faiblesse et se conformer à leur genre de vie ordinaire; ou les faire élever à le sienne par l'infusion de la grâce et de ses attraits si parfaits ..."[72].
Ce texte prouve indéniablement que Blain sentait chez son ami une seule grande préoccupation: trouver des missionnaires pour sa compagnie.
Il a dû comprendre que si Montfort était dévoré du zèle de la maison de Dieu, il ne souffrait pas de l'isolement apparent dans lequel on semblait le confiner.
"Pour toute réponse, est, il me montra son Nouveau Testament et me demanda si je trouvais à redire à ce que Jésus-Christ a pratiqué et enseigné, et si j'avais à lui montrer une vie plus semblable à la sienne et à celle des Apôtres, qu'une vie pauvre, mortifiée et fondée sur l'abandon à la Providence; qu'il n'avait point d'autre vue que de la suivre et d'autre dessein que d'y persévérer. Que si Dieu voulait l'unir à quelques bons ecclésiastiques de ce genre de vie, il en serait ravi; mais que c'était l'affaire de Dieu et non la sienne...[73].
Quand on compare la "Règle Manuscrite" avec le "Mémoire" du Chanoine Blain, on réalise qu'il doit y avoir eu une crise dans la formation de cette société de missionnaires, que Montfort considérait comme un des buts principaux de sa vie.
La Règle Manuscrite pose cette société comme existante, quoique composée d'un nombre très restreint d'associés
"Ne craignez rien petit troupeau ... vous n'êtes qu'un faible troupeau, qu'un troupeau petit, et si petit, qu'un enfant peut le compter, puer scribet eos"[74].
Les textes empruntés au Mémoire de Blain suggèrent que la chance était très faible que d'autres prêtres s'associeraient avec Montfort. Humainement parlant, Blain a certainement raison. Reste à savoir s'il fallait traiter cette affaire humainement!
Montfort avait écrit dans la "Prière Embrasée", cette étonnante introduction à ses "Règles pour les prêtres missionnaires de la Compagnie":
"Mémento Congregationis tuae! C'est à Vous seul à faire par votre grâce cette assemblée; si l'homme y met le premier la main, rien ne sera fait; s'il y mêle du sien avec vous, il gâtera tout, il renversera tout. Tuae Congregationis! C'est votre ouvrage, grand Dieu. Opus tuum fac! Faites votre œuvre tout divin!"[75].
Les textes que nous possédons ne nous permettent pas de tirer des conclusions apodictiques. Il est indéniable que la Régie Manuscrite considère la Compagnie de Marie comme existante.
Faut-il conclure des textes de Blain qu'en 1714 elle vacillait ou n'existait plus? On ne peut s'empêcher de penser que les prêtres qui d'abord avaient promis d'adhérer se montraient réticents. On nous objectera aussitôt: Donnez nous les noms de ces prêtres; qui sont-ils; où sont ils restés?
Personne n'en a jamais parlé, aucun biographe ne les a mentionnés! Cet argument a-t-il tant de valeur dans notre cas?
 
Aucun biographe, aucun document contemporain n'avait fait allusion aux frères Louis, Philippe et Gabriel, et pourtant ils appartenaient bel et bien à la société missionnaire fondée par Montfort. Comment nier l'existence de missionnaires de la Compagnie de Marie pendant la vie de Montfort quand il leur dit:
"qu'ils ont dans les mains un petit livre manuscrit, intitulé le Vade-mecum du missionnaire"[76].
 
§ IV Les vocations définitives
C'est en l'année 1715 que le Seigneur commença enfin à exaucer les prières de son serviteur. Montfort prêchait une retraite dans l'église de la Providence à La Rochelle, quand il fit la rencontre d'un jeune prêtre qui devait devenir un des fidèles associés de la Compagnie de Marie.
Voici le récit que nous a laissé Grandet de la vocation de cet ancien séminariste du Séminaire du S. Esprit de Paris.
 
A. LA VOCATION DE M. VATEL.
"Messire Adrien Vatel, prêtre du diocèse de Coutance, était venu depuis peu de Paris à la Rochelle pour s'embarquer, passer dans les Iles et y travailler à la conversion des Infidèles ...
Mr. Vatel avait pourtant quelque difficulté sur sa vocation, parce qu'il craignait que sa Mission pour ce pays-là ne fût pas bien autorisée ...
Dans cette perplexité, il alla trouver Mr. Grignion à la Rochelle, qui lisait alors une lettre d'un prêtre qui lui avait promis de venir travailler avec lui, et qui s'en excusait.
Monsieur Vatel lui ayant dit sa peine, Monsieur Grignion lui répliqua:
"Bon, Monsieur, voilà un prêtre qui me manque, Dieu m'en envoie un autre ; il faut que vous veniez avec moi, nous travaillerons ensemble".
Monsieur Vatel lui répliqua que cela ne se pouvait, parce qu'il était engagé avec un capitaine de vaisseau, qui lui avait avancé cent écus pour lui acheter ce qui était nécessaire.
"Vous voilà bien en peine, dit Monsieur Grignion, Monsieur l'Evêque de la Rochelle les lui rendra".
En même temps il mena Mr. Vatel à Monsieur de la Rochelle, lequel ayant écouté les raisons de part et d'autre, alla prendre cent écus dans son Cabinet, les donna à Mr. Vatel, pour les rendre au capitaine ...
Mr. Vatel a depuis travaillé avec Mr. Grignion avec beaucoup de succès dans ses Missions, et est un des prêtres de la Compagnie de Marie..."[77].
En Septembre de cette même année 1715 le Saint prêchait une retraite à Fontenay-le-Comte, quand il reçut la visite d'un jeune prêtre, René Mulot, frère du curé de S. Pompain. Cet ancien vicaire, en repos pour raison de santé, venait demander à Montfort de venir donner une mission dans la paroisse de son frère. Nous empruntons encore à Grandet le compte rendu de cet entretien[78].
 
B. LA VOCATION DE M. MULOT.
"Le serviteur de Dieu lui dit, qu'il ne pouvait pas lui accorder ce qu'il demandait, parcequ'il était accablé de travail; que d'ailleurs il avait promis trois ou quatre Missions ... M. Mulot ne se rebuta pas, et il fit tant d'instances que Mr. Grignion en le regardant fixement lui répliqua d'un ton ferme:
"Si vous voulez me suivre et travailler avec moi le reste de vos jours, j'irai chez votre frère, non autrement".
Monsieur Mulot répondit modestement: "Vous rendez, Monsieur, l'exécution de ma demande impossible, car il y a plusieurs années que je suis paralytique d'un côté, que j'ai une oppression de poitrine et des maux de tête qui m'empêchent de dormir les jours et les nuits; que feriez vous d'un pareil missionnaire :
M. Grignion, pénétrant sans doute le fond du cœur de M. Mulot et les desseins que Dieu avait sur lui, répliqua: "N'importe Monsieur, toutes vos infirmités ne m'empêchent point de vous dire comme Notre-Seigneur dit à S. Matthieu: "Sequere Me".
Monsieur Mulot, quoique surpris de cette proposition, crut le saint homme et le suivit...
Monsieur Grignion le prit pour son confesseur, et ce fut lui qui l'assista à la mort; et il a été le premier avec Mr. Vatel sur lequel il jeta les yeux pour établir cette Congrégation de douze Prêtres, qu'il appela la Compagnie de Marie, pour continuer ses Missions et ses travaux apostoliques, qui subsiste encore, et qui prend tous les jours de nouveaux accroissements . . .
Nous avons préféré demander ces renseignements au Sulpicien Grandet, le premier biographe du Saint, pour que le lecteur se rende bien compte que le récit de ces vocations à la compagnie de Marie n'est pas emprunté à un auteur qu'on pourrait dire intéressé dans cette affaire. Besnard reproduit un compte rendu de l'entretien de M. Mulot avec Montfort, provenant de la main de M. Mulot lui-même. Mais comme il est plus long tout en étant substantiellement identique à celui de Grandet, nous avons préféré ce dernier.
Cet auteur nous avertit d'ailleurs, dans sa Préface, qu'il s'était documenté auprès de M. Vatel et de M. Mulot. Il est donc bien probable que lui aussi tenait l'histoire de leur vocation des intéressés eux-mêmes. On ne peut récuser son témoignage.
Remarquons encore ceci: Grandet affirme sans hésiter:
Mr. Mulot a été le premier avec Mr. Vatel sur lequel il jeta les yeux pour établir cette Congrégation de douze Prêtres, qu'il appela la Compagnie de Marie, pour continuer ses Missions et ses travaux apostoliques . . . Cf. supra.
Il reprend ici une affirmation qu'il avait émise dans sa première Esquisse d'une Vie de Montfort[79].
Le Saint aurait voulu une Compagnie de Marie composée de douze prêtres. On comprend son souci d'atteindre ce chiffre, alors qu'il n'avait avec lui que 4 ou 5 prêtres qui ne semblaient pas entièrement résolus.
Un dernier détail qui nous servira plus tard:
Grandet appelle M. Vatel et M. Mulot: "prêtres de la Compagnie de Marie". Il devait pourtant savoir qu'au moment où il terminait son livre, 1723, on ne parlait en Vendée que des "Missionnaires du S. Esprit". Il trouve donc tout naturel, comme nous le verrons plus tard, qu'un Missionnaire du S. Esprit de S. Laurent sur Sèvre soit un prêtre de la Compagnie de Marie. Concluons. Pour Grandet, M. Vatel et M. Mulot sont les deux vocations définitives pour la Société de missionnaires que Montfort avait fondée: "La Compagnie de Marie".

Chapitre V. SAINT LOUIS DE MONTFORT ET LES ECOLES
 
§ I Comment se pose le problème?
L'activité scolaire du saint missionnaire est un problème âprement disputé. Nous ne nous y arrêtons qu'en tant que les données de ce problème sont nécessaires pour l'intelligence du document que nous étudions ici: le Testament de Montfort.
Tout le monde est d'accord sur un point essentiel. Pendant ses missions le Saint devait se préoccuper de l'enseignement religieux à donner aux enfants et aux adultes. Il est certain qu'il a dû songer à assurer la continuation de cet enseignement la mission finie et les missionnaires repartis vers d'autres paroisses. Le premier biographe n'hésite pas à affirmer que Montfort considérait comme sa "principale occupation" pendant les missions d'établir des écoles chrétiennes.
Les données du problème se trouvent donc dans la réponse aux trois questions suivantes:
A. Montfort a-t-il fondé pendant ses missions de véritables écoles?
B. Montfort a-t-il fondé des écoles dans certaines villes où il a fait un séjour prolongé, comme p.e. à Nantes et à La Rochelle; ces fondations n'ayant pas de relation directe avec les exercices d'une mission?
C. Les maîtres ou régents placés par Montfort à la tête de ces écoles étaient-ils des religieux appartenant à une Congrégation fondée par Montfort, ou étaient-ils de simple laïcs vêtus ou non d'une soutanelle?
 
§ II Les écoles fondées pendant les missions
 
A. L'OCCUPATION PRINCIPALE D'APRÈS GRANDET.
Ceux qui soutiennent que Montfort fondait de véritables écoles pendant ses missions, s'appuyent sur un texte du premier biographe:
La principale occupation de Monsieur Grignion, était d'établir, dans le cours de ses missions, des écoles chrétiennes pour les garçons et pour les filles[80].
La preuve que Grandet attachait une grande importance à cet établissement des écoles se trouve encore dans le fait qu'il l'annonce comme:
Le premier Moyen dont Monsieur de Montfort se servait pour perpétuer les fruits de ses missions.
Nous posons simplement cette question: Si l'établissement des écoles était la principale occupation du grand missionnaire, comment se fait il qu'aucun des autres contemporains de Montfort, aussi bien placés que Grandet pour connaître les choses de près, n'aît fait la moindre allusion à cette activité du Saint?
Ainsi Blain, cet ami intime de Montfort, qui fut un des premiers biographes de S. Jean Baptiste de la Salle, donc un homme que cette question des écoles gratuites devait nécessairement intéresser, ne dit pas un mot d'une activité scolaire de Montfort auquel il consacre un Mémoire détaillé.
Si on excepte le Testament, on ne retrouve dans aucun document émanant du Saint lui-même la moindre allusion à la fondation d'écoles.
Dans sa "Règle Manuscrite" Montfort consacre un paragraphe spécial aux "Pratiques de leurs missions" et parmi ces prescriptions presque méticuleuses on ne trouve pas l'allusion la plus lointaine à cet établissement des écoles qui aurait été la principale occupation du Saint pendant ses missions[81].
Si le lecteur veut se rapporter au premier paragraphe de la "Règle Manuscrite" cité plus haut, il verra qu'au contraire Montfort veut à tout prix détourner les membres de sa Compagnie de tout ce qui a trait à l'enseignement.
 
B. L'OCCUPATION PRINCIPALE D'APRÈS MONTFORT.
Comme tous les séminaristes de S. Sulpice, Louis Grignion avait été affecté aux catéchismes de l'immense paroisse. On s'aperçut bientôt qu'il possédait un don spécial pour toucher les cœurs des pauvres gosses abandonnés à la rue. C'est pourquoi on lui confia la direction des catéchismes du quartier de la Grenouillère[82]. Les succès qu'il y remportait remplissaient d'admiration ses condisciples. C'est de ce temps que date la grande piété que Montfort eut toute sa vie pour la misère morale et l'ignorance crasse dans lesquelles croupissait le peuple.
Le grand remède à cet effroyable mal? — Le Catéchisme!
Qu'on relise ses lettres à Monsieur Leschassier. Dès son entrée dans la carrière, l'apôtre ne rêve que de faire "d'une manière simple et pauvre le catéchisme aux pauvres de la campagne"[83]. Quand le missionnaire travaille sous les ordres de M. Leuduger, il demande comme une faveur de pouvoir faire le catéchisme aux petits et aux pauvres. Inutile de chercher des preuves pour montrer que Montfort regardait le catéchisme comme "l'occupation principale" de la mission.
"L'emploi de catéchiste étant le plus grand de la mission, celui qui en est chargé par l'obéissance applique tous ses soins pour s'en bien acquiter; car il est plus difficile de trouver un catéchiste accompli qu'un parfait prédicateur".
"Règle Manuscrite." Règles du catéchisme. N° 1.
 
C. OPPOSITION ENTRE LE SAINT ET SON BIOGRAPHE?
Faut-il donc admettre qu'il y a divergence de vue entre le Saint et son biographe sur ce point si important: la principale occupation du missionnaire dans les missions? Cela est difficile à admettre, surtout parceque le biographe a puisé la plus grande partie de ses données sur ce sujet dans les écrits du Saint[84].
Il me semble que la difficulté est assez facile à résoudre. Pour Montfort l'occupation principale était certainement d'inculquer les principes de la religion, et le moyen indispensable pour obtenir ce résultat: le catéchisme.
L'expérience a dû apprendre au missionnaire que bien souvent l'enseignement du catéchisme cessait avec les exercices de la mission. Pour remédier à cet inconvénient, Montfort a dû s'employer à trouver sur place quelque personne recommandable, qui voulût se charger de continuer l'enseignement des principes de la religion, on y ajoutant — d'après la compétence du maître et de la maîtresse — quelques éléments de grammaire et de calcul. Les catéchismes continués de cette façon, voilà les écoles de Grandet.
 
D. LES MAÎTRES ET MAÎTRESSES.
Alors se pose la question: quels sont les maîtres et maîtresses qui continuaient après la mission l'enseignement commencé pendant les exercices? Mais il y a une question préalable: A qui le saint confiait-il ordinairement "l'emploi de catéchiste, le plus grand de la mission"? (Règle Manuscrite)
Montfort n'aurait confié ce soin à personne autre, si tout son temps n'avait été absorbé par les prédications, les confessions et, dans les dernières années, par la direction générale des missions. Les auxiliaires prêtres qui venaient travailler sous sa direction ont dû s'initier à l'apostolat en s'occupant des enfants. A mesure que grandissait le renom de sainteté du missionnaire, augmentait aussi le nombre des pauvres qui accouraient dans les paroisses où se donnait la mission.
M. des Bastières nous affirme que souvent Montfort personnellement leur faisait la conférence et le catéchisme, alors que lui-même était chargé de les conduire à table pour le repas de la charité[85].
 
1 — Les frères.
Mais au cours des années, le Saint put confier toujours davantage le soin des catéchismes à ce précieux auxiliaire, qui était venu à lui dès la première heure, le frère Mathurin.
"En 1705 ... M. de Montfort . . . l'engagea à demeurer avec lui pour le servir dans ses missions, où pendant près de 15 ans il a fait le catéchisme, l'école aux garçons, et chanté des cantiques avec beaucoup de bénédiction"[86].
Comme on le voit Grandet énumère à part : catéchisme et école. Comme s'il s'agissait de deux choses différentes. En fait il ne peut s'agir que de l'instruction religieuse à donner aux enfants et de la formation des maîtres et maîtresses qui devaient continuer cet apostolat. Car enfin que peut vouloir dire "faire l'école" alors qu'il s'agit de l'activité d'un collaborateur des missionnaires, qui arrive avec eux et part avec eux, qui doit s'occuper de décorer les églises, collaborer aux nombreuses processions, chanter les cantiques pendant les exercices pour les adultes? Comment parler d'école proprement dite, alors qu'il ne peut s'agir que d'une activité qui ne dure que quelques semaines.
Pour arriver à faire malgré tout du frère Mathurin un frère-enseignant sédentaire, on a essayé de disséquer le texte de Grandet. L'auteur a écrit: "pendant 15 ans il a fait le catéchisme, l'école aux garçons et chanté des cantiques". On a voulu lire: pendant un certain nombre d'années il a fait le catéchisme (de 1705 à 1711); pendant les années suivantes il a fait l'école.
Comme le reste du texte: "chanter des cantiques" était plutôt embarrassant on a oublié d'en parler. Sur quoi base-t-on cette interprétation? Sur le fait que les biographes ne parlent pas explicitement du frère Mathurin depuis 1711 jusqu'à la mort du saint[87].
Mais cette interprétation du texte de Grandet est manifestement contraire au sens qu'il a voulu donner à sa phrase. Nous en trouvons la preuve dans un texte similaire du même auteur:
"Les quatre frères coadjuteurs. dont Monsieur de Montfort parle dans son Testament, les suivent partout et sont appliqués à faire le catéchisme, l'école, et la cuisine des missionnaires"[88].
Il est indéniable que dans l'idée de Grandet les frères n'exercent leur activité scolaire que pendant la durée de la mission, puisqu'ils suivent partout les missionnaires.
Et c'est justement parceque les frères partaient avec les missionnaires, la mission terminée, qu'il fallait chercher sur place des hommes de bonne volonté capables de continuer l'instruction aux enfants:
 
2. — Les pieux laïcs
C'est dans cette seconde partie du passage de Grandet que certains ont cru trouver la preuve que les maîtres placés par Montfort — au dire de Grandet — à la tête des écoles étaient des religieux, des frères du Saint Esprit:
"...et il voulait que les maîtres d'école fussent habillés de noir, au moins en soutanelle, pour leur faire porter plus de respect, et les maîtresses vêtues d'une grande coëffe, qui les prît depuis la tête jusqu'aux pieds"[89].
On a voulu raisonner ainsi: Ces maîtres devaient porter la soutanelle, donc c'étaient des religieux; si c'étaient des religieux placés par Montfort à la tête d'une école, ils devaient appartenir à un institut fondé par lui. Donc les maîtres en soutanelle étaient des frères du S. Esprit.
Je me demande pourquoi on n'a pas continué le raisonnement jusque-au bout. Les maîtresses portaient une grande coëffe; les Filles de la Sagesse portaient aussi une grande coëffe par dessus leur costume religieux; donc les maîtresses étaient des Filles de la Sagesse.
Mais ici il y avait un inconvénient. Nous savons de source certaine qu'avant la mort du Saint il n'y eut jamais plus de six Filles de la Sagesse et qui résidaient toutes en la ville de la Rochelle. Il n'y avait donc pas moyen de les disperser dans les paroisses, où Montfort avait prêché le mission . . .
Le même inconvénient existe pour les frères. Le Testament nous apprendra qu'à la mort du Saint, ils n'étaient qu'au nombre de 7. Mais pour tourner cette difficulté, on a inventé de toutes pièces des novices frères, inconnus de tous les biographes, ignorés de tous les documents.
Mais tout cet échafaudage s'écroule quand on lit le texte de Grandet sans idées préconçues, car ce texte dit exactement le contraire de ce qu'on voudrait lui faire dire.
"Il voulait que les maîtres d'école fussent habillés de noir, au moins en soutanelle, pour leur faire porter plus de respect...
Il faut se rappeler que nous sommes au commencement du XVIIIe siècle. Les maîtres d'école en ce temps là ne portaient pas d'habits spéciaux, comme on peut le voir sur de nombreuses estampes. Ce que Montfort demande c'est que l'habit des maîtres de ses écoles soit de couleur sévère; qu'ils soient "habillés de noir". S'il y avait des inconvénients pour les maîtres à porter cet habit noir, le prix du drap, p.e., ils pouvaient se contenter de la soutanelle. La soutanelle n'était pas la soutane, mais un vêtement de couleur noire, ouvert par le devant et descendant jusqu'au mollet. Ce vêtement était porté par des laïcs dans les cérémonies religieuses dans lesquelles ils exerçaient un certain rôle, les processions par exemple.
Le vêtement prescrit était donc l'habit noir, et, à défaut, la soutanelle. Ce n'était donc pas un habit de religieux[90]. D'ailleurs la suite du texte de Grandet est la meilleure preuve que ceux qui portaient l'habit prescrit par Montfort n'étaient pas des religieux, mais de laïcs. Car il le portaient "pour leur faire porter plus de respect". Il faut bien le dire: ici l'habit ne faisait pas le moine mais faisait le maître d'école.
Le même raisonnement vaut pour la coëffe des maîtresses. C'était l'habit de leur emploi, un habit grave, pour qu'on respectât en elles la maîtresse d'école; celle qui avant tout enseignait les principes de la religion.
 
E. LA SURVIVANCE DES ÉCOLES DES MISSIONS.
Nous avons déjà fait remarquer qu'en dehors de Grandet, aucun des contemporains de Montfort ne mentionne ces écoles fondées pendant les missions. Il est vraiment étrange, qu'après la mort du Saint, personne ne fasse allusion à l'une ou l'autre de ces fondations. Les recherches les plus passionnées n'ont pas permis de retrouver la trace d'un seul de ces maîtres ou d'une seule de ces maîtresses. Besnard, le second biographe, qui a parcouru toutes les paroisses où Montfort avait fait la mission, n'a pas rencontré le moindre souvenir d'une école établie par le grand missionnaire.
Faut-il donc admettre qu'aucune de ces fondations, n'aît survécu? Pourtant Montfort savait susciter des dévouements d'une fidélité admirable. Le fait même que ces fondations aient disparu complètement, sans même laisser de souvenir, est bien la meilleure preuve que les maîtres et maîtresses, auxquelles le Saint les avait confiées, n'étaient pas des religieux, et encore moins des religieux d'un institut de frères enseignants fondé par lui. Il n'est pas admissible qu'ils aient pu délaisser si complètement des écoles confiées à leur zèle par leur fondateur même, et n'en pas même garder de souvenir?
Il est évident qu'il faut prendre ce texte de Grandet — qui ne trouve confirmation dans aucun autre témoignage — avec un grain de sel? L'activité missionnaire du grand apôtre a laissé une impression trop profonde dans les provinces où il a passé, pour pouvoir admettre qu'il y ait exercé une activité scolaire si importante, et qu'elle serait morte d'inanition aussitôt après sa disparition.
 
CONCLUSION DE CE PARAGRAPHE.
Le seul Grandet affirme que Montfort aurait fondé des écoles pendant ses missions; son affirmation n'est corroborée par aucun autre témoignage. Ni pendant la vie du Saint ni après sa mort on ne retrouve les traces d'une seule de ces écoles: dans aucune paroisse on n'a gardé le souvenir d'une telle fondation faite par le saint, d'un maître ou d'une maîtresse d'école nommés par le grand missionnaire.
Le seul Grandet affirme dans deux passages, dont l'un est certainement erroné, que les frères du Père de Montfort faisaient le catéchisme et l'école pendant les missions. Ni Grandet ni aucun autre témoin n'a affirmé que les frères du Père de Montfort faisaient l'école en dehors des missions.
 
§ III Les écoles fondées indépendamment des missions
Le problème posé ici, comme celui posé au § II, a un double aspect, comporte cette double question: 1°. Montfort a-t-il fondé des écoles? 2°. Les régents placés par Montfort à la tête de ces écoles sont-ils des religieux, des frères appartenant à un institut fondé par le Saint, ou sont-ce de pieux laïcs portant parfois le nom de frères, mais n'appartenant à aucun institut religieux?
 
A. UNE ÉCOLE À L'HÔPITAL GÉNÉRAL DE POITIERS.
Montfort a été nommé par Mgr de la Poype aumônier en titre de l'Hôpi­tal Général. En cette qualité, il a demandé à l'Ordinaire de nommer un maître d'école pour s'occuper des enfants placés dans cette maison, en remplacement du titulaire de cet emploi, décédé.
Il est difficile de trouver là une preuve que Montfort ait fondé une école à Poitiers.
 
B. UNE ÉCOLE À SAINT LAURENT-SUR-SÈVRE?
Nous avons montré dans une note du paragraphe précédent, l'inanité des efforts tentés pour installer le frère Mathurin, du vivant de Montfort, comme maître d'école à S. Laurent.
 
C. UNE ÉCOLE À NANTES?
Une ajoute au Testament du Saint, fait allusion aux relations que le Saint aurait eues avec une école existant à Nantes au moment de sa mort:
"Tous les meubles qui sont à Nantes seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera."
Comme c'est l'unique texte se rapportant à cette école, et que personne n'a pu fournir d'autres témoignages sur ce point, nous devons nous tenir aux termes mêmes de ce texte. Mais comme nous devons étudier cette question ex professo dans le commentaire du Testament du Saint, nous nous contenterons ici d'attirer l'attention du lecteur sur deux points:
1°.   Montfort a-t-il fondé cette école?
Il est possible qu'il se soit intéressé à des enfants exposés aux dangers de la rue et qu'il ait entrepris la fondation de cette école pour remédier à l'abandon dans lequel on les laissait.
Il semble plus probable qu'il ait contribué, grâce à la générosité de ses bienfaiteurs, à l'équipement d'une école déjà existante. Le texte du Testament ne fait allusion qu'à des meubles dont le Saint cède l'usage à des frères qui tiennent une école. La question de savoir qui sont ces frères sera traitée explicitement dans le commentaire du Testament.
2°.   Quand Montfort a-t-il pu s'intéresser à cette école?
Nous savons que Mgr de Beauvau évêque de Nantes avait retiré toute juridiction au missionnaire, au moment où celui-ci prêchait une mission à S. Molf, en Septembre 1710. Le Saint n'exerça aucun ministère public pendant cet hiver 1710—1711, mais reprit l'œuvre des missions pendant le carême de 1711 dans le diocèse de Luçon.
Pendant ces mois d'inaction forcée il s'occupa à affermir la fondation de la Maison des Incurables. Il est possible qu'il s'occupât aussi dans le même temps de l'école dont il est question ici. En tous les cas, il n'en eut guère l'occasion depuis. Le diocèse de Nantes n'était plus très accueillant pour le grand missionnaire. Il y retourna une seule fois en 1715, après avoir passé quinze jours au château des Demoiselles de Beauveau. Ces bonnes Dames avaient-elles su amadouer leur frère l'évêque et celui-ci avait permis au Saint de dire la messe pendant son séjour dans la ville[91].
"Il demeura quinze jours dans cette capitale et employa tout ce temps à perfectionner l'établissement qu'il avait entrepris pour le soulagement des pauvres Incurables"[92].
Aucune allusion à cette fameuse école. Elle semble donc bien fonctionner sans l'intervention de Montfort.
 
D. UNE ÉCOLE À LA ROCHELLE.
Ici nous avons des textes plus précis. Il est trop naturel d'ailleurs que le Saint se soit intéressé à l'enseignement religieux spécialement dans cette ville de La Rochelle, en grande partie encore calviniste[93].
Grandet, le premier biographe, qui finissait son livre en 1723, écrit ce qui suit:
"Le second établissement qu'il fit à La Rochelle, fut des écoles charitables, pour enseigner les garçons, surtout les pauvres de la ville, gratuitement. Monseigneur l'Evêque loua pour cet effet une maison qu'il a achetée depuis, et il y mit quatre régents à la tête desquels était un prêtre qui présidait à leur petite communauté, et qui instruisait et confessait les enfants. Cette école subsiste encore par les libéralités de ce saint prélat. Monsieur de Montfort en fit autant pour les petites filles[94].
 
1. Les régents.
A mon humble avis, c'est ici qu'il faut placer le texte de Grandet sur l'habit des maîtres.
"... Il voulait que les maîtres d'école fussent habillés de noir, au moins en soutanelle, pour leur faire porter plus de respect, et les maîtresses vêtues d'une grande coëffe, qui les prît depuis la tête jusqu'aux pieds"[95].
C'est en ville, et surtout dans une ville avec une population si mêlée, que les maîtres devaient se distinguer par un habit plus ou moins solennel. Le second biographe, Besnard, est plus explicite:
Dans cette vue, il fit choix de quelques jeunes gens qui s'étaient mis sous sa conduite et qu'il commença à former solidement à la piété. Ensuite il leur donna un maître pour leur enseigner à bien lire et à bien écrire et l'arithmétique. Par là il les mettait en état d'enseigner eux-mêmes, et l'instruction des garçons devait leur être confiée[96].
Il commença par celle des garçons, où il établit trois maîtres avec un prêtre à leur tête pour veiller sur leur conduite, dire la messe aux enfants à la fin des classes et les confesser tous les mois.
Afin que personne, faute de moyens, ne fût privé des fruits des écoles, il, voulut qu'elles se fissent gratuitement et sans aucune vue d'intérêt. C'est pourquoi il défendit absolument aux maîtres d'école de rien demander aux enfants ou à leurs parents, ni argent, ni présents, directement ou indirectement, ce qui serait une prévarication notable à un maître de contrevenir à cette règle, et Mr. de Montfort veut qu'il soit sévèrement puni et qu'il soit même chassé en cas d'incorrigibilité.
Il régla dans le plus grand détail ce qui concerne les maîtres qui doivent faire l'école, les enfants qu'on y reçoit, le temps qu'on y emploie, les exercices qu'on y pratique, tant pour l'instruction que pour la piété; les récompenses qu'on y donne, les châtiments dont on punit les fautes. Il n'oublia pas la figure que doit avoir la classe qui doit être un carré long; l'arrangement des bancs, la distinction des places selon l'âge et la capacité des enfants, à qui il voulait qu'on enseignât à lire, à écrire, l'arithmétique et surtout le catéchisme"[97].
 
2. La méthode.
Ici Grandet éclaire le récit du second biographe.
Sa méthode pour les enseigner était de les faire ranger sur neuf bancs qui étaient en amphithéâtre les uns au dessus des autres, afin qu'ils ne pussent pas causer ny badiner, sans que le maître s'en aperçut; et il donnait à tous ces bancs les noms des neuf chœurs des anges; le plus haut était celui des Séraphins, le second des chérubins, et ainsi du reste[98].
 
Tous ceux d'un même banc avaient le même livre, et disaient la même leçon tous à la fois, parceque le premier était obligé de reprendre le second, et le second le troisième quand il manquait. Par cette méthode, souvent un maître avait cent cinquante écoliers dont il n'était pas plus embarrassé que s'il n'en avait eu qu'une douzaine …[99].
C'est Besnard qui tire la conclusion.
Toutes les personnes de piété applaudissaient à un établissement qu'elles savaient n'être pas moins l'ouvrage des pieuses largesses de leur saint évêque que de la Sagesse du zélé missionnaire, et qui subsiste encore aujourd'hui pour l'utilité publique, l'honneur de la Religion et la gloire des deux grands hommes[100].
 
3. Le problème.
Les biographes ne laissent aucun doute: Montfort à contribué pour une large part à la fondation d'une école de garçons à La Rochelle. On pourrait prouver, à l'aide de plusieurs documents, que Mgr de Champflour doit être nommé au moins co-fondateur.
Mais la question n'est pas là. Il faudrait savoir avec certitude quelle était la position et l'état civil de ces régents placés à la tête de ces écoles.
Il est certain que c'est Montfort qui les a trouvés et qui leur a fait donner la formation nécessaire. Mais de qui émanait leur nomination, de qui recevaient-ils l'investiture?
Grandet n'hésite pas à affirmer que c'est de l'évêque de la Rochelle:
"Monseigneur l'évêque loua pour cet effet une maison ... et il y mit quatre régents à la tête desquels était un prêtre ..."[101].
La nomination du prêtre dépendait uniquement de l'évêque; il en était de même de la nomination des maîtres, puisque leur entretien lui incombait. Il me semble qu'il faut interpréter le texte de Besnard-plus éloigné des événements — dans le sens de celui de Grandet.
Besnard dit que Montfort „établit trois maîtres avec un prêtre". Il est évident que la nomination du prêtre ne pouvait dépendre de Montfort; celle des maîtres non plus, pour la raison donnée plus haut.
Mais on objectera que, même si la nomination dépendait de l'ordinaire, les maîtres pouvaient être des religieux, comme c'était le cas pour les Filles de la Sagesse établies au même temps dans une école dans la même ville de La Rochelle.
D'accord! Mais il faut remarquer que si les documents abondent pour identifier les maîtresses de La Rochelle comme étant les Filles de la Sagesse, il n'y en a aucun qui nous permette d'identifier les maîtres d'écoles de la Rochelle avec les Frères du Saint Esprit. Et pourtant l'occasion pour ce faire n'a pas manqué aux écrivains qui se sont occupés de cette école des garçons.
 
Prenons Grandet. Il nous dit qu'au moment où il finit d'écrire son livre — 1723 — cette école existe encore. Ce premier biographe affirme que le frère Mathurin a fait le catéchisme et l'école, il soutient même que les quatre frères nommés dans le Testament de Montfort continuent à faire le catéchisme et l'école après la mort du Saint. Et il ne nous aurait pas signalé que les maîtres faisant l'école à la Rochelle étaient eux aussi des frères du S. Esprit? C'est inadmissible[102].
Quant à Besnard, son silence sur ce point serait complètement inexplicable. Malgré ce qu'on en a dit, cet écrivain se montre très sympathique à l'égard des frères. On lui a reproché de passer sous silence tout ce qui avait trait à leurs activités.
Il suffit de consulter les documents pour voir combien cette accusation est injuste. C'est chez Besnard que nous trouvons en grande majorité les textes sur les frères[103].
Pour compléter la biographie écrite par Grandet, Besnard a recherché tout ce qui pouvait être à la gloire de Montfort. Il a passé par presque toutes les paroisses où le grand missionnaire avait exercé son apostolat. Il a résidé pendant un certain temps à La Rochelle, il y a vu fonctionner l'école fondée par le fondateur de la Compagnie de Missionnaires dont lui Besnard est le 3° Supérieur Général. Il connait donc les maîtres de la Rochelle, il les voit à l'œuvre, mais il ne songe pas à les identifier avec les Frères du S. Esprit; membres eux aussi de cette Compagnie de Missionnaires. Il est allé plus loin. Il a supprimé dans le Texte du Testament les noms des frères que Montfort y avait inscrits. C'est pourtant parmi ces frères qu'on veut chercher les frères enseignants de La Rochelle. Pour quelle raison le Supérieur Général de la Compagnie aurait-il renié ces frères s'ils avaient appartenu vraiment à sa société. Il est indéniable que le second biographe ne connait pas de Frères du S. Esprit faisant l'école à La Rochelle.
On a pourtant essayé de rattacher les régents de cette école de la Rochelle aux successeurs du grand missionnaire. Mais nous parlerons de cette vaine tentative dans la IIIe partie de notre Étude: l'Exécution du Testament.
 
E. UNE ÉCOLE À VOUVANT.
 
Le Testament du Saint fait allusion à l'existence d'une école à Nantes, comme nous avons vu plus haut. De même le Testament suggère l'existence d'un projet de fondation d'école à Vouvant "s'il n'y a pas moyen de bâtir, on y entretiendra les frères de la Communauté du S. Esprit pour faire les écoles charitables.
Nous traiterons de ce texte explicitement dans le commentaire du Testament. Le lecteur voudra bien se rapporter à la IIme Partie.
 
CONCLUSION DU CHAPITRE.
Le premier biographe affirme que la principale occupation du grand missionnaire, pendant les missions, était l'établissement des écoles chrétiennes. Les textes émanent de Montfort lui-même nous prouvent que la principale occupation pendant ses missions était le catéchisme. Il ne faut donc voir dans l'établissement des écoles, dont parle Grandet, que l'établissement des catéchismes continués après les missions.
En dehors des missions Montfort a établi certainement une école, à la Rochelle; il a contribué à fournir le nécessaire à une école à Nantes. Aucun des régents ou frères qui dirigeaient ces écoles n'appartenait au groupe des frères du Père de Montfort. Le Saint semble avoir conçu le projet d'établir deux de ses frères dans une maison qu'on lui avait donnée à Vouvant, pour y faire les écoles charitables. Ce projet ayant avorté, il reste acquis que Montfort s'est occupé de deux écoles seulement et qu'il n' y a jamais placé de frères du Saint Esprit.

Chapitre VI. LES DONATIONS DE VOUVANT
 
§ I La Grotte dans la forêt de Mervent
Une pieuse dame avait donné à Montfort une petite maison, sise dans un faubourg de La Rochelle, où il pouvait venir se reposer pendant l'intervalle des missions[104].
Cependant cet ermitage de S. Eloi était trop petit pour abriter aussi les auxiliaires du saint, sans parler encore du groupe des frères. Par ailleurs il est bien probable qu'avec toutes les relations qu'il avait dans la ville, il ne devait pas jouir de beaucoup de solitude. Pendant l'année 1715, Montfort prêcha dans les paroisses avoisinant Fontenay-le-Comte. C'est alors qu'il découvrit la grande solitude de la forêt de Vouvant.
"Il y trouva en effet un lieu fort retiré. Des deux côtés, il s'élève deux montagnes, la rivière coule au milieu, et un rocher à perte de vue présente une caverne profonde. Ce lieu lui parut tout-à-fait propre pour y bâtir un ermitage et il résolut d'y travailler incessamment. Il n'eut pas plus tôt mis la main à l'œuvre, qu'une multitude de personnes des environs vinrent l'aider dans son travail. Un jour on en compta plus de cent. Les matériaux furent bientôt rassemblés. On avait la pierre et l'eau sur le lieu. On apporta de la chaux, du sable, des tuiles, des carreaux, des briques, du bois, en un mot tout ce qui était nécessaire, et même plus qu'il n'était nécessaire, et le tout gratuitement. L'Apôtre anachorète ne pouvait que payer de sa personne, et il ne l'épargnait pas. Nul ne travailla avec plus de force que lui. Il fit tant qu'il creusa dans le roc un espace capable de contenir une couchette, une table, une chaise. Il y avait au bas de la grotte une source excellente, il y fit les arrangements nécessaires pour une fontaine. Son dessein était encore d'y bâttir une chapelle et d'y planter une grande croix. Ses travaux continuels ne le lui permirent pas...[105].
Besnard semble ignorer la véritable raison pour laquelle Montfort dut abandonner ses projets par rapport à la Grotte de Mervent. Le 26 Octobre 1715 quelques fonctionnaires royaux mirent fin à cet empiétement, par un pauvre missionnaire, sur le domaine Royal. Montfort avait pourtant demandé la permission à qui de droit. Mais rien n'y fit. On n'alla pas jusqu'à lui imposer une amende, parcequ'on ne pouvait douter de sa bonne foi. Mais les paysans des environs furent obligés de remettre les choses en l'état, et on interdit au missionnaire l'accès à ces lieux.
Est-ce par réaction contre les agissements de ces fonctionnaires, animés d'un zèle malveillant, que les dames de Vouvant offrirent à Montfort un refuge plus confortable pour lui et ses compagnons. Quand on voit les choses sur place, on est tenté de penser que la “Bonne Femme" du Testament a voulu lui offrir sa petite maison sise hors des remparts, sur la berge de la rivière, pour qu'il s'y bâtît un ermitage? Car les faits correspondent. A la fin d'octobre, les officiers royaux délogèrent Montfort de la Grotte, au commencement de Novembre, la Bonne femme demande au notaire de légaliser la donation qu'elle a faite au Saint.
 
§ II Les Donatrices de Vouvant
Nous parlerons ultérieurement des documents si intéressants; présentons d'abord les dames de qui ils émanent. Il est assez délicat d'établir ici un ordre de préséance. Il sera plus simple de suivre l'ordre dans lequel ces dames furent nommées dans le Testament du Saint.
 
A. MADAME DE LA BRULERIE
(Jeanne Creuzeron, Veuve de Messire Goulard sieur de la Brûlerie).
L'acte de donation de Madame de la Brûlerie était signé "Jeanne Creuze­ron". Il faut donc d'abord identifier cette famille.
Les Creuzeron formaient, avec les Baron et Les Picoron, auxquels ils étaient alliés, la haute bourgeoisie de Vouvant. Messire Jacques Creuzeron avait été de son vivant "avocat fiscal" de Vouvant.
Quand sa veuve Jeanne Baron se décida en 1695 à faire le partage de ses biens, il fallut toute l'habilité du notaire Bernier pour faire les parts égales. Le fils aîné André Creuzeron étant mort, c'était son frère Jacques, sieur de Malvoisine, qui faisait fonction de chef de famille. Mais la veuve devait tenir compte de Louis Guerry, sieur des Souches, chirurgien à Vouvant et mari de la fille aînée Florence Creuzeron.
Par ailleurs il fallait défendre les droits de deux filles non mariées, Jeanne et Catherine, dont seule la dernière était mineure et avait besoin de l'assistance légale de sa mère. Voilà pour la famille[106].
Désormais nous nous intéresserons à la seule Jeanne Creuzeron, la future Madame de la Brûlerie. Cette dame acheta, en 1699, du chapitre de la Cathédrale de la Rochelle, un jardin qui se trouvait derrière la maison qu'elle habitait, à charge pour elle de payer une petite rente au prieur de Vouvant[107].
Nous ne savons pas quand exactement le sieur René Goulard entra dans la vie de Jeanne Creuzeron, mais nous voyons ce gentilhomme vendre à cette dame en 1705 ses meubles et son argenterie, marquée à ses armes et à celle de Susanne de Rorthay sa défunte femme, et ne se réserver que l'usage de deux lits jusqu'à la Noël prochaine[108].
Les affaires du noble homme n'étaient guère florissantes, car en l'année 1706 il est obligé de concéder une rente à Benjamin Guinefaule, sieur de la Grignionnière, pour amortissement de ses dettes. René Goulard devait, à son riche voisin, entre autres sommes, le prix du cheval que son fils, René Goulard le jeune, avait enfourché pour partir comme capitaine au régiment du Roi[109].
Il est établi que René Goulard de la Brûlerie finit par épouser Jeanne Creuzeron. Nous avons vainement cherché l'acte de mariage dans les registres de la paroisse de Vouvant, mais on y trouve l'acte de décès de ce gentilhomme à l'année 1712. Au moment où elle fit son Testament en faveur du saint missionnaire Madame de la Brûlerie était donc veuve depuis presque quatre ans.
 
B. MADAME LA LIEUTENANTE DE VOUVANT.
Les Dubois traitaient d'égaux à égaux avec les Creuzeron, mais en fait ils avaient le droit de tenir le haut du pavé. André Dubois père et André Dubois fils furent tous les deux contrôleurs des actes des notaires et percevaient les droits au nom du Roi. C'est pour cela qu'on retrouve leurs signatures au bas de presque tous les contractas.
La sœur d'André Dubois, marchand en la ville de Vouvant, avait fait un brillant mariage. Le 18 Octobre 1679 elle avait contracté alliance avec Messire Jean Barré, sieur de la Thibeaudière, originaire de la paroisse de Payré. Au contract de mariage le sieur Barré ajoute à sa signature: "sénéchal de Vouvant."
Mais il arriva que durant la vie de Jean Barré la lieutenance fut transférée de Vouvant à La Châtaigneraie; et ainsi, après la mort du sieur Bar­ré, il n'y eut plus de Lieutenant de Vouvant. Mais il y eut pendant de longues années une „Lieutenante de Vouvant" c.a.d. la veuve Catherine Barré-Dubois qui ne mourut qu'en 1726[110].
On retrouve le nom de cette riche veuve aux actes de toutes les grandes cérémonies faites en l'Eglise de Vouvant. Elle est témoin aux riches mariages, mais aussi marraine des enfants des pauvres. Elle gère assez bien sa fortune. On trouve son nom au bas de pas mal de minutes écrites par le Notaire Bernier, comme par exemple en 1716 pour le bail d'une ferme. Par contre il est impossible de retrouver aucun document se rapportant aux deux boisselées de terre que la Lieutenante de Vouvant avait données au saint missionnaire.
 
LA “BONNE FEMME".
Renée Arcelin, veuve de André Goudeau, n'était pas originaire de Vouvant. On trouvait des Arcelin, (le curé de Vouvant écrit Herzelin) dans la paroisse de S. Sulpice où le frère de Renée était meunier. Dès 1705 Renée Arcelin est veuve. D'après les registres de la paroisse de Vouvant, elle a eu des enfants de André Goudeau. Mais il ne semble pas probable que ces enfants vécussent encore en 1716 et qu'il faille voir en eux les héritiers possibles des biens qu'elle lègue à Montfort.
Renée Arcelin n'appartenait pas à la riche bourgeoisie de Vouvant, comme on le voit par ses relations. Dès 1705 elle arrente une maison qu'elle possède à Vouvant à Jean Croisé tailleur pour payer son logement chez ce brave artisan. L'année suivante elle cède ses meubles à Jean Croisé jeune, fils du précédent [111]). C'est elle qui semble s'être décidée la première à faire une donation au saint missionnaire, comme le montre un document que nous citerons bientôt. Il faut remarquer d'ores et déjà que les biens qu'elle donne n'avaient pas une grande valeur, mais le logis qu'elle offre présentait quand même plus de confort que la grotte de la forêt de Mervent et se trouvait dans un site bien agréable.
 
§ III Les Documents de Vouvant
A. COMBIEN Y EUT-IL D'ACTES OFFICIELS?
L'existence des donations de Vouvant nous a été révélée par le Testament du Saint. Malheureusement ce passage pourtant si explicite du Testament ne nous fournit la preuve que de l'existence d'un seul acte officiel de donation: "La maison de Vouvant donnée par contract par Madame de la Brûlerie." Le passage qui a trait à la donation de Renée Arcelin suppose lui aussi l'existence d'un acte officiel: "et une petite maison donnée par une bonne femme, à condition s'y il n'y a pas moyen d'y bâtir ... etc". Cette supposition est naturellement changée en certitude par le fait que l'acte de donation notarié a été retrouvé.
Reste la donation par Catherine Dubois: "les deux boisselées de terre données par Madame la Lieutenante".
La question se pose donc: la donation par Catherine Dubois a-t-elle été faite par acte devant notaire?
Comme nous l'avons dit, Catherine a fait faire plus d'une minute par le notaire Bernier et on en trouve une même de l'année 1716. Il était donc naturel de rechercher dans les archives de Vouvant, dans les actes passés par Bernier, ce fameux acte de donation. Alors que les deux autres minutes (La Brûlerie et Arcelin) ont été rédigées par ce notaire, on ne trouve trace d'un acte fait à la requête de Catherine Dubois.
On sait qu'il existe un "Registre de Contrôle" de tous les actes faits par un cabinet de notaire. Ce Contrôle officiel pouvait donc nous fournir l'indication cherchée: le notaire Bernier a-t-il fait un acte de donation en faveur du Saint à la requête de Catherine Dubois?
Les Registres de Contrôle du Cabinet de Vouvant ont été déposés aux Archives Départementales de la Roche-sur-Yon. Hélas! le Registre I va de l'année 1696 à l'année 1705. Le Registre II de 1724 à 1727.
Le Registre qui nous donnerait les renseignements voulus manque donc, et il manque depuis longtemps, puisqu'on n'en a pas tenu compte dans le numérotage des registres déposés.
Dans les minutes de Bernier, notaire du Petit Château, on retrouve parfois la signature de Julien Doizeau, notaire royal. Ce dernier était-il donc notaire royal à Vouvant même, tandis que Bernier ne l'était que du Petit-Château? C'est possible. Mais alors il est possible aussi que la Lieutenante ait fait dresser son acte de donation par maître Doizeau. On trouve une grande quantité de minutes émanant d'un notaire Doizeau aux archives de la Roche, mais pas un seul acte se rapportant à Vouvant.
En conséquence, nous devons reconnaître que nous ignorons si la donation de la Lieutenante de Vouvant à Messire L. M. de Montfort Grignion a été faite par acte notarié. Nous le regrettons, parceque si tel acte a existé, il serait important d'en comparer la teneur avec celle des autres pièces dont nous connaissons le texte.
 
B. QUE SONT DEVENUS LES ACTES OFFICIELS DES DONATIONS.
1. Le Testament de Jeanne Creuzeron. Comme seule une copie de cet acte a été déposée, nous ne pouvons vérifier si ce testament a été rédigé de la main de Maître Bernier, notaire à Vouvant.
La pièce originale ne se trouve plus aux archives du Cabinet du Notaire actuel Maître Baudry[112].
Nous empruntons le texte à la copie présentée à la Sacrée Congrégation des Rites par la Maison Mère des Frères de S. Gabriel.
2. Le Testament de Renée Arcelin.
L'original de cette pièce se trouve toujours aux archives du Cabinet du notaire de Vouvant, Maître Baudry. Nous l'avons fait photographier et en donnons ici un fac-similé.
 
C. UN DOCUMENT NON OFFICIEL, MAIS VRAIMENT ORIGINAL.
C'est le 26 Octobre 1715 que les Officiers Royaux avaient défendu au saint missionnaire l'accès de la Grotte de la Roche au Faons.
Dès la Toussaint de cette même année il commença la mission à Vouvant, paroisse voisine de Mervent. Pendant cette mission il dut insister sur l'obligation de la Restitution qui incombait à chaque particulier mais aussi à toute communauté. Vers le milieu du mois de Novembre on tint devant la porte de l'Eglise de Notre Dame une assemblée des habitants de la commune de Vouvant, où, sous la présidence de Jacques Creuzeron, syndic, on examina s'il n'y avait pas lieu de payer au sieur Philippeau ce qu'il n'avait pu percevoir lors de la collecte des impôts. La question traînait depuis quelques années.
Maître Bernier fit acte de cette assemblée, et cette minute est conservée aux Archives du Cabinet notarial de Vouvant.
Elle a été même si bien conservée qu'elle était encore renfermée en 1952 dans le même petit manteau dont le notaire Bernier avait dû l'envelopper après l'assemblée des habitants, une simple feuille de papier portant au recto l'inscription suivante:
"Acte d'assemblée des habitants faitte à la porte de l'Eglise de Vouvant, apportant acte d'appel des taxes ordonnées être faites sur lesdits habitants au profit d'Hilaire Philippeau et consorts" [113]).
Mais ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas l'inscription officielle mais le texte que le Notaire Bernier avait inscrit au recto de cette feuille. Où je me trompe fort, ou il y a noté, avant ou après l'assemblée, ce que la "bonne femme" Renée Arcelin, était venue lui confier.
Comme le lecteur s'en rendra compte, cette feuille contient un aide-mémoire dont le Notaire Bernier s'est servi pour écrire le Testament fait par Renée Arcelin en faveur de Messire L. M. de Montfort Grignion.
Nous appellerons ce document, inconnu jusqu'ici, "le Concept du Notaire Bernier". Il a été écrit certainement avant l'acte officiel. Replaçons maintenant les documents que nous possédons dans l'ordre chronologique dans lequel ils ont été rédigés, c.a.d.
I. LE CONCEPT DU NOTAIRE BERNIER.
II. LE TESTAMENT ARCELIN.
III. LE TESTAMENT LA BRULERIE.
 
LE CONCEPT DU NOTAIRE BERNIER
Acte d'assemblée des
habitants faitte
à la porte de l'église de
Vouvant apportant
acte d'appel des taxes
ordonées estre fautes
sur lesdits habitants
au profit de Hillaire
Philippeau et consorts
1715
 
 
 
Il faudra faire un testament à la requête de Renée Arcelin, veuve
de André Goudeau, demt. en la ville de Vouvant, etc.; laquelle a
donné à Mr. Louis-Marie de Montfort Grignon, prestre (curé)
missionnaire de la Compagnie du St. Esprit, scavoir est la moytié
d'une maison sise et située au Petit-Château en la paroisse
de Vouvant, consistant lad. maison en deux chambres basses et deux hautes
une petitte cour par le devant et un jardin autour de la maison
renfermé de murailles joignant d'un côté au chemin qui conduit
du moulin à seigle à la place du Château du Petit-Château
et de toutes autres parts à la place dud. Château et aux terres
dud. Seigr. du Petit-Château. Les dites choses données
au Sieur de Montfort aux conditions qu'il
priera Dieu pour moi et pour mes héritiers à perpétuité
(et au cas que ses succedront viennent à ne faire)
et au cas que led. Sieur Montfort ou ceux
qui le succedront viennent à ne faire aucun bastiement
dans lad (terre) mayson ou auprès et qu'il vienne
à l'abandonner, la moitié de maison et jardin
reviendra à moy ou à mesdits héritiers, etc.
Lad. Moytié de maison vaut la somme de 40 ll[114].
 
TESTAMENT DE RENÉE ARCELIN À MESSIRE DE MONTFORT.
Au nom du père et du Fils et du St. Esprit.
Je, Renée Arcelin, veuve de Sieur André Goudeau, demeurant en la ville de Vouvant, reconnaissant qu'il n'y-a rien de si certain que la mort, ni rien de si incertaine que l'heure d'icelle, ne voulant en être prévenue, sans au préalable avoir pourvu au salut de mon âme et au peu de-biens qu'il a plu me donner pendant que je suis en bonne santé de corps, d'esprit et d'entendement; grâce à Dieu j'ai bien voulu faire mon présent testament, codicille et ordonnance de dernière volonté en la forme et manière ainsiqu'il en suit. Et pour y celui et présent selon ma volonté, je me suis transportée jusques au lieu du Petit-Château ou se tient ordinairement la cour dudit lieu et la paroisse de Vouvant.
J'ai audit Bernier, les témoins présents, dicté et nommé mot à mot mon dit testament sans suggestion, indication, ni persuasion d'aucune personne, mais seulement de mon propre gré et volonté; premièrement je recommande mon âme à Dieu, mon créateur et supplie la Divine Volonté de me vouloir pardonner mes fautes et péchés par le mérite et passion de son Fils Notre Seigneur Jesus-Christ et par l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de tous les Saints et Saintes du Paradis que je témoigne à cette fin. Et pour prier et faire prier Dieu pour mon âme, je m'en rapporte à Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint-Esprit, et pour cet effet je lui ai donné et donne pouvoir de la moitié d'une maison à moi appartenant avec la moitié du jardin et dépendances, sans aucune réserve, sise et située audit Petit-Château en la paroisse de Vouvant, joignant la maison et jardin d'un côté au chemin du moulin à seigle à la place du château du Petit-Château et de toutes autres parts aux terres du Seigneur du Petit-Château et à la place dudit château ainsique tout se contient et comporte, lesdites choses données audit Sieur de Montfort sous aux conditions qu'il priera Dieu pour moi et mes héritiers à perpétuité soit lui ou ceux qui le voudront tant et si longtemps qu'ils demeureront en cette paroisse de Vouvant; et au cas que ledit Sieur de Montfort ou ceux qui lui succéderont viennent à quitter et abandonner ladite paroisse, et à s'en aller demeurer ailleurs et abandonner ladite maison et jardin, le tout reviendra à moi, ou à mes héritiers; de tout quoi j'ai requis acte audit Bernier notaire, présents les témoins, lequel j'ai prié de me vouloir juger et condamner et pour la garantie de tout ce que de plus j'oblige et hypotèque tous et chacun de mes biens meubles et immeubles présents et advenir quoique testatrice ni soit tenue ni obligée; de tout quoi moi dit notaire seul signé, lui ai octroyé acte. Et dé laquelle a nommé de mot à mol son dit testament sans suggestion ni indication d'aucune personne, au contraire elle a paru libre de son consentement et pour l'accomplissement de son dit testament les ai jugé et condamné par le jugement et condamnation de ladite cour au pouvoir et juridiction de laquelle elle s'est soumise et ses dits biens. Fait et passé au dit Petit-Château en présence de M. André Dubois, et de Jacques Baud, les deux demeurant en la ville de Vouvant, témoins les deux, le 2ième jour de Janvier 1716. Lu et relu le présent testament à ladite testatrice laquelle a déclaré être son intention et dernière volonté et a déclaré ne pouvoir signer de ce enquise. Et ce dans les dits témoignages, moi seul signer; ladite moitié de maison et jardin pour ce valoir estime la somme de 50 livres.
Approuvé le mot "maison" en interligne pour valoir.
Jacques Baud,         André Dubois
Bernier.

Chapitre VII LES TESTAMENTS DE VOUVANT
 
§ I Les Documents Arcelin
Remarques préliminaires.
Il faut d'abord constater qu'au point de vue juridique, il y a une différence essentielle entre les deux testaments. Celui de Renée Arcelin est un document public rédigé par le notaire et signé en sa présence et en présence de deux témoins, par la testataire et authentiqué encore par la signature du notaire et des témoins. Le Testament de Madame de la Brûlerie est un document privé, un testament olographe authentiqué par la seule signature de la testatrice et confirmé par l'acception du bénéficiaire, L. M. de Montfort Grignion.
Et pourtant il est indéniable que les textes sont dus au même auteur. N'ayant pas l'original du Testament Creuzeron, nous ne pouvons savoir s'il est écrit, somme celui de Renée Arcelin, de la main du notaire Bernier, mais il suffit de comparer certains passages pour voir qu'ils doivent émaner du même "auctor intellectualis". Il est possible que Madame de la Brûlerie ait écrit elle même le Testament, mais alors cela s'est fait sous la dictée du notaire, car il n'est pas probable que même la veuve de René Goulard de la Brûlerie de la Simonnière fut suffisamment au courant du langage juridique qui était d'usage dans ces documents.
Mais s'il semble évident que les deux testaments émanent du même notaire, on peut se demander pourquoi leur forme juridique diffère. Cette différence était exigée par les circonstances.
N'oublions pas que Bernier était notaire de la Baronnie du Petit-Château. Seuls les immeubles sis sur ce territoire étaient soumis à sa juridiction. Madame veuve Godeau-Arcelin, habitant la ville de Vouvant, se rendit au Petit Château et se soumit à la juridiction qui régnait sur ce territoire, et cela parceque les biens qu'elle voulait donner étaient sis en ces lieux.
Madame de la Brûlerie habitait elle aussi la ville de Vouvant et les biens qu'elle léguait étaient sis intra muros, dans la ville même où le notaire de la Baronnie du Petit Château n'avait pas de juridiction. Voilà pourquoi le notaire Bernier ne pouvait pas faire pour Madame de la Brûlerie ce qu'il pouvait faire pour Renée Arcelin.
Comme nous l'avons fait remarquer, il y a parfois identité, parfois ressemblance frappante, entre les termes des deux Testaments. Mais cela n'étonnera personne quand on se réalise que ces deux documents ont été rédigés, à un jour d'intervalle en faveur du même bénéficiaire, pour permettre à celui-ci d'atteindre un but unique: l'établissement de sa Société de Missionnaires.
Mais il y a naturellement des différences considérables dans ces deux textes. C'était inévitable puisqu'il s'agissait de biens différents, cédés à des conditions différentes.
Dans notre commentaire nous traiterons séparément des points qui sont propres à chaque document et nous rapprocherons au contraire les textes qui traitent des points identiques.
Nous commençons par l'analyse du Testament Arcelin, parcequ'il est le premier dans l'ordre chronologique. Mais il est évident que nous tiendrons compte des éclaircissements que nous fournit le Concept du notaire document nouveau que nous versons au dossier.
 
§ II Commentaire du Testament Arcelin
 
A. le bénéficiaire du testament.
Comme la personne du bénéficiaire est la même et que la formule employée et dans le Concept et dans le Testament Arcelin est la même que celle dont use le Testament La Brûlerie, nous traiterons cette question au commentaire de ce Testament La Brûlerie.
 
B. Les biens donnés.
Le Testament… et pour cet effet, je lui ai donné et donne pouvoir de la moitié d'une maison à moi appartenant avec la moitié du jardin et dépendance sans aucune réserve ...
Le texte du Testament étant postérieur à celui du Concept, il serait naturel de conclure qu'il faut interpréter le Concept par le Testament. Parfois il faudra faire exactement le contraire.
 
Le Concept: ... laquelle a donné à Mre Louis Maria de Montfort... sçavoir est la moitié d'une maison sise ... consistant lad. maison en deux chambres basses et deux hautes; une petite cour par le devant, et un jardin autour de la dite maison renfermé de murailles[115].
Ce qu'elle a donné en Novembre 1715 elle le redonne en Janvier 1716.
La maison comptait quatre chambres, deux basses et deux hautes. Renée Arcelin en donne la moitié, mais contrairement à ce que fit Jeanne Creuzeron, elle ne spécifie point. Les textes que nous possédons ne nous permettent point de décider s'il fallait diviser la maison verticalement ou horizontalement. De même on ne sait s'il faut diviser le jardin dans sa largeur ou dans sa longueur.
Mais quand on se rend sur place, quand on voit le site, il devient évident que la "Bonne Femme" a voulu donner au saint dans sa petite maison, au bord de la rivière et aux pieds des remparts, le pied-à-terre qu'on venait de lui enlever dans la grotte de Mervent.
 
C. la forme de la donation.
Il y a dans cette donation quelque chose de pas tout à fait régulier. D'après le Concept, Renée Arcelin avait donné la moitié de sa maison; dans le Testament, le notaire Bernier spécifie: le pouvoir de la moitié d'une maison à moi appartenant. Quand on constate qu'il y a encore cette différence entre la donation Arcelin et la donation Creuzeron que cette dernière donne l'autre moitié de sa maison et de son jardin après sa mort, tandisque Renée Arcelin ne songe pas à compléter ainsi la donation, on doit supposer que la "Bonne Femme" donnait tout ce dont elle pouvait disposer, c.a.d. son droit sur cette maison qu'elle possédait en indivis avec d'autres.
N'est ce pas le fait que la donation ne prévoyait que la moitié d'une maison indivise, dont l'autre moitié ne devait pas revenir au bénéficiaire du Testament, qui fut cause des difficultés qui surgirent lors de l'accomplissement des conditions posées par la testatrice?
 
D. La situation des biens donnés.
Ici le texte du Concept est à peu près identique à celui du Testament.
Le Testament: ... sise et située audit Petit-Château en la paroisse de Vouvant. joignant la maison et jardin d'un côté au chemin du moulin à seigle à la place du château du Petit-Château et de toutes autres parts aux terres du Seigneur du Petit-Château et à la place dudit château ainsique tout se contient et comporte.
La situation de cette maison a son importance à cause de l'usage auquel le Saint la destine dans son Testament. La maison est située sur la paroisse de Vouvant et la Baronnie du Petit-Château; elle appartient à la ville par la Grande Poterne toute proche, elle appartient à la campagne par les chemins qui se rencontrent devant sa façade.
 
F. Testament de madame Goulard de la Brulerie.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Je Jeanne Creuzeron, veuve de feu Messire Goulard, Sieur de la Brûlerie, demeurant en la ville de Vouvant, considérant en moi qu'il n'y a rien de si certain que la mort, ni rien de si incertaine que l'heure d'icelle, ne voulant en être prévenue sans au préalable avoir pourvu au salut de mon âme pendant que je suis en bonne santé tant de corps, d'esprit et d'entendement, j'ai bien voulu faire mon testament sans aucune suggestion ni persuation de personne, mais de mon propre gré et volonté ainsi qu'il s'en suit.
Premièrement: je donne dès à présent à Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint Esprit et à ceux qui le succéderont et qui seront de la même Compagnie, savoir est, les trois chambres hautes de ma maison en laquelle je fais ma demeure avec la moitié du jardin à prendre depuis le puy aler du côté du Lion d'Or: le tout sis et situé en la ville de Vouvant et ce joignant le tout ensemble, tenant la dite maison à la rue, qui conduit du château à la porte du pont à main gauche et à la maison de Lechelle à moi appartenant, et de l'autre côté à la maison des héritiers de Tandron et le dit jardin d'un côté à l'église de ce lieu et des autres parts à la rue du Lion d'Or au four bannier; et après ma mort; je donne au dit Sieur de Montfort et à ses successeurs de la même Compagnie à perpétuité le restant de ma dite maison et jardin et ainsi que le tout se contient et comporte sans aucune réserve, sauf la maison de Lechelle, que je me réserve; les dites choses ci dessus par moi données sont aux conditions, que le dit Sieur de Montfort ou autres payeront dès à présent la moitié des réparations, qui faudra pour la couverture de la dite maison et aussi payera la moitié de la rente de 6 livres d'heure au prieuré de Vouvant sur le dit jardin à commencer le premier paye­ment à la Notre-Dame de Mars prochaine et après continué; aussi aux conditions, que le dit Sieur de Montfort et ses associés de la même Compagnie diront par chacune année le nombre de 30 messes pour le repos de mon âme à commercer ce jourd'hui et à perpétuité ; et au cas que le dit Sieur de Montfort du ceux qui le succéderont viennent à quitter et abandonner la dite paroisse de Vouvant et s'en aller demeurer ailleurs et abandonnera la dite maison, elle reviendra à moi, à mes héritiers en l'état qu'elle pourra être; c'est ainsi mon intention que je veux qui soit exécutée de point en point sans que mes héritiers puissent contrevenir à l'encontre.
Fait ce jourd'hui 3ième jour de Janvier 1716.
Approuvés les mots: dès à présent; de; et de; la moitié; en interligne pour valoir.
Jeanne Creuzeron.
Je soussigné Louis-Marie de Montfort Grignion, missionnaire de la Com­pagnie du St. Esprit, accepte le présent estament avec les conditions apposées.
Louis-Marie de Montfort, Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint Esprit.
 
E. les conditions posées.
1°.   Les prières demandées
Le Concept:   ...les dites choses données au Sieur de Montfort aux conditions qu'il priera Dieu pour moi et pour mes héritiers à perpétuité. La formule employée dans le document officiel est plus correcte:
Le Testament: ...les dites choses données audit sieur de Montfort sous aux conditions qu'il priera Dieu pour moi et mes héritiers à perpétuité, soit lui ou ceux qui le voudront, tant et si longtemps qu'ils demeurèrent en cette paroisse de Vouvant.
Remarquons d'abord que Renée Arcelin ne spécifie pas les prières qui doivent être dites pour elles, comme le fera Jeanne Creuzeron. Le notaire fait intervenir les successeurs de Montfort pour continuer à prier à perpétuité, ce qu'on ne pouvait demander du saint lui même, au moins en ce monde. Mais constatons surtout que la condition est déterminée par cette autre: „si longtemps qu'ils demeureront à Vouvant".
Nous verrons bientôt que le fait d'abandonner la paroisse rendait la donation caduque et par là aussi abolissait les conditions à remplir.
 
2°. Le Bastiement à faire
Ce passage qui se trouve dans le Concept et non dans le Testament officiel a une importance toute spéciale.
Le Testament: ...et au cas que ledit Sieur de Montfort ou ceux qui lui succéderont viennent à quiter et abandonner ladite maison et jardin, le tout reviendra ... etc.
Le Concept: ...et au cas que le sieur de Montfort ou ceux qui le succéderont viennent à ne faire aucun bastiement dans ladite maison ou auprès et qu'il vienne à l'abandonner, la moitié de maison et jardin reviendra ... etc.
Ce texte du Concept prouve indubitablement que Renée Arcelin était au courant d'un plan conçu par le missionnaire: faire un bastiment dans la maison ou auprès, c.a.d. aménager la maison ou l'agrandir.
Est-il vraiment question d'une condition posée par la testatrice; en d'autres mots, ne donnait-elle la maison que si Montfort faisait un basti­ment? Le Testament du Saint nous prouvera que tel n'est pas le sens de ce texte, puisqu'il considère que l'usage de cette maison lui est acquise, même „s'il n'y a pas moyen d'y bâtir".
 
3°.   Ne pas abandonner la maison
La condition posée par Renée Arcelin était la même que celle que poserait le lendemain Jeanne Creuzeron: ne pas abandonner la maison. Mais quelle garantie pour la Testatrice si "Montfort ou ceux qui le succéderont" faisaient un bastiement!
Il me semble que le notaire n'a pas regardé cette dernière clause comme une véritable condition, puisqu'il l'a supprimée dans le texte officiel. A moins que ce fonctionnaire plus avisé que la "Bonne Femme" fût déjà au courant du fait qu'il n'y avait pas moyen de bâtir.
Comme la condition: "ne pas abandonner la maison": est identique à celle que posa Jeanne Creuzeron, nous préférons la traiter au commentaire du Testament de Madame de la Brûlerie.
Nous voulons seulement faire remarquer ici, que le saint Missionnaire était au courant de la condition posée par Renée Arcelin: faire un bastie­ment. Car quoique le notaire ne l'ait pas mentionnée dans le Testament officiel, et qu'en stricte justice Montfort n'était pas obligé d'en tenir compte, on verra qu'il l'a mentionnée dans son propre Testament.
 
§ IV Commentaire du Testament La Brûlerie
La dénomination: Madame de la Brûlerie, fut employée dans le Testament de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Ce doit être le titre qu'on donnait à cette pieuse Dame à Vouvant. Elle même s'intitule toujours Jeanne Creuzeron, de son nom de jeune fille, et désormais nous nous en servirons de préférence.
 
A. les biens donnés.
1°. Premièrement: je donne dès à présent... savoir est... les trois chambres hautes de ma maison, en laquelle je fais ma demeure, avec la moitié du jardin à prendre depuis le puy aller du côté du Lion d'Or; le tout sis et situé en la ville de Vouvant et ce joignant le tout ensemble, tenant ladite maison à la rue qui conduit du Château à la porte du pont à main gauche, et à la maison de Lechelle à moi appartenant, et de l'autre côté à la maison des héritiers de Tandron, et ledit jardin d'un côté à l'église de ce lieu et des autres parts à la Rue du Lion d'Or au Four bannier;
2°.  et après ma mort, je donne ... le restant de ma dite maison et jardin et ainsi que le tout se contient et comporte sans aucune réserve . ..
La dame a exactement délimité les biens qu'elle donne de son vivant et après sa mort. La raison en est évidente. Elle cède la moitié de sa maison aux missionnaires, mais compte y demeurer jusqu'à sa mort.
La précision des termes employés suggère l'intervention d'un homme au courant des formules d'usage.
Quoique la maison Creuzeron ait été plusieurs fois modifiée dans le cours des années, on reconnaît facilement les lieux. La maison de Lechelle est toujours là, quoiqu'inhabitée, et je pense que c'est à peu près la plus ancienne de Vouvant. Le puits mentionné est toujours en place, quoiqu'il ne soit pas indiqué sur le plan de la Ville de Vouvant. Il est à supposer que Jeanne Creuzeron avait offert au missionnaire cette partie du jardin qui longeait l'église. Cela aurait permis aux missionnaires de se rendre dans le sanctuaire sans passer par la rue.
 
B. Les conditions posées.
 
1°.  La réparation du toit
... les dites choses ci dessus par moi données sont aux conditions que le dit Sieur de Montfort ou d'autres payeront dès à présent la moitié des réparations qui faudra pour la couverture de la dite maison
On ne peut échapper à l'impression que la veuve de René Goulard de la Brûlerie de la Simonnière jouissait, après la mort de son mari, de plus de considération que de fortune. Car toute grande dame qu'elle veut paraître[116], elle demande au pauvre par excellence qu'était Montfort de payer la moitié des frais de la réparation de la toiture.
Peut-être bien que dans sa pensée cela ne devait pas être une lourde charge pour le saint, qui avait réparé la toiture de l'église de Vouvant et qui semblait disposer toujours des ressources dont il avait besoin. La dame n'insinue-t-elle pas: "M. de Montfort ou d'autres".
2°.   La rente au prieuré
Cette rente pesait sur le jardin, comme il se voit dans l'acte d'achat de ce terrain par Jeanne Creuzeron en 1695.
... et aussi payera la moitié de la rente de 6 livres d'heure au prieuré de Vouvant sur ledit jardin, à commencer le premier payement à la Notre Dame de Mars prochaine et après continuée ...[117].
Jusqu'à la mort de la Dame le Saint aurait dû payer 3 livres, et 6 livres après qu'il serait entré en la jouissance de tout le jardin.
Mais comme Montfort mourut le 28 Avril de cette même année 1716, il n'a eu à verser que le premier payement. L'a-t-il fait? C'est très probable puisqu'il recommandera dans son Testament à M. Mulot de remplir les conditions de ce contract.
 
3°.   Les Messes pour le repos de l'âme de la testatrice.
... aussi aux conditions que ledit sieur de Montfort et ses associés de la même Compagnie diront par chacune année le nombre de 30 Messes pour le repos de mon âme à commencer ce aujourd'hui et à perpétuité ...[118].
Jeanne Creuzeron, dont la maison est presqu'à côté de la porte de l'église, dont on trouve la signature sous tant d'actes de baptême, de mariages, qui était de tous les enterrements, est assez au courant des formules qu'il faut employer pour arranger ses affaires avec les ministres de l'autel.
 
4°.  Ne pas abandonner la maison.
Cette condition est inscrite dans les deux Testaments en termes presqu' identiques. Elle est d'une importance capitale pour comprendre la véritable signification des documents de Vouvant. C'est pour cela que nous nous permettons de reproduire ici tous les textes dans l'ordre chronologique.
Le Concept: ...et au cas que le sieur de Montfort ou ceux qui le succéderont viennent à ne faire aucun bastiement dans la dite maison ou auprès et qu'il vienne à l'abandonner, la moitié de maison et jardin reviendra à moi ou à mesdits héritiers.
Le Testament Arcelin: ...et au cas que ledit sieur de Montfort ou ceux qui lui succéderont viennent à quitter et abandonner ladite paroisse, et à s'en aller demeurer ailleurs et abandonner ladite maison et jardin, le tout reviendra à moi, ou à mes héritiers ...
Le Testament La Brûlerie: ...et au cas que ledit sieur de Montfort ou ceux qui le succéderont viennent à quitter et abandonner ladite paroisse de Vouvant et s'en aller demeurer ailleurs et abandonner ladite maison, elle reviendra à moi, à mes héritiers en l'état qu'elle pourra être...
Comme le lecteur le peut constater, il n'est pas possible que ces deux textes aient été rédigés indépendamment l'un de l'autre.
Nous avons montré comment le Concept et le Testament Arcelin ont été écrits par Bernier et le Testament La Brûlerie probablement inspiré par lui. Mais cette constatation ne nous apporte pas la réponse à cette autre question qu'il faut se poser ici: de qui émane cette condition?
On pense naturellement en premier lieu aux testatrices. Mais quand on y regarde de près, on remarque que les formules employées prêtent à confusion. Il est certain que dans les deux cas la condition principale est: ne pas quitter ou abandonner la paroisse de Vouvant et aller demeurer ailleurs. L'intention des bienfaitrices aurait donc été de retenir Montfort et ceux de la même Compagnie dans leur paroisse.
Mais il y a la condition complémentaire: abandonner ladite maison et jardin ... abandonner la maison.
Comment le notaire n'a-t-il pas évité la difficulté qui surgit de son texte même: Si Montfort n'abandonne pas la paroisse de Vouvant, mais abandonne la maison, quel effet juridique naîtra de cette manière d'agir? La maison Arcelin, la maison la Brûlerie retournera-t-elle aux héritiers naturels? Cette condition ne devient-elle pas très onéreuse pour les bénéficiaires du Testament? Mettons le cas qu'on leur propose à Vouvant même l'échange de la maison Arcelin contre une autre plus spacieuse. Cet échange ne pourra pas se faire, puisqu'en quittant la maison Arcelin — ou la maison La Brûlerie — ils perdent tout droit sur elle.
A mon humble avis cette condition ne se comprend que quand on la reconnaît comme inspirée par le Bénéficiaire lui-même; c'est une condition Montfortaine.
En effet il suffit de se rappeler certaines prescriptions de la "Règle Manuscrite" pour se rendre compte du vrai sens qu'il faut donner à ces textes des Testaments.
Règle  Manuscrite.   Paragraphe du Détachement et Pauvreté. "La Compagnie n'a et ne peut avoir en propre que deux maisons dans le Royaume. . .
La Compagnie peut recevoir des mains de la divine Providence d'autres maisons qu'on lui donnera dans les différents diocèses, mais elle n'en recevra que la jouissance comme un locataire dans une maison . . . etc.
Les deux maisons de Vouvant sont de celles que la divine Providence voulait donner à la Compagnie. Montfort n'en accepte que la jouissance. Si sa Compagnie vient à les abandonner elles retourneront aux héritiers naturels.
On objectera peut-être que cette façon de considérer les choses ne résout pas les difficultés inhérentes aux textes susdits.
Elle les résout absolument. Car ou Montfort et sa Compagnie abandonnent Vouvant et alors les biens reçus retournent aux héritiers; ou bien ils restent à Vouvant et abandonnent les maisons reçues. Mais alors ce sera uniquement parceque la Providence leur aura offert une autre demeure dans la même paroisse. Alors d'après leur règle les missionnaires ne peuvent garder en même temps la maison ou les biens qu'ils avaient acceptés d'abord.
Il nous semble obvie que le saint missionnaire avait mis et les bienfaitrices et le notaire Bernier — son ami — au courant des conditions sous lesquelles il pouvait accepter ces biens au nom de sa Compagnie de missionnaires.
 
§ V Les Bénéficiaires des Donations de Vouvant
Dans cette affaire des donations de Vouvant la question capitale est certes celle de savoir quels sont les bénéficiaires auxquels les testatrices veulent céder leurs biens. Le lecteur nous excusera si nous reproduisons ici à nouveau tous les textes qui ont trait à cette question.
Le Concept: ... Renée Arcelin, veuve d'André Goudeau, laquelle a donné à Mre Louis-Marie de Montfort, prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit...
Les dites choses données aud. Sieur de Montfort. .. et au cas que le sieur de Montfort ou ceux qui le succéderont...[119].
Le Testament: Arcelin: ...Et pour prier et faire prier Dieu pour mon âme, je m'en rapporte à Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint-Esprit, et pour cet effet je lui ai donné et donne. . .
... les dites choses données au Sieur de Montfort sous aux conditions qu'il priera Dieu pour moi et mes héritiers à perpétuité, soit lui ou ceux qui le voudront tant et si longtemps qu'ils demeureront en cette paroisse de Vouvant; et au cas que ledit Sieur de Montfort et ceux qui lui succéderont viennent à quitter . . . etc.
Le Testament La Brûlerie: ...Je donne dès à présent à Mes­sire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre-missionnaire de la Compagnie du St. Esprit et à ceux qui le succéderont et qui seront de la même Compagnie . . .
Et après ma mort, je donne audit Sieur de Montfort et ses successeurs de la même compagnie à perpétuité . . .
... les dites choses ci dessus par moi données sont aux conditions que le dit sieur de Montfort ou autres ...
aussi aux conditions que le dit sieur de Montfort et ses associés de la même compagnie diront par chaque année le nombre de 30 messes ...
 
Je soussigné Louis-Marie de Montfort Grignion, missionnaire de la Compagnie du St. Esprit, accepte le présent Testament avec les conditions apposées.
Louis-Marie de Montfort, Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint Esprit.
 
Ce n'est pas à Louis-Marie Grignion comme particulier que sont faites les donations de Vouvant, mais à Louis-Marie de Montfort, prêtre missionnaire de la Compagnie du St. Esprit. Il bénéficie de ces donations non comme personne privée mais comme représentant d'une Société de prêtres missionnaires. Les textes sont formels: Messire L. M. de Montfort Grignion... ses associés ... ceux lui succéderont ... ses successeurs de la même compagnie. Il est donc établi que c'est le missionnaire de la Compagnie du S. Esprit qui hérite de ces biens, et que ceux qui lui succéderont ne pourront être vraiment ses successeurs que s'ils sont de la même compagnie.
L'acceptation par le saint missionnaire nous apporte la garantie qu'il est complètement d'accord avec le titre qu'on lui donne dans les documents qui sont rédigés et signés en sa faveur le 2 et le 3 Janvier 1716. Et voilà la preuve indéniable que Montfort considérait en Janvier 1716 comme existante une Compagnie du S. Esprit, dont lui, prêtre missionnaire, était le représentant autorisé.

Chapitre VIII L'HEURE DÉCISIVE
 
§ I La lettre à M. Caris
C'est au mois de Janvier 1716 que furent signés les actes des donations faites en faveur de Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit.
En ce même mois, le saint missionnaire trouva enfin l'occasion de donner les exercices dans la paroisse de Saint Pompain, la paroisse de M. Jean Mulot, le frère de René, qui était devenu le collaborateur et l'ami de Montfort.
Pendant cette mission, le Saint reçut un jour une missive, tandis que les missionnaires étaient à table. Il leur demanda la permission d'en prendre connaissance, et M. des Bastières remarqua comment une ombre passa dans le regard du saint. Le lendemain, il osa le questionner. M. Louis Grignion venait d'apprendre la mort de son père. C'est le dernier en date des détails que M. des Bastières nous a laissé sur son saint ami, car à la fin de cette mission de S. Pompain, ce fidèle collaborateur quitta définitivement le grand missionnaire. Que ce départ ait affecté Montfort, malgré son extraordinaire détachement de tous et de tout, comment s'en étonner? En effet cet abandon définitif, par M. des Bastières, de l'œuvre des missions, posait à nouveau le problème lancinant: la continuation de l'apostolat.
Il faut rappeler ici quelques faits, qui montrent comment, humainement parlant, l'heure était angoissante.
Après S. Pompain, Montfort ouvrit la mission de Villiers-en-Plaine.
C'est pendant cette mission, qu'un domestique du château où les missionnaires logeaient, le vit dans le jardin, à genoux et s'élevant à plus de deux pieds au dessus du sol. C'est pendant cette mission encore qu'il confia à Madame Thébault d'Orion:
"A l'égard de sa mort, en me disant adieu, il me dit: Vive Dieu! Je demanderai à Dieu telle chose, avec tant de veilles, de jeûnes, de prières, qu’il me l'accordera, et je mourrai avant que l'année soit finie...[120].
Picot de Clorivière nous fournit ici un document dont on voudrait bien pouvoir consulter l'original. Cet auteur, qui dépend presque phrase par phrase du Manuscrit de Besnard, ne nous dit pas à qui il a emprunté le renseignement si important que nous reproduisons ici:
"Mais ce qu'on sait certainement, c'est que connaissant que sa fin n'était pas éloignée, il s'occupait plus que jamais du double projet qu'il avait formé de laisser des successeurs de son zèle apostolique, et de perpétuer les biens qu'il faisait partout aux pauvres par l'établissement des Filles de la Sagesse.
Pendant la mission, dont on vient de parler (Villiers-en-Plaine), il avait écrit d'une manière très pressante à M. Caris, son digne ami, à la Communauté du Saint-Esprit, pour le prier de lui envoyer quelques bons ecclésiastiques, qui voulussent s'associer à ses travaux, et venir prendre part aux bénédictions que Dieu répandait sur eux en abondance.
Un des motifs dont il se servait pour l'engager à faire là-dessus toutes ses diligences était que, s'il venait à mourir avant que cela fut effectué, les donations faites à lui et à ses successeurs demeureraient nulles et sans effet[121].
Comme on voudrait connaître les autres motifs que le Saint semble avoir invoqués dans sa lettre! Mais étudions d'un peu plus près celui que Picot nous a transmis.
 
A.     S'IL VENAIT À MOURIR AVANT QUE CELA FUT EFFECTUÉ. . .
Si M. Caris n'envoie pas quelques bons ecclésiastiques, qui voulussent s'associer aux travaux du missionnaire, avant que la mort n'enlève Montfort lui-même ...
 
B.     LES DONATIONS FAITES À LUI ET À SES SUCCESSEURS DEMEURERAIENT NULLES ET SANS EFFET.
Remarquons comme les termes sont précis et exacts. Ne dirait-on pas que Picot a lu les documents de Vouvant? Il ne dit pas que les donations deviendraient caduques, mais elles demeureraient nulles et sans effet, parcequ'il n'y aurait personne pour recueillir cet héritage, qui demande l'accomplissement de certaines conditions.
Quelles conclusions découlent de ce texte?
1°. Si Monsieur Caris n'envoyait pas avant la mort de Montfort de bons ecclésiastiques qui voulussent s'associer à ses travaux, il n'y aurait pas à la mort du Saint, de successeurs de la même compagnie du Saint-Esprit pour recueillir l'héritage.
2°. En ce mois de Février, Montfort ne considère point M. Mulot et M. Vatel, comme des prêtres missionnaires de la Compagnie du Saint Esprit, capables de recueillir l'héritage qu'il a accepté comme représentant de cette Compagnie.
3°.   Montfort ne considère point les quatre Frères qui ont fait des vœux entre ses mains et qui appartiennent certainement à la Compagnie — Communauté — du Saint Esprit comme capables de recueillir cet héritage. Ils ne sont pas en mesure de remplir les conditions imposées par les Donatrices.
4°. Montfort ne considère point les Messieurs de la Communauté du Saint-Esprit de Paris — les Directeurs du Séminaire — comme des Prêtres Missionnaires de la Compagnie du Saint-Esprit, parceque s'il les considérait comme tels, ils seraient ses successeurs et ses héritiers, et les donations faites à lui et ses successeurs ne demeureraient pas nulles et sans effet à sa mort. Il aurait suffi que ces messieurs remplissent après la mort de Montfort les conditions imposées par les Donatrices.
Le point névralgique est donc là: Il faut que les bons ecclésiastiques, que doit envoyer M. Caris, ayant rejoint Montfort avant la mort de celui-ci, se soient associés à ses travaux et soient devenus des prêtres missionnaires de la Compagnie du Saint-Esprit.
On a voulu interpréter cette lettre du Saint rapportée par Picot comme une preuve que la Compagnie du Saint-Esprit dont Montfort se dit le représentant, lors de la signature des actes de donations de Vouvant, était identiquement la même chose que la Communauté du Saint-Esprit de Paris, c.a.d. la société que formaient les Directeurs du Séminaire fondé par Poullart des Places. Le lecteur peut se convaincre que ce texte prouve exactement le contraire.
Pour ce qui regarde l'œuvre du Saint, il faut constater ceci: En ce mois de Février 1716, la Compagnie du Saint-Esprit existe puisque Montfort réclame comme lui revenant les biens qu'il a acceptés comme représentant de cette Compagnie; mais elle semble ne compter comme prêtre missionnaire que le Saint lui-même.
Nous verrons dans le Commentaire du Testament qu'entre l'envoi de cette lettre en Février 1716 et la mort du Saint le 28 Avril de cette même année, il a dû survenir quelque événement qui a changé la face des choses: l'entrée de M. Mulot dans la Compagnie du Saint Esprit.
 
§ II Faire violence au ciel
Est-ce que l'entourage du Saint s'apercevait des graves soucis qui agitaient son âme? Il avait une confiance si vraie et si profonde dans la Providence, il avait eu à Villers-en-Plaine une apparition de la Dame Blanche, sa Mère et sa Maîtresse, et malgré tout le missionnaire, qui se savait talonné par la mort, devait sentir peser sur ses épaules des responsabilités sérieuses. Il ne s'agissait pas des biens promis par les Dames de Vouvant, mais du poids écrasant des âmes que le Seigneur lui avait confiées à lui et à ses successeurs. Plus près de lui, il y avait le souci de ces quatre frères, ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance entre ses mains et dont la vie en Dieu dépendait de lui. Le fait est là. Les hommes de la paroisse de S. Pompain, où il avait fait la mission précédente, vinrent lui proposer d'aller en pèlerinage à Notre Dame des Ardilliers de Saumur pour l'expiation de leurs péchés. Ont-ils compris qu'ils lui feraient plaisir en proposant d'aller prier Celle que lui-même avait implorée si souvent dans les heures sombres de sa vie?
Montfort hésita d'abord à accepter cette offre, craignant sans doute les désordres, si ordinaires dans ces pérégrinations en nombre; ensuite il accepta. Mais il leur prescrivit un règlement tellement strict et sévère, qu'il nous apporte la meilleure preuve que le Saint missionnaire osait et pouvait demander à ceux qu'avait touchés sa parole un dévouement total à la bonne cause. Le pèlerinage des Pénitents de S. Pompain à Notre-Dame des Ardilliers est trop connu pour que nous en retracions ici l'histoire. Voici comment Grandet nous explique ce que le Saint fit pour assurer à cette pieuse expédition un plein succès:
"Monsieur de Montfort fit trois choses pour prévenir les abus qui pouvaient arriver le long de la route.
1.     Il mit deux prêtres à leur tête pour les conduire.
2.     Il leur donna un règlement pour les occuper saintement.
3.     Il leur prescrivit la fin qu'ils devaient se proposer dans cette dévotion, qui était de demander à Dieu par l'intercession de la Sainte Vierge, la fuite du péché, une bonne mort, de saints missionnaires qui puissent perpétuer le fruit des missions[122].
Nous sommes au mois de Mars 1716. Le Saint sait pertinemment que sa dernière heure va bientôt sonner. Il semble qu'il puisse actuellement compter si peu sur les prêtres qui sont avec lui, qui se sont associés à ses travaux, mais qui n'ont pas fait le pas décisif! Est-ce pour les faire avancer plus rapidement dans la voie où les attire, sans qu'ils s'en rendent complètement compte peut-être, la Reine du ciel, que Montfort a mis M. Mulot et M. Vatel à la tête des pèlerins? Il est certain qu'ils étaient parfaitement au courant du but de ce pèlerinage, dont Montfort leur confiait la direction. Le premier article du Règlement qu'ils devaient faire observer disait:
„Vous n'aurez d'autre vue en ce pèlerinage, que d'obtenir de Dieu, par l'intercession de la Sainte Vierge, de bons missionnaires qui marchent sur la trace des Apôtres par un entier abandon à la Providence et la pratique de toutes les vertus, sous la protection de la très digne Mère de Dieu[123].
D'après le rapport que nous a laissé M. Mulot, les pèlerins suivirent exactement le règlement proposé par le Saint, à la grande édification des habitants des bourgs qu'ils traversèrent.
Pendant ce temps, le saint missionnaire, retiré à S. Pompain, plongé dans une profonde retraite, unissait ses prières à celles de ses ambassadeurs auprès de la Reine du Ciel.
Quand ceux-ci furent revenus, il partit lui-même pour Saumur, accompagné de plusieurs frères. Voici comment Picot de Clorivière nous décrit le dernier pèlerinage de ce Saint, l'un des plus grands pèlerins de tous les temps :
"Arrivé à Saumur, dans la fameuse chapelle qui y est dédiée à la Mère de Dieu, pour qui, depuis l'enfance, il avait eu la plus tendre dévotion et dont il avait constamment et en toutes sortes de manières, procuré la gloire tous les jours de sa vie; rempli d'un nouveau respect pour Elle, et de la plus vive confiance en sa puissante protection, il se recommanda singulièrement lui-même, son âme, son corps, ses projets, et ses deux sociétés, celle des Missionnaires et celle des Filles de la Sagesse, à cette auguste Reine du ciel et de la terre[124].
Montfort envoya deux de ses frères saluer sa sœur, religieuse à l'abbaye de Fontevrault, et attendit leur retour dans la maison des Sœurs de la Providence. Vers la fin du mois de mars 1716, il s'achemina, en compagnie du frère Gabriel vers Saint-Laurent-sur-Sèvre, où il allait commencer sa dernière mission, écrire son Testament, et rendre son âme à Dieu.
CONCLUSION.
Il est manifeste que le Seigneur avait donné à Louis Grignion une vocation spéciale: évangéliser les âmes abandonnées.
Le Vicaire de Jésus-Christ lui avait assigné cette portion du troupeau qui était la plus exposée, celle que guettait le Jansénisme, l'ignorance et l'irréligion.
Toute sa vie a été une "mission continuelle"; il a gagné sa vie "à la sueur de son front dans une chaire et un confessionnal".
Dès son entrée dans la carrière il a exprimé l'espoir de voir un jour une petite et pauvre compagnie de bons prêtres s'exercer sous la protection et l'étendard de la Vierge.
Il a fait appel à tous ses amis, il a frappé à bien des portes, il a fait de longs voyages et de durs pèlerinages, pour avoir des collaborateurs qui voulussent s'associer à ses travaux.
Il a trouvé des bienfaitrices généreuses qui lui ont offert des maisons et des terres pour y établir le siège de sa Compagnie. Il écrit avec une grande foi, un profond amour et une confiance entière dans la Providence, une Règle sublime pour cette Compagnie de missionnaires.
Et l'on voudrait nous faire croire que Montfort a renié, dans son Testament, et l'œuvre des missions et sa compagnie de missionnaires!
 

IIme PARTIE "LE TESTAMENT"
 
Chapitre IX LA RÉDACTION DU TESTAMENT
 
§ I La mission de S. Laurent-sur-Sèvre
Le Doyen de S. Laurent-sur-Sèvre, M. Rougeou, avait demandé au saint une mission pour sa paroisse, au moment où Montfort faisait les exercices à S. Pompain. On s'était mis d'accord pour la commencer au début du mois d'avril.
Le Saint se rendit directement de Saumur à S. Laurent, probablement accompagné d'un des frères qui avaient fait avec lui le pèlerinage à Notre Dame des Ardiliers[125].
Les deux frères Mulot, Jean, recteur de S. Pompain, et René, missionnaire avec M. de Montfort, attendaient son arrivée en compagnie de M. Thomas le Bourhis et M. Clisson. M. Vatel devait rester à S. Pompain pour y remplacer le curé en se reposant de ses fatigues. Le Saint pouvait donc compter sur quatre auxiliaires-prêtres en plus des desservants de la paroisse, M. le Doyen Rougeou et M. Triault, son vicaire.
La mission commença le 5 Avril, Dimanche des Rameaux, et fut suivie avec beaucoup d'assiduité. Le missionnaire érigea pendant la première semaine les Congrégations de Vierges et des Pénitents Blancs. Vers le milieu du mois, on annonça l'arrivée dans la paroisse de Mgr de Champflour, et Montfort décida d'aller à sa rencontre avec une procession solennelle. Organiser cette grande cérémonie épuisa ses forces déjà si affaiblies. Il ne se sentit point en état d'assister au dîner d'apparat à la cure; mais, malgré sa grande faiblesse, il monta en chaire dans l'après-midi pour le grand sermon. Il parla sur "L'Amour et la Douceur de Jésus-Christ". Cet effort surhumain le réduisit à toute extrémité et il fut obligé de s'aliter[126]. Et nous dit Grandet, "…prévoyant bien que sa maladie serait mortelle, il voulut faire son Testament le cinquième jour de sa maladie"[127].
C'est le 27 avril 1716 qu'il dicta ce Testament en présence de M. le Doyen M. Rougeou et de M. Triault, vicaire.
 
§ II Le Rédacteur du Testament
Quiconque connaît l'écriture du Saint, ferme, régulière, qui parfois peut se nommer calligraphie, constate aussitôt que le Testament n'a pas été écrit de la main de Montfort.
La maladie peut-être aussi les remèdes des médecins, avaient dû épuiser complètement le vaillant missionnaire. Il n'avait plus la force de rédiger lui-même ses dernières volontés. On constate cet état d'épuisement, quand on compare la signature qu'il a tracée avec peine au bas de ce document avec celle qu'il avait écrite, quelques mois plus tôt, sous l'acte de donation de Madame de la Brûlerie[128].
Les rappels, les redites, les corrections que présente ce document si important en sont une autre preuve.
Montfort n'ayant plus la force d'écrire lui-même son Testament, dut donc recourir à une main amie. Ce fut M. Mulot qu'il choisit. Les raisons de ce choix sont par trop évidentes.
M. Mulot était devenu en quelques mois l'ami le plus intime du grand missionnaire.
"M. Grignion le prit pour son confesseur, et ce fut lui qui l'assista à sa mort: et il a été le premier avec M. Vatel sur lequel il jeta les yeux pour établir cette Congrégation de douze prêtres qu'il appela la Compagnie de Marie, pour continuer ses Missions et ses travaux apostoliques"[129].
Comme confesseur, M. Mulot était certes le mieux à même de comprendre entièrement les intentions du moribond.
M. Mulot nous à déclaré lui-même que c'est dans cette heure tragique qu'il avait accepté finalement mais entièrement la succession que le saint lui proposait.
"Il lui restait à désigner son successeur pour l'œuvre des missions. Il le fit en homme inspiré, et le temps a fait voir qu'il avait en effet à cet égard des connaissances plus qu'humaines. Mr. Mulot était alors auprès de son lit, et déplorait la perte que les missions allaient faire. Le serviteur de Dieu lui prit la main et l'exhorta à continuer les travaux qu'il avait partagés avec lui, et comme il répondait que la chose était en quelque sorte impossible, vu qu'il n'avait ni force, ni talent, il le rassura, et lui dit en lui serrant la main: "Ayez confiance, mon fils, ayez confiance, je prierai Dieu pour vous, je prierai Dieu pour vous." Paroles que M. Mulot dit avoir opéré en lui le plus grand des miracles, sçavoir: de lui avoir obtenu la force et la santé pour soutenir pendant plus de trente ans les missions tandis qu'il ne croyait pas passer jamais l'âge de trente ans de vie"[130].
Le Saint voulait M. Mulot pour son exécuteur testamentaire.
Cette troisième raison justifiait à elle seule le choix de M. Mulot comme rédacteur du Testament. Celui qui devait les exécuter n'était-il pas tout désigné pour rédiger les dernières volontés du Missionnaire?
 
§ III La Rédaction du Testament
Saint Louis Marie de Montfort avait édité une petite plaquette d'un format peu commun, (5,5.cm. de haut sur 15.cm. de large) portant comme titre: "Dispositions pour bien mourir" Les dernières pages de cet opuscule portent un "Testament Spirituel", et c'est à la suite de ce texte que M. Mulot a écrit le Testament du Père de Montfort. Le document commence à la page 45; continue à la page 46, restée en blanc, et se poursuit sur les deux faces internes de la couverture, la première ayant été employée en dernier lieu[131].
L'écriture de M. Mulot est celle d'un écolier maladroit qui ne sait pas garder la ligne. Son orthographe est déficiente, la construction des phrases parfois irrégulière, la ponctuation manque presqu'entièrement. Il ne faut pas oublier les conditions peu ordinaires dans lesquelles la rédaction de ce document précieux a dû se faire. La chambre du moribond n'était qu'un misérable réduit, dégarni de meubles. La rédaction fut certainement interrompue par des accès de faiblesse du malade et par les soins à lui prodiguer.
Il ne faut donc pas s'étonner si ce document n'a pas la forme régulière requise. Mais ce manque de correction doit nous inspirer un plus grand respect pour ce Testament, parcequ'il nous rappelle les circonstances difficiles dans lesquelles Saint Louis Marie de Montfort Grignion a dicté ses dernières volontés. La pauvreté volontaire de cet agonisant devait être bien grande, puisqu'il n'avait sous la main, pour tracer son Testament, que cet exemplaire de sa brochure. Par ailleurs en faisant écrire ce document à la suite de ce "Testament spirituel" il nous donnait une preuve qu'il mettait lui-même en pratique ce qu'il conseillait aux autres.
 
§ IV De qui ce Testament a-t-il été connu?
 
A.     AVANT LA MORT DU SAINT.
La critique interne du Testament nous révèle qu'en dehors de Montfort, trois autres personnes en prirent connaissance avant la mort du Saint, M. Mulot qui l'a rédigé et les deux témoins qui ont signé après Montfort, M. Rougeou, doyen de S. Laurent et M. Triault son vicaire.
La signature de ces deux témoins était nécessaire. En effet il ne s'agissait pas d'un Testament olographe, puisque Montfort ne l'avait pas écrit de sa main; ni d'un Testament public, puisqu'il n'avait pas été rédigé par un notaire. Il faut parler ici plutôt d'un testament privé, qui devait être légalisé par les signatures des témoins avant d'être déposé officiellement entre les mains d'un notaire.
 
B.     APRÈS LA MORT DU SAINT.
Nous savons par l'acte de dépôt du Testament, qu'au mois de Juin de la même année, le notaire royal Forget et le notaire syndical Chéurier ont pris connaissance du document.
Il est plus que probable que deux catégories de personnes ont pris connaissance des clauses de ce Testament, même si elles n'ont pas eu le texte sous les yeux.
Il y a d'abord les légataires, dont nous parlerons plus amplement dans le commentaire du Testament.
Il y avait ensuite les donatrices qui avaient le droit de savoir ce qui adviendrait des biens donnés, vu que bénéficiaire des testaments faits par elle était mort avant elles.
Grandet, l'auteur de la première biographie, a donné le texte du Testament, tout en se permettant quelques retouches. Le second biographe, Besnard s'est servi du texte de Grandet, mais en a supprimé ce qui, de son temps, lui semblait superflu.
Les auteurs qui sont venus après eux se sont généralement servi du texte de Grandet; le seul connu jusqu' à ce que l'original du Testament aît été retrouvé.
La Compagnie de Marie a déposé en 1909 une copie authentique du Testament à la Congrégation des Evêques et Réguliers.
Son Eminence le Cardinal Tisserant a le premier publié une photocopie du texte, photocopie qui lui avait été procurée par le T. R. Père Le Bail, procureur des Pères Montfortains et des Filles de la Sagesse[132].
Cette même photocopie a été reproduite par M. Gaétan Bernoville [133]). Nous publions ici une nouvelle photocopie du texte original, faite par les services photographiques de la Bibliothèque Vaticane.
 
§ V Grandet a-t-il tronqué le texte du Testament?
Si le lecteur veut comparer le texte du Testament, tel qu'il a été reproduit par Grandet, avec le texte original, il constatera que le premier biographe s'est permis de faire quelques changements sur des points non essentiels et de laisser de coté la clause qui a été écrite après que le Testament eût été déjà daté.
Ici surgit naturellement la question: Est-ce Grandet lui-même qui a tronqué le document, ou s'est-il servi d'une copie qui avait été tronquée par d'autres?
Mais cette question en suscite un certain nombre d'autres.
La première est celle ci: Grandet a-t-il eu entre les mains l'original du Testament? Nous savons de source sûre que Grandet n'a commencé à se documenter sérieusement sur le fameux missionnaire, qui était mort à S. Laurent en l'année 1716, qu'à partir de l'année 1718. Or le Testament ayant été déposé en Juin 1716, il est fort peu probable que le notaire se soit dessaisi de ce document. Grandet écrivait à Angers, mais il a voyagé dans le pays où Montfort avait missionné. Rien n'empêche que le biographe se soit rendu à Nantes et que le notaire lui ait remis une copie du document. Mais ce qui rend cette opinion peu probable, c'est le fait que Grandet, qui aime nommer ses sources, n'ait pas mentionné le notaire Forget de Nantes. Il est toujours possible que l'un de ses correspondants de Nantes lui ait envoyé une copie du Testament. Mais pourquoi ne serait-ce pas M. Mulot lui-même qui aurait communiqué ce document au premier biographe? Ce dernier nous dit expressément qu'il s'est renseigné spécialement auprès des missionnaires qui avaient travaillé avec Montfort?
"Il ne nous reste donc plus qu'à assurer le Lecteur, que les faits contenus dans cette Vie, sont appuyés sur les témoignages des Missionnaires qui ont eu le bonheur de travailler avec lui, surtout de Mr. des Bastières et de Mrs. Vatel et Mulot, qui l'ont accompagné dans ses missions, et sur les certificats qui nous ont été envoyez de Paris, de Poitiers, de Nantes, de la Rochelle etc..."[134].
Ce qu'on n'a pas suffisamment remarqué c'est que Grandet a eu entre les mains un certain nombre des manuscrits laissés par le saint missionnaire. Il suffit de citer ici la "Règle Manuscrite" et "Le Manuscrit Copie" des Cantiques[135]. M. Mulot, exécuteur Testamentaire, n'avait-il pas une copie du document dont il devait exécuter les clauses?
Reste toujours l'autre question: Grandet a-t-il reproduit une copie du Testament déjà tronquée par d'autres, ou s'est-il permis lui même d'introduire des changements dans le texte?
Ceux qui veulent faire du Testament du Saint, la "Charta Magna" de la fondation par Montfort d'un institut de frères enseignants, ne peuvent admettre que Grandet ait omis ce fameux codicille qui a trait à une école de Nantes. Non, pas Grandet, le biographe qui donne les textes sur les frères et les écoles!
Inimicus Homo hoc fecit! Mais qui? Qui a pu fournir la copie tronquée au trop confiant Grandet? M. Mulot peut être? Non, surtout pas lui; car on prétend qu'il a déposé le Testament à Nantes — avec le codicile — justement pour la défense des frères enseignants contre ceux qui voulaient leur dérober les meubles dont Montfort leur donne l'usage dans le codicile?[136].
Mais qui alors? Mademmoiselle Dauvaise, la directrice de la maison des Incurables[137].
Dans le commentaire de ce dernier article du Testament, nous montrerons l'inanité de cette accusation gratuite.
Et si c'était pourtant l'écrivain Grandet, qui se serait permis de faire dans le texte du Testament les changements qui lui semblaient utiles et de laisser de côté ce qui, à son avis, n'avait pas d'intérêt pour ses lecteurs? Répétons le: on n'oserait accuser Grandet de malveillance à l'égard des frères. S'il a commis cette omission, ce n'est certes pas dans le but de leur nuire. Mais il devait trouver, en 1723, que cette affaire de meubles pour une école de Nantes était un détail oiseux pour ses lecteurs.
Et comment osons nous porter nos soupçons sur Grandet? Pour la raison bien simple qu'il nous fournit lui-même la preuve qu'il avait sous les yeux un texte du Testament plus complet que celui qu'il a reproduit dans son livre. Pour ne pas multiplier les citations nous renvoyons le lecteur au commentaire de l'article 4° du Testament, où nous lui donnerons la preuve péremptoire de ce que nous affirmons ici[138].
 
Mais dès maintenant nous pouvons tirer la conclusion: s'il y a des différences entre le texte officiel et le texte de Grandet, le seul responsable en est le premier biographe.

Chapitre X LE DOCUMENT
 
§ I Le Testament
Jay soubsignez
le plus grand des pécheurs      je veux que mon corps
soit mis dans le simetière        et mon cœur sous le marche
pied de l'autel de la ste vierge je mets entre les mains
de mons-sgr l'evèqe de la rochelle et de mr mulot
mes petit meubles et livres de mission affinquils les
conserveront pour l'usage de mes quatres frères uni
avec moi dans l'obéissance et la pauvreté scavoir
frère nicolas de poitier philippe de nante frère louis
de la rochelle
et frère gabriel qui est avec moy tandisquils perseveront
a renoueler leur veux tous les ans et pour l'usage aussi
de ceux que la divine providence apellera a la même
communauté du st esprit. Je donne toute mes figures du
calvaire avec la croix a la maison des soeurs des incurables
de nante je n'ay point d'argent a moy en particulier
mais il y a cente trente cinc livvres qui appartiennent a
nicolas de poitier pour payer sa pension quand il aura
fini son temps mr mulot donnera l'argent de la boutique
dix ecus a jacque s'il veut sen aler dix autres a jean s'il
veut aussi s'en aler et dix ecus a mathurin s'il s'en veut
aler et ne pas faire veux de pauvreté et d'obéissance s'il
y a quelque chose de reste dans la boutique mr mulot en
usera en bon père a lusage des frères et a son propre usage
comme la maison de la rochelle retournera a ses héritiers naturels
il ne restera plus pour la communauté du st esprit que la
maison de vouvent donne par un contract par mde de
 
la brûlerie dont mr mulot accomplira les conditions
et les deux boisselée de terre donnée par mde la lieutenante
de vouvent et une petite maison donnée par une bonne
femme a condition si on y a pas moyen dy bâtir on y
entretiendra les frères de la communauté du st esprit pour
faire les écoles charitables je donne trois de mes etendars
a notre dame de toute patience de la seguiniere
et les quatre autres a notre dame de la victoire à la garnache
et a chaque paroisse de l'auny ou le rosaire persévérera
une des banieres du rozaire donner a mr bouri les
six tomes de sermons de la volpiliere et a mr clisson
les quatre thomes des cathechismes des peuples de la
campagne iïl est du quelque chose a l'imprimeur on le
payera de la boutique sil y a du reste il faudra rendre
rendre a mr vatel ce qui lui appartient
si monsgr juge a propos voila mes dernières volontés que
mr mulot fera exécuter avec un entier pouvoir dque je
luy donne de disposer corne bon luy semblera en faveur
de la communauté du st esprit des chasubles calice et
autres ornements d'église et de mission fait a la mission
de st lorent sur sevré ce 27 du moy d'avril mil sept
cent sèze tous les meubles qui sont a nante seront pour lusage
des frères qui tiennent l'école tant quelle subsistera
Louis Marie de Montfort Grignion
N. F. Rougeou doyen de st laurent
F. Triault ptre vicaire
 
§ II Le document officiel
Nous réunissons dans ce chapitre les documents qui ont trait au Testament de Saint Louis-Marie de Montfort Grignion.
A côté de la reproduction photographique nous donnons le texte tel qu'il a été écrit par M. Mulot.
Nous reproduisons ensuite, en face l'un de l'autre, le Testament tel qu'il a été reproduit par la Section Historique et tel qu'il fut publié par Grandet, le premier biographe en 1724.
Le Testament

 

Texte officiel
1. Je soussigné, le plus grand des pécheurs, je veux que mon corps soit mis dans le cimetière et mon cœur sous le marchepied de l'autel de la Ste. Vierge.
2. Je mets entre les mains de Monseigneur l'évêque de la Rochelle et de M. Mulot, mes petits meubles et livres de mission afinqu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre Frères, unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté; savoir: Frère Nicolas de Poitiers, Philippe de Nantes, Frère Louis de la Rochelle et frère Gabriel qui est avec moi, tandis qu'ils persévéreront à renou­veler leurs voeux tous les ans, et pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même communauté du St. Esprit.
3. Je donne toutes mes figures du Cal vaire, avec la croix, à la maison des Sœurs des Incurables de Nantes.
4. Je n'ai point d'argent à moi en particulier; mais il y a cent trente-cinq livres qui appartiennent à Nicolas de Poitiers pour payer sa pension, quand il aura fini son temps.
5. M. Mulot donnera (de) l'argent de la boutique, dix écus à Jacques, s'il veut s'en aller; dix autres à Jean, s'il veut aussi s'en aller; et dix écus à Mathurin, s'il s'en veut aller et ne pas faire (les) vœux de pauvreté et d'obéissance.
6. S'il y a quelque chose de reste dans la boutique, M. Mulot en usera en bon père à l'usage des Frères et à son propre usage.
7. Comme la maison de la Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus pour la communauté du St. Esprit que la maison de Vouvant, donnée par contract, par Madame de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions; et les deux boisselées de terre données par Madame la Lieutenante de Vouvant, et une petite maison donnée par une bonne femme à condition: s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la communauté du St. Esprit, pour faire les écoles charitables.
8. Je donne trois de mes étendards à Notre Dame de Toute Patience à la Séguinière, et les quatre autres à Notre Dame de la Victoire à la Garnache; et à chaque paroisse de l'Aunis, où le Rosaire persévérera, une des bannières du St. Rosaire.
9. Donner à M. Bonny les six tomes des sermons de la Volpillière, et à M. Clisson les quatre tomes des Catéchismes des peuples de la Campagne.
10. S'il est dû quelque chose à l'imprimeur, on le donnera de la boutique. S'il y a du reste, il faudra rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, si Monseigneur (le) juge à propos.
11. Voilà mes dernières volontés, que M. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir que je lui donne de disposer, comme bon lui semblera, en faveur de la communauté du St. Esprit, des chasubles, calice, et autres ornements d'église et de mission.
12. Fait à la mission de Saint Laurent-sur-Sèvre, ce 27 du mois d'avril, mil sept cent seize.
13. Tous les meubles qui sont à Nantes, seront pour l'usage des Frères, qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera.
14. Louis Marie de Montfort Grignion
15. N. F. Rougeou, doyen de Saint-Laurent
16. F. Triault, prêtre, vicaire[139].
Texte Grandet
Je soussigné le plus grand des pécheurs, veut que mon corps soit mis dans le cimetière, et mon cœur sous le marchepied de l'autel de la Sainte Vierge.
Je mets entre les mains de Mr. l'Evêque de la Rochelle et de Mr. Mulot, mes petits Meubles et Livres de Mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre Frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté, sçavoir; Frère Nicolas de Poitiers, Frère Philippe de Nantes, Frère Louis de la Rochelle et Frère Gabriel qui est avec moi, tandisqu'ils persévéront à renouveler leurs voeux tous les ans, aussi pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même communauté du Saint-Esprit;
je donne toutes mes figures du Calvaire
avec la Croix, à la maison des Sœurs des Incurables de Nantes. Je n'ai point d'argent à moi en particulier, mais il y a 135 livres qui appartiennent à Nicolas de Poitiers.
 
Mr. Mulot donnera dix écus de l'argent de la Boutique à Jacques, dix autres à Jean, et dix écus de même à Mathurin s'ils s'en veulent aller, et ne pas faire vœu de pauvreté et d'obéissance.
S'il y a quelque chose de reste dans la Boutique, Mr. Mulot en usera en bon père, à l'usage des Frères et à son propre usage.
Comme la maison de la Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus pour la Communauté du St. Esprit que la maison de Vouvant donnée par contract par Mr. de la Brûlerie, dont Mr. Mulot accomplira les conditions : et les deux Boisselées de terre données par Madame la lieutenante de Vouvant, et une petite maison donnée parune Bonne-femme, à condition (que) s'il n'y a pas moyen d'y  bâtir, on y entretiendra les Frères de la Communauté du Saint                  pour faire
l'école charitable.
Je donne trois de mes étendards à Notre Dame de Sainte Patience à la Séguinière, les quatre autres à Notre Dame de la Victoire à la Garnache, et à chaque Paroisse de l'Auny, où le Rosaire persévérera, une des bannières du St. Rosaire.
Je donne à Mr. Bonny les six tomes de Sermons de la Volpilière, et à Mr. Clisson, les quatre tomes des Catéchismes des peuples de la Campagne
S'il est dû quelque chose à l'imprimeur on le payera de la boutique: s'il y a du reste, il faudra rendre à Mr. Vatel ce qui lui appartient, si Monseigneur l'évêque le juge à propos;
 
Voilà mes dernières volontés, que Monsieur Mulot exécutera avec un entier pouvoir que je lui donne de disposer comme bon lui semblera en faveur de la Communauté du Saint-Esprit, des chasubles, calices et ornements d'Eglise et de mission.
Fait à la mission de Saint Laurent sur Sévre le 27 Avril 1716.
Signé
 
 
 
Louis Marie Grignon[140]
 
 
 
§ III Le document remanié
Pour compléter cette documentation, nous reproduisons, en face l'un de l'autre, le précis du Testament inséré par Besnard dans sa Vie manuscrite, vers 1760 et le précis reproduit par Picot de la Clorivière en 1785.
Ces derniers documents permettront au lecteur de se rendre compte des changements introduits par ces deux derniers auteurs dans le texte du Testament tel que l'avait donné Grandet.
Leur façon de reproduire un document ne mérite certainement pas de nos jours la qualification de "scientifique", mais elle nous éclaire sur un point, savoir: qu'est-ce que ces auteurs considéraient, dans le Testament du Saint, comme éléments durables, et qu'est-ce qu'ils considéraient comme éléments périmés, n'ayant plus d'importance pour le temps où ils écrivaient. Il est bien possible qu'on accuse ces auteurs d'avoir faussé des documents, mais de grâce qu'on ne leur prête pas des intentions malveillantes.
Besnard
Testament de Mr. de Montfort
1. Je soussigné, le plus grand des pécheurs, veux que mon corps soit mis dans le cimetière et mon cœur sous le marchepied de l'autel de la Ste Vierge.
2. Je mets entre les mains de Mr. l'Evêque de la Rochelle et de Mr. Mulot mes petits meubles et livres de mission pour l'usage de mes frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté, tandisqu'ils persévéreront à renouveler leurs vœux tous les ans, aussi pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même Communauté du St. Esprit.
3. Je donne toutes mes figures du Calvaire avec la croix à la maison des Incurables de Nantes.
4. Je n'ai point d'argent à moi en particulier, mais il y a cent trente cinq livres qui appartiennent à frère Nicolas de Poitiers; il faut les lui rendre.
8. Je donne trois de mes étendards à Notre Dame de Ste Patience à la Séguinière, les quatre autres à N. Dame de la Victoire à la Garnache et à chaque paroisse de l'Aunis, où le Rosaire persévérera, une des banières du St. Rosaire.
9. Je donne à M. Bonny les six tomes de sermons de la Volpillière, et à Mr. Clisson les quatres tomes de catéchismes des peuples de la campagne.
10. S'il en est dû quelque chose à l'imprimeur, on le paiera.
S'il y a du reste, il faudra rendre à Mr. Vatel ce qui lui appartient.
11. Si Mgr. l'Evêque le juge à propos. Voilà mes dernières volontés que Mr. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir que je lui donne de disposer comme bon lui semblera, en faveur de la Communauté du St. Esprit, des chasubles, calices et or­nements d'église et de mission. Fait à la mission de St. Laurent sur Sêvre le 27 Avril 1716.
Signé Louis Marie Grignion[141].
Picot   de Clorivière...
il fit son Testament
Il y déclare que son désir est que son corps soit mis dans le cimetière, et son cœur sous le marchepied de l'Autel de la Sainte Vierge.
Il lègue ses petits meubles et livres de mission, à ses Frères qui seront unis avec lui par les liens de l'obéissance et de la pauvreté, tandisqu'ils persévéreront à renouveler leurs vœux chaque année, comme aussi à ceux que la divine Providence appellerait dans la suite à la même Communauté du S. Esprit.
 
 
Il donne sa Croix, et les figures du Calvaire de Pontchateau aux sœurs des Incurables de Nantes ...
 
 
 
 
... ses Etendards, partie à Notre-Dame Je Toute Patience, à la Séguinière et partie à Notre-Dame de la victoire à la Garnache. ..
Une de ses Bannières du Rosaire, à chacune des Paroisses de l'Aunis, où la pratique de réciter le saint Rosaire persévérera...
 
 
 
 
 
 
 
 
 
... ses Chasubles, Calice, ornements d'Eglise et de Missions, à la communauté du saint-Esprit. Il finit ce testament, en priant M. Mulot de vouloir le faire exécuter, sous le bon plaisir de Mgr. l'Evêque de la Rochelle[142].
 
 
§ IV La Division du Commentaire
Quand on étudie de près ce testament d'un pauvre prêtre surpris en pleine activité par une maladie mortelle, affaibli par des fièvres violentes, en constate que ce document n'a pas été rédigé par un homme du métier, qui a l'habitude de préciser en termes techniques les décisions à prendre, les projets à exécuter, les affaires à régler.
Nous nous trouvons ici en face de "dernières volontés" d'un moribond dictées à un ami très affecté par la perte qu'il va faire, bien au courant des personnes et des choses dont il est question, mais n'ayant aucune des qualités requises chez un clerc de notaire.
Le fait que le Testament ne suit aucun ordre logique, ni dans la désignation des héritiers et des légataires, ni dans l'assignation des biens, est certainement à attribuer à la faiblesse du testataire. La preuve que le document a été écrit par à coups, à cause de cette faiblesse, se trouve dans le fait que le document revient parfois sur des points qu'on croyait déjà réglés.
A l'article 6 p.e. on suppose que tout ce qui se rapporte aux finances est bien réglé. A l'article 10 Montfort doit y revenir parcequ'il se peut que l'imprimeur n'ait pas été payé entièrement et que M. Vatel pourrait faire valoir des droits sur une partie de l'argent déposé à la boutique. Si les formules manquent de précision parfois, si les phrases ne sont pas correctes — ne parlons même pas d'orthographe — il faut l'attribuer à ce rédacteur malhabile. Il ne faut pas oublier quand même, que, pour le Saint et pour M. Mulot, les affaires à régler étaient si simples, les biens à donner, les héritiers à désigner tellement connus de tous, qu'ils n'ont pas pensé un instant à la nécessité de les identifier par des formules explicatives.
Le respect dû au Testament d'un Saint, d'un Père vénéré, nous a fait hésiter à appliquer à ce document précieux les froides méthodes d'un examen scientifique. Si nous le disséquons en ses parties intégrantes c'est pour mieux l'étudier et le défendre contre les violences qu'on a voulu lui faire.
La division que nous proposons est basée sur la distinction qu'il faut faire parmi les héritiers. Car d'un côté il y a ceux qui, n'appartenant pas à la famille spirituelle du mourant, reçoivent un legs d'amitié. Et parmi ceux-là il faut encore distinguer entre les personnes privées et les églises et paroisses. Il faut tenir compte aussi des obligations qui incombent au saint et que son exécuteur doit acquiter. Il y a enfin cette Communauté du S. Esprit qui est désignée comme l'héritière principale, celle qui doit recueillir comme héritage non seulement les biens donnés au Saint, mais aussi l'œuvre de sa vie en faveur de laquelle les donations ont été faites. En nous basant sur ces données fournies par le Testament lui-même, nous voudrions diviser notre commentaire en 4 parties.
La 1ère se rapporte à la dépouille du Saint lui-même
La 2e se rapporte aux legs donnés à ceux qui ne sont pas de la com­munauté du S. Esprit
La 3e traite des questions financières à régler
La 4e s'occupe des biens légués à la communauté du S. Esprit.
Dans un appendice nous parlerons de cette clause du Testament qu'on a nommé, quoiqu'à tort, le Codicille.
Nous soumettrons au lecteur chaque clause et chaque détail de ces clauses, sans passer à côté d'aucune difficulté, sans laisser dans l'ombre aucun point obscur ou discuté.
Nous nous servons du texte officiel; mais, chaque fois que la version de Grandet présente des divergences, nous reproduisons les deux textes en regard l'un de l'autre.

Chapitre XI LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
 
Ire et IIme partie
LES LEGS AUX ÉTRANGERS
 
Dans ce chapitre nous traiterons d'abord du seul article dans lequel le Saint a accordé une pensée à sa propre personne, et encore dans l'intention bien manifeste de donner l'exemple de ce qu'il avait prêché aux autres.
La seconde partie sera consacrée aux legs concédés par le Saint à ceux qu'il faut considérer comme ne faisant pas partie de sa Communauté du S. Esprit.
 
Ire Partie LA DÉPOUILLE DU SAINT
 
§1 L'enterrement prévu par le Saint
Art. 1. Je soussigné, le plus grand des pécheurs, je veux que mon corps soit mis dans le cimetière; et mon cœur sous le marchepied de l'autel de la Ste Vierge.
 
En de nombreuses paroisses le grand missionnaire avait réappris au peuple le respect des cimetières. Il avait fait rétablir les clôtures, arracher les mauvaises herbes, refaire les tombes. En plusieurs communes il avait réussi à abolir, malgré l'opposition violente parfois des paroissiens, l'usage réprouvé par l'Eglise d'enterrer les morts dans l'enceinte même du temple.
Maintenant il veut prêcher d'exemple. Il veut que son corps soit mis dans le cimetière. Mais son cœur doit reposer aux pieds de la Vierge, ou plutôt sous le marchepied de son autel. Esclave d'amour de la Mère de Dieu, il veut lui donner cette ultime preuve d'humble sujétion.
Son cœur, symbole de sa prière incessante, doit reposer sous les pieds de ceux qui offriront le Divin Sacrifice à l'autel de la Reine des Cœurs.
On n'a pas entièrement respecté cette première de ses dernières volontés.
On n'a pas voulu séparer du cœur, ce corps qui portait les traces de tant d'instruments de pénitence, de tant de flagellations cruelles voulues par amour de Dieu et des âmes.
On enterra le grand apôtre de Marie sous le marchepied de l'autel de la Ste Vierge dans l'église de Saint-Laurent-sur-Sèvre.
 
IIme partie LES LEGS A CEUX QUI NE SONT PAS DE LA COMMUNAUTÉ
 
§ I Les statues du Calvaire
Art. 3°.  Je donne toutes mes figures du Calvaire, avec la Croix, à la maison des Sœurs des Incurables de Nantes.
La maison des Incurables, c'est le petit hôpital établi par Montfort à la Cour Cathuy, pendant son séjour dans la ville en ce pénible hiver de 1710-1711. Les Sœurs des Incurables, ce sont les saintes filles qui donnaient leurs soins à ces pauvres malheureux. Qu'il y avait là un noyau d'une Communauté, on ne peut en douter quand on lit la lettre que Montfort adressa à la Supérieure le 4 Avril 1716, donc quelques jours avant sa mort.
"... on peut faire et passer le bail à ferme de la maison en question, pourvu que les sujets qui doivent avoir soin des pauvres incurables, ayent les qualités suivantes.
Il faut qu'avec leur bien, grand ou petit... elles ne s'apuyent ni sur aucun bras de chair, ni sur aucun talent naturel...
Qu'elles suivent universellement et ponctuellement la même règle et le même Directeur,...
Enfin qu'elles soient préparées, si l'œuvre est de Dieu, à souffrir joyeusement toutes sortes de croix; car cette maison est la maison de la croix, croix, et on ne lui doit point donner d'autre nom...[143].
La Supérieure de ces Sœurs était Mademoiselle Elisabeth Dauvaise, une de celles dont Mgr. Barin dit dans une lettre à Grandet: Les Demoisselles Dauvais qui l'ont suivi – Montfort - dans ses missions, vous pourraient mieux instruire que moi des faits particuliers[144].
Ces sœurs ont même porté, pendant un certain temps, le nom de Filles de la Sagesse, comme le prouve un bref de Clément XI du 6 Août 1720 adressé: "Filiabus... puellarum Sapientiae". Mais je ne crois pas qu'elles aient porté ce nom du vivant de Montfort qui, dans la lettre citée plus haut, écrit, en parlant des sœurs de la Sagesse établies par lui à la Rochelle sous l'autorité de Marie-Louise Trichet: "Je méditais d'envoyer chez vous à Nantes deux Filles de la Sagesse".
Montfort lui-même avait apporté les statues du Calvaire dans cette Maison des Incurables à Nantes[145].
Qui, mieux que les Incurables et celles qui se dévouaient entièrement à leur service, pouvaient monter la garde autour des statues du Calvaire?
Monter la garde, les conserver, les garder pour des temps meilleurs, car Montfort n'avait pas renoncé à l'espoir de les voir reprendre leur place à Pontchâteau, sur cette montagne qui avait été pour le missionnaire un véritable Golgotha.
 
§ II Les étendards et les bannières
Art. 8°. Je donne trois de mes étendards à Notre Dame de Toute Patience à la Seguiniere et les quatre autres à notre-Dame de la Victoire à la Garnache; et à chaque paroisse de l'Aunis où le Rosaire persévérera, une des bannières du Rosaire.
A quoi avaient servi ces étendards et ces bannières?
Grandet dans sa description des Processions Générales que le Saint organisait durant les missions, nous dit:
a.      La Croix et la Bannière marchaient à la tête de la Procession...
b.     Chaque état avait un Étendard à sa tête...[146].
Un officier de la Garnison de la Rochelle a fait un croquis de la grande procession des femmes dans cette ville en 1711. Dans son dessein on retrouve 5 guidons ayant tous la même forme mais une couleur différente.
M. Olivier nous rapporte:
Nous avions fait faire à la Mission précédente quatorze étendards de satin blanc d'une aulne et demie de longueur et d'une aulne de largeur, qui distinguaient les escadrons de toutes les personnes qui étaient à la procession[147].
La première partie de cette clause nous fait penser aux triomphes qu'on accordait aux généraux ayant remporté des victoires. Le valeureux maréchal de Luxembourg fut appelé par les Parisiens: le tapissier de Notre Dame, à cause de tous les drapeaux qu'il rapportait des champs de bataille pour les faire suspendre sous les voûtes du temple.
Montfort offre ses étendards aux deux sanctuaires de la Vierge restaurés par lui. Il devait certes à notre Dame de Toute Patience la force qui l'avait soutenu dans tant d'adversités. Il reconnaissait qu'il devait tous les succès de son apostolat à Notre-Dame de la Victoire.
Voici le renseignement que nous fournit Grandet sur les bannières du Rosaire.
Il distribuait aussi de petites Images de la sainte Vierge à tous ceux qui lui en demandaient, et expliquait avec beaucoup de piété et d'onction, les 15 Mystères qui sont honorés par les quinze dizaines du Rosaire, et il avait fait faire quinze Etendarts dorez et magnifiques, où ces Mystères étaient représentez, qu'il faisait porter à ses Processions. Il y avaif aussi les Images où les mêmes Mystères joyeux, douloureux et glorieux étaient dépeints d'une manière très-dévote, pour les expliquer au peuple dans l'Eglise[148].
Et maintenant le Saint veut qu'on donne une de ces bannières à chacune des paroisses de l'Aunis où le Rosaire persévérera. Quelle est la signification de ce geste?
Quand on commence par supposer qu'il faut considérer le Testament de Montfort comme la liquidation volontaire de l'œuvre des missions, il est attrayant de voir dans ce geste une confirmation de cette supposition. Mais quand on étudie ce document objectivement, on y trouve et dans ses clauses les importantes, la preuve formelle de la volonté expresse du Saint de garantir la continuation de son apostolat.
Alors il est impossible de voir dans cette distribution des bannières autre chose qu'une prédication posthume et continuelle voulue par le grand missionnaire. Ces bannières ont servi à vivifier dans les cœurs l'amour et l'enthousiasme pour cette prière du Rosaire, que Montfort considère comme indispensable pour conserver les fruits de la mission.
C'est une sainte pratique que Dieu, par sa miséricorde, a établie dans les lieux où j'ai fait des missions, pour en conserver et augmenter le fruit et pour empêcher le péché"[149].
On se rappellera qu'un jour le Saint refusa de passer par un village évangélisé par lui: "on y avait abandonné la récitation du Rosaire". Et pour lui, abandonner le Rosaire, c'était abandonner la vie chrétienne.
J'ai vu une infinie différence entre les mœurs des peuples des paroisses où j'avais fait des missions, parceque les uns, ayant quitté la pratique du chapelet et du Rosaire, étaient retombés dans leurs péchés; et les autres, pour l'avoir conservée, s'étaient conservés dans la grâce de Dieu et augmentaient tous les jours dans la vertu[150].
La signification de ce geste? La voilà. Même d'au delà de la tombe, Montfort veut contribuer à conserver cette pratique du Rosaire, qui sauve les âmes qu'il a ramenées à Dieu.
Mais il enlève à ses successeurs un moyen de faire le bien, de prêcher cette dévotion? Il laissait à ses successeurs un héritage assez considérable: sa méthode de prêcher le Rosaire; pour qu'il pût disposer de ses bannières, qui, parcequ'elles lui avaient appartenu, parleraient avec plus d'éloquence aux cœurs qu'il avait touchés[151].
Nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut penser de cette hypothèse: le Saint considérait l'œuvre des missions comme devant finir à sa mort.
 
§ III Les Sermonnaires
Art. 9. Donner à M. Bouri les six tomes des sermons de la Volpillière et à M. Clisson les quatre tomes des catéchismes des peuples de la campagne.
 
Comme nous l'avons montré dans la première partie de cette Étude, il s'agit ici de deux auxiliaires-prêtres de Montfort, dont l'un M. Thomas le Bourhis était déjà avec lui à la mission de Thairé en 1712.
Le Testament ne parle pas d'un legs proprement dit; il s'agit plutôt d'un cadeau d'ami, d'un souvenir d'une collaboration qui va finir. Il est difficile d'estimer la valeur de ce cadeau. Les ouvrages étaient assez récents et on s'en servait assez communément[152].
Mais est-ce que ces sermonnaires servaient beaucoup au Saint lui-même? Nous nous permettons d'en douter. Et voici pour quelle raison. Blain nous a révélé que Montfort, pendant les derniers mois qu'il résida à S. Sulpice, passa son temps à:
... compiler et préparer des matières de sermons et à faire un fonds suffisant pour parler à toute heure sur toutes sortes de sujets comme il le fit dans la suite ...[153].
Or c'est de ce manuscrit, précieusement conservé aux Archives de la maison mère de la Compagnie de Marie, que le Saint se servit pendant sa carrière de missionnaire. Il a complété dans le cours de ses missions ce qu'il avait recueilli comme jeune prêtre. Il y a p.e. ajouté les Conférences pour les Protestants, quand il commença son apostolat à la Rochelle.
Nous trouvons dans ce manuscrit plusieurs "Ordres des prédications d'une mission et station de carême", et les plans des sermons indiqués ici se retrouvent dans le corps du manuscrit.
On y trouve entre autres: "Matière de prédication d'une mission ou d'une retraite, prise des voeux du baptême"[154].
La Rénovation des voeux du baptême était le but de toutes les missions du Saint:
Le but de leurs missions est de renouveler l'esprit du christianisme. Ainsi, ils en font renouveler les promesses, comme ils en ont l'ordre du Pape ...[155].
Dans ce même manuscrit on retrouve des sermons entiers écrits de la main du saint, comme p.e. celui qu'il prêcha à la Mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre, avant de s'aliter pour sa dernière maladie, „De l'amour et de la douceur de Jésus"[156].
Ces sermons ont servi à Montfort pour composer les fameux Cantiques qui en étaient comme l'accompagnement.
Le Saint laissa à M. Mulot ses manuscrits: son "Livre des Sermons", ses "Cantiques". Et s'étaient là les deux grandes sources de la prédication de Montfort.
Et M. Mulot se servit de ces manuscrits. Il a annoté un certain nombre de sermons, il en a modernisé l'un ou l'autre point. On retrouve son écriture malhabile à côté de celle si régulière, si lisible du Saint, et dans le "Livre des Sermons" et dans les Cantiques.
Non vraiment, en donnant aux deux auxiliaires prêtres sus-nommés les sermonnaires dont il n'avait dû guère se servir, Montfort n'apauvrissait nullement ceux qu'ils considérait comme appelés à continuer son apostolat.
Et pourtant on a voulu tirer de ces deux clauses du Testament — Art. 8° et 9° la conclusion — que Montfort distribuait ce qui était nécessaire pour les exercices des missions, parcequ'il considérait l'œuvre des missions comme terminée à sa mort:
"Montfort dispose des objets qui lui appartiennent, comme si l'œuvre des Missions ne devait pas continuer. En dehors des livres, ou plutôt des brochures qui se vendent avec les instruments de pénitence fabriqués par les frères eux mêmes, le Saint avait l'habitude de porter avec lui, complétant la charge d'une mule, diverses bannières, destinées à figurer dans les processions, en tête des divers groupes et en particulier une série de quinze bannières sur les quelles étaient représenté les mystères du Rosaire.
Or, au lieu de donner ces bannières aux deux prêtres, qui devaient être son espoir, et qui en fait seront les premiers membres de la Compagnie de Marie, il les disperse, les donnant en cadeaux à des paroisses qui seront certes heureuses d'avoir un souvenir du saint prêtre, par lequel elles furent évangélisées; mais cette donation détruit un instrument de bien qui n'est pas à mépriser. On s'étonne d'ailleurs aussi que des livres, utiles à des prédicateurs de mission, soient donnés à des prêtres, qui ne sont ni M. Vatel, ni M. Mulot[157].
L'auteur de "Luigi-Maria" donne ici à ces clauses du Testament, une interprétation qui est contraire aux faits et contraire aux autres clauses du Testament.
Comment admettre que le Saint eût la conviction que l'œuvre des missions ne devait pas continuer après sa mort, quand nous le voyons, dans ces moments mêmes où se rédige le Testament, s'entretenir avec M. Mulot sur la continuation de l'œuvre des missions?[158].
"Il lui restait à désigner son successeur pour l'œuvre des missions. Il le fit en homme inspiré, et le temps a fait voir qu'il avait en effet à cet égard des connaissances plus qu'humaines. Mr. Mulot était alors auprès de son lit, et déplorait la perte que les missions allaient faire. Le serviteur de Dieu lui prit la main et l'exhorta à continuer les travaux qu'il avait partagés avec lui, et comme il répondait que la chose était en quelque sorte impossible vu qu'il n'avait ni force, ni talent, il le rassura, et lui dit en lui serrant la main: "Ayez confiance, mon fils, ayez confiance, je prierai Dieu pour vous, je prierai Dieu pour vous[159].
Cet entretien a dû avoir lieu nécessairement avant la rédaction du Testament[160]. Comment admettre alors que Montfort distribue les objets qui lui appartiennent, „comme si l'œuvre des Missions ne devait pas continuer". Comment admettre que Montfort, après avoir demandé à M. Mulot de continuer l'œuvre des missions, lui fasse écrire des clauses de son Testament dont le sens serait: distribuez à des tiers les étendards, les bannières, les sermonnaires; si M. Mulot devait considérer ces objets comme nécessaire au bon fonctionnement de l'œuvre des missions dont on lui demandait d'assumer la charge?
Montfort a donné des sermonnaires, dont rien ne prouve qu'il se soit servi. Il a distribué des bannières et des étendards, soit! Mais il est impossible qu'il l'ait fait dans la conviction que l'œuvre des missions ne devait pas continuer. Les clauses les plus importantes du Testament ont pour but d'assurer la continuation de cette œuvre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Chapitre XII. LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
 
IIIme partie LES CLAUSES FINANCIÈRES
Dans ce chapitre nous traiterons de toutes les clauses financières dictées par le Saint. L'une d'elles est une obligation stricte, une dette à payer à l'imprimeur. Les autres clauses traitent d'affaires à régler en faveur de membres de la Communauté du S. Esprit. Le lecteur voit aussitôt qu'il n'est pas possible de séparer entièrement cette 3e partie de la 4e où il est traité explicitement de cette Communauté du S. Esprit.
Pour ne pas disséquer outre mesure le Testament, nous traiterons de ces clauses dans l'ordre dans lequel elles ont été insérées dans le document; exception faite cependant pour l'art. 6°, que nous traiterons après l'art. 10°. La raison de cette inversion est évidente. Dans l'art. 6°  Montfort permet à M. Mulot de disposer de ce qui reste dans la Boutique, mais à l'art. 10° il énumère deux dépenses à faire qu'il n'avait pas encore mentionnées auparavant. Il ne peut s'agir de reste dans la Boutique, qu'après que toutes les obligations auront été acquitées.
I.                    Art. 4°. Je n'ai pas d'argent à moi en particulier, mais il y a cent-trente-cinq livres qui appartiennent à Nicolas de Poitiers pour payer sa pension, quand il aura fini son temps.
II.                 II. Art. 5°. M. Mulot donnera de l'argent de la Boutique, dix écus à Jacques, s'il veut s'en aller; dix autres à Jean, s'il veut aussi s'en aller; et dix écus à Mathurin, s'il s'en veut aller et ne pas faire les vœux de pauvreté et d'obéissance.
III.                Art. 10°. S'il est dû quelque chose à l'imprimeur, on le donnera de la boutique; s'il y a du reste, il faudra rendre à M. Vatel ce qui lui appartient.
IV.              Art. 6°.   S'il y a quelque chose de reste dans la Boutique, M. Mulot en usera en bon père à l'usage des frères et à son propre usage.
 
§ I L’argent dû au frère Nicolas
Texte du Testament
Art. 4°. Je n'ai point d'argent à moi en particulier; mais il y a cent-trente-cinq livres qui appartiennent à Nicolas de Poitiers pour payer sa pension, quand il aura fini son temps.
Texte de Grandet
Je n’ai point d'argent à moi en particulier; mais il y a 135 livres qui appartiennent   à   Nicolas   de Poitiers[161].
 
              
A. L'APPRENTISSAGE DU FRÈRE NICOLAS.
Le Testament du Saint nous révèle qu'il s'était obligé à payer la pension du frère Nicolas quand il aurait fini son temps. C'est Grandet qui va nous dire à quoi ce bon frère devait occuper le temps qu'il passait en pension.
Montfort menait toujours avec lui dans ses missions un peintre et un sculpteur, pour couvrir ou réformer les tableaux et les statues des saints qui étaient indécentes ou mal faites; il lègue par son Testament 150 livres, pour faire apprendre à cette intention, à frère Nicolas, le métier de sculpteur[162].
 
B. GRANDET A TRONQUÉ LE TESTAMENT.
Comme nous l'avons dit au Chap. IX. c'est Grandet qu'il faut accuser d'avoir introduit dans sa copie du Testament du Saint les divergences qu'on trouve dans son texte. Ici il nous en fournit la preuve formelle. Il a supprimé dans sa copie du Testament: "…pour payer sa pension quand il aura fini son temps".
Pourtant il avait sous les yeux une copie complète du Testament qui portait ce texte, puisqu'il est en état de nous renseigner sur la destination de cette somme et qu'il nous révèle qu'il tient ce renseignement du Testament du Saint:
... "il lègue par son Testament 150 livres, pour faire apprendre... au frère Nicolas, le métier de sculpteur".
Faut-il faire de terribles reproches à Grandet d'avoir omis dans le texte ci-dessus reproduit, ces derniers mots de la clause susdite? Quand on se met au point de vue de la critique moderne, c'est un crime impardonnable. Mais pour un biographe de son époque, il était bien excusable, car les mots qu'il laisse de côté se rapportent à une obligation qui incombait à l'exécuteur testamentaire en 1716, mais que Grandet pouvait de bon droit supposer déjà acquittée en 1723: "pour payer sa pension quand il aura fini son temps".
Ce qui est certain c'est que Grandet était de bonne foi, puisqu'il n'a pas voulu cacher à son lecteur ce qu'il savait de l'affaire. Peut-on toujours en dire autant de tous les critiques modernes?
 
C. MONTFORT PAUVRE VOLONTAIRE.
Ce que nous savions déjà par des témoignages contemporains, Montfort lui-même nous l'affirme ici d'une manière explicite: il a fait vœu de pauvreté. Car, quoique la somme dont il dispose à sa mort soit assez rondelette, il affirme sans hésiter:
"Je n'ai pas d'argent à moi en particulier"[163].
 
D. FRÈRE NICOLAS RELIGIEUX À VŒUX.
Parmi les quatre frères dont Montfort dit dans son Testament, Art. 2°: "unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté", il y a, en premier lieu: Frère Nicolas de Poitiers.
Dans ce même article nous lisons que le Saint espère que ces quatre frères renouvelleront leurs vœux tous les ans.
Nous devons donc considérer le frère Nicolas comme un religieux ayant émis des vœux temporaires.
Certains lecteurs s'arrêteront peut-être à cette difficulté: si Frère Nicolas est un religieux, comment le Saint peut-il dicter au rédacteur du Testament. "Il y a 135 livres qui appartiennent à Nicolas de Poitiers pour payer sa pension".
Qu'ils nous permettent de leur rappeler qu'il ne faut pas vouloir expliquer un Testament de 1716 d'après les Règles du Droit Canonique mis en vigueur en 1918. En ces temps là il n'y avait pas de règles bien définies, surtout pour les congrégations à vœux simples comme est celle du Père de Montfort[164].
Par ailleurs il ne fait pas l'ombre d'un doute que Montfort était d'accord sur la destination de cette somme. Appartenir au frère Nicolas voulait dire: être destinée à payer sa pension, son apprentissage voulu par Montfort, le Supérieur de la Communauté.
Mais ce texte nous prouve clairement une chose. Quand le Testament dit de quelqu'un qu'une certaine somme lui appartient, on n'a pas le droit de conclure de là que ce quelqu'un n'est pas un religieux.
 
E. OÙ PRENDRE CET ARGENT?
Les premiers mots de cet art. 4° nous apportent la preuve que Montfort n'avait pas plusieurs dépôts d'argent. "Je n'ai pas d'argent à moi en particulier". Mais il faut faire attention à un détail.
Nous verrons que toutes les autres dépenses doivent être prises de la Boutique, tant pour l'imprimeur, que pour les frères et pour M. Vatel. S'il n'en est pas question pour les 135 livres de la pension, cela ne veut pas dire que, matériellement parlant, cet argent ne se trouvait pas dans la bourse commune, au contraire, mais qu'il n'y avait pas été versé comme celui qu'avait donné M. Vatel, ou celui qui provenait des bénéfices faits par le petit commerce d'objets pieux, ou des aumônes. Cet argent n'était pas destiné à l'œuvre des missions en général, mais à un aspect particulier de cette œuvre: la préparation d'un sculpteur appartenant vraiment à le Communauté des missionnaires.
 
§ II La gratification aux auxiliaires laïques
 
 
Texte du Testament
Art. 5°. M. Mulot donnera de l'argent de la boutique, dix écus à Jacques, s'il veut s'en aller; dix autres à Jean, s'il veut aussi s'en aller; et dix écus à Mathurin, s'il s'en veut aller et ne pas faire les vœux de pauvreté et d'obéissance.
 
Texte Grandet
Mr. Mulot donnera dix écus de l'argent de la Boutique à Jacques, dix autres à Jean, et dix écus de même à Mathurin s'ils s'en veulent aller, et ne pas faire vœu de pauvreté et d'obéissance[165].
 
A. L'ARGENT DE LA BOUTIQUE.
Dans les articles 5°, 6° et 10° il est question de l'argent de la Boutique; les deux derniers parlent simplement "de la Boutique". Le lecteur se rappellera que le missionnaire avait un "frère mercier" c.a.d. un frère qui vendait à la porte des églises les "petits meubles et livres de mission" comme s'exprime le Testament dans son art. 2°. L'argent que rapportait ce commerce, cette Boutique, était destiné à subvenir aux frais des missionnaires et aux aumônes des pauvres[166].
La caisse de la boutique était devenue la bourse commune de la Communauté. Montfort y mettait toutes les aumônes qui lui étaient offertes.
 
B. LES DIX ÉCUS À CEUX QUI NE SONT PAS DÉCIDÉS À RESTER.
Cela a dû faire de la peine au cœur du Père de Montfort, d'avoir été obligé de prévoir le départ possible de ces trois auxiliaires. L'ordre dans lequel ils sont nommés tient compte de la longueur du séjour qu'ils ont fait auprès du Père. Jacques parle des 23 mois qu'il avait vécus auprès du saint[167]. Jean était venu à Montfort à l'ermitage de S. Lazare en 1709: Mathurin avait été le premier compagnon, dès 1705.
Il est certain qu'en ce mois d'avril 1716, aucun d'eux n'avait pris d'engagement définitif envers la Compagnie ou Communauté du S. Esprit. Malgré cela Montfort ne regarde pas leur départ comme inévitable. Il fait écrire par M. Mulot par rapport à Jacques: s'il veut s'en aller, et par rapport a Jean: s'il veut aussi s'en aller. Ce texte prouve qu'il ny avait aucune obligation pour eux d'abandonner l'œuvre des missions après la mort du Saint.
Pour Mathurin seul, le Testament dit expressément: s'il s'en veut aller et ne pas faire les vœux de pauvreté et d'obéissance[168].
Ce serait certainement forcer le sens si on voulait lire dans ce passage: Mathurin doit faire des vœux ou s'en aller.
Je pense que le Saint avait eu l'espoir que les trois feraient les vœux et s'associeraient ainsi définitivement à la Communauté du S. Esprit. Pour Jacques et Jean il semble être sûr qu'ils ne s'y décideront point. Pour Mathurin, le Saint espère toujours. Il devait savoir qu'il ne serait pas possible à ce collaborateur de la première heure, d'abandonner l'apostolat auquel il s'était donné avec tout son cœur. Montfort savait aussi quelles luttes agitaient l'âme de ce fidèle serviteur rongé par les scrupules. Dans son Testament, le saint a voulu une dernière fois inciter ce serviteur fidèle à surmonter ses doutes et à faire le pas décisif. Nous verrons Mathurin rester fidèle à l'œuvre des missions et pourtant hésiter toute sa vie à se lier par des vœux. Les dix écus n'étaient certes pas, dans la pensée du Saint, un salaire pour des services rendus. Cette somme assez modique — dix écus donnaient 30 livres — quand on la compare aux 135 livres réservées pour la pension du frère Nicolas, suffisait à peine pour payer le voyage de retour vers leur pays natal.
 
C. S'IL VEUT S'EN ALLER.
 
Pour chacun des trois frères le Testament répète la même formule: s'il veut s'en aller. Nous devons en conclure que le Saint n'était pas sûr de ce que feraient, après sa mort, ces trois collaborateurs qui n'avaient pas encore voulu s'engager par vœux. M. Mulot, qui prend à sa charge de continuer l'œuvre des missions, leur demandera quels sont leurs projets. On peut se poser la question: pourquoi le Saint ne leur demande-t-il pas lui-même quelle résolution ils ont prise? Faut-il répondre: cela n'était pas possible, car aucun des trois collaborateurs nommés ici n'était avec le saint à l'heure de sa mort. Nous n'avons aucune preuve qu'ils se trouvassent à S. Laurent, il n'y en a pas non plus pour dire qu'ils n'y étaient pas, ou que l'un ou l'autre n'y était certainement pas. Dans l'art. 2° Montfort, parlant des quatre frères unis avec lui, dit de l'un d'eux en parlant de S. Laurent: "et frère Gabriel qui est avec moi". Mais ce texte n'exclut nullement la présence des trois autres collaborateurs, dont il est question ici.
 
§ III Une dette à payer
Art. 10° — a. S'il est dû quelque chose à l'imprimeur, on le donnera de la Boutique[169].
 
L'i m p r i m e u r.
Cette clause contient une obligation stricte: il faut donner à l’imprimeur ce qui lui est dû. Le texte suppose que Montfort n'avait de relations d'affaires qu'avec un seul éditeur. Il doit s'agir de Louis Bourdin, qui imprima "La Méthode pour bien mourir"[170].
Mais la somme à verser à l'imprimeur ne devait pas être très importante, puisque le missionnaire ne se rapelle même pas s'il lui est dû quelque chose. Montfort faisait une abondante consommation de brochures, d'images, de "Contract d'alliance", etc. Il est compréhensible qu'en ce moment il ne se rappelle plus très bien où en est son compte avec ce fournisseur ordinaire et presque journalier.
 
§ IV Une somme à restituer
Art. 10° — b. S'il y a du reste, il faudra rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, si Monseigneur le juge à propos.
Cette clause soulève plusieurs problèmes.
Et d'abord celui-ci. Comment le Saint peut-il décider, 1° qu'il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, c.a.d. ce à quoi celui-ci semble avoir un droit strict, et, 2°, qu'on ne fera cette restitution que s'il reste quelque chose dans la boutique, après que chacun aura reçu sa part? Il faut d'abord payer l'imprimeur, et s'il reste quelque chose il faut rendre à M. Vatel. Constatons, en passant, que la somme qui appartenait à M. Vatel se trouvait dans la boutique, la bourse commune.
Et voici l'autre problème: Pourquoi Montfort soumet-il à l'approbation de l'évêque ce qui, d'après le texte même, est une restitution à M. Vatel de ce qui appartient à celui-ci?
Abordons d'abord ce second problème; il nous apportera des éléments pour résoudre le premier.
Par rapport à cet argent à restituer à M. Vatel, on peut se poser les questions suivantes.
 
A. L'ÉVÊQUE PEUT-IL AVOIR UN INTÉRÊT FINANCIER DANS CETTE AFFAIRE?
Si le lecteur veut se rapporter au passage où Grandet raconte la vocation de ce missionnaire, il verra que Mgr. de Champflour avait donné 100 livres de sa cassette pour libérer le jeune prêtre des obligations, que celui-ci avait contractées envers le capitaine du vaisseau qui devait le porter aux Iles[171].
Il apparaît par cette clause du Testament que, dans la suite, M. Vatel avait pu disposer d'une certaine somme et l'avait versée dans la bourse commune. Faut-il admettre que Montfort a fait insérer ce conditionnel: "Si Monseigneur le juge à propos", parcequ'il était d'avis qu'il fallait au moins consulter l'évêque dans le cas où cette somme serait remboursée à M. Vatel?
La chose est possible mais pas très probable. On ne voit pas bien le généreux et magnifique Mgr. de Champflour, qui dépensa une fortune pour les bonnes œuvres, réclamer cette pauvre somme.
Ensuite il est clair que cette affaire aurait dû être réglée au moment où M. Vatel avait eu la disposition de cet argent. Si nous admettons que l'évêque avait consenti à ce qu'il fut versé dans la boutique à ce moment là, il semble peu probable qu'il songerait à le réclamer maintenant.
Et le texte nous apporte même une preuve formelle que telle ne pouvait être l'intention du Testateur. Si Montfort avait eu la pensée que Monseigneur aurait réclamé cette somme à M. Vatel, comment aurait-il précisé qu'il ne fallait rendre à ce missionnaire ce qui lui appartenait, que dans le cas où il avait du reste dans la boutique? Il aurait réservé l'argent de la pension de frère Nicolas, il aurait fait une gratification à trois collaborateurs qui voudraient s'en aller; et ce n'est qu'après tout cela qu'il aurait songé enfin à rendre à M. Vatel ce qui appartenait à celui-ci, ou plutôt à l'évêque? Ce n'est pas admissible!
 
B. D'AUTRES AVAIENT ILS ICI UN INTÉRÊT FINANCIER?
On nous présente la solution suivante:
La somme avancée par le révérend Vatel est peut-être à considérer comme un don fait par lui en faveur de l'œuvre des missions, non comme un prêt. Si la chose est ainsi, ce sera à l'évêque, comme tuteur des frères, de revendiquer à leur avantage cette somme, dont le remboursement diminuerait leur part[172].
La première partie de ce passage est juste. Il s'agit en effet d'un don versé par M. Vatel à la caisse commune, quoique les termes de la clause du Testament: "ce qui lui appartient" feraient penser plutôt à un prêt.
Mais la conclusion tirée dans la seconde partie est au moins inattendue: On nous propose en effet le Testateur comme faisant intervenir l'évêque pour frustrer le propriétaire d'une somme dont on prétendrait avantager des frères! La raison qu'on invoque? Cette somme a été donnée en faveur de l'œuvre des missions! Mais si l'évêque la revendique pour l'avantage des frères, cela ne sera possible que si dans l'esprit du Testateur - si telle était le sens du texte - et dans l'esprit de l'évêque, il faut identifier ces frères avec l'œuvre des missions. Sur ce point là nous sommes d'accord. Mais qu'on alors ne nous parle plus de frères enseignants, puisque eux-mêmes et la Communauté à laquelle ils appartiennent, doivent s'identifier avec l'œuvre des missions!
Mais reste cette objection. Pourquoi le Saint aurait-il demandé l'intervention de l'évêque pour empêcher la somme qui appartenait à M. Vatel de sortir de la bourse, alors qu'il prévoit des dépenses non obligées pour gratifier Jacques, Jean et Mathurin? Ou faut-il avantager ceux-ci parce qu'ils avaient porté le nom de frères?
L'œuvre des missions y perd en tous les cas.
 
C. S'IL Y A DU RESTE.
Le premier problème peut s'énoncer ainsi : Comment Montfort, qui reconnaît qu'il y a dans la bourse commune une certaine somme appartenant à M. Vatel, décide-t-il, qu'elle ne sera remboursée, que s'il y a du reste dans la boutique, c.a.d. après que toutes les autres obligations sont acquittées.
La solution de ce problème nous est fournie par la "Règle Manuscrite":
Si quelque prêtre apporte quelqu'argent avec soi, en entrant dans la Compagnie, il le met tout sans réserve dans la bourse de la Providence. Si après son entrée dans la Compagnie, ses parents ou amis lui font quelqu'aumône ou lui donnent quelque rétribution de messes sans l'avoir demandée, il l'incorpore de même dans la bourse commune pour être appliquée aux besoins de toute la communauté, sans en prétendre aucun fruit particulier ni aucun privilège singulier, tout de même que celui qui n'a rien apporté et auquel on n'a rien demandé.
Si le missionnaire, soit avant soit après ses vœux, vient à sortir, par sa tête, sans permission ou par une désobéissance formelle, hors de la Compagnie, il ne redemandera aucune partie ni aucun dédommagement de ce qu'il a donné par aumône à la Compagnie des pauvres volontaires; mais s'il sort malgré lui, pour quelque faute considérable qui ne soit pas une désobéissance formelle, on lui tiendra compte, au moins en partie, de ce qu'il a donné, ses dépenses déduites.
Règle Manuscrite. Paragr. II; No. 8 et 9.
Il est clair que ces prescriptions de la Règle s'appliquent à M. Vatel. Il est un missionnaire, qui en entrant dans la Compagnie, ou après son entrée, a versé dans la bourse commune une certaine somme, comme une aumône faite à la Communauté des pauvres volontaires, pour être appliquée aux besoins de toute la Communauté.
Si le Testament décide qu'il faut rendre cette somme à M. Vatel, c'est que pour lui se réalise un des cas prévus par le No. 9; celui du missionnaire qui sort de la compagnie malgré lui.
Mais ici je me permets de poser une question: Est-ce que le Rédacteur du Testament, n'a pas oublié d'insérer ici un petit membre de phrase qu'il répète ailleurs jusqu'à trois fois?
Il ne peut être question de rembourser cette somme à M. Vatel que s'il sort de la Compagnie. Est-ce qu'il ne fallait pas mentionner cette condition, comme elle l'a été et pour Jacques et pour Jean et pour Mathurin? "Est ce que le rédacteur n'aurait pas dû écrire: "il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, s'il veut s'en aller"? Il n'est probablement pas au courant de la maladie du Saint. Celui-ci a placé M. Mulot à la tête de l'œuvre des missions et de la Communauté. M. Vatel qui est un collaborateur plus ancien, sera-t-il d'accord?
Montfort prévoit la possibilité du départ de M. Vatel, mais il agit envers lui comme envers un missionnaire de la Compagnie de Marie. Et voilà l'explication de l'intervention de l'évêque.
 
D. L'INTERVENTION DE L'EVEQUE.
Le No. 9 de la Règle, que nous avons cité, prévoit le départ d'un missionnaire, malgré lui. Cela peut être à cause d'une faute grave. Ici ce serait à cause d'un événement inattendu et considérable: la mort du supérieur et fondateur de la Compagnie. Dans ce cas, on peut tenir compte au missionnaire sortant, "au moins en partie, de ce qu'il a donné, ses dépenses déduites."
Mais à qui de juger s'il faut appliquer ici cette règle. Sinon à l'évêque, supérieur obligé de tout Institut diocésain, "Si Monseigneur le juge à propos".
Ce recours devient indispensable s'il s'agit du départ de quelqu'un qui a émis des vœux. On affirme toujours que M. Vatel n'avait pas émis de vœux. Mais sur quoi se base-t-on?
1. Sur le fait que le Testament dit qu'il y avait dans la bourse commune une somme "qui lui appartenait"?
Est-ce que le même Testament ne dit pas "Il y a 135 livres qui appartiennent à Nicolas", au même frère Nicolas qui est nommé quelques lignes plus haut parmi ceux qui sont "unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté"?
2. Sur le fait que Montfort dans son Testament suppose qu'il puisse se retirer? N'oublions pas que si M. Vatel a des vœux, ils ne peuvent être que temporaires, puisqu'il n'est dans la compagnie du Saint que depuis 1715.
Remarquons encore la différence dans l'attitude de Montfort envers M. Vatel et envers les deux autres collaborateurs: Le Bourhis et Clisson. Le saint leur fait cadeau d'un sermonnaire, et la chose est réglée. Ce n'est que pour M. Vatel que l'évêque doit intervenir. C'est donc qu'il appartenait à la Compagnie de Marie, ce brave missionnaire. Et en effet Grandet affirme: Mr. Vatel a depuis (1715) travaillé avec Mr. Grignion avec beaucoup de succès dans ses Missions, et est un des prêtres de la Compagnie de Marie.
On objectera aussitôt que ce texte de Grandet date d'après la mort de Montfort, qu'il veut dire que M. Vatel est membre de cette Compagnie de Marie reconstituée, affirme-t-on, par M. Mulot.
On oublie un point, qui me semble pourtant assez important, c'est le fait que même si Montfort a prévu la possibilité d'un départ de M. Vatel, en réalité celui-ci ne s'en est pas allé. Il est resté fidèle au Saint, fidèle à sa vocation de missionnaire de la Compagnie de Marie. Nous le retrouverons dans notre IIIe partie.
 
§ V M. Mulot gérant de la bourse commune
Art. 6°: S'il y a quelque chose de reste dans la boutique, M. Mulot en usera en bon père à l'usage des Frères et à son propre usage.
Replaçons d'abord cet art. 6° dans son cadre. Dans l'art. 4° Montfort a assuré la pension du frère Nicolas, dans l'art. 5° la gratification à donner à trois collaborateurs laïques, si ceux-ci songent à se retirer. Convaincu que toutes les questions financières sont réglées il confie le restant de l'avoir de la communauté à M. Mulot.
Nous venons de voir, dans le paragraphe précédent, comment le saint s'était rappelé deux autres points à régler: la dette à l'imprimeur et la restitution à faire à M. Vatel.
Après cela, tout étant réglé, M. Mulot pourra disposer du reste. Remarquons d'abord que l'argent dû à M. Vatel, s'il ne lui était pas remboursé, devait faire partie de la bourse commune. De même l'argent que n'accepterait pas l'un ou l'autre des trois frères, parcequ'il préférerait ne pas s'en aller. De ce reste M. Mulot peut user en faveur des frères et pour ses propres besoins.
 
A. POUR L'USAGE DES FRÈRES.
Le contexte indique clairement de quels frères il est question ici.
1. Des quatre frères "unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté", dont Montfort parle dans l'art. 2° de son Testament.
2. De ceux des trois frères dont il est question dans l'art. 5°, et qui ne songeraient pas à s'en aller.
User de ce qui reste dans la boutique pour l'usage des frères, n'est certes pas une locution très correcte. Son sens est clair et net pourtant. M. Mulot employera l'argent en faveur des frères, c.a.d. pour les nécessités de leur petite communauté.
 
B. ET À SON PROPRE USAGE.
User de cet argent pour son propre usage est certes une expression peu usitée. Mais si le Rédacteur du Testament s'est servi d'expressions surannées, personne n'hésitera sur les intentions du Testateur. M. Mulot se servira de ce que contient la bourse commune pour ses propres besoins et pour les besoins des frères qui forment avec lui une même communauté. Car le Testament précise qu'il le fera:
 
C. EN BON PÈRE.
On a voulu donner à cette expression le sens suivant: M. Mulot est étranger à la Communauté dont les frères font partie par l'émission de leur vœux, mais il doit gérer en „bon père" les intérêts des frères. Cette interprétation n'est basée ni sur le texte ni sur le contexte, mais émane d'une thèse préconçue.
Nous insisterons ailleurs sur le rôle que Montfort, dans ce Testament, assigne à M. Mulot dans la Communauté du S. Esprit. D'ores et déjà nous pouvons affirmer que Montfort ne lui a pas confié la bourse comme à un tuteur étranger à la communauté. C'aurait été placer les frères en curatelle.

Chapitre XIII LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
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IVme Partie, A LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT ET LES MISSIONS
 
Nous abordons maintenant la partie la plus importante du Testament. Cette importance ne vient pas surtout du fait que les biens légués dans les clauses que nous allons étudier, soient plus considérables, mais du fait que nous avons affaire ici à l'héritière officielle: la Communauté du S. Esprit.
Jusqu'ici nous avons rencontré des membres individuels de cette Communauté: M. M. Mulot et Vatel, missionnaires avec M. de Montfort; trois frères, dont le Saint suppose qu'ils pourraient se retirer; le frère Nicolas qui est en apprentissage pour devenir le sculpteur officiel des missionnaires.
Voici maintenant la Communauté elle même constituée autour du Saint et dont il attend qu'elle continue son œuvre.
I. Art. 2° : Je mets entre, les mains de Monseigneur l'évêque de la Rochelle et de M. Mulot, mes petits meubles et livres de mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères, unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté, sçavoir: Frère Nicolas de Poitiers, Philippe de Nantes, frère Louis de la Rochelle et frère Gabriel qui est avec moi, tandisqu’ils persévéreront à renouveler leurs vœux tous les ans, et pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même Communauté du S. Esprit.
II. Art. 7°: Comme la maison de La Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus, pour la Communauté du S. Esprit, que la maison de Vouvent, donnée par contract par Madame de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions; les deux boisselées de terre donnée par Madame La Lieutenante de Vouvent; et une petite maison donnée par une bonne femme à condition: s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la Communauté du St. Esprit, pour y faire les écoles charitables.
III. Art. 11°: Voilà mes dernières volontés que M. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir que je lui donne de disposer, comme bon lui semblera, en faveur de la communauté du St. Esprit des chasubles, calice, et autres ornements d'église et de mission[173].
 
§ I Les petits meubles et livres de mission à l'usage des frères
Art. 2°. Je mets entre les mains de Monseigneur de La Rochelle et de M. Mulot mes petits meubles et livres de mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté, sçavoir: Frère Nicolas de Poitiers, Philippe de Nantes, frère Louis de La Rochelle et frère Gabriel qui est avec moi, tandis qu'ils persévérerront à renouveler leurs vœux tous les ans, et pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même Communauté du S. Esprit.
 
A. LE SENS OBVIE.
Cet article que nous allons étudier maintenant, fut dicté par Montfort immédiatement après qu'il eut fixé le sort de sa propre dépouille. Il reflète donc la première préoccupation du Saint, après qu'il eut réalisé que sa carrière touchait à sa fin. Pour saisir le sens exact de cette clause, il faut commencer par établir quels sont les biens qu'il songea d'abord à transmettre à sa Communauté du S. Esprit:
"mes petits meubles et livres de mission"
Rien ne permet de disséquer cette partie de l'héritage en deux éléments distincts, d'un côté des "meubles" et d'un autre les "livres de mission".
Il s'agit ici uniquement d'accessoires des missions dont l'usage ordinaire était confié aux frères. Le premier biographe nous a renseignés sur ce point avec trop de précision pour qu'il puisse subsister même l'ombre d'un doute.
M. Grignion avait un mercier qui vendait, à la porte des églises où il faisait mission, des images, des livres, des chapelets, et toutes sortes d'instruments de pénitence; et de toutes ces marchandises la plus recherchée et la mieux débitée c'étaient les disciplines, les cilices, les haires de fer et de crin, les bracelets et les cœurs piquants; il n'en avait jamais assez, tant était grand l'amour de la pénitence que Monsieur Grignion avait inspiré à ses auditeurs dans ses missions[174].
Grandet nous apprend aussi, d'une manière un peu inattendue, que c'étaient les frères qui faisaient fonction de mercier.
Un des frères, qui était mercier, s'enfuit furtivement, et emporta tout l'argent des marchandises qu'il avait vendues et amena le Mulet...[175].
Et Blain nous fait savoir que les frères étaient habiles à fabriquer ces "meubles de mission". Racontant le séjour de Montfort à Rouen, il dit:
Le jeune homme qui était avec lui ne perdait point de temps; il s'occupait à faire des chaînettes et des disciplines de fer[176].
Parmi les livres que le mercier vendait, il faut ranger certainement les exemplaires de "La Méthode pour bien mourir", les Recueils de Cantiques, les Contracts d'alliance, etc.
Nous voilà donc renseignés sur les “petits meubles et livres de mission" et sur l'usage que les frères en faisaient du vivant de Montfort. Si Montfort se préoccupe de remettre ces objets entre les mains de Monseigneur de La Rochelle et de M. Mulot pour qu'ils les conservent “pour l'usage des frères", son intention est certes que ses frères en fassent, après sa mort, le même usage qu'ils en avaient fait pendant sa vie.
Or, la nature même de ces objets prouve que leur usage est indissolublement lié à l'œuvre des missions. Nous pouvons donc conclure: dans l'art. 2 de son Testament, Montfort se préoccupe de la continuation de l'œuvre des missions et d'y associer ses quatre frères. Comment peut-on prétendre alors que le Saint agit comme si, à sa mort, l'œuvre des missions ne devait pas continuer? Cf. supra.
 
B. UNE INTERPRÉTATION ÉTRANGE.
L'auteur de “Luigi-Maria" distingue dans le texte étudié jusqu'ici, “mes petits meubles et livres de mission" deux éléments distincts.
1) D'une part les meubles qu'il décrit ainsi:
Le legs en faveur des frères n'est peut-être pas la part la plus importante de l'avoir de Montfort; mais il est composé de choses de première utilité, les meubles des deux maisons de Nantes et de La Rochelle où Montfort a fait tant de séjours courts ou longs, et de livres qu'on peut vendre.
De pauvres meubles certes, mais adaptés à des Frères qui ont fait le vœu de pauvreté; c'est pour cela qu'ils sont appelés petits meubles.
2) D'une autre part les livres:
L'autre élément de l'héritage était constitué par le fonds de la boutique, ces petits volumes de tout genre qui se vendaient dans les missions; par exemple cet opuscule “Pour bien mourir" sur les pages duquel le Testament fut écrit; les Cantiques; les règlements des confréries, etc.
Grandet, si bien informé par le révérend Des Bastières sur la marche des missions Montfortaines, nous informe très bien sur la matière: Monsieur Grignon avait un mercier ... (Suit le texte cité par nous)[177].
Si le lecteur veut relire ce texte de Grandet, il constatera que l'auteur de “Luigi-Maria", en voulant donner aux termes “petits meubles" le sens de pauvres meubles, se met dans l'obligation de ranger parmi “les livres de mission", les disciples, cilices, haires, bracelets, cœurs piquants, etc. Ce sont là au contraire les “petits meubles de mission" dont parle le Testament du Saint.
 
§ II L'intervention de Monseigneur de La Rochelle et de M. Mulot
 
A. L'INTERVENTION DE L'EVEQUE.
Nous donnons d'abord l'interprétation proposée par l'auteur de “Luigi-Maria" à cette première partie de l'art. 2° du Testament:
Je mets entre les mains de Monseigneur de la Rochelle et de M. Mulot mes petits meubles et livres de mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté . . .
Dans ce Testament d'un pauvre homme, il y a une particularité tout à fait extraordinaire: l'intervention de l'évêque, Mgr. de Champflour. Quoiqu'il eût été pour Montfort un protecteur infatigable et plein d'amitié, n'est-ce pas une prétention intolérable de vouloir le faire légataire, alors qu'il devait être suffisant de nommer le révérend M. Mulot dans un acte officiel où il n'est traité que de pauvres meubles et de petits livres de peu de prix?
Mais il y a le fait que les personnes en faveur desquelles Montfort veut tester sont dans une situation spéciale: ce sont des religieux, et, après sa mort, ce seront des religieux sans supérieur.
Or qui, en dehors de l'évêque, peut prendre en tutelle les intérêts de personnes qui, en vertu de leurs vœux, forment une congrégation religieuse, même embryonnaire, qui par ailleurs n'est pas de droit pontifical?
C'est pour cela que le Testament dit bien : le légataire sera l'évêque, aidé dans l'administration par le révérend. M. Mulot, et l'objet du legs ne sera pas la propriété des frères, mais à leur usage[178].
Et ceci devra durer aussi longtemps que l'évêque n'aura pas délégué un autre supérieur pour les gouverner[179].
Certes l'intervention de l'évêque comme légataire aurait eu quelque chose d'extraordinaire, si Montfort avait songé à mettre entre les mains de Monseigneur de La Rochelle, un pauvre grabat, une chaise bancale et une table branlante, qui composaient d'ordinaire le mobilier de ses ermitages.
Mais comme il s'agit d'accessoires de missions diocésaines, il n'y rien d'étrange dans l'intervention de l'Ordinaire du lieu.
Confier ces accessoires à Mgr. de Champflour, signifie pour Montfort, assurer, autant qu'il lui est possible, la continuation de l'œuvre des missions entreprise surtout avec l'aide et l'approbation de ce saint prélat.
 
B. RELATIONS DU SAINT AVEC L'ÉVÊQUE DE LA ROCHELLE.
En 1706 le Pape avait recommandé à Montfort de travailler toujours dans la dépendance des évêques. Le Saint s'est toujours soumis à l'Ordinaire du diocèse dans lequel il missionnait, et cela a été parfois particulièrement dur. Dans sa "Règle Manuscrite" il prescrit à ses missionnaires de la Compagnie de Marie:
Ils obéissent à l'évêque dans le diocèse duquel ils sont; ... en toutes choses qui regardent l'extérieur, le lieu, le temps et les autres circonstances des missions. . . (Paragr. III, No. 4).
Depuis 1711 jusqu'à sa mort le Saint a exercé son apostolat dans les diocèses de Saintes, Luçon et La Rochelle, mais c'est l'évêque de cette dernière ville qui est devenu, non seulement son protecteur, mais son ami intime et le confident de ses projets. C'est à Mgr. de Champflour qu'il avait soumis ses plans pour une compagnie de missionnaires. Besnard nous assure que:
Il entra parfaitement dans les vues de Mr. de Monfort, approuva son projet et lui promit de faire tout ce qui dépendait de lui pour favoriser l'entreprise et en assurer le succès[180].
Il est inadmissible que l'évêque de la Rochelle ne fut pas au courant des donations faites à cette Compagnie de missionnaires diocésains dans la petite ville de Vouvant. Il suffit de se rapporter au No. 3 du § II de la Règle Manuscrite, pour en être convaincu:
Mais si quelque personne charitable lui fait don de quelque maison, elle en laisse le domaine par écrit, entre les mains de l'évêque du lieu et de ses successeurs, et n'en conservera que la jouissance ...
La dernière entrevue des deux amis datait du 22 avril 1716, le jour même où Montfort, après avoir accueilli triomphalement l'évêque, dut s'étendre sur le grabat qui devait devenir son lit de mort.
Cinq, jours plus tard, il dictait son Testament. N'était-il pas en droit de compter sur le plein appui de Monseigneur de Champflour pour assurer l'avenir et de l'œuvre des missions et de la Congrégation fondée ad hoc?
Il est impossible de séparer cet apostolat missionnaire de la Communauté du S. Esprit qui avait la tâche de le continuer. Et ceci explique l'intervention de M. Mulot.
 
C. L'INTERVENTION DE M. MULOT.
N'oublions point que la Communauté du S. Esprit est une Communauté diocésaine à vœux simples dont l'évêque peut dispenser.
Et cette question des vœux joue un rôle important dans les arrangements pris par Montfort dans cet art. 2° du Testament.
Je mets entre lèse mains de Mgr. de La Rochelle et de M. Mulot mes petits meubles et livres de mission pour qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté.
Nous avons vu plus haut que les "meubles et livres de mission" sont des accessoires pour l'apostolat missionnaire. En les remettant entre les mains de l'évêque, Montfort assure autant qu'il est en son pouvoir, la continuation de cet apostolat et la continuation par M. Mulot.
Son fidèle collaborateur et ami, son confesseur et exécuteur testamentaire, avait accepté la succession du missionnaire avant même que de rédiger ce deuxième article du Testament. Si Montfort nomme M. Mulot avec et après l'évêque dans cette clause, c'est, non pas parcequ'il lui assigne sous la dépendance de l'évêque l'administration de biens qui consisteraient en quelques pauvres meubles, mais parcequ'il le charge, lui aussi, de garder les „petits meubles et livres de mission" pour l'usage des frères. Est-il possible de se figurer M. Mulot conservant ces accessoires de mission, sans prendre part aux missions pendant lesquelles les frères sont censés en faire usage? Cette clause contient donc la nomination de M. Mulot comme directeur des missions, sous l'autorité de l'évêque, et avec l'approbation de Mgr. de Champflour. Car comment admettre que Montfort aurait placé M. Mulot à la tête de cette œuvre diocésaine sans être sûr de l'approbation de Mgr. de Champflour, et disposerait d'un prêtre du diocèse de La Rochelle sans le consentement de l'évêque?
Et cette clause contient aussi la nomination de M. Mulot comme supérieur de la Communauté du S. Esprit.
 
§ III La Communauté du S. Esprit
 
A. LES FRÈRES SONT DES RELIGIEUX.
Il y dans cette clause du Testament un détail qu'on n'a pas suffissemment étudié: l'usage "des petits meubles et livres de mission" par les frères unis avec moi... tandisqu'ils persévéreront à renouveler leurs vœux ...
Au moment où il écrit cette clause, Montfort compte en tout sept frères Trois parmi eux n'ont pas fait de vœux, et le Saint envisage la possibilité que l'un ou l'autre veuille s'en aller. Il s'occupera de ceux-là dans l'art. 5°, comme nous l'avons vu, pour leur donner une gratification.
Il y en avait quatre qui avaient émis des vœux annuels[181]. C'est à ceux-ci qu'est réservé l'usage des accessoires de missions et encore à condition qu'ils renouvelleront leurs vœux.
Même dans l'œuvre des saints il y a des côtés humains puisqu'ils se servent d'hommes. Il faut rappeler ici ce que Grandet nous a dit du mercier qui s'était enfui à la fin d'une mission avec la recette de la vente. Grandet rapporte cet autre témoignage de M. des Bastières:
A la fin de la mission de N. un des frères laïcs de Monsieur Grignion s'enfuit pendant la nuit, et lui emporta quarante écus...[182].
Si nous faisons allusion à ces passages, ce n'est certes pas pour médire des frères, mais pour rappeler qu'il pouvait y avoir de leur part des revendications par rapport à ces objets. Blain ne nous a-t-il pas dit qu'ils étaient habiles à fabriquer ces "petits meubles"?
Si cet art. 2° rappelle qu'ils ne sont admis à cet usage que s'ils renouvel­lent leurs vœux, c'est pour affirmer que, pour eux aussi, vaut ce No. 9 du II   § de la Règle Manuscrite que nous avons appliqué au cas de M. Vatel:
Si le missionnaire, soit avant, soit après ses vœux, vient à sortir... hors de la Compagnie ... il ne redemandera aucune part ni aucun dédomagement de ce qu'il a donné par aumône à la compagnie . . .
Leur aumône, aux frères, c'était leur travail, leur dextérité.
 
B. CES FRÈRES ONT UN SUPÉRIEUR.
L'auteur de "Luigi-Maria" affirme que ces quatre frères sont des religieux et qu'à la mort de Montfort, ce sont des religieux sans supérieur. Mais ne voit-on pas qu'en mettant les accessoires des missions entre les mains de Monseigneur et de M. Mulot, Montfort place celui-ci non pas seulement à la tête de l'œuvre des missions, mais aussi à la tête de ces frères à vœux, auxquels est réservé l'usage de ces "petits meubles et livres de mission"?
Leur droit d'usage est déterminé par le fait de leurs vœux, et c'est M. Mulot qui règle cet usage, puisqu'il a ces acessoires en dépôt.
Une autre partie du texte confirme cette désignation par Montfort de M. Mulot comme supérieur des frères. Montfort réserve l'usage de ses “petits meubles et livres de mission" pour l'usage aussi de ceux que la divine Providence appellera à la même Communauté du S. Esprit. Leur usage des accessoires des missions sera conditionné par le fait qu'ils renouvelleront leurs vœux. Comment Montfort peut-il supposer que les quatre frères présents et les frères futurs renouvellent leurs vœux, s'il ne les a pas pourvus d'un supérieur?
D'ailleurs l'auteur de "Luigi-Maria", dans l'article publié en 1950 est d'accord avec nous pour dire que l'avenir des quatre frères constitués en famille religieuse par l'émission de vœux est confié à M. Mulot[183]. Il doit donc nécessairement être le supérieur de la Communauté dont ils sont les membres.
 
C. LES QUATRE FRÈRES.
Art. 2°. . . . mes quatre frères unis avec mois dans l'obéissance et la pauvreté, sçavoir: frère Nicolas de Poitiers, Philippe de Nantes, frère Louis de la Rochele et frère Gabriel qui est avec moi.
Remarquons d'abord que le rédacteur du document a oublié de mentionner le titre de frère devant Philippe, mais ceci n'a aucune importance. Dans l'Art. 4° il parle de Nicolas tout court, alors qu'il l'appelle, ici, frère Nicolas de Poitiers.
Sur ce seul frère Nicolas, les biographes nous ont donné quelques renseignements. Il à été à Pontchâteau en 1711; il a accompagné Montfort dans le voyage vers Rouen; il est, au moment de la mort du Saint, en apprentissage à Poitiers. Sur les trois autres nous n'avons que les indications fournies par ce texte. Le nom de ville accolé à leur nom est à considérer comme l'indication du lieu où ils se trouvaient au moment de la rédaction du Testament.
Sur le frère Gabriel, nous savons uniquement qu'il était avec Montfort à la mission de S. Laurent; puis il disparait sans laisser de traces. Sur les deux autres, Philippe de Nantes et Louis de La Rochelle, on nous a fourni des précisions telles qu'elles ne sont plus acceptables. Cf. IIIe Partie.
 
Il ressort donc de l'étude de cet Art. 2° que Montfort s'est préoccupé en premier lieu d'assurer, avec l'approbation et la protection de l'évêque, la continuation de l'œuvre des missions, en y associant M. Mulot et les quatre frères qui formaient avec lui la Communauté du S. Esprit.

Chapitre XIV LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
 
IVme Partie, B LES DONATIONS DE VOUVANT À LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT
Art. 7°. Comme la maison de la Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus pour la communauté du St. Esprit, que la maison de Vouvent, donnée par contract, par Madame de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions; et les deux boisselées de terre données par Madame la Lieutenante de Vouvent, et une petite maison donée par une bonne femme à condition: s'il n'y a pas moyene d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la Communauté du St. Esprit pour faire les écoles charitables.
Nous donnons ici le texte tel qu'il a été reproduit dans l'Inquisitio, nous réservant de le confronter tout à l'heure avec les divergences que présentent d'autres versions.
Constatons d'abord, que Montfort lègue dans son Testament, les biens qu'il a acceptés comme "prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit", à cette "Communuaté du S. Esprit" mentionnée pour la première fois dans ce document. Nous devrions donc commencer par parler ici de cette héritière principale, mais il est plus logique de traiter cette question après examen des clauses contenues dans cet article et le suivant, parceque nous y trouverons des renseignements plus complets sur cette Communauté.
 
§ I La maison de la Rochelle
 
"Comme la maison de la Rochelle retourne à ses héritiers naturels .. ."
Nous avons déjà parlé de cette maison que le Saint avait reçue d'une pieuse femme[184]. Dans sa "Règle Manuscrite" il considère cette maison comme la maison de repos que la Compagnie de Marie "a et peut avoir"[185].
 
Mais comme la dame n'avait fait la donation au Saint que “sa vie durant", et que les dispositions ne semblent pas avoir changé dans la suite, Montfort avertit dans son Testament, que cette maison ne reviendra pas à la Communauté du S. Esprit, mais retournera à ses héritiers naturels.
 
§ II La Maison Creuzeron
...il ne restera plus pour la Communauté du S. Esprit que: 1° : la maison de Vouvent, donnée par contract par Madame de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions ...
La veuve de René Goulard de la Brûlerie, Jeanne Creuzeron, avait donné de son vivant, la moitié de sa maison et la moitié de son jardin. Elle cédait à Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre-missionnaire de la Compagnie du S. Esprit, les trois chambres hautes et la partie du jardin qui longeait l'église; et, après sa mort, l'autre partie de la maison et l'autre partie du jardin reviendraient également au missionnaire et à ses successeurs qui seraient de la même Compagnie (cf. Chap. VII, § IV).
M. Mulot doit accomplir les conditions du contract, dont nous ne rappellerons ici qu'une seule: l'obligation d'acquiter chaque année 30 Messes pour le repos de l'âme de la bienfaitrice.
Cette seule clause suffit à prouver que la maison était donnée à des prêtres. Il suffit d'ailleurs de voir son emplacement au millieu de la petite ville, tout à côté de l'église, pour se rendre compte qu'elle était destinée dans l'esprit du Saint à être la maison principale de la Communauté, la résidence des missionnaires.
 
§ III Le terrain donné par Mad. La Lieutenante
2°: et les deux boisselées de terre données par Madame La Lieutenante de Vouvant.
 
Comme il a été impossible jusqu'ici de retrouver l'acte de cette donation — s'il a existé — on ne peut faire que des conjonctures sur la destination de ce lopin de terre.
Etait-il destiné à l'entretien de la Communauté? Cela ne me semble guère en concordance avec les prescriptions sur la pauvreté, insérées par Montfort dans sa "Règle Manuscrite". Devait-il servir d'emplacement à l'école prévue dans le passage suivant, ou à l'entretien de cette école? Il ne sert de rien d'épiloguer. Il faudra retrouver l'acte pour en connaître les clauses. Hélas, cela semble très difficile.
 
§ IV La maison Arcelin
Ce dernier passage de l'art. 7° a acquis une importance spéciale, non à cause de sa teneur, mais à cause des discussions qu'il a provoquées.
Que le lecteur nous pardonne de lui servir encore des textes, il est nécessaire de mettre ici les choses bien au point.
Nous donnerons d'abord, en face l'un de l'autre, le texte de l'original et celui qu'a reproduit Grandet, le premier biographe.
 
Texte original
et une petite maison donnée par une bonne femme à condition si on y a pas moyen de bâtir on y entretiendra les frères de la communauté du St esprit pour faire les écoles charitables.
Texte Grandet
et une petite maison donnée par une Bonne-femme, à condition que s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la Communauté du Saint           pour faire l'Ecole charitable[186]
 
Nous nous sommes permis de souligner, dans la version de Grandet, la conjonction que cet auteur s'est permis d'ajouter au texte pour, à son avis, le rendre intelligible. Nous donnons maintenant le texte comme l'a transcrit la Section Historique de la Congrégation des Rites, et, en face, le texte tel que l'a transcrit l'auteur de "Luigi-Maria":
 
et une petite maison donnée par une bonne femme à condition: s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la communauté du St-Esprit, pour faire les écoles charitables[187].
et une petite maison donnée par une bonne-femme à condition. S'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les Frères de la Communauté du Saint-Esprit pour faire les écoles charitables[188].
 
Matériellement la différence entre ces deux versions est minime. La Section historique a placé, après "à condition", un double point.
L'intention est manifeste! Ce qui suit, après le double point, appartient encore à la même phrase et se rapporte à la condition que la Bonne-Femme avait mise à sa donation.
Le texte de "Luigi-Maria" met au même endroit un point tout court. La raison en est évidente. L'auteur veut que la phrase finisse sur ce "à condition" et qu'une nouvelle phrase commence à "S'il n'y a pas moyen d'y bâtir..." etc.
Question de point ou de double point, soupirera le lecteur! Et il n'est pas seul.
 
A. LA REALITE.
La "Bonne-Femme" c'était Renée Arcelin, veuve de Jacques Goudeau, qui avait donné, en Novembre 1715, et redonné par acte officiel, du 2 Janvier 1716, à Messire Louis-Marie de Montfort Grignion, prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit, la moitié d'une maison et la moitié d'un jardin lui appartenant et sise hors des remparts de Vouvant, en face du moulin à seigle près de la rivière, et au bord du chemin qui conduit de la Grande Poterne à la place du château du Petit-Château.
Cette maison comprenait quatre chambres, dont la dame en cédait deux au missionnaire et à ses successeurs. Le jardin s'étendait derrière la maison et était beaucoup plus long que large (cf. le Plan de Vouvant).
 
B. LES HYPOTHÈSES. Ire PARTIE.
Nous nous excusons de ne pouvoir admettre toutes les hypothèses qu'on a échafaudées autour de cette petite maison de la pauvre veuve. Nous reproduisons le texte de "Luigi-Maria" tel quel, en ajoutant en marge quelques indications qui en faciliteront l'étude.
1.     Le fait capital de cette donation est qu'elle a trait à une maison (qui se trouve) hors des murs de Vouvant, ville fortifiée. La maison de la veuve Goudeau, non seulement se trouvait hors des murs, mais sur un territoire appartenant à une juridiction civile diverse de celle de la cité, quoiqu'appartenant, pour la juridiction religieuse, à la paroisse de Vouvant.
2.     L'unique condition qui figure dans l'acte de donation est que le Père de Montfort devra prier pour la donatrice, lui et ceux qui lui succéderont. Il n'est pas dit qui ils sont.
3.     Alors que pour la maison de la ville, il est stipulé que les successeurs de Montfort seront, comme lui, de la Compagnie du Saint-Esprit, et seront prêtres, puisqu'ils devront dire, eux mêmes, trente messes par année, pour la maison voisine du "Petit-Château" les successeurs peuvent s'entendre de frères.
4.     Il n'y a pas de doute qu'aux premiers jours de Janvier 1716, quand il reçut les deux donations de Jeanne Creuzeron et de Renée Arcelin, Montfort avait déjà déterminé la destination qu'il avait l'intention de donner à chacune des maisons qui lui étaient données: la maison voisine de l'église devait être le centre des missionnaires, habitée peut-être aussi par quelque frère attaché à leur service; celle hors des murs le centre des Frères de la Communauté du Saint-Esprit pour les écoles de charité.
5.     Il n'est pas possible de supposer que dans cette maison se serait ouverte une école pour les enfants de la ville, le lieutenant de Vouvant n'aurait pas eccepté que ses subordonnés aillassent à l'école sur un territoire soustrait à sa juridiction[189].
 
1)     Pas d'école dans la maison Arcelin.
Ni dans le Testament de Renée Arcelin, ni dans celui de Montfort, il n'est question d'établir une école dans la maison Arcelin. Il me semble que la chose aurait été d'ailleurs assez difficile, vu que le Saint n'avait reçu que deux petites chambres; insistons sur "petites".
Mais les objections qu'apporte l'auteur de "Luigi-Maria" ne reposent sur aucun fondement. D'abord parceque les écoles charitables étaient des écoles paroissiales. Or il reconnaît lui même, ce qui est dit expressément dans le Testament Arcelin, que la maison appartenait à la paroisse de Vouvant. Affirmer que la maison Arcelin se trouvait sur un territoire non soumis à la juridiction de Lieutenant de Vouvant, est une erreur historique. En 1716 il n'y avait plus de Lieutenant de Vouvant proprement dit, le siège de la Lieutenance ayant été transporté à La Châtaigneraie, à 12 km; mais la juridiction de cet officier, que son siège fût à Vouvant ou à la Châtaigneraie, s'étendait sur un territoire qui comprenait, en plus des villes de Vouvant et de la Châtaigneraie, tout le pays environnant, donc aussi le territoire de la baronnie du Petit Château sur lequel se trouvait la maison Arcelin.
 
2)     Les conditions posées par la veuve Arcelin.
On affirme ici que la veuve Arcelin n'avait posé qu'une seule condition à sa donation. L'auteur oublie certainement l'autre condition, celle de l'occupation obligée, par Montfort ou par ses successeurs, de la maison, sous peine de la voir retourner aux héritiers de la veuve.
Mais nous serons obligés de revenir tout à l'heure ex professo sur cette question.
 
3) La maison de la ville.
a. Pour la maison de la ville il est stipulé — dans le testament de Jeanne Creuzeron — que les successeurs de Montfort seront, comme lui de la Compagnie du Saint-Esprit, et qu'ils seront prêtres, puisqu'ils doivent dire eux-mêmes les 30 messes demandées par la donatrice. Et cette maison est donnée par Montfort dans son Testament à la Communauté du S. Esprit, et de plus il est bien stipulé que M. Mulot doit accomplir les conditions du contrat.
"…il ne restera plus pour la Communauté du S. Esprit que la maison de Vouvant, donnée par contract, par Mad. de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions: les deux boisselées de terre données par Madame la Lieutenante de Vouvant, et une petite maison donnée par une bonne femme. ..
L'auteur de "Luigi-Maria" devra donc admettre que, dans l'esprit de Montfort, cette Communauté du S. Esprit, dont parle le testament du Saint, compte des prêtres qui sont de la même Compagnie du S. Esprit que Montfort lui-même, et que particulièrement M. Mulot est de leur nombre puisqu'il doit accomplir les conditions du contrat.
b. On raisonne ainsi: Renée Arcelin ne demande pas de messes, mais seulement des prières, donc il n'est pas nécessaire que les successeurs de Montfort — qui héritent de la maison — soient des prêtres; "les successeurs peuvent s'entendre des frères".
L'auteur de "Luigi-Maria" oublie ici un point très important. Parmi les successeurs de Montfort, il peut y avoir des frères, mais ces frères ne sont pas ceux qui héritent de la maison Arcelin. Il suffit de relire le texte du Testament, que nous citons quelques lignes plus haut, pour se convaincre que cette maison de la veuve Goudeau a été donnée à la "Communauté du S. Esprit" exactement comme tous les autres biens meubles et immeubles.
4) La maison Arcelin centre des frères.
 
C. LES HYPOTHÈSES. IIme PARTIE.
6.  Le texte de la donation de Renée Arcelin exclut le raccord qui se trouve dans le texte de Grandet "à condition que s'il n'y a pas moyen d'y bâtir". Il faut absolument joindre "à condition" aux mots précédents: “petite maison donnée par une bonne-femme à condition".
L'expression "donner à condition" sans complément, est semblable à celle de vendre à condition", définie par Littré: "Vendre à condition, c'est vendre à la charge de reprendre la chose si elle ne satisfait pas l'acheteur", (a)
7. C'est précisément ce que dit l'acte de donation: si la maison n'est pas occupée par Montfort ou de sa part, elle retournera à Renée Arcelin ou à ses héritiers.
8. Ainsi est confirmé que l'expression “Frères de la Communauté du Saint Esprit pour faire les écoles charitables" est un nom semblable à celui de "Communauté de la Sagesse pour l'instruction des enfants et le soin des pauvres" imposé par le Saint à Marie Louise Trichet et à ses Filles, en avril 1715, quand elles arrivèrent à La Rochelle.
9. Le Testament ne prescrit pas d'ouvrir une école dans la moitié de maison, donnée par Renée Arcelin, hors des murs de Vouvant, mais d'y placer le centre des Frères enseignants, à environ 200 mètres ou un peu plus des Missionnaires.
10. Les Frères seront dans une maison séparée de celles des prêtres, à moins que la possibilité de bâtir dans la zone du Petit-Château ne vienne à conseiller un autre arrangement; il appartiendra à l'évêque, en tous les cas au successeur de Montfort, d'examiner de près et de décider la question. Ou on laissera les choses dans l'état prévu par le Testament, ou on bâtira, réunissant toute la Communauté du Saint-Esprit, Missionnaires, Frères enseignants et Frères coadjuteurs[190].
Nous avons reproduit plus haut le texte du Testament tel que l'auteur de "Luigi-Maria" voudrait qu'on le lise; c.à.d. "une petite maison donnée par une bonne à condition. S'il n'y pas moyen, d'y bâtir, on y entretiendra les frères de la Communauté du Saint-Esprit pour faire les écoles charitables."
La justification que donne l'auteur de cette opinion n'est guère con­vainquante, Si Littré donne ce sens à l’expression "vendre à condition" il n'institue pas de comparaison avec l'autre expression "donner à condition, qui d'ailleurs ne peut se passer de complément[191].
L'argument que l'auteur veut tirer du fait que la maison Arcelin retournera à la donatrice, si Montfort ou les siens l'abandonnent, ne prouve rien en faveur de cette signification qu'il veut donner à l'expression "donner à condition".
Car cette même clause se retrouve littéralement dans le Testament de Jeanne Creuzeron, pour la maison de la ville. Et de cette maison-là Mont­fort la dit “donnée par contrat".
9.         Nous sommes d'accord sur ce point: le Testament de Montfort ne
prescrit pas d'ouvrir une école dans la maison Arcelin telle quelle. Montfort
qui la connaissait n'a pu avoir un pareil projet.
Mais là où on ne peut s'empêcher de sourire, c'est quand on voit l'auteur de „Luigi-Maria" installer dans la maison Arcelin „le centre des Frères Enseignants à 200 mètres ou un peu plus des missionnaires". Ne se dirait-on pas à S. Laurent-sur-Sèvre?
10.      Mais on nous présente des projets bien plus grandioses encore. Ou
bien les frères seront dans une maison séparée, ou bien on „bâtira, réunissant
toute la Communauté du S. Esprit, Missionnaires, Frères enseignants et frère
coadjuteurs".
Le seul ennui c'est qu'il aurait été bien difficile de réaliser ces beaux projets, que Montfort n'a certes jamais conçus. Et pourquoi? Montfort connaissait la maison de Renée Arcelin, il connaissait le jardin. Je ne sais s'il avait fait prendre les mesures du terrain. Il n'avait peut-être pas non plus l'occasion, comme peut le faire le lecteur, de comparer sur un plan la superficie du terrain avec celle de l'église, p.e. et constater que les deux s'équivalaient. Et Montfort ne recevait que la moitié de la maison et la moitié du jardin du vivant de la donatrice, et rien ne permet de conclure qu'après la mort de la dame, l'autre pauvre moitié se serait ajoutée au legs. Non je ne crois pas que le saint ait eu des projets si grandioses. Mais alors tel ne peut pas non plus être le sens du texte du Testament. Car voilà la chose qui importe: la véritable signification de ce document; en d'autres mots la véri­table volonté dernière de Montfort.
 
D. LA REALITE ENFIN.
Pour connaître cette dernière volonté de Montfort revenons au texte du Testament, tel qu'il fut écrit par M. Mulot sous la dictée du Saint.
Comme la maison, de la Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus pour la Communauté du St. Esprit que la maison de Vouvant donnée par contract par Mad. de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions; et les deux boisselées de terre données par Mad. La Lieutenante de Vouvant, et une petite maison donnée par une bonne femme a condition [que] s'il n'y a pas moyen de bâtir, on y entretiendra les frères de la Communauté du St. Esprit pour faire les écoles charitables.
Ce qui est absolument certain, c'est que tous les biens que Montfort avait accepté à Vouvant comme „prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit", il les lègue à la Communauté du S. Esprit.
Il est évident aussi que la maison de Jeanne Creuzeron est destinée aux missionnaires; que la maison de Renée Arcelin est donnée à la Communauté du S. Esprit, et que Montfort avait des projets de bâtir "dans où auprès" de cette maison.
 
1) Comment faut-il lire le texte du Testament?
A notre humble avis c'est Grandet qui a le mieux compris le sens. Il est absolument certain qu'il faut lire la dernière partie du texte précité ainsi:
... et une petite maison donnée par une bonne femme, à condition que s'il n'y a pas moyen de bâtir, on y entretiendra les frères de la Communauté du S. Esprit pour faire les écoles charitables.
Il faut donc rattacher: "donnée a condition" à “s'il n'y a pas moyen d'y bâtir".
Et la raison en est toute simple. Ce membre de phrase rappelle en effet une condition posée par Renée Arcelin au Père de Montfort.
Pour s'en convaincre il suffit de relire dans le texte du Concept du notaire le passage suivant:
... et au cas où le sieur de Montfort ou ceux qui le succéderont viennent à ne faire aucun bastiment dans la dite maison ou auprès et qu'il vienne à l'abandonner, la moitié de maison et jardin reviennent à moi ou à mesdits héritiers . . .
Il est clair, sans l'ombre d'une équivoque, que Montfort s'était mis d'accord avec la bonne femme pour faire une construction dans la moitié de la petite maison qu'elle lui donnait. Le texte suggère qu'il s'agit plutôt d'un agrandissement de la maison existante que d'un bâtiment séparé.
Nous devons donc constater.
L'introduction du point après "à condition" étant inadmissible, les conclusions qu'on a basées sur l'introduction de ce point, le sont aussi. Ainsi nous récusons ce que l'auteur de Luigi-Maria disait au 8, que nous avons réservé jusqu'à ce moment. En effet rien ne prouve que, dans le Testament du Saint, l'expression "Frères de la Communauté du S. Esprit pour faire les écoles charitables "soit un nom semblable à celui de Communauté de la Sagesse; etc."
Cette hypothèse est d'ailleurs contraire au sens réel du Testament.
 
2) Le Concept de Bernier et le Testament Arcelin.
Certains voudront faire opposition et dire: le texte emprunté au Concept ne se retrouve point dans le Testament officiel rédigé par le même notaire qui a écrit le Concept. On n'est obligé de tenir compte que de la pièce officielle. D'accord, quand il s'agit d'une procédure civile, mais récusé quand il s'agit de retrouver le sens du Testament du Saint, c.a.d. sa. véritable dernière volonté.
L'omission par le notaire de cette condition, posée par Renée Arcelin, et acceptée par Montfort prouve uniquement qu'il devait être au courant de l'existance d'obstacles à une construction à faire auprès de la maison Arce­lin[192].
Montfort qui connaissait certainement l'acte officiel rédigé par Bernier le 2 Janvier 1716, (la veille du jour où le Saint signe de sa main, à Vouvant, l'acceptation du Testament Creuzeron) a tenu compte, dans son Testament, et de la condition posée par Renée Arcelin et des difficultés qui s'opposaient à la construction à faire. Voici le texte „et une petite maison donnée par une bonne femme, à condition — que — s'il n'y a pas moyen de bâtir, on y entretiendra les frères . . ."
 
3. Les projets de Montfort.
Voici le seul fait qui reste établi: Montfort, d'accord avec Renée Arcelin, voulait construire "dans ou auprès" de la maison que celle-ci lui offrait.
Mais à quel but devait servir cette construction? Montfort y voulait-il établir une école? Du moment qu'on construisait les locaux, il n'y avait plus de difficultés. Toutes celles qu'on a fait valoir ne reposaient sur aucun fondement (cf. supra, p. 132).
L'endroit semblait-il mal choisi? En tous les cas les enfants des fermes dépendants du Petit-Château, traversant la rivière sur le pont qui existait alors, y avaient aussi facilement accès que ceux de la ville, débouchant par la Grande Poterne. Le lieu n'était pas désert puisqu'au même endroit se trouvait le moulin à seigle et le four bannier[193].
Qu'on nous permette une supposition. Nous avons montré comment Renée Arcelin donna sa maison au missionnaire dans le même temps où les officiers royaux le délogèrent de sa grotte de Mervent. Dans ce site merveilleux le saint avait creusé la roche pour agrandir la grotte, on avait même amené des matériaux pour faire une petite habitation et si possible une petite chapelle. Cela prouve bien qu'il cherchait une retraite paisible, une maison de repos. Par ailleurs, il savait que la maison de la Rochelle devait, à sa mort, retourner aux héritiers naturels. Montfort n'a-t-il pas eu l'intention de créer là, en bâtissant, un nouvel ermitage, une maison de repos? Il ne nous a pas laissé de précisions sur ses projets.
 
4) Entretenir les frères.
Mais ce qui est certain, c'est qu'on n'entretiendra les frères dans cette maison Arcelin, que s'il n'y a pas moyen de bâtir. Comme nous sommes loin de l'hypothèse d'un centre pour les frères enseignants à établir dans les deux chambres cédées par la bonne femme! Et insistons encore sur un point qui a son importance. Cette maison n'est pas donnée aux frères, mais à la communauté du S. Esprit. Et puisque le Testament dit qu"on" y entretiendra les frères, il est logique de conclure que l'autorité gouvernant cette Communauté entretiendra dans cette maison de Renée Arcelin, les frères de la Communauté du S. Esprit.
 
5) Les frères pour faire l'école.
Le Texte du Testament est absolument clair sur ce point. On entretien­dra dans cette maison de Renée Arcelin "les frères de la Communauté du S. Esprit pour faire les écoles charitables", c.a.d. pour qu'ils fassent les écoles charitables, et à Vouvant.
Deux chambres avec un bout de jardin suffisaient pour y entretenir des frères ayant fait vœu de pauvreté entre les mains de Montfort, le pauvre par excellence. Deux chambres suffisaient, car si à la Rochelle on mettait 4 régents dans une école, deux frères devaient suffire à Vouvant.

Chapitre XV LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
IVme Partie, C LE CALICE, LES CHASUBLES, LES ORNEMENTS D'ÉGLISE ET DE MISSION À LA COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT
 
En étudiant cet article nous rencontrerons deux autres problèmes à élucider: le rôle assigné par Montfort à M. Mulot dans cette Communauté du S. Esprit et ensuite l'identification de cette Communauté elle-même.
Nous commençons par analyse détaillée de l'article précité.
Art. 11°. Voilà mes dernières volontés que M. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir que je lui donne de disposer, comme bon lui sem­blera, en faveur de la communauté du S. Esprit, des chasubles, calice, et autres ornements d'église et de mission[194].
 
§ I La teneur de l'art. 11°
 
A. L'EXAMEN DU TEXTE.
Quand on examine attentivement cet article on y découvre une anomalie. La première partie du texte se rapporte nécessairement à ce qui précède:
Voilà mes dernières volontés que M. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir que je lui donne.
Les dernières volontés sont avant tout celles qui avaient été écrites dans les articles précédents, numérotés par nous de 1 à 10.
Mais ce plein pouvoir que reçoit M. Mulot est étendu ensuite aussi à ce qui suit:
...un entier pouvoir que je lui donne de disposer; comme bon lui semblera, ...des chasubles...
Quand on se rapporte au moment aux circonstances dans lesquelles fut rédigé ce testament, on comprend très bien qu'à ce moment il dut y avoir une interruption. Nous avons montré ailleurs comment la facture du document prouve qu'il a été rédigé par à coups.
 
N'est-il pas naturel de se représenter le rédacteur relisant au moribond ce qu'il a écrit jusqu'ici, et celui-ci entièrement d'accord déclare "Voilà mes dernières volontés" S'est-il rappelé lui-même, ou d'autres lui ont-ils rappelé, qu'il y avait encore des biens dont le sort n'avait pas été réglé?
Après avoir dicté la formule qui devait clore le Testament, le saint se rappelle qu'il y a encore une question à régler. Nous verrons le même cas se reproduire pour l'art. 13°, écrit après que la date eut été mise au bas du document.
B. LES BIENS LÉGUÉS.
M. Mulot aura donc plein pouvoir de disposer des "chasubles, du calice et des ornements d'église et de mission".
Dans l'art. 2°, il s'agissait des "petits meubles et livres de mission" qui étaient généralement à l'usage des frères. Ici ce sont des objets dont l'usage est réservé aux prêtres. Ceci vaut naturellement en premier lieu pour les chasubles et le calice. Mais cela est aussi vrai des ornements d'église et de mission.
Car la décoration des églises était peut-être exécutée matériellement par les frères, mais sous le contrôle de Montfort, directeur de la mission. Nous n'avons pas de détails sur ces ornements d'église. Nous pouvons compter parmi les ornements de mission les grandes images que le Saint exposait dans les églises pour faciliter l'explication du Rosaire[195].
 
C. LES PLEINS POUVOIRS DE M. MULOT.
Les mots "entier pouvoir que je lui donne" se rapportent certainement en premier lieu à l'exécution en général de toutes les dernières volontés du Saint. Il ne faut donc pas appuyer spécialement sur ce terme "entier pouvoir" quand il s'agit de disposer des objets dont il est question ici. Certes le pouvoir, le droit de disposer est accordé à M. Mulot, mais on aurait tort de vouloir exagérer la solennité de la formule.
Quel droit est concédé à M. Mulot?
Celui de disposer de ces objets "comme bon lui semblera", mais "en faveur de la Communauté du S. Esprit". En dernière analyse, c'est de nouveau la Communauté du S. Esprit qui est l'héritière. Faut-il encore faire remarquer que nous avons ici une nouvelle preuve, et une preuve formelle, que cette Communauté du S. Esprit est une communauté missionnaire? C'est elle qui reçoit, avec le reste, "les ornements d'église et de mission".
Mais n'y a-t-il pas une autre anomalie dans ce texte?
Comment M. Mulot peut-il disposer "comme bon lui semblera" des objets susdits, s'il doit en disposer en faveur de la Communauté du S. Esprit? Il n'y a aucune difficulté dans ce texte, si on se rappelle que M. Mulot, non seulement fait partie de cette Communauté, mais que c'est à lui qu'en est confié le gouvernement, comme aussi la succession dans l'œuvre des missions. Il doit disposer de ces objets en faveur de la Communauté, mais l'emploi de ses objets sera réglé par son bon plaisir. Montfort lui donne le même pouvoir qu'il avait lui-même de disposer librement de ces objets.
 
§ II Le rôle de M. Mulot dans la Communauté du S. Esprit
 
A. QUELS SONT LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ.
 
1. L'article 2° du Testament nous fait connaître: "mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté." Montfort espère d'eux "qu'ils persévéreront à renouveler leurs vœux tous les ans".
Il compte parmi les membres futurs: "ceux que la divine Providence appellera à la même communauté du S. Esprit".
2. L'article 5° nous parle de trois autres frères, à qui il faut remettre une certaine somme, "s'il veut s'en aller". S'ils ne s'en vont point, ils resteront de la Communauté du S. Esprit, comme ce fut le cas pour le frère Mathurin (cf. IIIme Partie).
3. L'article 7° nous prouve clairement que la Communauté du S. Esprit comptait des prêtres. Montfort lui lègue la maison donnée par Madame de la Brûlerie; or nous dit l'auteur de "Luigi-Maria":
"...Alors que pour la maison de la ville, il est stipulé que les successeurs de Montfort seront, comme lui, de la Compagnie du S. Esprit et seront prêtres, puisqu'ils devront dire eux-mêmes trente messes..."
 
B. QUEL RÔLE LE TESTAMENT ASSIGNE-T-IL À M. MULOT?
 
1. C'est entre les mains de Monseigneur et de M. Mulot que Montfort remet les "petits meubles et livres de mission" afin qu'ils les conservent pour l'usage des frères.
L'intervention de M. Mulot ne s'explique que s'il a accepté de continuer l'œuvre des missions, où l'emploi de ces objets est nécessaire et que s'il a autorité sur ces frères dans l'usage de ces objets.
2. C'est à M. Mulot qu'incombe la tâche de régler, avec leur assentiment, le sort futur des trois coadjuteurs, Jacques, Jean et Mathurin.
3. L'art. 7° nous dit que c'est M. Mulot qui doit accomplir les conditions du contrat fait avec Mad. de la Brûlerie. Une seule de ces conditions suppose l'intervention d'un prêtre, mais toutes les conditions, sauf celle de la réparation du toit, exigent une intervention continue.
Si Monsieur Mulot n'a pas une autorité établie, comment lui demander de payer régulièrement les échéances de la rente?
4. Dans ce même art. 7° il est dit qu'on entretiendra les frères de la Communauté du S. Esprit dans la maison Arcelin. Peut-il s'agir ici de quelqu'un d'autre que de celui qui a autorité dans la Communauté?
5. L'art. 11° laisse à M. Mulot la libre disposition du calice, des cha­subles et des ornements d'église et de mission dont hérite la Communauté.
6. Finalement l'art. 6° nous apprend que. M. Mulot a le droit de disposer de l'argent qui reste dans la bourse commune, „pour l'usage des frères" et „pour son propre usage". Cet article seul, prouve indéniablement que Montfort prévoit dans son Testament une vie commune vécue par M. Mulot avec les frères de la Communauté du S. Esprit.
Il est difficile, ce me semble, de refuser à M. Mulot la qualité de Supérieur de la Communauté du S. Esprit, que lui accorde si clairement le Testament du fondateur.

Chapitre XVI LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
 
IVme Partie D LA COMPAGNIE DE MARIE DANS LE TESTAMENT DE MONTFORT
 
AVANT-PROPOS.
Le lecteur aura certainement remarqué que la Compagnie de missionnaires fondée par Montfort porte successivement des noms différents.
Dans sa "Règle Manuscrite" le fondateur parle de "La Compagnie de Marie". Quand en 1716 il accepte les donations de Vouvant, il est intitulé et s'intitule lui-même "prêtre missionnaire de la Compagnie du S. Esprit"; dans le Testament il est toujours parlé de "Communauté du S. Esprit".
Nous devons rappeler ici, qu'en 1703, Poullart des Places fonda, avec l'aide de son saint ami, une espèce de convict où il réunissait des séminaristes pauvres. Après quelques années, ce pauvre commencement s'épanouit pour devenir le Séminaire du S. Esprit dirigé par Poullart, qui s'était associé quelques uns de ses premiers compagnons pour former la Communauté du S. Esprit.
Comme Poullart des Places avait promis en 1703 à son ami de lui former des missionnaires, celui-ci se rendit en 1713 à Paris pour rappeler cette promesse à ceux qui avaient pris la succession du fondateur du séminaire décédé.
Nous rencontrons donc au moment où fut dicté le Testament de Saint Louis-Marie de Montfort Grignion:
 
 
Fondé par Montfort
La Compagnie de Marie
La Compagnie du S. Esprit
La Communauté du S. Esprit
 
Fondé par Poullart
Le Séminaire du S. Esprit
La Communauté du S. Esprit
 
 
Si nous rappelons encore que Montfort, lorsque, en 1713, il écrit sa "Règle Manuscrite", considère le Séminaire du S. Esprit de Paris comme appartenant à la Compagnie de Marie, on ne sera pas étonné qu'il y ait eu parfois confusion.
Nous allons étudier d'abord l'opinion selon laquelle La Communauté mentionnée dans la Testament de Montfort est identique avec la Communauté du S. Esprit fondée par Poullart des Places.
Nous démontrerons ensuite comment il faut, au contraire, identifier la Compagnie de Marie, dont Montfort a écrit la Règle, avec la Compagnie du S. Esprit mentionnée dans les documents de Vouvant, et la Communauté du S. Esprit qui est la grande héritière dans le Testament du Saint.
 
§ I Communauté du S. Esprit et Communauté du S. Esprit
L'auteur de "Luigi-Maria" soutient qu'il faut identifier la Communauté du S. Esprit, mentionnée dans le Testament de Montfort, avec la Communauté du S. Esprit fondée par Poullart des Places, en d'autres mots la Communauté de S. Laurent-sur-Sèvre avec la Communauté de Paris.
 
A. CETTE OPINION À SON ORIGINE.
Il n'est pas exclu qu'il s'agisse de la même maison — la maison de Paris que Grandet appelle : Communauté du S. Esprit — quand il est question à la fin du Testament, d'une destination pour les ornements sacrés et le calice. Le séminaire de Poullart des Places, destiné à de très pauvres clercs, était digne de recevoir de pareils objets et l'affection de Montfort pour la Communauté du Révérend M. Bouic pouvait très bien conseiller, au moment de la mort, une telle destination, laissée en fin de compte au jugement de M. Mulot[196].
Une fois encore nous devons reproduire ici le texte de l'art. 11° du Testament, auquel le passage cité ici fait allusion.
Voilà mes dernières volontés que M. Mulot fera exécuter avec un plein pouvoir que je lui donne de disposer, comme bon lui semblera, en faveur de la Communauté du S. Esprit, des chasubles, calice, et autres ornements d'église et de mission.
1. Dans le passage cité plus haut, l'auteur de "Luigi-Maria" donne au terme "Communauté du S. Esprit" employé dans l'art. 11° du Testament la signification de "Communauté de Paris" La raison — non exprimée explicitement mais évidente pourtant, — c'est que l'auteur de "Luigi-Maria" prétend ne point trouver parmi les héritiers mentionnés dans le Testament du Saint, ceux qui auraient été dignes de recevoir ces objets, c.à.d. des prêtres.
Nous verrons comment cette dernière hypothèse est contredite expressément par l'auteur même de "Luigi-Maria".
2. Ce qui est assez difficile de concilier avec les termes du Testament, c'est ce que dit l'auteur dans le dernier membre de phrase du passage cité, que la destination de ces objets serait "laissée en fin de compte au jugement de M. Mulot."
Non, cela n'est pas! Le Testament dit formellement que M. Mulot a plein pouvoir de disposer, mais "en faveur de la Communauté du S. Esprit".
C'est Montfort qui a donné leur destination à ce que l'auteur de "Luigi-Maria" nomme "les ornements sacrés et le calice".
Si dans la pensée de Montfort, ces objets devaient revenir à la Communauté de Paris, on ne comprend plus, comment il peut écrire que M. Mulot en peut disposer „comme bon lui semblera". Où pourrait s'exercer le plein pouvoir de M. Mulot alors? Dans le mode d'envoi peut-être?
3. Mais nous avons une objection contre la base même de cette thèse. De quel droit l'auteur de "Luigi-Maria" peut il donner au terme Communauté de S. Esprit", employé dans l'article 11°, ce sens spécial de "Communauté de Paris"? Dans un document aussi officiel qu'un Testament, on ne peut pas, sauf indications fournies par le texte lui même, donner, tantôt tel sens et tantôt tel autre au même terme. Or ce terme de Communauté du S. Esprit est employé non seulement dans l'art. 11°; mais encore dans les articles 2° et 7°, les plus importants en vérité de tout le document.
L'auteur de "Luigi-Maria" a bien senti cette difficulté. Aussi dans un article paru en 1950 il s'est décidé à lire "Communauté de Paris" chaque fois que le Testament emploie le terme "Communauté du S. Esprit", lors­qu'il — Montfort — parle de communauté du S. Esprit, c'est celle de Paris qu'il a en vue. . ." (cf. infra).
 
B. CETTE OPINION APRÈS SON ÉVOLUTION.
…lorsqu'il dicte son testament le 27 avril, S. Louis-Marie conserve toute sa bienveillance envers la communauté fondée par son ami Claude Poullart des Places, car il semble bien que ce soit à elle qu'il lègue son calice, ses chasubles et tout ce qu'il a en fait d'ornements d'église, comme pour l'aider dans son œuvre d'éducation gratuite des clercs pauvres, peut-être encore dans l'espoir qu'à défaut de Monsieur Mulot, le Saint-Esprit de Paris s'occupera d'installer ses frères à Vouvant. Quand on considère comme équivalents les termes "communauté du S. Esprit" et „compagnie de Marie" du vivant de Montfort, on commet un anachronisme. Lorsqu'il parle de communauté du Saint-Esprit c'est celle de Paris qu'il a en vue ...[197].
1. Cette opinion est contredite par son auteur même. L'auteur de "Luigi-Maria" a voulu lire dans l'art. 11° "Communauté de Paris", parcequ'il ne voulait admettre dans la Communauté du S. Esprit, nommée dans le Testament, que des frères.
Mais ceci est en contradiction avec ce que l'auteur a écrit lui-même sur cette Communauté du S. Esprit nommée dans le Testament.
L'art. 7° nous dit: "il ne restera plus pour la communauté du S. Esprit que la maison de Vouvent donnée par un contract par Mad. De la Brûlerie".
Cette maison de Madame de la Brûlerie est la maison qui se trouve dans la ville de Vouvant. Or c'est à propos de cette maison que l'auteur de „Luigi-Maria" nous a dit:
"…Alors que pour la maison de la ville, il est stipulé que les successeurs de Monfort seront, comme lui, de la Compagnie du S. Esprit et seront prêtres, puisqu'ils devront dire eux mêmes trente messes..."[198]
On ne peut pas tourner la difficulté et affirmer: ces prêtres seront des membres de la Communauté de Paris, car le Testament de Montfort dit explicitement de ce contrat de Madame de la Brûlerie: ...  "dont M. Mulot accomplira les conditions ..."
Mais si cette Communauté nommée dans le Testament compte des prêtres, pourquoi envoyer les objets mentionnés dans l'art. 11° à la Communauté de Paris?
2. Cette opinion est contredite par le texte du Testament. Nous nous permettons d'attirer l'attention de l'auteur de "Luigi-Maria" sur une omission regrettable.
Dans le livre paru en 1943 l'auteur parle des objets mentionnés dans l'art. 11° du Testament en ces termes: "les ornements sacrés et le calice"; Dans l'article publié en 1950 l'auteur dit que Montfort lègue: "son calice, ses chasubles et tout ce qu'il a d'ornements d'église". Mais le texte de l'art. 11° du Testament porte:
"... un entier pouvoir que je lui donne de disposer comme bon lui semblera en faveur de la Communauté du S. Esprit des chasubles, calice, et autres ornements d'église et de mission."
Si l'auteur s'était souvenu que la Communauté du S. Esprit du Testament, de son propre aveu, comptait nécessairement des prêtres, et s'était aperçu que parmi les objets mentionnés dans l'art. 11° il y avait des ornements de mission, il n'aurait pas juge nécessaire de les faire envoyer à Paris dans un séminaire.
3. Cette opinion ne présente aucune avantage.
On serait tenté de penser: la Communauté du S. Esprit, telle qu'elle est décrite dans le Testament, n'était pas apte à hériter. Elle ne possédait certes pas de Lettres Patentes. Cela n'oublige-t-il pas à admettre que les biens légués sont destinés à la Communauté du S. Esprit de Paris? Je ne vois vraiment aucun motif à cet échange.
La Communauté du S. Esprit de Paris, n'avait pas non plus de Lettres patentes, qu'elle n'obtint qu'en 1726, donc six ans après la rédaction du Testament de Montfort.
La Communauté du S. Esprit de S. Laurent étant une œuvre diocésaine, pouvait hériter par le truchement de l'évêque, comme l'indique d'ailleurs le document.
4. Cette opinion est inadmissible.
C'est l'art. 2° qui s'oppose formellement et irréductiblement à cette interversion entre les deux Communautés. En effet, l'art. 2° nous parle explicitement de quatre frères ayant fait vœux dans la Communauté du S. Esprit. S'il faillait entendre ici la Communauté du S. Esprit de Paris, ces quatre frères seraient devenus membres de la Communauté de Poullart des Places en émettant des vœux entre les mains de Montfort, qui, de l'avis de tous, n'a jamais été membre de la communauté de Poullart. En plus ces quatre frères seraient incorporés par l'émission de leurs vœux dans une communauté où on n'émettait pas de vœux en 1716, ni plus tard, puisque même les Statuts approuvé en 1734 ne connaissent pas ces engagements définitifs[199].
 
§ II Communauté du S. Esprit et Compagnie de Marie
Nous avons montré ailleurs, comment la Congrégation de missionnaires fondée par Montfort a porté d'abord le nom de Compagnie de Marie, qu'en 1716 elle est appelée Compagnie du S. Esprit, et, dans le Testament, Com­munauté du S. Esprit.
Il faudrait donc prouver que ces trois dénominations s'appliquent à une seule et unique société religieuse.
 
A. COMPAGNIE DU S. ESPRIT ET COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT.
Montfort écrit en Janvier 1716: Compagnie du S. Esprit; M. Mulot écrit, le 27 avril 1716: Communauté du S. Esprit.
Un seul argument suffira pour montrer que ces deux dénominations s'appliquent à la même société. Dans son Testament, Montfort lègue à la Communauté du S. Esprit les biens qu'il a acceptés au nom de la Compagnie du S. Esprit.
 
B. COMMUNAUTÉ DU S. ESPRIT ET COMPAGNIE DE MARIE.
L'auteur de "Luigi-Maria" écrit dans un article publié en 1950:
Quand on considère comme équivalents les termes "Communauté du S. Esprit'' et "Compagnie de Marie", du vivant de Montfort, on commet un anachronisme[200].
Nous sommes tout prêts à le commettre cet anachronisme, nous trouvant en bonne compagnie.
1. Le premier biographe Grandet n'hésite pas à écrire, comme entête du IX Moyen pour conserver les fruits des missions:
"L'établissement de la Compagnie de Marie, ou du Saint-Esprit".
2. L'auteur de "Luigi-Maria" écrit dans l'article précité:
On a noté d'ailleurs l'étrangeté de la formule employée dans le projet de règle de juin 1713, lorsque Montfort écrivait, en parlant de sa future société de missionnaires: "La Compagnie n'a et ne peut avoir en propre que deux maisons dans le royaume, la première à Paris, pour former des ecclésiastiques à l'esprit apostolique; la deuxième hors de Paris, en une province du royaume, pour s'y aller reposer, lorsqu'on est hors de combat et qu'on veut finir ses j ours . . .
Au moment où il allait fermer les yeux, Montfort voyait cette deuxième maison à Vouvant, soit dans la maison urbaine que lui avait offerte Jeanne Creuzeron, (Mme de la Brûlerie) soit dans une construction à bâtir à côté de celle destinée aux Frères enseignants, dans la propriété donnée par Renée Arcelin, la "bonne femme" du Testament[201].
Le lecteur se rappellera que la règle dont parle l'auteur est la "Règle Manuscrite" écrite par Montfort pour les "Prêtres Missionnaires de la Compagnie de Marie" Si Montfort voit donc réalisé à Vouvant les points de la Règle écrite pour la Compagnie de Marie, grâce aux biens qu'il lègue par son Testament à la Communauté du S. Esprit, le Saint identifie donc cette Communauté avec sa Compagnie de Marie.
 
C. LA COMPAGNIE DE MARIE N'EST PAS NOMMÉE DANS LE TESTAMENT.
Dès les premières lignes de son Commentaire du Testament, l'auteur de "Luigi-Maria" pose en principe:
De la Compagnie de Marie il n'est pas fait mention, parcequ'elle n'existait pas, au moins canoniquement, les révérends M. Vatel et M. Mulot étant encore sans vœux[202].
Cette phrase comprend trois affirmations qui demanderaient des preuves.
1. De la Compagnie de Marie il n'est pas fait mention dans le Testament. Matériellement parlant cela est vrai, le mot ne s'y trouve pas. Mais n'est-il pas question d'une Communauté missionnaire fondée par Montfort? Cette communauté ne comprend-elle pas des prêtres et des frères comme le demande la "Règle Manuscrite", Magna Charta de la Compagnie de Marie? M. Mulot n'est-il pas nommé dans le Testament comme celui auquel l'avenir de la Communauté du S. Esprit est confié. Grandet ne dit-il pas que Montfort jeta les yeux sur lui pour établir cette Congrégation de douze prêtres, qu'il appela la Compagnie de Marie.
2. La Compagnie de Marie n'existait pas, au moins canoniquement, les révérends M. Vatel et M. Mulot étant encore sans vœux.
C'est le même sophisme! La Compagnie de Marie existait réellement sous le nom de Communauté du S. Esprit.
3. La Compagnie de Marie n'existait pas parceque M. Vatel et M. Mulot étaient encore sans vœux.
Inutile de reprendre ici la démonstration déjà faite. La Communauté du S. Esprit telle que la décrit le Testament n'est pas une communauté de frères. Elle compte nécessairement des prêtres, comme nous l'a montré l'auteur de "Luigi-Maria" lui même dans le commentaire de l'art. 7° [203]). Cette communauté est éminemment missionnaire comme nous l'avons prouvé au commentaire de l'art. 2 , et elle est mise sous la houlette de M. Mulot, auquel, selon l'auteur de "Luigi-Maria", fut confié l'avenir des frères[204].
La raison invoquée pour prouver que la Compagnie de Marie n'existait point? Les deux prêtres n'ont pas encore émis des vœux. C'est une affirmation qui ne repose sur rien et qui demanderait tout de même quelque preuve.
Mais, admis que M. Mulot n'eût pas émis des vœux, est ce que cela l'empêcherait de faire partie de la Communauté et même d'être le supérieur des frères?
Pour l'auteur de „Luigi-Maria" cela ne peut être un empêchement. En effet il nous dit de Montfort lui même:
Il n'appartient évidemment à aucun ordre ou congrégation juridiquement constitués, car alors il n'aurait pas même été habilité à faire un testamen[205].
Il nous affirme pourtant positivement que Montfort était le supérieur religieux des frères.
Il y a le fait que les personnes en faveur desquelles Montfort veut tester sont dans une situation spéciale; ce sont des religieux, et après sa mort, ce seront des religieux sans supérieur[206].
Si tel étant le cas pour Montfort, qui, n'étant pas religieux, pouvait être supérieur de religieux, pourquoi la chose deviendrait-elle impossible pour M. Mulot?
 
CONCLUSION.
 
Montfort lègue dans son Testament la grande majorité de ses biens à la Communauté du S. Esprit, qui est une Communauté missionnaire comptant des prêtres et des frères destinés à l'œuvre des missions. Cette Communauté du S. Esprit, nom que lui a donné le rédacteur du Testament, est identique à la Compagnie du S. Esprit, dont Montfort se dit prêtre missionnaire en Janvier 1716; laquelle à son tour est identique à la Compagnie de Marie pour la quelle Montfort écrivit en 1713 sa "Règle Manuscrite". Cette diversité de noms, que des auteurs modernes tâchent d'exploiter pour prouver une thèse préconçue, ne faisait aucune difficulté pour les contemporains, a) Le premier biographe écrit en 1723: la Compagnie de Marie ou du S. Esprit, b) Les successeurs de Montfort se sont nommés Missionnaires du S. Esprit et c) sont nommés tels dans un acte officiel en 1719[207]. d) Ils nomment leur première maison, en 1722, "le Saint-Esprit", e) Ils y vivent en religieux, observant la "Règle Manuscrite" rédigée par Montfort pour les prêtres missionnaires de la Compagnie de Marie, f) Ils la font approuver en 1728 comme Règle de leur institut, g) Ils se considèrent et sont considérés par tous les contemporains comme les Missionnaires fondés par le Père de Montfort. Il a fallu arriver au 20e siècle pour rencontrer des gens qui prétendent le contraire.

Chapitre XVII LE COMMENTAIRE DU TESTAMENT
 
Appendice LE "CODICILLE"
Bien qu'il occupe une place assez spéciale dans le document — après la date et avant les signatures — nous considérons cet art. 13° comme appartenant de plein droit au Testament. Nous lui conserverons le nom de "Codicile", vocable sous lequel il est désigné, couramment, mais inexactement, car un codicille vient après les signatures et doit être, à cause de cela, légalisé à part.
Peut-être pourrait on attaquer la valeur juridique de cet article, mais on ne peut le récuser si l'on veut connaître la pensée complète du Testateur.
Si nous traitons de cet article dans un Appendice, ce n'est donc point pour lui contester son authenticité ou sa valeur, mais parceque, par sa teneur, il n'appartient à aucune des divisions que le Testament lui-même suggère.
 
Art. 12°. Fait à la mission de S. Laurent-sur-Sèvre, ce 27 du mois d'avril, mil sept cent seize.
Art. 13°. Tous les meubles qui sont à Nantes, seront pour l'usage des Frères qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera.
Art. 14°. Louis Marie de Montfort Grignion.
Art. 15°. N. F. Rougeou, doyen de Saint-Laurent.
Art. 16°. F. Triault, prêtre vicaire[208].
 
 
§ I Tous les meubles qui sont à Nantes
En soi les termes, "tous les meubles" sont assez vagues et permettent bien des suppositions. Ainsi on a parlé de meubles qui se seraient trouvés dans une chambre que Montfort avait occupée de temps en temps à Nantes. Comme le Saint descendait, lors de ses rares séjours dans la ville, (2 ou 3 entre 1711 et 1716), à la maison des Incurables, il y aurait donc eu dans cette maison, trop petite pour abriter tous les malheureux qui se présentaient, une chambre meublée dont le mobilier appartenait au Saint? Et il aurait fait enlever ces meubles à ces vrais pauvres, pour les destiner à l'usage de frères. Il suffit de connaître tant soit peu l'amour de Montfort envers les pauvres, pour se rendre compte qu'une pareille supposition est inadmissible.
 
§ II Seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école
Si les mots "tous les meubles qui sont à Nantes" ont un sens très large, celui-ci est déterminé par ce qui suit. Ces meubles sont pour l'usage des frères qui tiennent une école. Et, quoique cela ne soit pas dit expressément, il doit s'agir de meubles aptes à servir dans une école.
Cela ressort d'ailleurs de cet autre complément de la phrase: les frères auront l'usage de ces meubles tant que l'école subsistera.
Cet art. 13° du Testament nous révèle un fait que nous ne connaissons pas par ailleurs: il y a à Nantes une école à laquelle Montfort s'est intéressé et pour laquelle il garantit à des frères l'usage de certains meubles.
Ce fait que nous ne trouvons signalé dans aucun document contemporain, dans aucune pièce émanant de Montfort ou de ses correspondants, semble inconnu aux premiers biographes.
Il est étrange qu'aucun historien, Nantais ou autre, n'ait jamais pu retrouver la trace de cette école, comme on n'a jamais retrouvé de preuves de la présence de véritables "frères" à Nantes avant l'arrivée de ceux de S. J. B. de la Salle.
Tout cela n'empêche pas qu'il y avait en 1716 à Nantes une école à laquelle Montfort s'intéresse dans la dernière clause de son Testament. Du texte de l'art. 13°, on ne peut déduire que Montfort ait fondé cette école; pour l'affirmer il nous faudrait au moins une preuve ou un indice.
Si elle avait été fondée par lui, cette fondation devait remonter à l'année 1711, et plus spécialement, semble-t-il, à l'hiver 1710—1711 qu'il passa à Nantes sans pouvoir exercer son ministère. Car, après le carême de 1711, le Saint n'a fait que de très courts séjours dans la ville, et nous savons par une lettre, écrite par lui le 4 avril 1716, qu'il lui fallait une permission spéciale de l'évêque pour dire la messe dans la ville de Nantes, peut-être même dans le diocèse[209].
Tout ce qu'on peut déduire du texte de Testament, c'est qu'il y avait à Nantes des meubles dont Montfort donne l'usage à des frères qui y tiennent une école.
 
§ III Les frères qui tiennent l'école
Naturellement on s'est hâté de conclure: Il y avait à Nantes des frères appartenant à une Congrégation fondée par Montfort et qui faisaient l'école[210].
Comme le Testament ne parle que d'une seule Congrégation fondée par Montfort, la Communauté du S. Esprit, et qu'on n'a jamais apporté de preuves que le Saint ait fondé une autre Congrégation d'hommes, il faudrait démontrer que les frères qui tiennent l'école de Nantes appartiennent à la Communauté du S. Esprit mentionnée dans le Testament. Or le Testament lui-même s'oppose à cette solution.
1. Les Frères de la Communauté du S. Esprit sont nommés dans les articles 2°, 4°, 5°, 6° et 7° du Testament. Il suffit de relire les textes pour constater que Montfort les nomme toujours ou en relation avec l'évêque du diocèse et M. Mulot, ou avec M. Mulot seul ou avec M. Mulot et la Communauté comme il le fait dans l'art. 7°. L'Art. 13° ne suppose aucune relation des frères de Nantes avec la Communauté du S. Esprit.
2. Le Testament identifie très clairement tous les frères de la Communauté du S. Esprit, et donne tous leurs noms. Je sais qu'on fait opposition ici. Partant du fait que nous ne connaissons les noms de trois frères que par le Testament, on a dit qu'il peut y en avoir eu d'autres qui ne sont pas nommés ici, des novices par exemple, ou encore, le frère Alexis qu'on croit retrouver auprès du lit de Montfort mourant[211].
Quand on se contente de supposer qu'il y avait d'autres frères, on peut aussi se contenter de supposer que Montfort avait fondé d'autres congrégations. Les suppositions restent libres, mais n'entrent pas dans le domaine de l'histoire.
3. Les frères qui tiennent l'école de Nantes ne peuvent appartenir au groupe de frères nommés dans le Testament. Nous y distinguons:
a. ceux qui sont supposés vouloir s'en aller, Jacques, Jean et Mathurin. Montfort n'a pas songé à leur assurer l'usage de meubles à Nantes lorsqu' il prévoit leur départ possible.
b. ceux qui ont fait vœux entre ses mains, "mes frères unis avec moi ... Nicolas, Philippe, Louis et Gabriel".
De ces quatre, Nicolas est en apprentissage du métier de sculpteur à Poitiers. Il est certainement destiné à accompagner les missionnaires dans leurs courses évangéliques. Louis est à la Rochelle, il ne peut en même temps tenir une école à Nantes. Gabriel est avec Montfort à la mission de S. Laurent-sur-Sèvre; il est donc missionnaire, et n'enseigne pas à Nantes. Reste le frère Philippe de Nantes. Je sais bien qu'on voudrait le mettre à la tête de cette école de Nantes, ayant avec lui des novices pour arriver au pluriel du Testament. Supposition gratuite et que vraiment rien ne vient appuyer.
Nous verrons dans la IIIe partie de cette étude comment on a jonglé avec les frères Louis de La Rochelle et Philippe de Nantes pour les avoir chacun à la place voulue au moment opportun[212].
4. Les frères de la Communauté du S. Esprit ne peuvent tenir l'école de Nantes; pour la raison toute simple qu'ils ne sont pas en nombre. L'Art. 2° du Testament, dont personne ne niera l'importance, vu qu'il nous révèle la première préoccupation du grand missionnaire mourant, nous apprend que Montfort veut que l'évêque et M. Mulot conservent ses "petits meubles et livres de mission" pour l'usage de "mes quatre frères unis avec moi". Il est indéniable que le saint destine ces frères en premier lieu à l'œuvre des missions. Il y a ensuite, à l'Art. 7°, l'obligation d'entretenir dans la maison Arcelin au moins deux frères pour faire l'école à Vouvant. Où prendre alors les frères de Nantes? Car les obligations susdites doivent être remplies, même si Jacques, Jean et Mathurin s'en vont. Alors qui sont ces "frères"?
 
 
§ IV Tant que l'école subsistera
 
Relisons le texte en son entier:
"Tous les meubles qui sont à Nantes, seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école tant qu'elle subsistera".
 
A. POUR L'USAGE DES FRÈRES.
Nous avons montré ailleurs, que rien ne permet d'entendre cette expression: pour l'usage des frères, dans le sens de la locution moderne "ad usum" des religieux, pour en tirer ensuite la conclusion: chaque fois que le Testament emploie cette locution, ceux dont il est parlé sont de véritables religieux.
Mais on objectera qu'en tous les cas, Montfort ne transmet ici que l’usage des meubles et non la propriété.
Pleinement d'accord! Seulement remarquons que nous ne savons pas si Montfort avait en effet la propriété de ces meubles. S'il ne transmet que l'usage on peut admettre qu'il ne possédait que cela. Et si on y regarde de près, on remarquera que son but final n'est pas d'avantager ces frères, mais d'avantager l'école. Il y a eu auparavant transmission de propriété et transmission à l'école. Et c'est cette transmission que cet art. 13° veut confirmer.
Et ceci nous met sur la voie de la solution du problème.
 
B. LA PROPRIÉTÉ DES MEUBLES.
Si ces frères appartenaient à la Communauté du S. Esprit, il n'est pas compréhensible que Montfort ne transmette pas à leur Communauté la propriété des meubles comme il transmet, dans l'art. 2, la véritable propriété des "petits meubles et livres de mission", et, dans l'art. 7°, les immeubles de Vouvant. Ici il ne transmet que l'usage. Et la raison est simple. Les frères qui tiennent l'école de Nantes ne sont pas des frères de la Communauté du S. Esprit, ils ne sont même pas "frères" du tout dans le sens de religieux appartenant à une société.
Certains ont voulu s'indigner d'une pareille affirmation. Pourtant ce sont eux qui nous en ont fourni les preuves. Comme nous le verrons dans la IIIe  Partie, il y avait à Nantes, en ce temps-là, de pieux laïcs qui s'occupaient de bonnes œuvres et qui portaient le nom de "frères" sans être pour cela le moins du monde des religieux.
 
C. LES FRÈRES ENSEIGNANTS.
C'est parmi ces frères qu'il faut ranger "les frères qui tiennent l'école".
Si on relit l'art. 13° on constate que Montfort concède aux frères qui tiennent l'école, l'usage des meubles aussi longtemps que l'école subsistera. Pour comprendre le sens de la phrase, il suffit de la lire ainsi: Tant que l'école de Nantes subsistera les meubles seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école. Cela veut dire tout simplement: tous ceux qui tiendront l'école et qui, à cause de cela, seront nommés frères, jouiront de l'usage des meubles aussi longtemps qu'il garderont cette qualité d'enseignants de l'école. C'est parcequ'on n'a pas tenu compte du "seront pour l'usage" qu'on n'a pas vu quel était le sens exact de cet art. 13°.
 
CONCLUSION DE CE CHAPITRE.
Il y avait à Nantes en 1716 une école tenue par de pieux laïcs, qui, de même que ceux qui exerçaient leur charité à l'Hôpital, portaient le nom de frères. Dans cette école il y avait des meubles sur lesquels Montfort pouvait faire valoir des droits. Pour garantir la subsistance de l'école, il décide que ces meubles "seront pour l'usage de ces frères aussi longtemps que l'école subsistera". Comme ces frères sont des laïcs, on comprend l'utilité de cette clause, qui empêche ces séculiers "ces frères", en se retirant, de s'emparer des meubles appartenant à l'école.

 
DEPOST DU TESTAMENT DE MONSIEUR GRIGNION DU 5e JUIN 1716.
Grand missionnaire et mort en odeur de sainteté.
 
L'année sept cent et
seize pardevant les notaires du roi et
apostolique de la cour de Nantes sousnés fut
présent vénérable et discret messire René
Mulot prestre exécuteur testamentaire
de feu noble et discret Mesre Louis Marie
de Montfort Grignon demnt à Saint Pompain
Evesché de La Rochelle.
Estant de présent à Nantes exprès pour
l'exécution du testament, lequel pour
satisfaire aux Edits et déclarations
du roi a déposé es mains de nous Michel
Forget, Nore roial et apostolique de
la cour de Nantes, le testament dud. sieur
Grignon de Montfort du vingt sept avril
dernier mil sept cent seize, signé
Louis Marie de Montfort Grignon; L. F.
Rougeou, doien de St. Laurent; F. Triault,
pte vicaire; escript sur quatre
costés de papier pour estre
icelui Testament conllé (suivant les
Edits) et avoir son effet (suivant)
C'est pourquoi il nous a requis le présent
acte passé en nostre estude les djs
et an. Rature suivant les édits
suivant leus et approuvés
R. Mulot, ptre missionnaire exécuteur                                                                         testamentaire de Mre Louis
Marie de Montfort Grignon.
 
Cheurier                                                                                                        Forget
Nre Sindic                                                                                                      Nre Royal
 
Controllé à Nantes le 6 Juin 1716. Receu
Treize sols et trois deniers
Cheurier.
 

IIIme PARTIE "L'EXECUTION DU TESTAMENT"
 
Chapitre XVIII LE DÉPÔT DU TESTAMENT.
 
§ I. Les circonstances du dépôt.
 
A. LA DATE DU DÉPÔT.
Besnard, qui semble avoir ignoré ce voyage de M. Mulot à Nantes, nous révèle pourtant la cause du retard que mit l'exécuteur à faire cette démarche officielle: le dépôt du Testament.
Vivement touché de la perte d'un homme qu'il aimait comme un père et qu'il révérait comme un saint, épuisé d'ailleurs par l'assiduité à écouter les confessions depuis le commencement de la mission, il tomba malade et se vit à la dernière extrémité. Il ne perdit pourtant pas courage, et il se persuada que son cher et vertueux défunt veillait sur lui du lieu de son repos. Son espérance ne fut pas vaine. Il se rétablit de cette maladie...
Il profita des premiers jours de sa convalescence pour retourner avec son frère à St. Pompin[213].
Montfort avait dicté son Testament le 27 Avril; le cinquième jour de sa maladie, dit Grandet. Il mourut le 28 Avril et fut enterré le lendemain. A cette cérémonie funèbre, M. Mulot prit la parole pour la première fois. Il tomba malade après cette cérémonie. Ce qui dut se produire vers le commencement du mois de mai, et comme "il se vit à la dernière extrémité", il ne dut entrer en convalescence que vers la fin de ce mois. Il n'est donc pas étonnant qu'il ne fût en état d'entreprendre le voyage de Nantes, que vers le commencement du mois de Juin.
Besnard affirme que M. Mulot profita des premiers jours de sa convalescence pour retourner avec son frère à S. Pompain. Si cela est, ce voyage a dû s'effectuer avec un détour par Nantes, car il est difficile d'admettre que le convalescent descendît d'abord sur S. Pompain, pour remonter aussitôt après vers Nantes. Voici l'itinéraire le plus probable: de S. Laurent par Mortagne à Nantes, et retour par le même chemin pour être à S. Laurent pour le 20 Juin; ensuite, de S. Laurent, par Pouzauges-Cheffois, La Châtaigneraie et Coulonges vers S. Pompain.
Quoi qu'il en soit, le 5e Juin 1716 M. Mulot était à Nantes pour faire le dépôt du Testament.
 
B. LE DÉPÔT À NANTES ET NON À VOUVANT.
Quand on se rappelle les événements aux quels il avait assisté, la teneur du Testament, et le rôle que M. Mulot devait jouer dans l'exécution des dernières volontés du Saint, on s'étonne qu'il n'ait pas préféré faire le dépôt du Testament à Vouvant, plutôt qu'à Nantes.
Le concept de Maitre Bernier nous apprend, que le projet d'établir la Compagnie du S. Esprit à Vouvant, datait déjà de Novembre 1715. C'est au moment où Montfort prêchait la mission dans cette paroisse, que Renée Arcelin lui donna la moitié de la petite maison au bord de la rivière[214]. Or cette mission de Vouvant fût la première à laquelle assista M. Mulot.
Au commencement du mois de Janvier, Montfort résidait, en compagnie de M. Vatel et de M. René Mulot, dans la cure du recteur Jean Mulot à Saint-Pompain. C'est de là qu'il partit pour Vouvant, pour y aposer sa signature au bas du Testament olographe de Jeanne Creuzeron — Mad. de la Brûlerie — le 3 Janvier 1716. La veille, Maître Bernier avait rédigé le Testament officiel de Renée Arcelin. Le document ne mentionne pas la présence du missionnaire, mais on a le droit de supposer qu'il était au courant des faits. Comment admettre qu'il aît caché à ses amis de S. Pompain le but de son voyage à Vouvant.
Le Testament de Montfort lègue à la Communauté du S. Esprit tous les biens acquis par le Saint à Vouvant, et désigne M. Mulot pour accomplir les conditions des contrats.
Après la mort du Saint, la Communauté du S. Esprit devra établir son centre à Vouvant, parcequ'elle ne disposera plus d'aucune autre maison, puisque celle de la Rochelle retourne à ses héritiers naturels.
La ville de Vouvant et particulièrement le cabinet du Notaire Bernier étaient donc tout désignés pour y faire le dépôt du Testament de Montfort. Chez le notaire Bernier reposaient les actes de donations de Madame de la Brûlerie et de Renée Arcelin; lui seul pouvait renseigner les héritiers du Saint sur la donation faite par la Lieutenant de Vouvant. Le Testament du Saint tablant sur ces documents, ne devait-il-pas venir les rejoindre chez le même notaire?[215].
Et pourtant M. Mulot est allé "exprès" à Nantes pour y faire le dépôt du Testament de Montfort. Il est évident que l'exécuteur testamentaire doit avoir eu des raisons très sérieuses pour agir ainsi.
 
C. L'ACTE OFFICIEL.
L'année sept cent et seize par devant les notaires du roi et apostolique de la cour de Nantes soussignés, fut présent messire René Mulot prestre, exécuteur testamentaire de feu noble et discret Messire Louis-Marie de Montfort Grignon, demeurant à Saint-Pompain, Evesché de La Rochelle.
Estant de présent à Nantes exprès pour l'exécution du testament, lequel pour satisfaire aux Edits et déclarations du Roi, a déposé es mains de nous Michel Forget Notaire royal et apostolique de la Cour de Nantes le testament dudit sieur Grignon de Montfort du vingt sept avril mil sept cent seize, signé Louis-Marie de Montfort Grignon, L. F. Rougeou, doyen de St. Laurent, F. Triault, prêtre vicaire, éscript sur quatre costés de papier pour être icelui testament controllé et avoir son effet. C'est pourquoi, il nous a requis le présent acte passé en nostre estude les dits jours et an.
Rature: suivant les édits, suivant, lus et approuvés.
R. Mulot, prêtre missionnaire, exécuteur testamentaire
de Messire Louis Marie de Montfort Grignon
Cheurier                                                                                                                    Forget
Nre sindic                                                                                                                   Nre royal
 
Controllé à Nantes le 6 juin 1716. Reçu treize sols trois deniers
Cheurier.
 
D. LE DEPOT A NANTES POUR L'EXECUTION DU TESTAMENT.
Le notaire constate par rapport à M. Mulot: "Estant de présent à Nantes exprès pour l'exécution dudit Testament".
Est-ce que ce mot "exprès" a été écrit intentionnellement? Il me semble que oui. Par là le notaire absout M. Mulot du reproche qu'on aurait pu lui faire d'avoir tardé à accomplir la formalité requise par la loi.
On objectera que le notaire a écrit: pour l'exécution du Testament, et non pas, pour le dépôt du Testament. Mais le sens est identique. Il s'agissait d'un Testament privé, légalisé seulement par la signature du Testataire et de deux témoins. Dans ce cas le dépôt était le commencement de l'exécution, ce dépôt étant nécessaire pour que le Testament pût avoir son effet. Mais ne faut-il pas donner aux mots "pour l'exécution" un sens plus précis et dire que M. Mulot est allé à Nantes exprès pour exécuter les dernières volontés de Montfort?
Comme nous ne voulons éviter aucune discussion, nous aborderons cette question, en nous excusant auprès du lecteur de ce qui pourra sembler un retour en arrière.
Quand on relit le Testament du Saint, on constate d'abord qu'un voyage à Nantes et un dépôt du document dans cette ville ne pouvait être d'aucune utilité pour l'exécution de 11 des 13 clauses du Testament. Au contraire il y avait certainement un inconvénient à déposer à Nantes, chef-lieu d'un autre diocèse, un Testament qui avait trait à des biens ecclésiastiques situés dans le diocèse de la Rochelle. Dans le Testament de Montfort il n'y a que trois articles dans lesquels il soit fait allusion à la ville de Nantes.
L'art.   2         compte, parmi "mes quatre frères", Philippe de Nantes.
L'art.   3         donne les statues du Calvaire à la maison des Sœurs des Incurables de Nantes.
L'art. 13         "Tous les meubles qui sont à Nantes seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera."
Remarquons qu'aucun des trois articles ne demande, pour avoir son effet, l'intervention de l'exécuteur testamentaire. Inutile de parler ici du frère Philippe. Constatons a) que les statues sont dans la maison des Incurables depuis 1714, et b) que rien ne prouve que les meubles ne se trouvaient pas déjà dans l'école dont il est question. En tous les cas on ne peut pas déduire du texte du Testament de Montfort, que l'intervention de M. Mulot y est jugée nécessaire. Examinons cependant chacun des articles 13, 3 et 2 et les arguments qu'on peut en tirer.
 
§ II. Le dépôt du Testament aurait été fait à Nantes pour la défense des frères enseignants.
 
Voici l'hypothèse proposée par l'auteur de "Luigi-Maria" dans son commentaire de l'art. 13 du Testament de Montfort.
"Tous les meubles qui sont à Nantes seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera."
Il y avait donc, avant la mort de Montfort, des frères enseignants! Nous verrons plus loin dans quelle école ils enseignaient. Il suffit de relever combien grand était l'intérêt du Saint pour les Frères enseignants de Nantes. Il avait dans cette ville deux groupes de fidèles collaborateurs: les demoiselles Dauvaise, qui dirigeaient la Maison des Incurables, et les frères enseignants. A la maison des Incurables, le Testament remettait la garde des statues de Pontchâteau, legs de valeur. Mais, outre ces statues, se trouvait à Nantes une certaine quantité de meubles, ou bien des meubles personnels ceux de la chambre dans la quelle Montfort avait séjourné plusieurs fois ou bien des bancs et des tables aptes à servir pour l'école.
La maison des Incurables était sur le point de s'agrandir. Montfort pouvait craindre que les gouvernantes de cette maison voulussent s'approprier, pour cet agrandissement, ces pièces de mobilier. Lui au contraire, avait à cœur d'encourager cette sienne récente Congrégation de Frères enseignants.
C'est pourquoi, alors que M. Mulot avait déjà fini d'écrire les dernières volontés, et avait déjà mis la date; quand il ne restait plus qu'à signer. Montfort se souvint qu'il fallait encore protéger ses frères enseignants de Nantes contre une usurpation possible, et c'est pourquoi il fit ajouter cette clause...
La précaution prise par Montfort n'était pas inutile. Un peu plus d'un mois après sa mort, le révérend M. Mulot devait se rendre personnellement à Nantes et y faire enregistrer le Testament pour en assurer l'effet (suit le texte de l'acte de dépôt):
C'est au dépôt à Nantes pour la défense des Frères enseignants, que nous sommes redevables de posséder encore, dans l'original, le Testament de Louis-Marie Grignion de Montfort[216].
Un examen attentif de ce texte nous permet de constater que l'auteur de "Luigi-Maria" se propose de prouver que les frères qui tiennent cette école de Nantes appartenaient à une Congrégation de Frères enseignants récemment fondée par Montfort.
Pour trouver une base à cette hypothèse, il affirme que M. Mulot a fait le dépôt du Testament à Nantes "pour la défense des frères enseignants". Étudions d'abord ce second point: Le dépôt du Testament a-t-il été fait à Nantes "pour la défense des frères"? Nous examinerons ensuite l'hypothèse qui prétend que les frères qui tenaient l'école appartenaient à une Congrégation fondée par Montfort.
 
§ III. Le dépôt du Testament à Nantes pour la défense des frères.
 
A. L'INTÉRÊT QUE MONTFORT PORTAIT À CES FRÈRES.
L'auteur de "Luigi-Maria" constate d'abord qu'il y avait, avant la mort de Montfort, des frères qui enseignaient. Il tient ensuite à faire remarquer le grand intérêt que Montfort portait à ces frères. Personne ne songera à le nier, mais les faits que l'auteur apporte pour le prouver me semblent assez mal choisis. En effet, il commence par nous dire qu'il y avait à Nantes deux groupes de collaborateurs du Saint, Madelle Dauvaise, Supérieure de 1 maison des Incurables, et les frères.
Or dès l'art. 3 du Testament, Montfort donne à cette maison des Incurable les statues du Calvaire, ce que l'auteur de "Luigi-Maria" appelle un legs précieux. Puis l'auteur nous fait remarquer comment Montfort a retardé la signature du Testament pour s'occuper, en dernière minute et dans une ajoute écrite après que le document eut été daté, des intérêts des frères. Il est difficile de comprendre comment Montfort, s'il tenait tellement à encourager "cette sienne récente congrégation" n'a pas pensée plus tôt i sauvegarder leurs intérêts.
Quels sont les faits réels. A la dernière minute, Montfort a songé à assurer à des frères, qui y tenaient une école, l'usage de meubles qui se trouvaient à Nantes.
 
B.        LES MEUBLES.
De quels meubles s'agit-il? Ceux qui se trouvaient dans une chambre occupée parfois par Montfort? Mais l'auteur de "Luigi-Maria", dans son commentaire du Testament, les a déjà fait remettre à l'évêque de la Rochelle d'après l'art. 2 du Testament[217].
Admettons qu'il s'agisse tout simplement de meubles de classe, quoique cela rende moins probable l'hypothèse qui accuse la Directrice de la maison des Incurables d'avoir voulu s'en emparer.
 
C. LA DEFENSE DES FRERES.
Voici le point crucial! Montfort, nous dit-on, a écrit cet art. 13 du Testament, et M. Mulot a fait le dépôt du document à Nantes, pour la défense des frères. Défence contre qui? Contre Mademoiselle Dauvaise!
La maison des Incurables était sur le point de s'agrandir [218]).
"Montfort pouvait craindre que les gouvernantes de cette maison voudraient s'approprier — pour cet agrandissement — ces pièces de mobilier."
Cf. supra.
L'auteur de "Luigi-Maria" est tellement sûr des mauvaises intentions de ces gouvernantes, qu'il écrit en 1950:
Louis-Marie Grignion avait prévu, comme on le verra plus loin, qu'il y aurait des discussions entre ses fondations nantaises, école et hospice, pour la possession de ses meubles. Contraint d'intervenir, René Mulot remit le Testament, dès le 5 juin, entre les mains de Maître Michel Forget, notaire royal et apostolique de la cour de Nantes[219].
Nous avons scruté l'article écrit par l'auteur de "Luigi-Maria", phrase par phrase, pour y trouver la preuve que Montfort avait prévu ces fameuses discussions, ou une preuve de l'intervention de M. Mulot pour la défense des frères.
Et voici le seul texte ayant rapport à cette question de l'école de Nantes:
Ce sont sans doute ces informateurs nantais, ou les demoiselles Dauvaise, à qui le vicaire général Barrin l'avait renvoyé, qui ont fourni à Grandet le texte du Testament qu'il a inséré dans sa biographie de Montfort. Mais ce texte n'est pas tout à fait exact, ni complet; et l'une des omissions, au moins, s'expliquerait au mieux, si le texte lui parvint directement ou indirectement des sœurs Dau­vaise, dont l'une était directrice de l'hospice des Incurables, puisque l'une des phrases qui ont été omises était précisément celle qui privait la maison des Incurables des meubles du saint au bénéfice des Frères sui tenaient l'école[220].
Voilà une nouvelle hypothèse enveloppée dans bien des conditionnels. Elle se réduit à ceci: Grandet, dans sa version du Testament, a omis l'article 13, que Montfort avait écrit spécialement pour encourager une sienne récente congrégation de frères enseignants. Si Grandet a fait cette omission c'est parceque le texte du Testament lui a été fourni par Madelle Dauvaise qui l'avait falsifié pour pouvoir s'emparer des meubles.
Je défie tous les chercheurs de trouver non pas une preuve, mais un simple indice de ces "discussions entre ses fondations nantaises" ou de cette crainte de Montfort que "les gouvernantes de cette maison ne voulussent s'approprier ces pièces de mobilier".
 
D. UNE OMISSION.
Tout cet échafaudage est basé sur cette omission par Grandet de cet art. 13 du Testament.
Les partisans de cette opinion ne peuvent admettre que Grandet, le biographe qui a parlé le plus clairement d'écoles, ait supprimé volontairement cet article; il faut donc trouver un faussaire qui lui a fourni une copie tronquée du Testament. Ce faussaire ne peut-être que quelqu'un qui avait intérêt à faire disparaître cet art. 13, c.a.d. qui voulait s'approprier les meubles dont il est question. Qui a pu avoir cette noire pensée? Mademoiselle Dau­vaise. Pourquoi elle? Parce-qu'elle a fourni à Grandet une copie tronquée du Testament. Sur quoi se baser pour l'accuser d'avoir faussé le Testament? Sur le fait qu'elle voulait s'approprier les meubles. Cercle vicieux s'il en est!
1) Mademoiselle Dauvaise est elle la coupable?
Comme le lecteur peut le voir dans un Appendice à cette étude, où nous reproduisons la première Esquisse par Grandet d'une vie de Montfort, le Sulpicien a commencé à se documenter sérieusement en 1718—1719. Il a reçu de Mgr. Barrin de Nantes une lettre écrite le 25 Août 1719, où celui-ci lui conseille de s'adresser pour plus amples détails à Mademoiselle Dauvaise. Si cette Demoiselle a fourni des documents ce doit avoir été après cette date. Alors quel intérêt cette Dame pouvait-elle avoir à escamoter dans le Testa­ment cet art. 13, puisque le document était déposé à Nantes depuis le 5 Juin 1716? Ce n'est pas une copie tronquée du Testament à publier après 1719 qui pouvait favoriser une spoliation des frères.
On nous objectera peut-être, que cette Dame pouvait avoir transmis le document falsifié plus tôt, à l'insu de Mgr. Barrin.
Supposons le pire: Mademoiselle Dauvaise a transmis une copie tronquée du Testament à Grandet avant même le dépôt du Testament à Nantes par M. Mulot le 5 Juin 1716.
Et M. Mulot serait allé apporter le Testament à Nantes pour dénoncer la supercherie de la gouvernante des Incurables!
Mais cette supposition est privée de toute vraisemblance. Mademoiselle Dauvaise devait savoir tout de même, je pense, que pour l'exécution des clauses du Testament du Saint on s'en tiendrait au document officiel et non à une reproduction donnée par un biographe. Cela ne lui servait donc à rien de donner à Grandet une copie tronquée, avant le dépôt du Testament. Cela servait encore moins de la donner après, car le document une fois entre les mains du notaire, les intéressés, c.a.d. les frères devaient bien être capables de faire valoir leurs droits. Il ne faut pas les supposer par trop dépourvus.
 
2) Le coupable c'est le seul Grandet.
Comme nous l'avons montré clairement au chapitre IX, le responsable des omissions et changements dans le texte publié par le premier biographe, est le seul Grandet. Il nous fournit la preuve formelle qu'il avait sous les yeux un texte plus complet que celui qu'il a inséré dans son livre[221].
Mais le motif de cette omission de l'art. 13? Il est obvie. Grandet a jugé que cette clause n'avait pas d'intérêt pour son lecteur, parcequ'il n'y était pas question du véritable héritage laissé par Montfort. Il a reproduit très exactement, et avec une vraie intelligence du texte, tout ce qui regardait la Communauté du S. Esprit. Les meubles de l'école de Nantes ne l'intéressaient plus en 1724, au moment où il publiait son livre, parcequ'ils n'étaient pas destinés pour l'usage de frères appartenant à la Communauté du S. Esprit, l'héritière de Montfort. Nous avons démontré dans ce même chapitre que ces frères de Nantes n'étaient pas des „frères" dans le sens de religieux à vœux, mais bien de pieux laïques. D'ailleurs nous puiserons dans les documents, apportés par les défenseurs de la thèse adverse, des arguments irréfutables pour appuyer notre affirmation.
 
CONCLUSION.
On affirme que Montfort craignait des discussions entre les frères et l'hospice, et que, pour empêcher la spoliation des frères par les gouvernantes de l'hospice, il a écrit l'art. 13 qui réserve pour ces frères l'usage des meubles. On affirme encore que le dépôt du Testament a été fait par M. Mulot à Nantes pour la défense des frères.
On n'apporte, des mauvaises intentions qu'on prête à ces dames, aucune autre preuve que la supposition: Mademoiselle Dauvaise a donné à Grandet une version tronqué du Testament, dans laquelle elle avait justement supprimé cet art. 13.
Cette dernière hypothèse étant insoutenable, la première: les discussions et les plans ténébreux; ne s'appuie plus sur aucun base rationnelle.
Rien ne permet donc d'affirmer que l'insertion de l'art. 13 du Testament et le dépôt du document à Nantes avaient pour but de défendre contre les empiétements (inexistants) de la Gouvernante des Incurables, les intérêts d'une "sienne récente congrégation".
 
§ IV. Les frères de l'école de Nantes appartiennent-ils à une Congrégation fondée par Montfort.
Personne ne voudra prétendre que ces frères appartiennent à une Congrégation fondée par Montfort qui n'est pas nommée dans les Testament. Il faut donc admettre, si on prétend attribuer la fondation de ces frères à Montfort, qu'ils doivent appartenir à la Communauté du S. Esprit mentionnée plusieurs fois dans le document que nous étudions. Mettons donc en regard l'un de l'autre les deux articles qui ont trait aux frères de Nantes et aux frères mentionnés comme appartenant à cette Communauté.
Art. 2 : ... Pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans Y obéissance et la pauvreté, sçavoir: frère Nicolas de Poitiers, Philippe de Nantes, frère Louis de La Rochelle et frère Gabriel qui est avec moi. . .
Art. 13: Tous les meubles qui sont à Nantes seront pour l'usage des frères qui tiennent l'école, tant qu'elle subsistera.
Il peut-être utile de rappeler au lecteur, que Montfort demande à M. Mulot de donner dix écus à Jacques, dix écus à Jean et dix écus à Mathurin s'ils veulent s'en aller.
Nous avons déjà fait observer que si on veut identifier les frères de Nantes avec ceux nommés dans le Testament, il faudra les identifier avec les quatre dont Montfort suppose qu'ils restent fidèles, et certes pas avec ceux dont il suppose qu'ils veulent s'en aller. Nous avons montré ailleurs comment il est impossible de trouver, parmi les quatre frères à vœux, des enseignants pour cette école de Nantes, à raison des obligations qui leur sont déjà imposées par le Testament.
N'importe, exposons les arguments proposés par ceux qui veulent faire de ces frères de Nantes des frères du S. Esprit. On commence par identifier cette école avec une institution du Sanitat de Nantes; ensuite on tâche d'identifier les frères qu'on trouve dans ce Sanitat avec les frères de la Communauté du S. Esprit.
 
LE FRERE LOUIS.
L'Hôpital de Nantes, comme celui de Poitiers, donnait l'hospitalité à un grand nombre d'enfants, qui étaient gouvernés par un certain Louis Danto, accepté par les administrateurs de l'Hôpital le 14 Mars 1696:
"Louis Danto, âgé de 26 ans, natif de Redon, s'est présenté... pour avoir soin de la conduite des garçons, à la condition d'être nourri et entretenu, tant sain que malade. Le Bureau l'a reçu pour la conduite desdits garçons... il aura sa portion comme les sœurs, à une table séparée dans le réfectoire de Messieurs les Aumôniers..."
1°. On voit que Louis Danto, appelé d'ores et déjà Frère Louis, resté à l'Hôpital jusqu'à sa mort le 3e Janvier 1731, n'étant pas payé, jouissait d'un traitement différent de celui accordé aux domestiques. Il appartenait à ce groupe de chrétiens fervents, que décrit l'auteur de l'Histoire des Hôpitaux de Nantes :
"Quelques jeunes gens se présentèrent au bureau pour servir gratuitement les pauvres sous le titre de Frères et s'acquittèrent de leur office avec zèle; mais leur dévouement n'ayant pas rencontré d'imitateurs, l'administration fut obligée de recourir bientôt aux serviteurs à gages."
Léon Maître: Histoire Administrative des anciens hôpitaux de Nantes. A. Nantes 1875, page 270.
2°. Nous n'avons pas de témoignages directs de l'influence de Montfort sur Louis Danto, ni de son agrégation au groupe des Frères; mais Frère Benoît du Pont Coissard, qui, partant du texte de l'historiographe des hôpitaux, fit des recherches d'archives en 1929, a recueilli de sérieuses raisons d'identifier Louis Danto avec Frère Louis de La Rochelle du Testament. Dans les comptes du receveur de l'Hôpital en fait, Frère Louis a signé des reçus pour les enterrements auxquels assistaient les enfants le 20 Avril, le 3 et le 24 Juin 1713, le 22 Janvier 1714, et de nouveau le 16 Mai 1716 et depuis assez fréquemment.
Il est naturel de conclure de l'absence de son nom pendant au moins deux ans, que, pendant cet espace de temps, il n'était pas présent à Nantes; et comme le Bienheureux de Montfort préparait alors l'ouverture des écoles de garçons de La Rochelle, il n'est pas téméraire de penser qu'il appela à lui Frère Louis, qu'il avait instruit entre 1708 et 1711 de la méthode d'enseignement mutuel, soit pour compléter sa formation spirituelle, soit pour le charger d'instruire les autres futurs maîtres. Montfort aura aussi chargé Frère Louis de commencer les écoles, parcequ'il était indispensable, en face des protestants, d'en assurer immédiatement le succès.
3°. Montfort étant mort, Frère Louis retourna immédiatement à Nantes, à cause de cette difficulté à laquelle voulait parer l'ajoute du Testament[222].
On comprend très bien que l'auteur de "Luigi-Maria" laisse au frère Coissard la responsabilité de ces découvertes.
Pour mettre les choses au point il faut poser deux questions auxquelles nous répondrons successivement:
A. Est-il possible d'identifier le frère Louis de La Rochelle, nommé dans le Testament du Saint, avec le frère Louis Danto de Nantes mentionné dans les registres du Sanitat?
1) Les signatures.
La seule raison "sérieuse" apportée par frère Coissard est la suivante: Frère Louis Danto signe des reçus sur les registres du Sanitat le 20 Avril, le 3 et le 24 Juin 1713 et le 22 Janvier 1714. Ensuite il y a interruption et l'on retrouve la même signature le 16 Mai 1716.
De là on déduit que frère Louis Danto a été absent de Nantes depuis Janvier 1714 jusqu'en Mai 1716. Nous savons que le frère Louis était au Sanitat depuis 1696. Faut il conclure aussi que puisqu'on ne trouve pas de signatures entre 1696 et 1713, le frère Louis a été absent de Nantes?!
Et que dire, par exemple, du laps de temps qui s'est écoulé entre le 24 Juin 1713 et le 22 Janvier 1714?
L'absence de signatures ne prouve en aucune façon que le frère Louis ait été absent entre 1714 et 1716; sinon il faut faire valoir l'argument sur toute la ligne.
Le frère Coissard avait une thèse à défendre.
Le Testament de Montfort parle d'un frère Louis de La Rochelle. On n'en trouve pas dans cette ville; alors on le fait venir de Nantes juste au bon moment. Mais le Testament parle d'un frère Philippe de Nantes. On n'en trouve pas dans les registres découverts dans cette ville. On le fait vite venir de La Rochelle exactement au moment ou il doit être mentionné comme "de Nantes" par le Testament du Saint[223].
Le Testament une fois écrit, on les fait aussitôt permuter, parcequ'on a trouvé à La Rochelle un reçu dans lequel il est parlé d'un frère Philippe, et frère Louis doit revenir dare-dare à Nantes „à cause de cette difficulté à laquelle voulait parer l'ajoute du Testament" c.à.d. pour empêcher Madelle Dauvaise de s'emparer des meubles. Et tout cela se base sur quoi? Sur le fait qu'on ne trouve pas les signatures de frère Louis Danto dans les registres du Sanitat en l'année 1715 et une partie de l'année 1716. On oublie de nous dire p.e. si pour le frère Philippe, on trouve quelque trace de son passage à Nantes, ou si on trouve trace du passage de frère Louis Danto à La Rochelle.
Constatons que le frère Coissard n'hésite pas à identifier les „frères qui tiennent l'école", comme parle le Testament, avec les frères du Sanitat de Nantes? Et ce sont ces frères du Sanitat qui auraient eu à craindre les empiétements de Mademoiselle Dauvaise: de là le retour précipité de frère Louis à Nantes.
Il n'est cependant pas très vraisemblable que cette bonne Dame eût été assez puissante pour disputer à des frères, appartenant au Sanitat, les meubles de leur école. Mais voyez comme on est prudent.
Les frères enseignants de Nantes, dont parle le post-scriptum du Testament, à la tête desquels était le frère Philippe, enseignaient-ils à l'Hôpital ou dans quelqu'autre milieu? Nous ne pouvons répondre à la question[224].
 
Naturellement, si cette école se trouvait ailleurs, la difficulté était moindre. Mais n'est-ce pas non plus pour cette raison qu'on aurait préféré que l'art. 13 parlât de meubles personnels ayant appartenu à Montfort, plutôt que de meubles de classe. On ne voit pas bien cette bonne demoiselle s'emparer des meubles de classe appartenant à une école régie par des frères du Sanitat qui était une puissance à Nantes en ces temps-là.
Donc, se basant uniquement sur l'absence de signatures de Louis Danto pendant une époque déterminée, on l'identifie avec le frère Louis de La Rochelle nommé par le Testament; et pour arranger les choses on le fait permuter avec le frère Philippe pour que le Testament de Saint Louis de Montfort puisse parler de: Philippe de Nantes et de frère Louis de La Rochelle. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
2) Le frère Louis Danto initié par Montfort à l'enseignement mutuel.
On commence par admettre: Nous n'avons pas de témoignages directs de l'influence de Montfort sur Louis Danto.
Puis on affirme que frère Coissard a de sérieuses raisons d'identifier frère Louis Danto du Sanitat avec le frère Louis de La Rochelle nommé dans le Testament de Montfort. Après coup on nous assure que ces raisons sérieuses consistent uniquement dans l'absence de la signature de Louis Danto dans un registre. Et puis sans l'ombre d'une preuve, on nous affirme que Montfort avait instruit frère Louis Danto entre 1708 et 1711, qu'il l'a appelé à La Rochelle — en 1714 n'est-ce pas? — pour compléter sa formation spirituelle, pour le charger d'instruire les autres futurs maîtres de l'école de La Rochelle qui ne devait s'ouvrir qu'en 1715.
 
B. Le frère Louis Danto de La Rochelle, tel qu'il apparaît dans les registres du Sanitat de Nantes, peut-il être un religieux?
Dans la 2me partie du texte, on suggère que Louis Danto était un religieux, parceque "n'étant pas payé, il jouissait d'un traitement différent de celui accordé aux domestiques"; on va même plus loin. On insinue qu'il appartenait à la Communauté du S. Esprit de S. Laurent-sur-Sèvre. Et voici la preuve qu'on apporte: On le lit dans le registre du Sanitat à la date du 30 Octobre 1723: "Permission accordée à Frère Louis d'aller en retraite Lundi prochain, la maison paiera ce qu'il en coûtera pour cela".
Si le lecteur ne voit pas bien le rapport, c'est qu'il n'est pas habitué aux déductions curieuses du frère Coissard.
Voici le raisonnement: Le Sanitat promet de payer „ce qu'il en coûtera pour cela". Or, nous affirme-t-on, il y avait à Nantes des maisons où on pouvait faire sa retraite sans payer. S'il fallait payer, il dut y avoir voyage, et si voyage il y a, le but était naturellement Saint-Laurent où la Communauté du S. Esprit était installée depuis une année. Je trouve malgré tout la date un peu embarrassante. Il n'y avait certainement pas de retraite ni pour les missionnaires ni pour les frères. A cette époque de l'année; les premiers étant en mission et frère Mathurin avec eux, et les autres étant inexistants à part l'unique frère Joseau.
Il y a une autre inscription dans ce registre, qu'on a oublié de signaler. A la mort du frère Louis Danto — 3 Janvier 1731 — le Bureau procède à l'inventaire de son avoir:

"Messieurs Danguy et Vigneu sont priés de descendre, lundi prochain, dans la chambre de feu Frère Louis et d'y appeler quelqu'un de ses plus proches parents, afin de faire l'inventaire, en leur présence, des effets qui se trouveront chez lui et en faire leur rapport au Bureau."
Ce texte est concluant. Il ne s'agit certes pas d'un religieux ici. D'ailleurs comment Louis Danto, entré au Sanitat le 14 mars 1696, appelé d'ores et déjà: frère Louis, peut-il être un frère du Père de Montfort, qui ne commença son apostolat à Nantes, pour la première, fois que dans l'automne de 1700?
Reste donc acquis que le frère Louis Danto de Nantes n'était nullement un religieux, qu'il n'a jamais appartenu à une Congrégation fondée par Montfort, qu'il n'est jamais allé à La Rochelle pour instruire les futurs maîtres, ni à S. Laurent pour faire sa retraite.
Dans ce même registre on trouve un texte se rapportant à un certain frère Pierre qu'on voudrait identifier avec son homonyme mentionné par les biographes de Montfort (cf. p. 16 de cette Étude). Or ce passage du registre apporte la preuve formelle qu'il ne peut s'agir ici d'un religieux.
 
Lundi, premier février 1723.

Congé pour trois mois à frère Pierre

Permission accordée à frère Pierre d'aller pour trois mois à Amiens, dans son pays, recueillir une succession; il a promis de revenir, et comme le bureau est content de lui, on lui a accordé deux pistoles pour son voyage.

On ne nous a donc fourni aucun document permettant d'identifier "les frères qui tiennent l'école" comme s'exprime le Testament de Montfort. Le seul fait qui reste prouvé est le suivant: Il y avait à Nantes — depuis 1696 jusqu'en 1731 — de pieux laïques qui s'adonnaient aux bonnes œuvres et qui portaient parfois le nom de frères.
Nous ne voulons pas fatiguer le lecteur en multipliant les citations empruntées au même registre. Signalons seulement que le frère Jacques, dont le Testament de Montfort dit qu'il faut lui donner dix écus s'il veut s'en aller, a fini lui aussi par être frère du Sanitat. Mais dans l'acte d'acceptation il est désigné comme: "un particulier, vulgairement appelé Frère Jacques,... et qu'il a été un élève de feu M. De Montfort, prêtre missionnaire..." Pour le seul frère Jacques cette particularité a été signalée[225]. C'est bien la meilleure preuve que les nombreux autres frères que mentionne le registre n'avaient eu aucun rapport avec le Saint.
Mais nous avons sous les yeux un "Factum" émanant de ceux qui défendent la thèse qu'a plutôt desservie frère Coissard. Ils semblent être plutôt embarrassés des découvertes mirifiques faites par ce chercheur passionné. En tous les cas nous y lisons ceci:

"Il est bien vrai qu'à l'Hôpital de Nantes, des laïcs charitables faisaient la classe et méritaient parfois le titre de "Frères" mais l'identification de ces frères avec ceux dont parle Montfort dans son Testament ne repose sur aucun fondement et se heurte à plusieurs invraisemblances"[226].
Nous pouvons donc conclure: puisque nous ne possédons aucun document nous permettant d'identifier les "frères qui tiennent l'école" dont parle le codicille, rien ne permet non plus d'affirmer que cette clause a été écrite par Montfort pour encourager "une sienne récente congrégation", ni que M. Mulot a fait le dépôt du Testament à Nantes pour la défense de ces frères.
 
§ V. Le dépôt du Testament à Nantes pour assurer la garde des statues du Calvaire.
Nous avons expliqué que le dépôt à Nantes du Testament était un fait inattendu. Tout semblait conseiller de faire ce dépôt à Vouvant. Le Testament lui-même ne nous apporte aucune indication par rapport à l'opportunité ou la nécessité de faire ce dépôt ou à Nantes ou ailleurs. Nous avons montré aussi l'inanité de la prétention de donner comme raison à ce dépôt "la défense des frères". Nous nous permettons maintenant de proposer une opinion: le dépôt du Testament n'a-t-il pas été fait spécialement à Nantes pour assurer à la maison des Sœurs des Incurables la garde des statues du Calvaire?
Nous avons reproduit ailleurs une lettre du Saint au curé de Pontchâteau, dans laquelle il lui demande de remettre les statues au frère Nicolas et à son compagnon et lui explique que s'il les fait enlever de Pontchâteau c'est sur ordre des autorités supérieures. Dans la même lettre, Montfort laisse percer son espoir de les voir un jour retourner sur le Calvaire qu'il avait édifié avec tant de joie et tant de douleur[227].
Finalement le Saint à dû se rendre lui-même à Pontchâteau et assurer le transport des statues à Nantes. On admet généralement qu'il les a placées aussitôt dans la maison des Incurables; chose fort probable puisqu'il n'avait plus d'autre pied-à-terre dans cette ville.
Et dans l'art. 3 du Testament il dit expressément:
Je donne toutes mes figures du Calvaire, avec la croix, à la maison des Incurables de Nantes.

Mais est-ce que les Sœurs nommées dans le Testament ont eu la jouissance assurée et tranquille de ce legs de valeur? Nous nous permettons d'en douter. En effet, dans un compte rendu officiel de la bénédiction de la chapelle des Incurables, daté de 1719, nous lisons le passage suivant:
Et le dit curé a pareillement réservé les figures (statues) que les héritiers de M. de Montfort ont donné par acte, qui ne seraient pas transportées hors de la paroisse. . .
Et le tout fait sans préjudice du sieur recteur, Bonamy prêtre et Harlez aux­quels les héritiers du sieur Grignion de Montfort ont donné lesdites figures, lesquelles ne seront disposées que selon ledit acte. . .
19 Janvier 1719.      J. Barin.
Faisant allusion à ce texte, l'auteur de "Luigi-Maria", ne doute pas que M. Mulot, lors du dépôt du Testament à Nantes, s'était préoccupé du sort des statues.
L'exécuteur testamentaire a pris aussi des dispositions pour assurer la conservation des statues[228].
Le document cité ne permet pas de conclure à une intervention de M. Mulot, à moins de le ranger parmi les "héritiers de Montfort" qui ont cédé les statues par acte.
Il nous a été impossible de retrouver cet „acte" sur lequel ces messieurs de Nantes fondent leurs droits. Mais nous ne croyons pas que M. Mulot, dès Juin 1716, se serait prêté à un transfert de ces figures si chères à Montfort à d'autres qu'aux Sœurs des Incurables: surtout pas à des tiers qui tenaient à les empêcher de sortir de leur paroisse, donc de retourner à Pontchâteau, où elles sont retournées quand même.
S'il y avait une raison spéciale pour que M. Mulot fasse le dépôt du Testament à Nantes, cela devait être pour empêcher justement ce qui s'est produit plus tard, que les Sœurs fussent dépossédées de ce legs qu'elles devaient chérir assez.
 
§ VI. Le dépôt du Testament à Nantes pour faciliter une rencontre avec le frère Philippe.
Comme nous ne voyons aucune raison pour admettre les permutations entre frère Louis de La Rochelle et frère Philippe de Nantes, nous admettons que ce dernier se trouvait encore à Nantes ce 5 Juin 1716, quand M. Mulot vint faire le dépôt du Testament.
Comme l'avenir des quatre frères ayant fait des vœux entre les mains de Montfort, avait été confié à M. Mulot, c'était certes un devoir pour celui-ci d'entrer en contact avec le frère Philippe. Hélas ici commencent les difficultés. Nous n'avons aucun renseignement sur ce frère, en dehors de la mention faite de lui dans le Testament du Saint.
L'entrevue de M. Mulot avec le frère Philippe a-t-elle eu lieu? Si nous pouvions faire confiance ici à Grandet, nous dirions oui, puisque cet auteur affirme :
Ainsi leur nombre (celui des missionnaires) est présentement de cinq, sans compter les quatre Frères coadjuteurs, dont M. de Montfort parle dans son testament, et qui ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, les suivent partout, et sont appliqués à faire le Catéchisme, l'école et la cuisine des missionnaires...[229].
Hélas nous serons obligés de constater, que ce texte du premier biographe exprime plutôt un pieux souhait qu'une réalité. Aucun des quatre frères nommés dans le Testament de Montfort comme ayant fait des vœux, n'a rejoint les missionnaires de la Communauté du S. Esprit.

Chapitre XIX. L'EXÉCUTION DU TESTAMENT.
 
§ I. La Glorification du Saint.
M. Mulot, entré en convalescence, s'était rendu à Nantes pour y faire le dépôt du Testament le 5 Juin 1716. Nous ne savons combien de temps il resta dans cette ville, mais il nous semble inadmissible qu'il ne se rendit pas ensuite à S. Laurent-sur-Sèvre, pour assister à la glorification du grand missionnaire dont le corps reposait dans l'église de cette paroisse.
M. l'abbé Clisson, missionnaire qui avait prêché et travaillé avec lui [Montfort] dans plusieurs de ses missions, prononça son oraison funèbre le vingtième du mois de juin suivant dans l'église de Saint Laurent-sur-Sèvre, lieu de sa sépulture[230].
Voilà, dans toute sa sobriété, le renseignement que nous fournit Besnard sur les honneurs qui furent rendus au grand missionnaire. Nous nous refusons à admettre que M. Mulot n'ait pas assisté à cette cérémonie, à laquelle nous retrouvons M. Clisson comme l'auteur du panégyrique. M. Thomas le Bourhis semble être resté lui aussi à S. Laurent; on l'y retrouve encore en 1719 comme deuxième vicaire de la paroisse[231]. M. Vatel, résidait à S. Pompain au moment de la mort du Saint. Il n'est pas exclu qu'il se soit rendu lui aussi à S. Laurent[232].
Hélas, nous n'avons d'autre renseignement précis que celui donné par Besnard, et cité plus haut.
Pour les sept frères nommés dans le Testament, nous ne sommes pas mieux renseignés. Nous savons que le frère Jacques était installé dans la paroisse en 1717, nous ignorons hélas le moment de sa venue. Mais il me semble légitime d'admettre que tous ceux qui avaient appartenu d'une manière ou d'un autre au groupe qui entourait le Saint dans ses dernières années, se soient efforcés d'être présents à cette glorification officielle de leur père.
 
§ II. Un commencement d'exécution.
A. CE QUI NE PRÉSENTAIT PAS DE DIFFICULTÉS.
Quoiqu'il en soit du lieu et du moment, M. Mulot a dû commencer à faire l'exécution des clauses du Testament. Rappelons que pour les clauses 3 et 13, les statues et les meubles de Nantes, son intervention comme exécuteur n'était pas requise, puisque ces objets se trouvaient déjà entre les mains des héritiers.
Nous parcourrons sommairement les autres clauses, pour ne nous arrêter qu'à celles qui posent un problème intéressant l'histoire. M. Mulot a dû payer l'imprimeur, lors de son premier voyage à La Rochelle, ou en tous les cas à sa première rencontre avec ce fournisseur. C'est probablement le 20 Juin qu'il a remis à M. Clisson et à M. Le Bourhis les sermonnaires qui leur étaient destinés.
 
B. CE QUI ÉTAIT DÉJÀ MOINS FACILE.
Les sept étendards devaient être remis aux deux sanctuaires de Notre Dame de Toute Patience et de Notre Dame de la Victoire; les transporter à la Séguinière et à la Garnache ne présentait pas beaucoup de difficultés.
Mais distribuer les 15 Bannières aux paroisses de l'Aunis où le Rosaire persévérerait, n'était pas si facile à réaliser. Il y avait plus de 15 paroisses où Montfort avait prêché la mission. Il fallait donc faire un choix. Et puis cela ne devait pas être facile de vérifier si la condition posée restait observée[233].
 
C. CE QUI PRÉSENTAIT UN CÔTÉ PLUTÔT PÉNIBLE.
Il y avait cet article 5, qui plaçait M. Mulot en face de collaborateurs qui avaient été tous les trois plus longtemps que lui-même avec Montfort; deux d'entre eux étaient des ouvriers de la première heure.
1) Le frère Mathurin.
Il y avait avant tout le frère Mathurin, celui auquel Montfort dans son Testament avait adressé comme un suprême appel: "s'il s'en veut aller et ne pas faire les vœux de pauvreté et d'obéissance..." Comment lui offrir dix écus, en somme un moyen pour lui faciliter le départ et l'abandon de l'œuvre des missions, à laquelle il avait donné toutes ses forces et tout son dévouement depuis 11 ans? Je ne sais s'il a accepté la somme que Montfort lui destinait. Nous savons qu'il n'a pu se résoudre à émettre des vœux, mais encore moins à abandonner l'apostolat. De tous les frères mentionnés dans le Testament, c'est le seul qui est revenu à la société des missionnaires[234].
 
2) Le frère Jean.
Le frère Jean, l'homme des besognes simples, celui qui ne pouvait souffrir qu'un des autres frères fît tort au missionnaire, celui qui de nuit montait à cheval pour rattraper les indélicats, semble être parti pour de bon, ne laissant que le souvenir d'un dévouement qui ne comptait pas sa peine. On ne sait s'il accepta l'argent.
 
3) Le frère Jacques.
Enfin il y avait le frère Jacques. Il semble avoir eu plus d'instruction que les autres. Il avait laissé des notes que Besnard a consultées. C'est par lui, paraît-il, que nous avons au moins une copie du Secret de Marie, petit opuscule envoyé par Montfort à une personne de piété[235]. Il est très probable que frère Jacques se rendit à S. Laurent pour le 20 Juin. Sur ce point nous devons rester dans les conjectures, puisque nous n'avons pas de documents. Pour lui non plus nous ne savons s'il a accepté les dix écus, mais on est tenté de l'admettre parcequ'il va s'établir dans cette paroisse pour son propre compte.
Et ici nous sommes sur un terrain plus solide, vu que nous avons le témoignage formel de sœur Florence, l'auteur des chroniques de la Sagesse.
Après la mort du serviteur de Dieu, ce bon garçon se fixa à S. Laurent, où il enseignait la jeunesse, récitait le chapelet et chantait à l'église[236].
Sœur Florence n'a pas connu personnellement le frère Jacques. Ce qu'elle sait sur son compte, elle a dû l'apprendre en grande partie du frère Joseau, une recrue amenée à la société des missionnaires justement par le frère Jacques. Il devait y avoir aussi une certaine tradition restée vivante dans la paroisse et s'appuyant sur des données qu'on trouvait dans les registres.
Les "Archives du Diocèse de Luçon" ont publié en 1895 des "Chroniques de Saint Laurent-sur-Sèvre", p. 92-93, dans lesquelles on trouve quelques renseignements mélangés à un commentaire hésitant.
Le 26 du mois d'août 1717 la somme de trois livres est donnée, par l'ordre de M. le Loyen, à F. Jacques.
Probablement, c'était un des Frères, compagnons de M. de Montfort; qui après la mort de son maître ou plutôt de son père, se sera fixé près de ses cendres, jusqu'au jour où il lui serait donné de se réunir aux successeurs de Montfort.
Un peu plus tard, on donnait dix sous au même F. Jacques. Peut-être aura-t-il fait l'école à la paroisse...
Nous nous sommes permis de sousligner dans ce texte ce qui provient des "Registres" pour le distinguer de ce qui n'est qu'un commentaire de l'auteur des "Chroniques".
Il est absolument impossible que le frère Jacques ait eu la pensée en 1716 ou 1717 de se fixer à S. Laurent en attendant le moment de s'y unir aux successeurs de Montfort. Car ceux-ci ne pouvaient avoir le projet de fixer leur résidence à S. Laurent, vu que le Testament du Saint leur imposait la résidence à Vouvant, d'après les clauses de l'art.7.
La dernière phrase: "Peut-être a-t-il fait l'école à la paroisse" n'est qu'une supposition de quelqu'un qui était très peu renseigné sur le sujet. Sœur Florence affirme sans hésiter que frère Jacques faisait aussi l'école.
Mais là est la preuve formelle qu'il s'était détaché de la Communauté du S. Esprit fondée par Montfort. Car ni Montfort ni M. Mulot ne pouvaient avoir l'intention de fonder une école à S. Laurent, puisque le Testament impose à M. Mulot d'en ouvrir une à Vouvant et d'employer les autres frères à l'œuvre des missions.
D'ailleurs, quand on parle d'ouvrir une école en 1716, on a toujours le sentiment d'employer de grands mots. Sœur Florence se sert d'un terme plus juste: le frère Jacques enseignait la jeunesse.
Mais il le faisait à son propre compte. Car quand il eut des démêlés avec le doyen de S. Laurent, il partit de la paroisse, bien avant l'arrivée des Pères, et l'enseignement cessa à son départ. Quand les Sœurs de la Sagesse viennent se fixer à S. Laurent en 1720, il n'est plus question d'une école pour les garçons. On ne sait pas où le frère Jacques alla s'établir ensuite et où il séjourna jusqu'à ce qu'il trouvât en 1725 un havre de salut dans le Sanitat de Nantes où il mourut en 1727.
 
§ III. Les membres de la Communauté du S. Esprit.
 
A. MONSIEUR VATEL.
Nous avons traité longuement déjà de cette seconde clause de l'art. 10: S'il y a du reste, il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient... Quoique cela ne soit pas exprimé dans le Testament, cette clause ne devait être exécutée que dans le cas où M. Vatel, voulait s'en aller. Ici la tâche de M. Mulot a été rendue très facile. M. Vatel n'a pas songé à s'en aller. Nous en trouvons la preuve à S. Pompain même où ce fidèle collaborateur remplaçait le curé, Jean Mulot, au moment de la mort du saint missionnaire.
Quelle qualité s'attribuait-il avant la mort de Montfort? Il suffit de relire sa signature sur les registres de la paroisse de S. Pompain. Le 16 Janvier, le 5, le 16, le 18 et 19 Février, le 30 Mars, le 13 Avril 1716 M. Vatel signe: prêtre missionnaire avec M. de Montfort.
Le 3 et le 7 Mai encore il appose la même signature. Il faut donc croire qu'il n'a pas encore appris le décès du Saint. Mais s'il faut une preuve qu'il n'avait nullement l'intention d'abandonner l'œuvre des missions, qu'on relise les signatures apposées par lui le 10, le 12 et le 13 Mai et finalement le 24 Juin: A. Vatel, prêtre missionnaire.
M. Mulot n'a pas eu besoin de lui poser la question: s'il voulait s'en aller. Si l'œuvre des missions n'a pas pu reprendre aussitôt, si M. Vatel à partir du 3 Octobre 1716 a commencé à signer: prêtre-vicaire de St. Pompain, ce n'est certes pas par manque de bonne volonté de sa part.
 
B. LES QUATRE FRÈRES UNIS AVEC MOI.
1) Les frères à La Rochelle.
C'est ici que M. Mulot se heurta à un problème particulièrement pénible: la défection des quatre frères ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance entre les mains de Montfort. On a beau s'insurger contre un fait, inacceptable pour certains, il reste là indéniable, incontestable: il n'y a plus eu de relations entre les quatre frères et ceux qui ont recueilli l'héritage laissé par Montfort.
 
UNE PREMIÈRE OBJECTION.
Ceux qui, malgré tout, veulent affirmer la survivance d'une congrégation de frères enseignants fondée par Montfort se raccrochent à un double document, et particulièrement à une quittance signée à La Rochelle en 1717 par un certain frère Dominique. Voici les textes:
Je reconnais avoir reçu de Monseigneur la somme de 100 livres pour les quartiers des Frères Philippe et Dominique, moi, Michel Clémençon, faisant faire ce dit billet et ne sachant pas signer, j'ai fait signer pour moi, marquant seulement d'une croix la dite reconnaissance.
Fait à La Rochelle, ce 9 de Mai 1717.
Faisant pour M. Clémençon Fr. Dominique.
 
Ce premier texte est explicité par le second, qui nous renseigne mieux sur les relations entre l'évêque de La Rochelle et M. Clémençon, et par le fait même sur les relations de ce denier avec les frères.
Par devant les notaires royaux, garde-notes et garde-scel à La Rochelle soussignés, fut présent en sa personne Michel Clémençon, habitant de cette ville, lequel a reconnu avoir reçu comptant de Mgr. l'Évêque la somme de 50 livres pour le dernier quartier, échu à la fête de N.D. de mars dernier, du loyer de la maison du dit Clémençon, située en cette ville, au derrière de l'église des RR. PP. Jacobins, paroisse Notre-Dame, que le Seigneur Évêque a fait occuper pour y tenir et exercer les écoles publiques pour la jeunesse depuis plusieurs années; de laquelle somme de 50 livres pour le dernier quartier, et de tous les termes précédents, le dit Clémençon acquitte le dit Seigneur Évêque et de tous autres, par la présente quittance qu'il a fait signer à sa requête, dont acte.
Fait à La Rochelle, étude de Gariteau, avant midi, le 4 avril 1719, et le dit Clémençon déclare ne savoir signer, de ce requis.
Gariteau, notaire.
Mettons les choses au point. En 1715 Montfort s'est dépensé à mettre en état cette maison Clémençon pour y ouvrir une école gratuite pour les garçons. Comme nous l'avons vu ailleurs, c'est Monseigneur de Champflour qui y a nommé quatre régents, selon Grandet (trois selon Besnard) et a mis un prêtre de son diocèse à la tête de ces régents pour veiller sur leur conduite et confesser les enfants. En 1719 Monseigneur paye le dernier terme du loyer de cette maison Clémençon, parceque l'école va s'installer ailleurs. Car l'école a continué de fonctionner comme nous l'apprennent et Grandet et Besnard. Nous n'avions aucun renseignement sur ces régents. Voici qu'ils nous apparaissent rédigeant au nom de M. Clémençon une quittance pour le loyer de la maison qu'ils occupent.
Quel argument veut-on tirer de ces textes?
a)      Deux de ces régents sont nommés "frères", donc ce sont des religieux.
b)    Un des "frères" porte le même nom que l'un des quatre nommés dans le Testament du Père de Montfort, donc ces "frères" non seulement sont des religieux, mais ce sont des religieux appartenant à une Congrégation de frères enseignants fondée par Montfort peu avant sa mort.
Ces conclusions sont tout de même un peu larges pour les prémisses! C'est à l'archiviste Coissard que revient l'honneur de nous avoir trouvé des preuves abondantes du fait que ceux qu'on nommait "frères" et qui s'occupaient de faire la classe n'étaient que de pieux laïcs.
N'a-t-il pas trouvé au Sanitat de Nantes des homonymes de presque tous les frères nommés dans le Testament de Montfort? Et tous sont des séculiers. Et ce frère Philippe qu'on nous présente ici, quel rapport peut-il avoir avec le Communauté du S. Esprit fondée par Montfort? Aucun, car le frère Philippe nommé dans le Testament de Montfort, est un Philippe de Nantes et non de La Rochelle. C'est le frère Coissard qui l'a fait permuter avec le frère Louis de La Rochelle, parcequ'il avait besoin de celui-ci à Nantes, pour pouvoir l'identifier avec Louis Danto. Mais, le Testament de Montfort une fois rédigé, il fait retourner le frère Louis de La Rochelle à Nantes et renvoie le frère Philippe de Nantes à La Rochelle. Dans une Congrégation religieuse ces obédiences et ces transferts se comprennent, mais Louis Danto, frère Louis depuis 1696, n'appartenait à aucune communauté et pour le frère Philippe de La Rochelle, qu'on nous présente ici, on n'apporte même pas l'ombre d'une preuve.
Et pourtant on s'obstine à affirmer qu'ils étaient en relation avec M. Mulot, donc qu'ils appartenaient à la Congrégation fondée par Montfort. Voyons quelle preuve on apporte à cet effet:
Mgr. Laveille, l'auteur de deux biographies de Montfort, dans lesquelles il soutient successivement les deux thèses adverses, prétend avoir reçu du T.R. Père Lhoumeau, supérieur général de la Compagnie de Marie, l'aveu que, dans les archives de cette société étaient conservées des copies de cette quittance signée par le frère Dominique. Voici l'extrait de la lettre de Mgr. Laveille au T.R. Père Lhoumeau, se rapportant à cette question.
Permettez moi, mon très révérend Père, puisque vous traitez si légèrement ma discussion de ce document, "tissue, dites vous, d'affirmations sans preuves et de suppositions gratuites" de vous soumettre une question que, par délicatesse, je n'avais pas voulu soulever jusqu'ici, ayant quelque répugnance à user d'un aveu qui vous est échappé par mégarde.
Comment se fait-il que vous eussiez, avant la présente controverse, dans les archives de votre institut, le dit document Clémençon? Comment peut-il se trouver dans vos papiers de famille, sinon parcequ'il vous vient des frères employés dans la maison Clémençon, qui donc faisaient alors partie de votre famille religieuse.
Extrait d'une lettre de Mgr. Laveille au T.R. Père Lhoumeau du 13 Mars 1917, page 5.
Voyons d'abord la valeur de l'argument Laveille. Il prétend donc que le Supérieur Général de la Compagnie de Marie a laissé échapper un aveu. Il faudrait d'abord établir si cet aveu a été fait de vive voix ou par écrit. Dans le premier cas, l'argumentation de Mgr. Laveille n'a aucune valeur, parcequ'il a pu interpréter dans son sens une parole de l'interlocuteur. Si l'aveu a été fait par lettre, le cas devient plus intéressant, parcequ'alors on peut au moins étudier un texte. Or heureusement c'est le cas ici.
Cet aveu a été fait par le T.R. Père Lhoumeau dans une lettre écrite à Mgr. Laveille le 2 Juillet 1914. Cet écrivain, avait accepté alors de donner une autre version de sa vie du Bienheureux de Montfort, une version contradictoire à celle soutenue par lui en 1907. Pour justifier sa volte face, Mgr. Laveille, qui avait dit dans la préface de cette première vie, qu'il avait pu, "ajouter quelques traits à cette physionomie tant de fois esquissée, grâce à des informations nouvelles, puisées principalement aux Archives de la Compagnie de Marie..." accusait la Compagnie de Marie de ne pas lui avoir fourni tous les documents originaux. Le T.R. Père Lhoumeau lui répond: Lettre du 2 Juillet 1914, p. 5, 3°.
Mais il est une insinuation contre laquelle, je dois protester: celle qui suppose que lors de votre venue, nous vous aurions caché quelque chose, en ne vous communiquant que des imprimés. D'où la raison de votre changement d'opinion sur la vue de pièces nouvelles. Non, Monseigneur, on ne vous a rien caché. Les manuscrits ou n'existaient pas, ou n'étaient pas, à ce moment, en notre possession (c'est le cas de la petite quittance), ou ne contenaient rien de plus que les imprimés, et notre loyauté ne doit pas être suspectée.
Reprenons maintenant l'argument que Mgr Laveille a tiré de cet aveu. Il écrit, dans son "Examen" p. 53; un texte que le "Factum" signalé par nous, reproduit sans plus[237] :
La présence (à l'état de duplicata ancien) de la première quittance Clémençon dans vos archives[238] de Saint Laurent-sur-Sèvre ne saurait en aucune façon s'expliquer si les Frères mentionnés dans cette quittance n'avaient pas été membres de votre famille religieuse. C'est une nouvelle et très forte preuve que ces Frères enseignants ont été des Frères du S. Esprit[239].
Je demande aux partisans de Mgr. Laveille de considérer que cet auteur a introduit de sa propre autorité, mais sans aucune preuve, le seul élément qui pouvait prouver quelque chose. Ce sont les cinq mots mis par Mgr. Laveille entre parenthèse: "à l'état de duplicata ancien". Le T.R.P. Lhoumeau lui avait dit que lors de sa visite à S. Laurent, c.à.d. au moment où Mgr. Laveille préparait sa biographie de 1907, il n'y avait pas encore aux archives de la Compagnie de Marie, de copie de la quittance signée par le frère Dominique. Donc il ne peut s'agir de duplicata ancien. On voudra s'obstiner quand même et prétendre que le T.R. Père Lhoumeau, et non Mgr. Laveille, a dit que c'étaient des duplicata anciens. Je demande aux partisans de Mgr. Laveille, s'il est admissible que le T.R. Père Dalin, supérieur de la Compagnie de Marie, le R. Père Fonteneau, lre assistant, et M. Quérard, ex Montfortain, tous les trois partisans de la thèse si pauvrement soutenue par Mgr. Laveille, auraient négligé ces documents, s'ils les avaient trouvés comme duplicata anciens aux archives de la Compagnie de Marie! Car si ces Archives étaient accessibles à quelqu'un c'était tout de même certainement à un supérieur général et à un lre assistant.
Vu que les copies se trouvant aux archives du temps de Mgr. Laveille ne pouvaient pas être des "duplicata anciens", son argument, qu'ils avaient dû être fournis par les frères Dominique et Philippe eux-mêmes, n'a vraiment aucune valeur, et la conclusion qu'il veut tirer de ce fait: ces frères étaient Frères du S. Esprit: est une pure invention, le fruit d'une interprétation malveillante d'un texte qui dit le contraire de ce que l'on veut lui faire dire.
 
UNE DEUXIÈME OBJECTION.
Le Père Mulot envoie des frères de la Communauté du S. Esprit dans cette école. Pour qui connaît l'histoire des Filles de la Sagesse, Madame de Bouille représente la bienfaitrice classique, généreuse sans limites, mais tatillonne et embarrassante à souhait. Mais laissons parler Besnard:
On a déjà vu que, sans aucun talent pour le gouvernement, elle voulait cependant tout conduire selon ses seules idées. Tout était de son ressort dans la maison des Filles de la Sagesse et de celle des missionnaires. Elle voulut que M. Mulot élevât au S. Esprit des Frères pour les envoyer dans différentes paroisses y faire les écoles et le catéchisme aux enfants; rien de mieux que cette entreprise si elle eût pu réussir; il l'essaya et parmi ceux qui étaient alors au service de la communauté, il en choisit deux qu'il envoya aux écoles chrétiennes de La Rochelle commencées autrefois par M. de Montfort; il les y entretint quelque temps; mais, comme la ville voulait les charger de l'administration du temporel des classes et que Mgr. a voulu y mettre à la tête un prêtre pour en être le Supérieur et le Directeur, le projet commencé ne fut point exécuté.
Il ne restait à St. Laurent qu'un seul Frère avec M. Le Valois. Celui-ci y confessait les Filles de la Sagesse; l'autre y faisait l'école aux petits garçons du bourg et des paroisses voisines...[240].
Ce texte de Besnard prouve clairement que l'idée de former des frères pour les envoyer dans les paroisses pour faire l'école venait de Madame de Bouille et non de M. Mulot. On insistera certainement sur ce passage pour en tirer la conclusion suivante: M. Mulot a voulu reprendre une fondation commencée par Montfort et insufler une nouvelle vie à l'institut des frères enseignants. Il y a même davantage. Besnard, 3me supérieur général de la Compagnie de Marie, ne retrouve rien à redire à ce projet du premier successeur de Montfort. D'après lui, Montfort avait il donc fondé un institut de frères enseignants?
Le texte de Besnard cité plus haut prouve exactement le contraire. Nous voyons Besnard, vers 1750—1760, relater que M. Mulot a envoyé des frères du S. Esprit dans une école commencée par Montfort. Mais il ne dit point que les frères qui tenaient cette école étaient des frères de la Communauté de laquelle lui Besnard est le supérieur.
Il nous donne même les raisons pour lesquelles M. Mulot rappela ses frères du S. Esprit. La Commune voulait les charger de l'administration temporelle de cette école. Il suffit de se rappeler le reçu Clémençon pour voir que les frères qui tenaient cette école en étaient parfois chargées. M. Mulot n'acceptait pas non plus que l'évêque mit à la tête des frères un prêtre pour être leur supérieur et leur directeur. Il suffit de se rapporter à la fondation de cette école pour voir que Montfort était pleinement d'accord sur ce point avec Mgr. de Champflour. Pourquoi ce désaccord entre le fondateur et le premier supérieur général?[241]. En voici la raison: Montfort n'a jamais considéré les régents de l'école de La Rochelle comme des religieux appartenant à une Communauté fondée par lui. M. Mulot ne pouvait accepter qu'un prêtre du diocèse fut le supérieur de frères appartenant, eux, à sa communauté. Besnard nous donne finalement un renseignement sur le nombre des frères appartenant à la Communauté du S. Esprit en 1723.
Après le départ des deux frères envoyés à La Rochelle, il ne restait à St. Laurent qu'un seul frère avec M. Le Vallois. Faut-il se hâter de conclure: donc en cette année la Communauté du S. Esprit ne comptait que trois frères. Comme Besnard ne nous donne pas les noms des frères envoyés à La Rochelle, nous ne pouvons savoir si le frère Mathurin était parmi eux. Nous en doutons volontiers. Les preuves nous manquent, mais il est d'une très grande probabilité qu'il missionnait avec les Pères. Nous ne faisons pas cette supposition pour nous en servir, mais pour faire la part belle à ceux qui soutiennent la thèse adverse. Car ainsi nous comptons quatre frères de la Communauté du S. Esprit. Ce qui nous amène à proposer la dernière objection.
 
UNE TROISIÈME OBJECTION.
Grandet affirme que les quatre frères nommés dans le Testament de Montfort se sont joints aux missionnaires. Nous avons déjà fait allusion à ce texte plusieurs fois, traitons en ex professo. Parlant des missionnaires Grandets écrits:
Ainsi leur nombre est présentement de cinq, sans compter les quatre frères coadjuteurs, dont M. de Montfort parle dans son Testament, et qui, ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, les suivent partout et sont appliqués à faire le catéchisme, l'école et la cuisine des missionnaires[242].
1) Ce qui est un fait évident pour Grandet, c'est qu'il n'y a pas de frères de la Communauté du S. Esprit dans une école de La Rochelle ou de Nantes. Tous les quatre nommés dans le Testament suivent les missionnaires. Et voilà la raison pour laquelle Grandet a supprimé le Codicille dans sa version du Testament de Montfort. Pour lui ces frères qui tenaient une école à Nantes n'avaient rien à voir avec la survivance de l'œuvre de Montfort. Ceux qui veulent s'appuyer sur ce texte de Grandet pour affirmer la fidélité des quatre frères doivent abandonner les écoles susdites. Car on n'a pas le droit de disséquer le texte de Grandet et dire: les uns faisaient le catéchisme les autres l'école et d'autres encore la cuisine. Grandet affirme: "les suivent partout".
 
2) Ce texte de Grandet est contraire aux faits. En effet il est inadmissible que ces quatre frères soient venus se joindre à M. Mulot et à ses missionnaires et que leur présence n'ait été signalée par aucun document contemporain.
Nous sommes renseignés sur l'apostolat de Mathurin, qui ne fit jamais de vœux, et par Besnard et par la Chronique de la Sœur Florence. De même nous sommes renseignés sur le séjour de Jacques, qui ne fut jamais membre de la Communauté, dans la paroisse de S. Laurent. Besnard cite les mémoires laissés par Jacques. Sœur Florence parle des relations de frère Jacques avec frère Joseau. Elle retrace au long la vie exemplaire de celui-ci, de ce premier vrai frère à vœux de la communauté dont M. Mulot est le supérieur, comme aussi celle du frère Jean II, autre recrue de la Compagnie de Marie. Comment expliquer qu'elle n'eut pas mentionné quatre frères profès suivant partout les missionnaires?
Comment est-il possible que l'on ne puisse retrouver aucune signature de ces quatre, alors qu'on retrouve souvent celle de Mathurin? Pourquoi la Compagnie de Marie aurait-elle négligé d'insérer dans ses registres les noms de ces frères, qui d'après Grandet, remarquons le bien, étaient non des enseignants mais des collaborateurs des missionnaires?
Besnard nous a dit, plus haut, qu'en 1723 deux frères avaient été envoyés à La Rochelle, et qu'il n'en restait qu'un à S. Laurent. On ne peut affirmer: d'autres étaient dans les écoles de La Rochelle ou de Nantes. Nous avons prouvé que ces régents ne pouvaient être Montfortains. D'ailleurs pourquoi M. Mulot aurait-il envoyé ses frères au loin, s'il avait pu disposer du frère Philippe et du frère Louis dont on veut affirmer qu'ils étaient enseignants? Ils l'auraient été depuis 1716, c.à.d. depuis 7 ans. Ils auraient dû être capables de former les confrères. Car, ne l'oublions pas, Grandet affirme que les quatre ont rejoint la Communauté. Mais ne voit-on pas que le texte de Besnard exclut l'affirmation de Grandet, car parmi les quatre qu'on peut trouver chez Besnard, il y avait Mathurin et Joseau. Il faut bien s'y résigner: aucun des quatre frères nommés par Montfort dans son Testament et qui avaient fait vœux entre ses mains, n'a rejoint la Communauté du S. Esprit après le mort du Saint. Et ceci a rendu impossible à M. Mulot l'exécution d'une clause très importante du Testament: l'acceptation des donations de Vouvant.
 
§ IV. Les immeubles de la Communauté du S. Esprit.
Art. 7: ...Il ne restera plus, pour la Communauté du S. Esprit, que la maison donnée, par contract, par Madame de la Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions, les deux boisselées de terre donnée par Madame La Lieutenante de Vouvant et une petite maison donnée par une bonne femme, à condition que, s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les frères de la Communauté du S. Esprit pour faire les écoles charitables.
Dans une lettre à M. Caris, Montfort avait exprimé ses appréhensions, que, si le Séminaire du S. Esprit ne lui envoyait pas les missionnaires promis, les donations à lui faites resteraient nulles et sans effet. Cette lettre date de Février 1716. Le 27 Avril il n'a plus de crainte à ce sujet. Il y a un prêtre pour prendre la succession de l'œuvre des missions et pour accomplir les conditions du contrat de Mad. de la Brûlerie, et ce prêtre c'est M. Mulot.
Et pourtant M. Mulot a laissé les donations de Vouvant devenir nulles et sans effet, par le seul fait qu'il n'a pas occupé les maisons données; cette occupation étant une condition sine qua non. Pour quel motif M. Mulot a-t-il agi ainsi? D'aucuns ont pensé que c'était parcequ'il trouvait les conditions trop onéreuses. Nous ne pouvons admettre cette solution. Il avait accepté d'être l'exécuteur testamentaire de Montfort et par le fait même tout spécialement: d'accomplir les conditions du contrat de Mad. de la Brûlerie. D'autres suggéreront que c'est parcequ'il avait abandonné l'œuvre des missions. Nous verrons que le contraire est vrai. Ce n'est pas parcequ'il a séjourné pendant un certain temps à S. Pompain que les donations de Vouvant devenaient caduques. Les contrats n'avaient pas fixé de date pour le commencement de l'occupation des maisons.
Hélas, les documents nous manquent pour affirmer qu'il y a eu des tractations entre M. Mulot et ces dames de Vouvant. On ne retrouve même plus, aux archives du notaire de Vouvant, les actes subséquents par lesquels ces dames ont disposé, par testament ou autrement, des biens qu'elles avaient donnés à Montfort. Mais un fait est certain et indéniable. Montfort s'était engagé à donner des frères pour faire l'école charitable à Vouvant. La question n'est pas de savoir ce qui serait arrivé de la maison Arcelin, s'il y avait eu moyen de bâtir, comme dit le Saint dans son Testament. Il nous suffit de constater qu'il oblige sa Communauté du S. Esprit à entretenir les frères de la Communauté dans la maison Arcelin pour faire l'école charitable, peu importe que ce soit dans cette maison, ou dans des locaux à construire, ou ailleurs.
Or nous avons exposé plus haut qu'il est impossible que les quatre frères ayent rejoint la Communauté du S. Esprit après la mort du Saint, comme le prétendait Grandet. Nous savons par ailleurs que pendant un certain nombre de mois M. Mulot et M. Vatel se trouvèrent seuls à S. Pompain et ne furent rejoints que par le seul Mathurin. M. Mulot se trouvait donc dans l'impossibilité d'entretenir des frères de la Communauté du S. Esprit dans la maison Arcelin.
Pouvait-il, dans ces conditions, occuper la maison Creuzeron? La paroisse de Vouvant n'avait-elle pas posé comme condition à l'établissement de la Compagnie du S. Esprit, l'obligation pour celle-ci d'entretenir une école pour les garçons?
Il suffit de rappeler le décret royal du 13 Décembre 1698 sur l'organisation des écoles paroissiales, les efforts tentés dans ce sens par Montfort lui-même à La Rochelle, les conditions posées aux sœurs de la Sagesse à S. Laurent en 1719, l'obligation assumée volontairement par les Pères dans cette même paroisse, lors de l'ouverture de leur maison du S. Esprit?
Cet art. 7 du Testament, qui se présente comme l'un des plus importants, non pas seulement parcequ'il traite de biens plus considérables, mais parce­qu'il voulait assurer la première résidence de la Communauté du S. Esprit, n'a pu être exécuté par M. Mulot, qui se voyant abandonné par les frères sur l'aide desquels il avait le droit de compter, voyant s'éloigner M. Clisson et M. Le Bourhis, qui avaient plus d'expérience que lui, a dû trouver la tâche qu'il avait assumée bien lourde. Et pourtant rien ne donne le droit de supposer qu'il avait abandonné l'œuvre des missions. Nous en trouvons la preuve dans l'exécution qu'il donna à la première clause du Testament.
 
§ V. Les petits meubles et livres de mission.
Art. 2: Je mets entre les mains de Monseigneur de La Rochelle et de M. Mulot mes petits meubles et livres de mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté... tandisquils persévéreront à renouveler leurs vœux tous les ans, et pour l'usage aussi de ceux que la divine Providence appellera à la même Communauté du S. Esprit.
 
Nous avons étudié cet article ailleurs, ce qui nous permet d'en tirer ici une conclusion qu'on ne pourra récuser. L'intention du testataire est d'assurer la continuation de l'œuvre des missions en faisant conserver pour sa Communauté du S. Esprit les accessoires des missions. Ces biens ne sont pas légués à l'évêque, ni à M. Mulot, mais à la Communauté du S. Esprit, comme le prouve clairement le dernier membre de phrase. L'usage des ces accessoires était réservé tout spécialement pour les quatre frères ayant fait des vœux, mais aussi pour les membres de la Communauté que la Providence enverrait dans l'avenir. Représentant de droit la Communauté du S. Esprit, M. Mulot a conservé les "petits meubles et livres de mission" et s'en est servi, comme successeur de Montfort, quand il put reprendre l'apostolat.
Nous en avons une preuve formelle dans une lettre écrite de sa main:
 
Monsieur l'Archiprêtre de Parthenay
à La Chapelle St. Laurent.
 
Vive Jésus, vive sa Croix! Monsieur,
J'ay esté mortifié de ne me pas trouver ici pour faire réponse à celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire et messieurs vos vicaires; j'ay esté surpris que mon frère vous a remis à quinze jours. Pendant que nous avons la faucille à la main, il nous fâcherait d'être si long à ne rien faire, puisque vous avez la bonté de nous confier votre troupeau, nous commencerons, si vous souhaitez, dimanche prochain; nous avons receu des nouvelles de Mgr. de Poitiers qui y consent fort. Que vos bons paroissiens nous fassent le plaisir d'envoyer deux chevaux avec notre garçon à la Pommeraye pour chercher nos boêtes que nous y avons laissées; qu'ils nous en envoyent aussi deux ici ven-dredy prochain, et samedy au soir nous aurons l'honneur de vous embrasser et de vous assurer combien nous vous sommes dévouez, à vos messieurs et à votre cher peuple. Je suis avec une parfaite estime, votre très humble et très obéissant serviteur[243].
Mulot, pauvre prêtre,
ce 7 mars 1719.
 
Nous sommes en Mars 1719 et M. Mulot est pleinement directeur des missions. Il est animé du zèle du salut des âmes, qui ne supporte pas de retards. Les fils ne voyagent plus comme le Père, à pied, accompagné de quelques frères menant le mulet. Il faut maintenant deux chevaux pour transporter les boîtes avec les accessoires de mission, d'une paroisse à l'autre. Il faut deux chevaux aussi pour les missionnaires. Faut-il conclure de là qu'ils ne seront que deux pour se rendre de S. Pompain à La Chapelle? Car au mois de Mars 1719 ils sont au moins trois missionnaires, car M. Aumont signe déjà, le 8 Février 1719: C. Aumont, prêtre missionnaire.
 
CONCLUSION.
Mais avant d'aborder la reprise de l'œuvre des missions, récapitulations brièvement ce que nous savons de l'exécution du Testament: Les statues du Calvaire et les meubles de l'école sont à Nantes; l'imprimeur a dû être payé; les étendards et les bannières distribués ou conservés pour l'œuvre des missions.
Le frère Jean se retire et ne laisse nulle trace. Le frère Jacques s'installe de son propre chef à S. Laurent-sur-Sèvre. Le frère Mathurin refuse d'abandonner l'apostolat. Aucun des quatre frères nommés dans le Testament du Saint ne rejoint M. Mulot, et celui-ci laisse devenir nulles les donations de Vouvant.
MM. Clisson et Le Bourhis regardent leur mission comme finie et cherchent un autre emploi. De tous les collaborateurs de Montfort il ne reste plus que le seul M. Mulot, qui retrouve à S. Pompain cet autre fidèle, M. Vatel. Eux seuls, ils représentent la Communauté du S. Esprit; et de tout l'héritage que Montfort avait laissé, leur échoient les "petits meubles et livres de mission" et "les chasubles, le calice et les autres ornements d'église et de mission".
Humainement parlant ce n'était pas grand chose, mais pratiquement c'était l'essentiel: ce qui pouvait servir à continuer l'apostolat du grand missionnaire.

Chapitre XX. L'HÉRITAGE RECUEILLI.
 
AVANT-PROPOS.
Entre la mort du Saint et l'établissement de la Communauté du S. Esprit à S. Laurent-sur-Sèvre en 1722 se sont passées six années assez difficiles. On a voulu parler même d'une liquidation de l'œuvre du Père de Montfort et d'une reconstitution par M. Mulot. Ce n'est là certainement pas l'avis des contemporains, mais une thèse moderne servant à en épauler une autre assez branlante.
Sur cette époque qui s'écoula entre la rédaction du Testament et l'établissement définitif de la Communauté dans sa première maison mère, les documents sont plutôt rares. Ce qui s'explique par le fait que les biographes arrêtent ordinairement leur histoire à la mort de leur héros, et par cet autre fait que ceux qui ont recueilli l'héritage du grand missionnaire, ont pensé davantage à continuer son œuvre qu'à écrire leurs propres faits et gestes.
Grandet le premier biographe a recueilli certains documents précieux. Mais les renseignements qu'il y ajoute sont sujets à caution. Vieillard infirme il ne se déplaçait plus, et se renseigner par lettre sur des événements qui se déroulent au moment où on écrit un livre, est une méthode certainement défectueuse[244]. Nous consacrons un paragraphe spécial à cet auteur.
On a relevé un certain nombre de signatures apposées par quelques missionnaires dans le registre de la paroisse de S. Pompain. Nous les étudierons au fur et à mesure que les événements se succéderont, d'après le récit de Besnard. Car c'est au second biographe, troisième supérieur de la Communauté du S. Esprit, que nous devons les renseignements sur les premières années qui ont suivi la mort de Montfort. Grandet semble ignorer complètement p.e. le séjour de MM. Mulot et Vatel à S. Pompain[245].
 
§ I. Le récit de Besnard.
Grand missionnaire lui-même, supérieur de missionnaires, M. Besnard s'intéressait surtout à l'œuvre des missions. Il est témoin moins fidèle quand il s'agit de la vie religieuse de sa communauté, parce-qu'il a été partisan d'une réforme, qui supprimait les vœux religieux, à cause de la défiance de la Cour à l'égard des instituts engagés par ces liens. Il faut tenir compte avant tout du but qu'il se propose, quand il nous fait le récit des événements qui ont suivi la mort du Fondateur. Il intitule le Xe Chapitre de son livre: "Suite des missions après la mort de Mr. de Montfort".
Nous reproduirons ici ce qui a trait plus spécialement aux années, qui s'écoulèrent entre la mort du Saint et l'établissement de ses fils auprès de son tombeau.
 
A. INTRODUCTION PAR BESNARD.
L'état où Mr. de Montfort avait laissé en mourant l’œuvre des Missions ne permettait pas d'espérer qu'elle subsisterait après lui, encore moins qu'elle dût avoir l'accroissement et le succès qu'il a plû à Dieu de lui donner; et de tout ce qu'on vient de rapporter comme une preuve du pouvoir qu'il a dans le ciel, il n'est peut-être rien qui présente mieux l'empreinte du prodige.
Il laissait à la vérité deux dignes héritiers de son zèle et de son esprit, Monsieur Mulot et M. Vatel. Mais outre que la Moisson demandait un bien plus grand nombre d'ouvriers, ces deux bons prêtres ne s'étaient pas annoncés par des talents propres à faire espérer qu'ils remplaceraient l'homme Apostolique à qui ils s'étaient attachés.
Ils n'avaient point encore exercé le ministère de la parole. Leur emploi se bornait à entendre les confessions[246].
Il est évident que l'écrivain Besnard, se proposant de décrire la réussite des missions après la mort de Montfort comme un véritable prodige, accuse les contrastes et appuie sur le crayon noir. Il est difficile d'admettre que M. Vatel, qui avait accompagné Montfort depuis Février 1715 jusqu'en Avril 1716, n'eut jamais fait autre chose qu'entendre les confessions. Pour bien saisir les nuances, dans le texte de Besnard, il faut se rappeler aussi que dans le paragraphe précédent, il avait parlé des "Miracles qu'on lui attribue" [à Montfort]. Après les miracles, un prodige encore plus grand.
 
B. M. MULOT DIRECTEUR DE LA MISSION À S. LAURENT.
Mr. de Montfort était mort huit jours avant la fin de la Mission de St. Laurent. M. Vatel était demeuré à Saint Pompin pour avoir soin de la paroisse pendant l'absence du prieur qui avait voulu rester à la Mission avec Mr. Mulot son frère.
Il fallait cependant faire la cérémonie du plantement de la Croix le lendemain du décès de Mr. de Montfort. M. Mulot, qui n'avait pas encore parlé en public, se hasarda de le faire et se mit comme en possession de la place de Supérieur des Missions qu'il a depuis si dignement remplie. Il se sentit encouragé par la promesse que lui avait faite le serviteur de Dieu de se souvenir de lui dans le Ciel, si Dieu lui faisait miséricorde.
Il se mit donc à parler, au pied de la Croix, mais ne pouvant surmonter sa timidité naturelle, il ne dit que deux mots: "Mes frères, dit il, nous avons aujourd'hui deux croix à planter; 1° cette croix matérielle que vous voyez exposée à vos yeux, 2° la sépulture de Mr. de Montfort, que nous aurons aujourd'hui à faire."
Tel fut le premier sermon d'un homme apostolique qui dans la suite sut si bien porter la parole à la tête des Missions, dont il commençait à être le conducteur et le chef.
À la vérité ce peu de paroles fit une impression étonnante sur les assistants et toucha sensiblement tous les cœurs; mais, quoiqu'un discours soit toujours assez long quand il obtient l'effet qu'on se propose, et qu'il fût souvent beaucoup mieux de le terminer alors, il n'en est pas moins vrai que le nouveau prophète ne parut pas encore avoir reçu le double esprit que son maître lui avait fait espérer en se séparant de lui pour s'élever au Ciel. On le crut même à la veille de ne pas pousser plus loin la carrière qu'il ne faisait que commencer[247].
Je m'excuse auprès du lecteur de ce que le discours de Besnard soit bien plus long qu'il n'était nécessaire pour nous communiquer les renseignements qu'il possède. Mais que le lecteur veuille bien constater qu'ici nous avons à faire au missionnaire Besnard faisant l'oraison funèbre de M. Mulot, plutôt qu'au chroniqueur de la Compagnie de Marie relatant des événements considérables :
 
C. M. MULOT TOMBE MALADE.
Vivement touché de la perte d'un homme qu'il aimait comme un père et qu'il révérait comme un saint, épuisé d'ailleurs par l'assiduité à écouter les confessions depuis le commencement de la Mission, il tomba malade et se vit à la dernière extrémité.
Il ne perdit pourtant pas courage, et il se persuada que son cher et vertueux défunt veillait sur lui du lieu de son repos. Son espérance ne fut pas vaine. Il se rétablit de cette maladie après laquelle un tempérament aussi faible que le sien ne semblait promettre qu'une suite continuelle d'infirmités et de langueurs, si Dieu, qui voulait vérifier en tout les promesses de son serviteur et qui le destinait à être l'instrument de sa gloire, * ne lui eût accordé enfin, à la fleur de son âge, une force et une santé qui le mirent en état de fournir, au milieu des plus pénibles travaux, une longue et belle carrière[248].
*   Les promesses de son serviteur sont celles de Montfort; et Dieu destinait M. Mulot à être l'instrument de sa gloire.
M. Besnard nous transmet ici une relation des faits dont il a recueilli les éléments dans le récit traditionnel tel qu'il devait se raconter dans la communauté. Pourtant on n'échappe pas à l'impression que son texte a surtout pour but de glorifier son héros — M. Mulot — et de montrer comment les événements qui se déroulèrent tenaient vraiment d'un prodige attribué à l'intercession de Montfort. Mais ce qui est indéniable c'est qu'il nous transmet une tradition ininterrompue et jamais discutée: M. Mulot était l'élève que Montfort lui-même avait placé à la tête des missions. Il se base indubitablement sur le récit qu'il nous a fait lui-même du dernier entretien entre Montfort et celui que le Saint voulait comme exécuteur de ses dernières volontés, et parmi celles-ci la première était la continuation de l'œuvre des missions.
 
D. M. MULOT À SAINT-POMPAIN.
Il profita des premiers jours de sa convalescence pour retourner avec son frère à St. Pompain où il retrouva Monsieur Vatel aussi consterné que lui de la perte de leur Père commun.
Dans ce moment, sans porter plus loin leurs prétentions, ils ne pensèrent plus qu'à se mettre en état de servir cette paroisse ou quelqu'autre du Diocèse où la volonté des supérieurs pourrait les appeler[249].
Besnard voulant charger le fond du tableau pour faire ressortir plus lumineusement la figure centrale, oublie de mentionner des faits et des gestes qui auraient pu l'éclairer tout autrement. Nous avons déjà vu, au chapitre précédent, que M. Mulot profita de sa convalescence, d'abord pour aller à Nantes y faire le dépôt du Testament et puis, bien probablement, pour retourner à S. Laurent assister au panégyrique de Montfort par M. Clisson. Il foudrait ici remémorer toutes les obligations qui incombaient à l'exécuteur testamentaire de Montfort pour démontrer que M. Mulot n'a pas pu retourner tout simplement à S. Pompain. Et surtout il ne s'est pas installé dans la cure dans l'intention d'attendre la nomination à une autre place de vicaire. N'oublions pas que Montfort avait confié ses accessoires de mission d'abord à l'évêque de La Rochelle. Par là même, la continuation ou non de l'œuvre des missions par M. Mulot désigné par Montfort comme son successeur, dépendait aussi de Mgr. De Champflour. Mais il est inutile d'insister. S'il y a quelqu'un qui contredit la deuxième phrase de Besnard citée plus haut, c'est Besnard.
Ils restèrent ainsi deux années, partageant tout leur temps entre l'étude et la prière. L'œuvre des Missions leur venait souvent à la pensée, mais ils craignaient toujours de s'exposer et qu'un défaut d'exercice ne discréditât une fonction qui demande des talents tout acquis et une grande facilité à annoncer la parole de Dieu[250].
Il est certain que pour M. Mulot il n'était pas facile de prendre la succession de Montfort. Il n'avait pas, comme le grand missionnaire, la facilité de parler à toute heure sur tout sujet, comme celui-ci l'écrivait de lui-même à M. Leschassier en 1702[251]. Et surtout, ayant collaboré avec Montfort qui était à la tête de la Communauté du S. Esprit, il devait se sentir bien isolé, vu que, de tous les collaborateurs de Montfort, seul M. Vatel était avec lui. Mais que Besnard ne prétende pas qu'ils ne songeaient qu'à être vicaires à S. Pompain ou ailleurs: l'œuvre des missions leur venait souvent à la pensée. Et je doute fort qu'ils "restèrent ainsi deux années". Il suffit d'ailleurs de lire la suite du texte de Besnard pour constater que MM. Mulot et Vatel n'avaient pas abandonné leurs projets d'apostolat.
Cependant Dieu avait ses desseins, et il en préparait l'exécution par ces voies secrètes et cachées qu'il emploie souvent pour former les hommes de sa droite. La demeure de nos vertueux prêtres fut comme un cénacle où ils attendirent le moment que Dieu voudrait leur marquer pour répondre au dehors le feu divin dont ils se pénétraient dans le silence et la méditation.
Mr. Mulot surtout passait tous les jours plusieurs heures devant le Saint Sacrament pour demander à Jésus Christ le don de la parole. Il l'obtint en effet, mais ce ne fut qu'après des essais qui n'eurent rien de frappant que le zèle qui le mit audessus des délicatesses de l'amour propre et des spécieux prétextes du respect humain. Sa première mission eut véritablement quelque chose de singulier en ce genre; il la donna non seulement sans y être préparé, mais sans s'y être attendu[252].
Si nous avons reproduit ce long passage plutôt oratoire, c'est parce-qu'on a voulu se servir de certains passages pour prouver que M. Mulot avait complètement abandonné tout projet de continuer l'œuvre des missions. Ce texte étant emprunté à un manuscrit, il nous était impossible d'y renvoyer le lecteur. Maintenant qu'il peut le relire en son entier, il peut se rendre compte que tout le but que se proposait l'auteur était de montrer de quelle façon merveilleuse l'œuvre des missions, interrompue par la mort du Saint, s'était continuée quand même, alors qu'humainement parlant cela semblait impossible. Ce qui est exactement le contraire de ce qu'on a voulu lui faire dire!
 
E. LA MISSION DES LOGES.
Vers la fin du carême de 1718, Mr. le Curé des Loges, près Fontenay, qui le connaissait parfaitement ainsi que son collègue Mr. Vatel, vint les prier l'un et l'autre de lui aider à faire les Pâques de sa paroisse. Ils le lui promirent, comptant que leur ministère se bornerait à entendre les confessions.
Effectivement on ne leur avait pas demandé autre chose, mais le zélé pasteur, déjà bien satisfait de s'être assuré de deux ouvriers évangéliques, ne pensa plus qu'à en tirer tout l'avantage qu'il pouvait s'en promettre.
II se rend chez lui, fait le Prône le Dimanche suivant, annonce qu'à la huitaine la Mission commencera dans la paroisse, et exhorte tout le monde à s'y préparer. Le bruit d'une Mission se répandit dans tout le canton et parvint jusqu'à St. Pompain. Les deux Missionnaires préconisés étaient tous deux disciples et compagnons de M. de Montfort. Tout le monde se félicitait de ce qu'on allait voir revivre en eux, avec le zèle de ce grand homme, ses succès et ses talents. Mais eux pensaient d'une manière bien différente, ils voulaient même retirer leur parole, ne se croyant obligés à rien puisqu'on avait annoncé plus qu'ils n'avaient promis, et qu'ils n'eussent pu promettre, persuadés qu'ils étaient de ne pouvoir s'exposer à parler en public. Ils n'avaient ni composé, ni appris aucuns sermons.
Cependant la mission était annoncée; le curé les pressait beaucoup: s'ils refusent ils ôtent l'espérance que l'on avait de voir les Missions de M. de Montfort se perpétuer par les travaux de ses élèves. En acceptant ils craignent que la parole de Dieu ne perde dans leur bouche la force et la dignité qu'elle doit avoir, à qui que ce soit qu'on l'annonce.
Dans cette perplexité, ils prirent un parti également dicté par le zèle et par la prudence. Ils se déterminèrent à parler au peuple, non point en disant au hasard ce qui leur viendrait à la pensée (ils savaient trop le respect dû à la chaire), mais en faisant en chaire des lectures avec quelques courtes morales sur le sujet qu'ils avaient lu. Cette manière d'exhorter et d'instruire eut le plus heureux succès. Dieu y répandit tant de bénédictions et la Mission fut suivie de conversions si étonnantes, que M. Vatel disait encore peu de temps avant de mourir que, de toutes les Missions qu'il avait faites, il n'y en avait aucune qui eut produit plus de fruit que celles de ces premiers commencements[253].
Nous n'oserions garantir que les choses se soient passées exactement comme Besnard le raconte dans son joli récit, et si tous les détails sont exacts. Mais ce que nous apporte ce texte est assez important. Si le curé des Loges a usé d'un stratagème pour obliger M. Mulot à faire le pas décisif, ce bon recteur devait être persuadé que les deux prêtres qui résidaient à S. Pompain "tous deux disciples et compagnons de M. de Montfort" n'y attendaient point une nomination comme vicaire dans l'une ou l'autre paroisse, mais s'y préparaient à l'œuvre des missions. Et cette preuve glanée dans Besnard, qui reçut les confidences de M. Vatel et de M. Mulot, sera notre excuse auprès du lecteur pour la longueur de la citation.
 
§ II. Les premières missions.
Nous devons pourtant emprunter encore à Besnard quelques textes, car il est le seul qui puisse nous fournir des renseignements sur les premières activités des missionnaires.
1) Messieurs les curés de Béclen (Beceleuf) et de Beugné, du Puy-Hardy, instruits de tout le bien que les nouveaux Missionnaires faisaient aux Loges, voulurent les avoir dans leurs paroisses. Ils y allèrent, suivirent la même méthode et eurent les mêmes succès.
2) Après ces prémices de leur apostolat, les deux missionnaires se retirèrent à S. Pompin, n'ayant encore aucune résidence stable que la maison du Prieur, curé de cette paroisse. Ils s'y occupèrent de l'oraison et de l'étude et se mirent en état de pouvoir prêcher quelques sermons par mémoire. A la fête de la Toussaint, ils sortirent de leur retraite pour aller donner une mission à S. Hilaire sur l'Autise, membre dépendant du Chapitre de St. Hilaire de Poitiers; et ce fut proprement alors que M. Mulot commença à se faire connaître comme successeur de M. de Montfort… De là ils furent appelés à la Mission de Vernou, à la Pommeraye, à St. Pompin. Le bruit du bien qu'ils faisaient dans le diocèse de La Rochelle les fit désirer dans le diocèse de Poitiers. Le curé des Fosses près de Niort les appela dans sa paroisse. A son exemple, les curés de Villiers, de La Chapelle S. Laurent, de Chiché, de Moutiers voulurent avoir le nouveau Missionnaire. Ils l'eurent chacun à leur tour. Tous admirèrent ses succès et son zèle, plusieurs même en furent si frappés qu'ils s'attachèrent à lui et laissèrent leurs bénéfices pour le suivre dans ses missions[254].
Résumons les données que nous fournit Besnard. Vers Pâques 1718, mission aux Loges, travaux à Béceleuf, Beugné et le Puy-Hardy. A partir de la Toussaint, missions dans le diocèse de La Rochelle à S. Hilaire, Vernou; La Pommeraye, S. Pompain; missions dans le diocèse de Poitiers: Les Fosses, Villiers, La Chapelle, S. Laurent, Chiché et Les Moutiers.
Il est difficile de fixer quelle était l'importance de ces différents travaux, et les archives de plusieurs de ces paroisses ne nous révèlent rien sur la présence de M. Mulot et de ses compagnons en cette saison 1718—1719. Il est certain que l'ordre chronologique suivi par Besnard dans son énumération n'est pas exact. Nous savons par la lettre de M. Mulot citée plus haut, que la mission de La Chapelle S. Laurent eut lieu immédiatement après celle de La Pommeraye. Mais il y a un autre fait que nous devons retenir: Besnard fait allusion aux premiers curés qui se joignirent au petit groupe de missionnaires. Nous les retrouverons tout à l'heure.
3) Les missions de l'année suivante furent celles de Sainte Christine, St. Aubin le Doux, St. Pardoux, St. Jean de Parthenay, St. Germain-Longue Chaume, Le Busseau et St. Hilaire de Vihiers[255].
Si la chronologie de Besnard est exacte, ce que nous ne croyons point, ces missions appartiennent à la saison 1919—1920, et celle de Vihier aurait donc eu lieu avant les vacances d'été de cette année 1720. Des documents inattaquables contredisent cette affirmation de Besnard, car ce qu'il dit s'être passé après cette mission de Vihiers a eu lieu certainement bien plus tôt.
Résumons ce paragraphe des missions. Depuis Pâques 1718 jusqu'aux vacances de 1920 M. Mulot, aidé d'abord uniquement de M. Vatel et ensuite par deux ou trois autres missionnaires nouvellement arrivés, aurait donné des exercices plus ou moins longs dans 21 paroisses. Dans sept paroisses seulement de 1719 à 1720; dans quatorze de 1718 à 1719. Non je ne crois pas que les données fournies par Besnard soient en conformité avec les faits. A mon humble avis il faut admettre que la première mission a été prêchée par M. Mulot et M. Vatel non en 1718 mais en à Pâques 1717, et le doyen de Vihiers ne leur a pas présenté les bénéfices en 1720, mais avant 1719. Mais étudions d'abord un autre problème.
 
§III. Les signatures de S. Pompain.
MM. Mulot et Vatel résidèrent à S. Pompain depuis la mort du Saint jusqu'à l'établissement de la Communauté du S. Esprit à S. Laurent-sur-Sèvre en 1722. Pendant ce temps ils étaient logés et nourris par le recteur de cette paroisse, M. Jean Mulot. Il n'était que trop naturel qu'ils rendissent quelque service en retour. Aussi trouve-t-on assez fréquemment leur nom dans les registres de la paroisse au bas des actes constatant baptêmes, funérailles etc. Des titres accolés à ces signatures on a voulu déduire que les deux collaborateurs de Montfort avaient totalement abandonné tout projet de continuer l'œuvre des missions, dont Montfort avait ardemment désiré la continuation, comme il ressort de nombreux textes écrits par lui durant de sa vie, et comme le prévoit son Testament. Voyons maintenant quelles sont ces signatures.
 
a.      M. MULOT.
1. Du vivant de Montfort.
1716.  Le 21 Janvier, les 1 et 16 Mars: Mulot, prêtre.
 
2. Après la mort du Saint.
1716. Le 21 Septembre, le 7 Décembre:
Mulot, prêtre.
1717. Les 4, 25 et 31 Janvier, le 3 Février et le 10 Juin:
Mulot, prêtre.
1717. Le 25 Août:
Mulot, prêtre vicaire.
1717. Le 30 Septembre, les 4, 27 et 28 Octobre:
Mulot, prêtre.
1718. Le 10 Janvier, le 10 Mars:
Mulot, prêtre.
 
3. Après la reprise des Missions (chronologie Besnard).
1718. Le 23 Juillet, les 9 et 13 Août, le 26 Septembre et le 9 Novembre:
Mulot, prêtre.
1719. Le 3 Septembre, les 12 et 21 Octobre:
Mulot, prêtre.
 
b.        M. VATEL.
1.  Du vivant de Montfort.
1716.  Du 12 Janvier au 13 Avril, 18 signatures:
Vatel, prêtre, 11 fois;
Vatel, prêtre missionnaire avec M. de Montfort, 7 fois.
 
2.  Après la mort du Saint.
1716. Le 3 et 7 Mai:
Vatel, prêtre missionnaire avec M. de Montfort.
1716. Les 10, 12 et 13 Mai et le 24 Juin:
Vatel, prêtre missionnaire.
1716. Les 3 et 22 Octobre, le 20 Novembre, les 3, 7 et 17 Décembre:
A. Vatel, prêtre vicaire de S. Pompain.
1717. Pendant cette année 16 signatures:
A. Vatel, prêtre vicaire de S. Pompain, 13 fois;
A. Vatel, prêtre, 3 fois.
1718. Les 3 et 16 Mars:
A. Vatel, prêtre vicaire.
 
3.  Après la reprise des Missions (chronologie Besnard).
1718. Le 27 Juin, 16 Août, les 14 et 22 Septembre, les 3 et 8 Octobre:
A. Vatel, prêtre vicaire de S. Pompain.
1719. Le 3 Juin, les 2 et 17 Juillet, le 20 et 28 Août:
A. Vatel, prêtre suppléant.
1719. Les 3 et 29 Août, les 19 et 24 Septembre, les 15, 18, 19, 20 et 21 Octobre:
A. Vatel, prêtre vicaire de S. Pompain.
1720. Le 12 Février:
A. Vatel, prêtre missionnaire.
 
Ces signatures apportent-ils la preuve que M. Mulot et M. Vatel avaient abandonné tout projet de continuer l'œuvre des missions? Le fait que ces Messieurs accolent parfois à leur nom le titre de "vicaire de S. Pompain" prouve-t-il qu'ils avaient abandonné la carrière de missionnaire pour se faire incorporer dans le clergé déservant la paroisse?
En l'espace de 3 ans M. Mulot se nomme une seule fois: prêtre vicaire. On admettra qu'il est difficile de tirer une conclusion de ce fait. Dans le même espace de temps, M. Vatel se nomme 35 fois: vicaire de S. Pompain. Quelle conclusion peut-on tirer de ce fait?
1) Il faut d'abord remarquer que depuis Avril 1716 jusqu'en mois d'Août 1719, M. Jean Mulot, d'abord seul et ensuite avec l'aide du curé de Melle — comme nous le verrons tout à l'heure — a recueillis, logés et nourris les deux auxiliaires de Montfort. Il était donc tout naturel que ces Messieurs rendissent au Recteur tous services possibles. Allons plus loin. Il était normal que l'un d'eux assumât la fonction du vicaire pour assurer au Recteur les émoluments attachés à ce poste alors vacant.
2) Il suffit d'examiner un peu attentivement les dates auxquelles on trouve des signatures. D'après Besnard les deux prêtres auraient repris l'œuvre des missions à Pâques 1718. Or. M. Vatel signe depuis le 27 Juin 1718 jusqu'au 8 Octobre 1719, jusqu'à 15 fois: prêtre vicaire de S. Pompain. On ne pourra tout de même pas nier qu'à cette époque il était pleinement missionnaire et missionnaire de la Communauté du S. Esprit. Pour s'en convaincre il suffit de relire la Supplique et les approbations des Évêques que nous reproduirons bientôt. La conclusion? Le fait de signer: vicaire de S. Pompain ne prouve ni pour M. Mulot ni pour M. Vatel qu'ils avaient abandonné l'œuvre des missions.
 
§ IV. Les bénéfices de Vihiers.
A. LA VERSION DE BESNARD.
Voici d'abord le cours des événements selon Besnard. Après l'alinéa où il mentionne les missions de Villiers, de La Chapelle S. Laurent, de Chiché et de Moutiers, il nous apprend que plusieurs des curés les suivirent dans les missions. Ceci lui fournit l'occasion d'enchaîner:
Cependant il n'avait pas encore de demeure fixe, où il put les ressembler en corps de communauté. Cet inconvénient ne le déconcerta point, et Dieu commença à lui faire trouver des ressources. Mr. son frère, curé de St. Pompin, et M. le curé de Mesle, s'obligèrent conjointement de soutenir cette bonne œuvre et de loger, nourrir et entretenir lui et Mr. Vatel jusqu'à ce que l'on put prendre des arrangements plus solides et plus durables. Ils présentèrent même en leur propre nom et celui des Missionnaires une supplique au Pape pour le prier d'approuver cette naissante mission, et tous ceux qui s'y associeront sous le nom de Nouveaux Missionnaires Apostoliques de la Communauté du S. Esprit, pour faire mission dans les Diocèses où ils seraient appelés du consentement des Seigneurs Évêques, et de leur accorder une indulgence plénière et tous autres pouvoirs en pareil cas, etc. . . .
Cette supplique eut tout le succès qu'on pouvait désirer parcequ'elle fut appuyée des attestations des Évêques de La Rochelle et de Poitiers, la première du 1er Août 1719, signée Etienne, évêque de La Rochelle, et la seconde du 18 du même mois, signée Jean Claude, évêque de Poitiers[256].
Après une digression peu importante suit alors chez Besnard le texte que nous avons cité plus haut: Les missions de l'année suivante... etc. Après avoir mentionné St. Hilaire de Vihiers l'auteur continue:
Monsieur Padeau, doyen de cette dernière paroisse, fut si satisfait de la Mission et des missionnaires, qu'il offrit à M. Mulot et à M. Vatel de les loger et retirer chez lui et leur céder son Doyenné pour y jeter les premiers fondements d'une mission fixe et perpétuelle. Mais il était réservé au lieu de la sépulture de M. de Montfort d'y voir rassemblés les héritiers de son esprit et de son zèle.
Monsieur Vatel tomba malade chez ce respectable doyen et y resta pendant les vacances. Ce généreux ami, toujours plus convaincu du mérite des deux missionnaires, pour procura à chacun un petit bénéfice qu'il leur fit présenter par Mr. le curé de Notre-Dame de Vihiers, d'où dépendaient deux petites maisons où ils pouvaient se retirer pendant les étés; mais M. Mulot, voyant que, par là, il ne suivait pas les intentions de M. de Montfort, s'en démit peu de temps après afin de vivre comme lui, entièrement abandonné aux soins de la Providence. On assure que, dès lors, il fit vœu de pauvreté qu'il a observé jusqu'à sa mort[257].
Selon la chronologie de Besnard les curés de S. Pompain et de Mesle auraient offert l'hospitalité aux missionnaires et après auraient envoyé la supplique au Pape. Dans la suite, l'année d'après, M. Mulot et M. Vatel auraient accepté les bénéfices de Vihiers. Il suffit de retourner maintenant à Grandet pour voir que Besnard a interverti l'ordre des événements.
 
B. LA VERSION DE GRANDET.
Messieurs Mulot et Vatel ayant été appelés aux Missions par Monsieur Grignion, d'une manière aussi extraordinaire que nous l'avons rapportée pendant sa vie, crurent être obligés de continuer les mêmes fonctions après sa mort, et d'entrer dans toutes ses vues. Pour cet effet, Monsieur le Prieur curé de Vihiers leur procura à chacun un bénéfice d'un assez bon revenu, d'où dépendaient deux maisons dans un gros Bourg où ils pouvaient se retirer pendant l'été lorsque les peuples, occupés à la récolte de leurs moissons, ne pourraient assister aux exercices des missions.
Mais ces fervents missionnaires, voyant que par là ils ne suivraient pas les intentions de leur zélé Instituteur, ne gardèrent ces bénéfices que très peu de mois; ils en firent démission entre les mains des Présentateurs, craignant de n'être pas par là assez abandonnés à la Providence. Ils firent même vœu de pauvreté, et Dieu, pour les en récompenser, suscita deux vertueux Curés, qui leur promirent de ses loger et de les entretenir pendant qu'ils ne seraient pas en Mission, jusqu'à ce qu'ils eussent une maison fixe.
Bien plus, ces deux Curés, sur l'approbation de Messeigneurs les Évêques de La Rochelle et de Poitiers, présentèrent une Supplique au Pape, tendant à demander à sa Sainteté celles de leurs missions, et des Indulgences plénières. Voici la copie de cette supplique[258].
Il suffit de comparer les deux textes pour voir que Besnard s'est servi de Grandet; l'identité de certains termes en est une preuve formelle. Il y a un détail sur lequel nous devons attirer l'attention du lecteur. Voyez comment Besnard, qui fit approuver une nouvelle règle sans vœux, s'exprime avec circonspection sur la question du vœu de pauvreté émis par M. Mulot et Vatel. Il réduit le texte au seul. M. Mulot et laisse la responsabilité de l'affirmation à d'autres.
"On assure que. dès lors, il fit vœu de pauvreté qu'il a observé jusqu'à sa mort"[259].
Grandet ne connaît pas ces scrupules: "Ils firent même vœu de pauvreté". Pourquoi aurait-il hésité d'ailleurs? N'avait-il pas la preuve formelle sous les yeux dans cette supplique des deux curés, dont Besnard n'a reproduit qu'un extrait anodin, où la question des vœux est supprimée. Il faut se ranger du côté de Grandet dans cette affaire. C'est le Doyen de Vihiers qui a fait le premier une proposition qu'il jugeait apte à perpétuer l'œuvre des missions. Nous regrettons de n'avoir pas de renseignements sur les rapports entre Montfort et ce bon Monsieur Padeau. Ce qui nous détermine à accorder dans cette affaire plus de crédit à Grandet qu'à Besnard, c'est que ce dernier n'a écrit qu'après la mort des intéressés MM. Mulot et Vatel, tandisque Grandet s'était renseigné auprès de M. Padeau lui-même qu'il a rencontré en 1719 et avec lequel il s'est entretenu du saint missionnaire[260].
En résumé nous pouvons constater que les faits se sont passés ainsi: Après la mort du Saint, MM. Mulot et Vatel étant S. Pompin ont accepté par l'intermédiaire de M. Padeau, doyen de Vihiers, un bénéfice leur assurant la jouissance de deux petites maisons, sises dans un gros bourg. On ne dit pas lequel. Très peu de mois après ils en firent démission, parcequ'ils craignaient de ne pas être assez abandonnés à la Providence. Or ils devaient être abandonnés à la Providence "pour entrer dans toutes ses vues" [de Montfort]. Pour y entrer complètement ils firent vœu de pauvreté. Dieu pour les en récompenser suscita les deux curés qui voulurent bien les entretenir jusqu'à ce qu'ils eussent une demeure fixe.
Ceux qui soutiennent que MM. Mulot et Vatel n'avaient pas de vœux à la mort de Montfort croiront trouver ici un argument. Ces messieurs acceptent un bénéfice, donc ils n'avaient pas de vœux. Il serait pourtant sage de ne pas oublier que si ces messieurs avaient eu des vœux du vivant de Montfort, ces vœux ne pouvaient être que temporaires. Ces vœux temporaires écoulés, ils pouvaient accepter un bénéfice. Ils l'ont fait. Admettons qu'à ce moment ils n'étaient plus religieux au sens strict du mot. Est-ce qu'on peut déduire de là: à ce moment la Communauté du S. Esprit n'existait plus, la fondation de Montfort était liquidée. Conclusion plus large que les prémisses. La preuve? De 1773 à 1834 les membres de la Compagnie de Marie, suivant la Règle de Besnard, n'émirent point de vœu. Conclusion: la Compagnie de Marie cessa d'exister. Qui veut trop prouver, ne prouve rien.
Ce qui est plus intéressant c'est de remarquer pour quelle raison ces missionnaires abandonnèrent ce bénéfice. Ils sentaient qu'ils n'entraient pas par là dans les vues de Montfort. Le bénéfice leur avait été offert pour garantir la continuation de l'œuvre des missions. Ils étaient résolus à la continuer, mais dans l'esprit de Montfort, c.à.d. dans l'abandon complet à la Providence. Et voilà ce qui les décida à renouveler leurs vœux de pauvreté avant le lre Août 1919 comme nous le prouve la supplique des deux curés.

Chapitre XXI. LES FILS DU PÈRE DE MONTFORT.
 
§ I. La Communauté du S. Esprit.
Quand on veut étudier une question il faut avoir sous les yeux un dossier aussi complet que possible. C'est pourquoi nous avons présenté aux lecteurs un certain nombre de textes qui, étant restés manuscrits, ne sont pas facilement abordables. Certains imprimés, eux-mêmes, comme p.e. la première biographie de Montfort écrite par Grandet, ne se trouvent plus que très difficilement. Pourtant cet auteur apporte des documents qui sont d'une valeur inestimable et que le lecteur doit connaître. Ceci sera notre excuse si nous reproduisons en extenso la supplique adressée au Pape en faveur des missionnaires du S. Esprit par les curés de Mellé et de S. Pompain et les approbations des Évêques.
 
Très Saint Père,
1 Les sieurs Pierre Garnier, Prêtre, Prieur, curé de Saint Martin de Mellé, Diocèse de Poitiers, et Jean Mulot, Prêtre, Prieur, curé de Saint Pompain du Diocèse de La Rochelle, très édifiés d'un petit nombre de pieux et vertueux ecclésiastiques, élevés et animés par feu Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, très digne prêtre, Missionnaire Apostolique, mort en odeur de sainteté, s'efforçans de marcher sur ces traces, et voyant la moisson abondante et peu d'ouvriers, se sont appliqués à faire depuis deux ou trois ans, sous le bon plaisir et l'agrément des Seigneurs Évêques, des missions très fructueuses, qu'ils continuent actuellement.
Représentant très humblement à Votre Sainteté, que lesdits Ecclésiastiques pour
2 - s'appliquer entièrement au salut des âmes, ont renoncé à tous bénéfices, et fait vœu de pauvreté volontaire, ne vivant que de la charité des peuples, distribuant le reste aux pauvres, et n'ayant aucune retraite pendant la récolte; les susdits prieurs, en secondant leur zèle, se les sont associés, et se sont engagés de les retirer pendant le temps de la dite récolte, de les secourir même en cas de maladie, de les nourrir, entretenir et conduire dans les paroisses où ils jugeront de l'avis et agrément des Seigneurs Évêques, que leur mission sera nécessaire, jusqu'à ce que la Providence Divine qui fait le fondement de leur mission, et à laquelle ils se sont entièrement abandonnés, et qui répand visiblement ses bénédictions sur leur travaux, leur ait procuré une retraite où ils se rassemblement tous pour travailler pendant leurs vacances en particulier à leur sanctification.
C'est pourquoi, Très Saint Père, les susdits prieurs, du consentement de leurs Évêques, ont recours à votre Sainteté, et la supplient très humblement d'approuver
3 cette naissante mission et tous ceux qu'ils y associeront, qu'on prévoit être en nombre dans peu, sous le titre de nouveaux Missionnaires Apostoliques de la Communauté du Saint-Esprit, pour faire mission dans les Diocèses où ils seront

appelés, et de vouloir, Très Saint Père, pour cet effet leur accorder vos Pouvoirs,
4 et Indulgences plénières; et spécialement pour la rénovation des vœux du Baptême, qu'ils font faire dans chaque mission, ce qui fait le plus grand fruit de leurs dites missions; et afin de renouveler par cette rénovation le premier Esprit du Christianisme, vous demandent, Très Saint Père, Indulgences Plénières pour tous ceux qui renouvelleront chaque année les dits vœux du Baptême, envoyant pour cet effet une copie du petit contrat dont ils se servent, pour que Votre Sainteté l'approuve, y ajoute ou diminue ce qu'Elle jugera à propos.
Comme les susdits Missionnaires s'appliquent principalement à faire des missions dans les paroisses de la campagne, qui se trouvent éloignées des villes et lieux où habitent les R.P. Dominicains; ils supplient aussi très humblement Votre Sainteté de leur permettre d'établir dans chaque paroisse, la confrérie du Très Saint Rosaire quotidien, que tout le monde embrasse à l'envie, et que Mr. de Montfort a renouvelé depuis peu avec un très grand fruit, de leur accorder les mêmes indulgences qu'aux R.P. Dominicains.
Les susdits missionnaires ayant l'expérience du bien qu'ont produit dans les 
5 missions précédentes, les confréries des Pénitents, des Vierges et des Frères et Sœurs de la Croix, qui n’ont d'autre but que de retirer les hommes des débauches, et les filles des veillées, des danses et assemblées, pour les porter les uns et les autres, à la fréquentation des Sacraments, demandent Indulgence plénière pour quatre à cinq fois l'année, qu'on les assemble à l'édification de tout le peuple; demandent très humblement à Votre Sainteté, si elle le juge à propos, d'accorder des Indulgences pour le saint Nom de Jésus, qu'ils distribuent à la fin de chaque mission, pour récompense de l'assiduité à entendre la parole de Dieu.
Supplient aussi Votre Sainteté d'accorder Indulgence Plénière pour une communion qu'il font faire pour les trépassés à la fin de chaque mission.
Plus demandent la continuation de l'Indulgence Plénière que votre Sainteté avait donnée à un Crucifix qu'avait feu M. de Montfort, en faveur de ceux qui le baiseraient à l'heure de la mort[261].
 
APPROBATION DE MESSEIGNEURS LES ÉVÊQUES DE LA ROCHELLE ET DE POITIERS[262].
 
ETIENNE, par la Providence de Dieu et l’autorité du Siège Apostolique, Évêque de La Rochelle, Nous certifions tous auxquels il appartiendra que les sieurs Adrien Vatel, Hilaire Toutan, Cyprien Aumon et René Mulot, tous Prêtres, s'appliquent avec beaucoup de piété, de zèle et d'édification à faire des Missions dans les paroisses de notre Diocèse que Nous leur indiquons, et qui de notre connoissance y font beaucoup de fruit, et que Dieu répand abondamment ses grâces et ses bénédictions sur leurs travaux, et sur la vie exemplaire qu'ils mènent.
Par Monseigneur, Roulleau.       
Donné à La Rochelle le premier Août 1719
          ETIENNE,                                                                 Évêque de La Rochelle.
 
Nous Évêque de Poitiers, certifions pareillement que lesdits Sieurs Adrien Vatel, Hilaire Toutan, Cyprien Aumon et René Mulot, prêtres missionnaires, ont prêché dans plusieurs paroisses de notre Diocèce avec beaucoup de fruit et d'édification, ce qui attire de tous cotez les peuples à la conversion et à la persévérance dans la piété Chrétienne, par les grâces et bénédictions que Dieu répand sur leurs travaux et sur leur vie exemplaire.
Donné à Poitiers, ce huitième jour d'Août 1719.
Signé JEAN-CLAUDE,
Évêque de Poitiers.
 
1) Il est inutile, je pense d'insister sur la valeur de ce témoignage. Constatons d'abord que ce document affirme la filiation directe de Montfort de cette mission, dont les membres sont "élevés et animés" par lui. Mais il y a un détail qui est du plus grand intérêt. La supplique affirme que ces successeurs de Montfort: se sont appliqués à faire depuis deux ou trois ans, ... "des missions très fructueuses". Ce document datant de Juillet 1719, cette phrase ne devient intelligible que si l'on place le commencement des missions en l'année 1717 et non en 1718, comme l'affirme Besnard. On objectera que celui-ci devait tenir ce renseignement de MM. Mulot et Vatel. Nous répondons que Besnard écrit après la mort de ces Messieurs décédés l'un en 1748 et l'autre en 1749; que, par ailleurs, les renseignements fournis par Besnard sur les premières missions ne peuvent être exacts, comme nous l'avons déjà fait remarquer. Enfin il est presqu'inadmissible que les deux successeurs de Montfort, même assistés des deux collaborateurs qui les avaient rejoints avant le 1 Août 1719, aîent pu réaliser les 14 exercices que Besnard énumère depuis Pâques 1718 jusqu'aux vacances de 1719. Si, au contraire, on s'en tient aux données fournies par les deux curés, témoins oculaires écrivant au moment où les événements se passent, on arrive facilement à retrouver les trois ans en partant de 1717 et allant jusqu'en 1719; et les deux ans en prenant les saisons des missions 1717—1718 et 1718—1719.
2) Dans le 2me alinéa il faut souligner que ce document affirme que ces messieurs ont renoncé à tous bénéfices. Leur renoncement au bénéfice offert par M. Padeau doit donc être antérieur à cette date du 1 Août 1719. Mais le lecteur, qui veut se rendre compte comment toute cette supplique est inspirée de l'esprit de Montfort, n'a qu'à comparer ce 2me alinéa avec ce que le Saint a écrit dans sa Règle Manuscrite[263]. La pauvreté et l'abandon à la providence doit être le fondement de leur apostolat. Et c'est pour cela qu'ils ont émis leur vœu de pauvreté. Or les approbations de cette supplique par les Évêques de La Rochelle et de Poitiers énumèrent quatre missionnaires et ne fait aucune différence entre eux. Nous avons donc affaire ici à une véritable communauté, qui est jusqu'ici à la charge des deux curés, mais qui cherche une retraite où "ils se rassemblent tous pour travailler pendant leur vacances en particulier à leur sanctification". C'est encore un point de la "Règle Manuscrite"[264].
3) Dans ce 3me alinéa, la Supplique nous donne le nom de cette communauté qui cherche une retraite fixe pour, de là, se répandre dans les diocèses où les ordinaires les demanderont. Et ce nom?
"Missionnaires Apostoliques de la Communauté du S. Esprit".
Je demande au lecteur si M. Mulot avait bien exécuté le Testament de Montfort? Qui veut voir le sens exact du document rédigé par M. Mulot sous la dictée de Montfort, n'a qu'à le placer à côté de cette supplique, envoyée au Pape pour demander bénédiction et consécration de l'œuvre des missions telle que Montfort l'avait conçue, pratiquée, et réglementée dans sa Règle Manuscrite, Magna Charta de sa Congrégation de Missionnaires.
4) Il faudrait presque reproduire tous les paragraphes de cette Règle pour prouver que l'apostolat tel que le décrit la Supplique est l'apostolat tel que le pratiquait Montfort, tel qu'il le prescrit à ses fils. Il y a non seulement "la rénovation des vœux du baptême" mais il y a jusqu'au "Contract d'alliance" dont on envoie un exemplaire à Rome. Il y a la dévotion du Rosaire, voulue par Montfort comme un moyen de conversion incomparable. Il y a la demande au Pape du privilège d'établir des confréries du Rosaire, privilège que Montfort dans sa Règle, dit avoir obtenu pour eux.
5) Faut-il signaler les associations des Pénitents et des Vierges? N'est-ce pas là un aspect caractéristique de l'apostolat Montfortain? Personne ne peut, de bonne foi, refuser à cette Communauté du S. Esprit, décrite dans cette supplique, la qualité d'héritière directe et de fille privilégiée du Grand Missionnaire. Cette Communauté du S. Esprit a été instituée légataire universelle de l'Œuvre des missions pas Montfort lui-même; et ce n'est certes pas la Communauté du S. Esprit de Paris fondée par Poullart. Cette Communauté du S. Esprit, résidant encore à S. Pompain en attendant de s'établir auprès de la tombe de Montfort, est une Compagnie de Missionnaires composée de quatre prêtres, dont un seul, Adrien Vatel, a reçu son éducation au Séminaire du S. Esprit de Paris; les trois autres: MM. Mulot, Aumont et Toutant, sont des prêtres formés dans un Séminaire, mais non dans celui du S. Esprit. Et elle porte ce nom de Communauté du S. Esprit, bien avant qu'interviennent un peu tardivement les recrues depuis si longtemps promises à Montfort. Cette Communauté du S. Esprit arbore ce nom dans un document officiel au moins quatre ans, avant qu'existe à S. Laurent-sur-Sèvre une maison du S. Esprit[265].
 
§ II. Les incohérences de Grandet.
Au moment où il finissait sa biographie de Montfort, Grandet était un vieillard, malade de la gravelle. Il est mort en cette même année 1724 dans laquelle son livre sortit des presse. Dans les derniers mois de sa vie, il ne devait plus guère quitter sa chambre ni certes voyager. Il faut apprécier hautement qu'il a tenu à se documenter jusqu'au dernier instant. Quand il soumit son livre aux censeurs en Août ou Septembre 1723 il avait échangé toute une correspondance avec le doyen de S. Laurent, dont nous retrouvons des traces dans le Chroniques de la Sagesse[266].
Mais quand on relit les dernières pages consacrées par l'auteur aux événements qui ont suivi la mort du Saint, on doit constater que Grandet, par ailleurs si judicieux, n'était plus capable de se réaliser les faits que lui révélaient les documents. Il a écrit, sur les événements qui ont suivi la mort de Montfort, les Chapitres XX, XXI et XXII. Le lecteur retrouve le premier in extenso dans cette étude. Le Chapitre XXI nous apprend comment "M. Le Vallois s'associa à Messieurs Mulot et Vatel, à l'occasion d'une chose très singulière arrivée sur une Image de Monsieur de Montfort"[267].
A la suite, Grandet nous dit comment deux curés se sont joints aux missionnaires, et quel était alors l'état de la communauté.
Monsieur Toutan, Prieur de Villiers-en-bois, Diocèse de Poitiers, quitta son Prieuré valant au moins 600 livres et vint aussi les trouver pour travailler avec eux.
La vocation de Monsieur Guillemot aux mêmes missions, n'est guère moins admirable. Il était curé de la Cure de Contré, au Diocèse de Poitiers proche Saint Jean d'Angély; ayant entendu parler des grands fruits que produisaient les missions de ces trois prêtres, il fit démission de sa cure qui valait au moins 800 livres de rente, et vint s'offrir à travailler avec eux.
Ainsi leur nombre est présentement de cinq, sans compter les quatre Frères coadjuteurs, dont Monsieur de Montfort parle dans son Testament, et qui ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, les suivent partout, et sont appliqués à faire le catéchisme, l'école, et la cuisine des missionnaires[268].
L'ordre dans lequel Grandet énumère ces vocations ne peut-être un ordre chronologique. M. Le Vallois rencontra M. Mulot à la mission de Nueil en 1721. Or Monsieur Toutant, qui est nommé ensuite, est déjà mentionné comme un des quatre missionnaires dans les approbations des évêques de La Rochelle et de Poitiers que Grandet reproduit quelques pages plus haut.
Il est assez difficile de fixer une date pour l'arrivée de M. Guillemot. Car ce que Grandet veut dire par "les missions de ces trois prêtres" est incompréhensible. S'il voulait placer la venue de M. Guillemot avant celle de Le Vallois, ce qui est un fait, il se trompe encore parceque avec MM. Mulot, Vatel et Toutant, il y avait déjà aussi M. Aumont comme en font foi les mêmes approbations. D'ailleurs ce dernier signe déjà le 8 Février 1719 dans les registres de S. Pompain: "C. Aumont, prêtre missionnaire".
Et quand après cela on revient au petit calcul fait par Grandet, cela ne va plus du tout: "Ainsi présentement leur nombre est de cinq". En réalité il y avait en 1721 comme missionnaires ayant fait vœu de pauvreté, MM. Mulot, Vatel, Aumont, Toutant; et, comme nouvelles recrues, Guillemot et Le Vallois; ce qui fait six en tout.
Nous retrouvons ici le fameux texte de Grandet dans lequel il dit que "les quatre frères nommés par Montfort dans son Testament et qui, ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, suivent les missionnaires partout". Ici le pieux auteur exprime un vœu, mais qui ne correspond point à la réalité. S'il y avait eu dans cette Communauté du S. Esprit en 1719 quatre frères ayant fait des vœux, la supplique des deux curés et les approbations des évêques ne les auraient pas passés sous silence. Pour s'en convaincre il suffit de constater comment cette supplique insiste particulièrement sur le fait que ces missionnaires sont les élèves et les successeurs de Montfort, et sur le fait qu'ils ont fait vœu de pauvreté. On objectera que Frère Mathurin est certainement là, et qu'il n'est pas mentionné. Mais frère Mathurin n'a pas émis de vœux. M. Guillemot semble être là aussi déjà; il n'est pas mentionné, et pour la même raison.
Au Chapitre XXII Grandet nous raconte:
On fait deux établissements à Saint Laurent sur Sayvre; l'un pour les prêtres de la Compagnie de Marie, et l'autre pour les Filles de la Sagesse[269].
Nous avons déjà fait observer que Grandet tient ses renseignements, sur les derniers événements qu'il mentionne, du doyen de S. Laurent. Aussi ce qu'il nous rapporte sur les fondations à S. Laurent se résume dans les interventions des deux bienfaiteurs, le Marquis de Magnanne pour les Pères, Madame de Bouillée pour les Sœurs de la Sagesse. La maison des Pères s'est trouvée en état de les loger en la présente année 1722, dit l'auteur. Des Filles de la Sagesse il nous dit qu'elles "demeurent actuellement au nombre de sept".
La seule chose à faire remarquer encore au lecteur, c'est que pour Grandet cette Communauté du S. Esprit, en faveur de la quelle les deux curés envoient la supplique susdite, est le Compagnie de Marie pour laquelle M. de Mag­nanne installe une maison à S. Laurent. Mais voici maintenant les textes les plus étranges, et qui font vraiment écarquiller les yeux.
Le IX et le X moyens, pour perpétuer les fruits des missions, employés par Montfort, sont, d'après Grandet: a) "L'établissement de la Compagnie de Marie, ou du S. Esprit". Et là l'auteur nous révèle:
A peine Monsieur de Montfort est-il sorti de ce monde, que leur compagnie s'est formée sous le nom du Saint Esprit ou de la Compagnie de Marie; ils sont déjà soixante ou soixante dix Prêtres assemblés qui travaillent avec bénédiction, dans les Diocèces de La Rochelle, de Saintes et de Poitiers...[270].
C'est effarant, quand on pense que le nombre de tous les Montfortains depuis 1716 jusqu'à la Révolution Française n'a guère dépassé le nombre de cinquante. Comment est il possible que Grandet, qui nous dit qu'après l'arrivée de M. Le Vallois en 1721, ils étaient cinq, peut-il assurer en Septembre 1723 qu'ils sont soixante?
b) Il me semble que j'ai retrouvé la source de ce renseignement fantastique. Au X moyen, Grandet dit pour les Sœurs: "car il s'est insensiblement formé une maison des Filles de la Sagesse, au nombre de soixante ou soixante dix dans le Village de Saint Laurent Sur Sayvre"...
Est-ce que Grandet n'a pas pris les "craintes" du Doyen de S. Laurent pour des réalités? Ce bon M. Rougeou faisait l'impossible pour empêcher la Mère Marie-Louise de Jésus d'accepter des novices. Il était d'avis que les trois sœurs arrivées de Poitiers suffisaient amplement pour son village. Que de lettres, de tractations, de pourparler, d'interventions de l'évêque ne furent pas nécessaires avant qu'il ne permit à Mulot de donner l'habit à quatre novices! Il a essayé de gagner M. Grandet à sa cause et de le faire intervenir auprès de l'évêque. Ne lui a-t-il pas écrit: "insensiblement leur maison comptera soixante ou soixante dix sœurs". Et pour ne pas faire tort aux pères, Grandet a mis autant de membres dans la Communauté d'en face.
 
§ III. L'établissement à S. Laurent.
 
Le lecteur ne s'intéressera pas tant aux détails de cet établissement des missionnaires dans leur maison de Saint Laurent. Grandet dit que M. de Magnanne les a aidés à l'acquérir et à la meubler plus que sommairement. Mais ce qui est d'une importance spéciale ce sont les événements qui se sont déroulés une fois que tous les missionnaires et les frères se trouvèrent réunis dans leur pauvre demeure près de l'église où reposait leur fondateur.
 
A. L'ELECTION D'UN SUPERIEUR.
Nous avons, sur ce premier acte officiel de la Communauté du S. Esprit installée dans sa maison mère, deux textes similaires dont le second est visiblement tributaire du premier.
1. Chronique de Sœur Florence.
Le moment tant désiré arriva! Le cours ordinaire des Missions étant fini, tous ces messieurs se réunirent à M. le Vallois, ce fut vers la S. Pierre 1722. Ils éprouvèrent une bien grande consolation de se voir enfin réunis en communauté et de pouvoir faire ensemble leurs exercices; mais ce n'était point encore assez.
Il ne suffisait pas d'avoir une maison et une Règle commune; il fallait un supérieur qui eût l'autorité nécessaire pour commander, pour décider. M. Mulot avait été, il est vrai, comme délégué par le Père de Montfort, et cette sorte de nomination, jointe au titre de Supérieur des F. de la Sagesse, qu'il avait reçu de Monseigneur, lui donnait déjà sur ses confrères un grand ascendant; aussi lui obéissaient-ils sans peine. Cependant sa nomination ne paraissait pas suffisamment ratifiée; il n'était encore regardé que comme le premier entre ses égaux. Les missionnaires se mirent en retraite pour demander à Dieu, qu'il leur fit la grâce de choisir, parmi eux, celui qu'il avait choisi dans le ciel pour gouverner cette Communauté naissante, et la défendre contre tous les assauts qu'on pressentait qu'elle aurait à soutenir. A la fin de la retraite, on vint au scrutin avec des pois que chacun allait secrètement mettre dans les gobelets où étaient les noms de ceux qui pouvaient avoir des suffrages. Ils se réunirent tous en faveur de M. Mulot; le choix en était fait dans le ciel; tous s'engagèrent à dépendre de lui[271].
 
2) Besnard.
Il dit essentiellement la même chose, mais il accentue un point spécial.
Le choix fut bientôt fait, et toutes les voix se réunirent pour M. Mulot lui-même désigné et choisi par M. de Montfort qui, en mourant, l'avait mis à la tête de la bonne œuvre et la lui avait si expressément recommandée[272].
Certains s'arrêteront aussitôt à une expression des Chroniques. Il s'agit d'une „Communauté naissante". La Compagnie de Marie naissait donc à la S. Pierre 1722, affirmeront-ils. Nous leur poserons simplement cette question: Etait-ce là l'avis de Sœur Florence et de Besnard qui appuyent tous les deux sur le fait que Montfort lui-même avait déjà choisi et élu M. Mulot pour être le Supérieur de cette Communauté? Il a dû fixer ce choix définitivement le 27 Avril 1716. Donc la Communauté naissante des Chroniques est la Communauté de S. Laurent, mais non la Communauté du S. Esprit ou la Compagnie de Marie.
 
B. L'EMISSION DES VŒUX.
Chronique de Sœur Florence.
Le premier acte d'autorité du premier supérieur fut de recevoir les vœux des Missionnaires et des Frères. Tous, à l'exception de deux, prononcèrent leurs vœux entre ses mains selon la règle. Cette époque est bien remarquable puisque c'est ici que la Communauté' des Missionnaires commença à prendre une forme qu'elle n'avait point encore pu avoir depuis la mort du St. Fondateur. Les deux qui ne firent point de vœux furent M. Guillemot et Frère Mathurin[273].
Sœur Florence écrivait ce texte sans se douter de l'interprétation qu'on lui donnerait. Il est absolument certain qu'elle n'a jamais songé qu'en écrivant ces mots: "les vœux des Missionnaires et des Frères", elle soulèverait une question historique. On appuie sur ce texte pour affirmer: il y avait plusieurs frères à faire des vœux. Or si nous tenons compte de tous les renseignements qu'on peut trouver sur le personnel de la Communauté du S. Esprit à ce moment, il n'y avait que deux frères, le frère Mathurin et le frère Joseau. Le frère Mathurin n'ayant pas émis de vœux, il n'y eut qu'un seul frère à faire profession.
La Sœur Florence n'a pas donné un autre sens à sa phrase. La preuve?
Le frère Joseau eut aussi dans cette journée solennelle le bonheur de prononcer ses vœux... Ce fut d'après le bon témoignage qu'on rendit de ce fervent novice, que M. Mulot l'associa à sa communauté en lui faisant aussi faire ses vœux. M. Mulot assigna dès lors un costume particulier à tous les frères[274].
Sœur Florence parle ici uniquement du frère Joseau comme ayant fait des vœux. On nous objectera naturellement: le fait qu'elle ne parle que d'un seul frère, ne prouve pas qu'il n'y en eut pas d'autres à faire profession. Et pourtant si, dans ce cas-ci, cela prouve. Car, comme nous l'avons dit ailleurs, Sœur Florence parle longuement et de frère Mathurin, et de frère Joseau et d'un frère Jean venu plus tard. Comment admettre qu'elle n'ait pas un mot pour les quatre frères qui avaient été les collaborateurs du Saint et qui avaient déjà fait profession entre ses mains? C'était le moment où jamais de les remémorer, le jour où les autres faisaient pour la première fois profession solennelle.
Si on pouvait se fier au texte de Grandet si souvent cité, ils suivaient partout les missionnaires. Les vacances étant arrivées on en profita pour se réunir en retraite. Ils devaient donc être là eux aussi. Si l'on veut croire ceux qui en font uniquement des enseignants, ces frères étaient à Nantes ou à La Rochelle. Mais ne seraient-ils pas venus pour cette retraite solennelle et cette élection?
Non, au grand jour de la fête de S. Pierre, ils n'y avait à S. Laurent que 6 missionnaires, dont cinq ont émis des vœux. Il n'y avait que deux frères, dont un seul a fait profession.
Nous regrettons de ne pas trouver chez Besnard un texte parallèle à celui de Sœur Florence. Mais cela ne doit pas nous étonner. Besnard supprime de propos délibéré tout ce qui regarde les vœux. Nous trouvons chez lui un dernier détail intéressant, qui se trouve à la suite du texte cité plus haut.
La Communauté commençait à se former. Les règlements que le fondateur avait laissés à ses enfants s'observaient à la lettre. L'oraison, les examens, les prières, les repas, tout se faisait en commun. Il leur manquait une chose. C'était une chapelle domestique pour y faire leurs exercices de piété et y célébrer les saints mystères. Ils demandèrent à Mgr. de Champflour la permission d'en avoir une, et il la leur accorda...
M. Thomas, de la Communauté du S. Esprit de Paris, qui était venu à St. Laurent pour s'y consacrer aux Missions... fut choisi pour faire la bénédiction de La Chapelle et (il) la bénit sous l'invocation du S. Esprit. Ce qui fait qu'encore aujourd'hui on appelle, à S. Laurent, la maison des missionnaires la maison du S. Esprit[275].
La permission de l'évêque date du 21 Septembre 1723. La bénédiction a dû avoir lieu après cette date. Nous voudrions simplement faire remarquer ici, que Grandet, dont le livre a été approuvé le 10 Septembre de cette année, parle couramment de Communauté du S. Esprit ou Compagnie de Marie. Ce nom de Missionnaires du S. Esprit n'est donc pas venu aux Pères de la Compagnie de Marie du nom de leur maison, mais ils ont donné ce nom à leur maison pour continuer une tradition dont Montfort lui-même avait mis les bases en s'intitulant le 3 Janvier 1716, "Prêtre Missionnaire de la Compagnie du S. Esprit".
Et M. Mulot et ses compagnons en avaient le plein droit. Installés auprès du tombeau de leur fondateur, ces missionnaires de la Communauté du S. Esprit, exécutaient avec tout le zèle dont ils étaient capables et toutes les forces que le Seigneur leur donnait, le Testament de Montfort.
Le Saint, traçant de sa main tremblante une dernière signature sous le document rédigé par M. Mulot, les avait institués héritiers de ses pauvres biens et de son zèle immense. Humainement parlant, ils pouvaient paraître peu doués, mais ils étaient restés fidèles à la grâce de leur vocation, ce qui leur valut le privilège de transmettre intact l'héritage à
"ceux que la Divine Providence appellerait à la même Communauté du S. Esprit".

APPENDICE[276].
 
 
La Vie de Monsieur de Grignon de Montfort
Prestre Missionnaire.
(p. 9) Monsieur Louis-Marie de Grignon naquit en Bretagne, au diocèse de St. Malo, d'un père qui avait plus de noblesse que de fortune. Il s'était surnommé "de Montfort", ou parcequ'il était de la petite ville de Montfort (à la Canne), ou à cause de la dévotion singulière qu'il avait pour la Sainte Vierge, qu'il appellait "Mons Fortis". Il vint au monde au diocèse de Saint Malo, Rennes[277], en l'année 1671. Il fit ses humanités à Rennes en Bretagne. Il vint ensuite étudier en philosophie dans l'Université de Paris.
 
(p. 10) Il entra dans une petite Communauté d'Ecclésiastiques que Monsieur Bottu de Barmondière, curé de Saint Sulpice, entretenait dans sa paroisse, dans une grande régularité. Comme il avait un grand attrait pour la mortification, son directeur lui donna un règlement particulier, qui à sa prière, lui prescrivait des pénitences fort austères. Il tomba grièvement malade et demanda en grâce qu'on le portast à l'Hotel-Dieu, voulant mourir parmi les pauvres, qu'il aimait fort tendrement. Et comme il souffrait des douleurs très aiguës, il disait à ceux qui le plaignaient: "Trop heureux d'être dans la maison de Dieu". Mr. l'Échassier, directeur du Sém. de Saint Sulpice, ayant vu son règlement particulier, lui ôta une moitié[278] une partie des austérités, qu'il avait coutume de faire, et le réduisit, tant qu'il pût au train de la communauté; ce qui n'empescha pas qu'il menast une vie très extraordinaire.
 
(p. 11) Il était toujours le premier et le dernier à l'oraison, où il ne se servait jamais de la liberté, que l'on accorde, de la faire debout; après laquelle il entendait encore la sainte Messe à genoux et faisait de même son action de grâces après la sainte communion; qu'on lui permettait 4 ou 5 fois la semaine. Il eut bien souhaité demeurer toujours en adoration devant le Saint Sacrement, en sorte qu'il passait tant de tems à la prière et aux autres exercices de piété, que ses camarades de classe ne pouvaient comprendre qu'il restât du tems pour étudier.
Un jour qu'il devait soutenir une thèse sur la grâce à son tour, suivant l'usage du Séminaire, ses condisciples résolurent de lui faire des arguments si forts, qu'il ne pourrait répondre, afin de l'obliger à donner plus de tems à l'étude. Mais ils furent bien surpris, lorsqu'ils le virent
 
(p. 12) répondre en maître et leur citer de longs passages de Saint Augustin, sans hésiter; et ils furent persuadés que le Saint Esprit est un meilleur maître que tous les docteurs, pour apprendre toutes les vérités aux âmes qu'il s'est choisies. "Ubi Deus magister est quam cito discitur quod docetur", dit Saint Grégoire.
Pour le distraire un peu de cette grande application intérieure, qu'il avait aux choses spirituelles, on lui donna le soin de la bibliothèque, des cérémonies et des catéchismus. Et il s'acquittait de ces emplois avec beaucoup d'exactitude.
Environ ce temps, la sœur de Monsieur Grignon vint à Paris pour demander quelque secours à son frère.
Ce fut pour lui un embarras. Mais se confiant en Dieu il trouva moyen de la mettre dans un Couvent de Religieuses, où par la charité de quelques personnes, il paya sa pension pendant quelque temps. Elle témoigna avoir le désir de se faire religieuse. On la mit au Noviciat pendant lequel elle donna des marques d'une si solide piété, que la Communauté, par une charité aussi rare que désintéressée, la reçut pour rien.
 
(p. 13) Mons. de Grignon lui ayant fait faire ses vœux, luy dit adieu pour le reste de ses jours; et depuis il ne l'a pas été voir une seule fois pour pratiquer un plus grand détachement et une mort plus entière aux inclinations de la nature.
Il avait un talent rare pour toucher les cœurs des pécheurs les plus endurcis. Et comme on eust dit à quelques uns des Ecclésiastiques du Séminaire qu'il faisait pleurer les enfants du Catéchisme du Canton de la Gre­nouillère, les plus indociles de tout Paris, ils voulurent être témoins de telle merveille, qui leur paraissait incroyable. Ils en furent si attendris eux-mêmes, qu'ils ne purent retenir leurs larmes.
Il brûlait du désir extrême d'aller prêcher l'Évanglie aux infidèles du Canada et du Nouveau Monde, et il disait quelque fois à ses amis: "Que faisons nous ici, pendant qu'il y a tant d'âmes qui se perdent".
Scachant un jour que Monsieur l'Échassier devait faire partir le lendemain des Ecclésiastiques pour le Canada, il s'offrit pour les accompagner. Mais le sage
 
(p. 14)  Supérieur crût que Dieu le demandait ailleurs.
Monsieur l'Évêque, supérieur de la Communauté de Nantes, venait presque tous les ans faire sa retraite à Saint Sulpice. Comme il s'appliquait à faire des missions à la campagne, il engagea facilement Monsieur de Grignon à le suivre. Il fit avec lui plusieurs missions en Bretagne. Mais Mons. l'Évêque étant mort en l'année... Monsieur de Grignion fut inspiré d'aller à Rome offrir ses services au Pape pour aller faire des missions dans le Nouveau Monde. Il entreprit ce voyage vers l'année 1705, à pied comme les Apôtres, sans argent, ayant son manteau long, son sac et son bréviaire. Il fut présenté à sa Sainteté par un Cardinal. Et comme Monsieur de Grignon voulut parler en latin, le Pape Clément XI luy dit: "Parlez François, Monsieur, je l'entends assez pour vous répondre", et parcequ'il déclara au Saint Père, qu'il se sentait embrasé du désir d'aller prescher l'Évangile aux infidèlles, le Pape luy dit: "Vous avez un assez grand champ en France pour exercer votre zèle, n'en sortez point! Mais suivez bien les ordres des Évêques dans les diocèses*
 
(p. 15)  de qui vous travaillerez. Laissez vous conduire".
Une réponse si sage fit résoudre Mons. de Grignon à revenir en France et à faire vœu d'obéissance à tous les évêques dans tous les diocèses desquels il serait appelle pour travailler au salut des âmes. Ce qu'il exécuta ponctuellement.
Ce qui n'empêcha pas qu'il souffrit des persécutions et des contradictions étranges partout où il a travaillé.
Monseigneur de Nantes lui permit en 1711 de faire une mission dans son diocèse aux portes de la ville.
Il y eut un succès merveilleux. Et comme sa coutume, conforme à celle de tous les missionnaires, était de planter une croix dans quelque lieu commune pour être un monument de la mission, il résolut de la faire planter sur un Calvaire fort élevé et en demanda permission à Monsieur l'Évêque de Nantes, qui la lui accorda. Quoique ce fut dans la chère année, on luy apporta tant d'argent pour construire ce Calvaire, que non seulement il fut obligé de remercier plusieurs personnes des sommes qu'on lui voulait donner; mais on prétend qu'il consta plus de vingt mille écus, parcequ'il y avait de grandes marches de pierre de taille pour y monter et
 
(p. 16) différentes grottes, où les mystères étaient représentées. Mais il nourrit quantité de pauvres familles.
Le démon, ne pouvant souffrir un si grand trophé, érigé en l'honneur de la Croix du Sauveur, porta quelques personnes à en écrire à la Cour, où elles firent entendre au Roy, que ce Calvaire, en temps de guerre, pourrait bien servir d'une forteresse pour battre la ville de Nantes, en sorte que le Roy donna l'ordre qu'on l'abbatît. Ce qui fut exécuté et causa une mortification sensible à Mons. de Montfort.
Il fit ensuite une mission dans la ville de Poitiers, qui eut de grand succès; à la fin de la quelle il voulut faire un feu de joie, pour y faire brûler tous les mauvais livres, les plus sales peintures et tous les instruments de luxe et de vanité, qu'il put trouver dans la ville. Quelqu'un, à son insu, avait ajouté la figure du Démon, qu'on voulait faire brûler.
Monsieur le Grand Vicaire, devant qui on avait fait tourner cette cérémonie en ridicule, vint, en l'absence de Monsieur l'Évêque, empescher qu'on y mit le feu. En sorte que les libertins remportèrent tous
 
(p. 17) ces mauvais livres et ces sales tableaux dans leurs maisons et le mal devint plus grand... et fuerunt novissima pejora prioribus.
Tous ces chagrins et toutes ces mortifications qu'on faisait souffrir à Mr. de Grignon, bien loin de diminuer son zèle ou de ralentir sa ferveur, ne faisaient que l'augmenter.
Il pensa à former un corps ou communauté de douze hommes apostoliques, qui n'auraient aucun bien, ni revenu, non plus que les Apôtres et qui s'abandonneraient à la divine Providence pour leur subsistance, pour aller, suivant l'ordre de nos Seigneurs les Évêques prescher l'Évangile par tous les diocèses.
Il leur dressa même des règles contenant des points d'une sublime perfec­tion. Le centre de leur Congrégation devait être La Rochelle et il s'était déjà associé plusieurs prêtres, qu'il avait conduits à un si grand détachement, qu'ils le suivaient partout.
En Janvier 1716, peu de mois avant sa mort, il fit une mission dans le diocèse de La Rochelle, qui eut un si grand succès, que trois ou quatre huguenots et plus de 30 pénitents lui demandèrent d'aller à pied à Notre Dame des Ardilliers à Saumur pour remercier
 
(p. 18) Dieu de leur conversion. Ils entrèrent dans la ville, nuds pieds, une feste, ayant un cierge à la main, chantant des cantiques avec un prêtre de la mission, qui les conduisait. *
Enfin Dieu voulant récompenser Mr. de Grignion de ses travaux, il tomba malade au milieu d'une mission, qu'il avait commencé à Saint Laurent-sur-Sèvre et ne fut que deux jours malade et sentant la mort approcher, il se fit mettre des chaînes au pieds et au cou, voulant mourir esclave de la Sainte Vierge, et couché sur la paille, ayant une pierre sous sa tête pour luy servir de chevet, tenant d'une main un crucifix et de l'autre son chapelet et l'image de la Sainte Vierge, qu'il portait toujours sur soi et chantant des cantiques. Il expira après avoir reçu les sacrements, le 30 Avril 1716. On luy trouva le corps tout noirez de coups de discipline et entouré d'une ceinture de fer.
 
(p. 19) Plusieurs habitants de Nantes vinrent pour emporter son corps; ceux de la paroisse de Saint Laurent se mirent sous les armes pour s'y opposer. Il y eut plus de dix mille personnes, qui assistèrent à sa sépulture. Une troupe de Vierges, qu'il avait consacrée à Dieu et grand nombre de pécheurs convertis marchèrent en habits de pénitence
 
 
 
À Monsieur
Monsieur Rigault, ancien curé de Saint-Michel de la Palludz
ou, en cas d'absence, à M. Grandet, directeur du Séminaire à Angers.
 
Jésus.
Monsieur,
J'ai lû et relu l'attestation historique de Monsieur de la Viseule Robert, oncle maternel de feu missire Louis Grignion, dit Montfort, que j'ai connu très particulièrement. Tous les articles de votre lettre sont éclairés dans la dite attestation. Je vous ajoute seulement qu'étant à Rennes dans les classes d'humanités, 3e, 2e et autres jusqu'à la fin de physique, Louis Grignion, était du nombre de plusieurs écoliers que j'assemblais toutes les semaines, pour faire ensemble des conférences de piété. J'étais déjà prêtre, et je les envoiais deux ou trois à la fois servir les pauvres dans l'hôpital et dans l'hôp. des Incurables, et pour y faire la lecture pendant le repas, et un petit catéchisme. Louis y était très affectionné.
Quand il alla à Paris, je le recommandai à M. l’abbé de la Prévalays pour le temporel sur tout. Il lui aida de tems en tems avec plaisir, et venant en province, il m'en dit toute sorte de biens. Enfin M. Grignion revenu de Rome dans notre ville, je l'ai vu très mortifié à table, toujours donnant à manger aux pauvres tout ce qui lui était donné. Je rengageai d'aller dans l'Éveché de Saint-Brieux avec un des premiers et des meilleurs missionnaires du royaume nommé M. Leuduger, encore à présent scolastique et chanoine de Saint-Brieux, mon bon ami ou plutôt mon maitre, afin de travailler sous la conduite d'un maitre si expérimenté autant approuvé de tout le monde que le bon M. Grignion a été persécuté pour être extraordinaire.
Dans ce temps, quand je l'examinais sur ces persécutions, il me marquait que sa plus grande peine était quand on l'accusait de n'être pas obéissant, croiant faire son capital de l'obéissance. Quand je trouverai la lettre que m'écrivait de Mortagne en Poitou le frère Alexis sur la mort de ce bon prestre, je vous l'enverrai. Il y marquait que le moribond peu de moments avant sa mort remercia Dieu des croix et des persécutions qu'il avait eu la bonté de lui envoyer et dit "Deo Gratias", baisant son Crucifix[279].
Je suis tout à vous par Celui qui s'est fait tout à nous. Celui qui envoira à M. Grandet tous les mémoires sur cette affaire, lui mandera les œuvres de charité que les maladies, surtout la dissenterie contagieuse, ont fait faire en cette ville.
À Rennes, le 3 Septembre 1719.
Bellier, prêtre.
 
 
 
 


[1] Sacra Rituum Congregatio. Nova Inquisitio jussu Simi D.N. PU Papae XII peracta. Typis Polyglotis Vaticanis MCMXLVII.
[2] An B. Ludovicus Maria Grignion de Montfort historiée haberi possit uti Fundator, non solum Presbyterorum Missionariorum Societatis Mariae et Filiarum Sapientiae, sed etiam Fratrum instructionis christianae a S. Gabriele? Rispondiamo: Négative.
[3] Acta Apostolicae Sedis, Annus XXXIX, Vol. XIV.
 
[4] Le Testament de S. Louis-Marie Grignion de Montfort, par. S. Em. LE CARDINAL TISSERANT, Analecta Bollandiana, Tome LXVIII, pages 464—474.
[5] Jean Baptiste Blain devint chanoine de Rouen après avoir pris ses grades en Sorbonne. Claude Poullart fit son droit et se destinait au barreau, quand il se décida subitement pour l'état ecclésiastique. Nous retrouverons ces deux amis de Montfort à des moments particulièrement importants de sa carrière.
[6] "La Vie de Messire Louis Grignion" par Grandet, manuscrit de la Bibliothèque de St. Sulpice. Vol. III, p. 17. Cf. Appendice de cette étude.
[7]) Mémoire Blain, Chap. 49.
[8]) Mémoire Blain, Chap. 38.
Les Archives de la Compagnie de Marie possèdent quatre manuscrits contenant des cantiques composés par Saint Louis-Marie de Montfort et aussi son "Livre des Sermons", manuscrit de 462 pages. Une étude comparative de ces manuscrits nous permet d'affirmer que Louis Grignion composa un certain nombre de cantiques en se servant des "matières de sermons" qu'il avait recueillies dans différents auteurs. Ceci nous permet de conclure que dès son temps de séminaire, il préparait directement sa carrière de missionnaire. Dans le même temps il rassemblait un fonds suffisant pour prêcher à toute heure, et composait les cantiques qui devaient former comme l'accompagnement de ses sermons.
[9] Lettre à M. Leschassier du 6 Novembre 1700.
[10] Lettre à M . Leschassier du 5 Juillet 1701.
[11] Madame de Montespan avait voulu se charger de trois des sœurs de Louis Grignion. Elle avait placé Louise au couvent de St. Joseph, rue S. Dominique, et deux autres à l'Abbaye de Fontevrault, dont la fameuse Mortemart — sœur de Madame de Montespan — était abbesse. Une des soeurs de Louis Grignion dut retourner dans la famille à cause d'une maladie des yeux, l'autre fit profession et mourut à l'Abbaye.
[12])   Lettre à M. Leschassier du 6 Sept. 1701.
13)    Lettre à M. Leschassier du 4 Juillet 1702.
[14]) Il est difficile de fixer exactement la durée du séjour de S. Montfort à Paris. La lettre des Pauvres de Poitiers, qui le rappelait dans cette ville est datée du 9 Mars 1704. Par ailleurs nous citerons bientôt une lettre, que le Saint a dû écrire à Marie-Louise de Jésus, avant la Pentecôte 1703.
Nous savons que Montfort séjourna à la Salpêtriére, au mont Valérien, et qu'en Mars 1704 il habitait dans un réduit de la rue du Pot de Fer.
[15]) Blain semble insinuer que le Saint avait fait des tentavives pour obtenir les directives de M. Leschassier. „Son oracle était muet, et ne voulut plus lui rendre de réponse".
Quand on se rappelle, que le ..Mémoire de Blain", auquel nous empruntons ces textes, n'est qu'une lettre, écrite par cet ami de Montfort au premier biographe le Sulpicien Grandet, on est étonné, que cet auteur ait laissé de côté tout ce qui se rapporte aux relations de Montfort avec M. Leschassier.
[16]) Mémoire Blain. Chap. 53.
[17]) Mémoire Blain. Chap. 53.
[18] ) Voyez. Chap. IV, § III.
[19]) Besnard. La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort. Manuscrit. Livre V.
[20]) Besnard, Livre V.
La mémoire de Besnard est en défaut ici. Le supérieur, dont il parle est M. Bouic. Or celui-ci n'a pas été du groupe des premiers séminaristes et n'est venu à la Communauté du St. Esprit qu'après la mort de Poullart des Places. Son confident fut probablement M. Caris dont nous parlerons plus tard.
Il faut signaler ici une autre anomalie. Ni Blain, qui était à Paris au moment où Montfort fit son accord avec Poullart des Places, ni Grandet, le premier biographe, ne signalent les rapports de Montfort avec le fondateur du Séminaire du St. Esprit.
Il est bien regrettable, qu'on ne puisse rien retrouver d'une correspondance échangée probablement entre Montfort et Poullart des Places.
Ni les archives de la Compagnie de Marie, ni celles de la Congrégation du St. Esprit, n'ont conservé de documents concernant les rapports des deux fondateurs. On ne retrouve rien non plus aux Archives Nationales de Paris.
[21])   Lettre du Saint à M. Leschassier du 6 Novembre 1700. Confer Chap. I. § II, ci-dessus.
Dans sa vie du Vénérable Louis Marie Grignion de Montfort, Pauvert (Pp. 156—159) cite deux lettres du Saint, envoyées à Marie Louise de Jésus.
Il dit en avoir trouvé la copie dans un manuscrit provenant du couvent de Filles de Notre Dame de Châtellerault.
Dans la première de ces lettres, Montfort écrit:
"Je vous prie donc, ma chère fille, de faire entrer dans ce parti de prières quelques bonnes „âmes vos amies, particulièrement jusqu'à la Pentecôte, et de prier avec elles depuis une heure, „tous les lundis, jusqu'à deux, je le ferai à la même heure ..."
Ce parti de prières... jusqu'à la Pentecôte n'a-t-il pas pour but d'obtenir la fondation de cette maison de formation pour missionnaires?
On objectera que Pauvert date cette lettre du 24 Octobre 1703. Mais Pauvert cite d'après une copie. Il faut remarquer que Montfort ne met jamais la date de sa lettre à la fin, comme c'est le cas ici. Pour moi, je crois, que "Ce 24 Octobre 1703" se rapporte à la lettre suivante, qui se trouvait — d'après Pauvert — à la suite de la première dans le manuscrit qu'il avait sous les yeux. Par ailleurs Montfort dit dans la lettre: "Je suis à l'hôpital général avec cinq mille pauvres..." Or il est très probable qu'il alla frapper à la porte de la Salpêtrière dès son arrivée à Paris après Pâques 1703. D'ailleurs l'insistance même à demander des prières particulièrement jusqu'à la Pentecôte" n'insinue-t-elle pas que la lettre a été écrite, non en Octobre, mais entre le 25 Mars, fête de Pâques, et le 3 Mai, jour de la Pentecôte?
[22] "A la fin de la Mission de Crossac, je partis pour aller à Nantes, sans lui en avoir donné aucune connaissance. Ayant scu mon départ, il crut que je l'avais abandonné pour toujours, et dans le même temps un des frères laïcs se révolta contre lui et le chargea d'injures très atroces. Il fit sur ce sujet cette strophe de Cantique, qu'il inséra depuis au milieu de ceux qu'il avait faits sur la conformité à la volonté de Dieu:
Un ami m'est infidèle,
Dieu soit béni, Dieu soit béni;
Un serviteur m'est rebelle,
Dieu soit béni, Dieu soit béni ...
Ce même M. des Bastières, qui avait quitté le Saint sans même l'avertir de son départ, alla le trouver dans la maison des Jésuites où Montfort faisait une retraite après les difficultés de Pont-Château. L'amitié entre les deux hommes subsistait donc. Pourquoi M. des Bastières avait-il interrompu sa collaboration? Ne faut-il pas admettre que les choses se sont passées autrement que ne le supposent les biographes? Ceux-ci nous disent que Montfort demanda un autre auxiliaire quand M. des Bastières partit. Mais n'est-ce pas l'arrivée auprès de Montfort de M. Olivier qui avait fait partir M. des Bastières?
Montfort ayant repris seul l'œuvre des missions et dans un autres diocèse que celui de Nantes, dont M. des Bastières est originaire, celui-ci le rejoint et travaille avec lui jusqu'en Janvier 1716.
Nouveau départ et, cette fois-ci, définitif. La raison?                                                                                                                  
N'est-ce pas l'amitié grandissante entre Montfort et M. Mulot qui s'était joint au groupe des missionnaires en Novembre 1715?
Nous verrons qu'en Février 1716, après le départ définitif de M. des Bastières, Montfort jette un cri d'alarme, parcequ'il voit son œuvre en danger.
 
[23]a Testament de S. L. M. Grignion de Montfort. Cf. Chap. IX de cette Etude.
 
[24] Grandet, p. 347.
[25] Grandet, pag. 79. "Chanter des cantiques avec beaucoup de bénédiction" fut certainement une des occupations les plus assidues du frère Mathurin. La preuve nous en est fournie par un des manuscrits des Cantiques. Le Manuscrit-Copie est visiblement celui qui servait ordinairement au frère Mathurin. On y trouve un certain nombre de cantiques transcrits de sa main, et plusieurs fois sa signature.
[26]b Cf. Règne de Jésus par Marie, 1900 p.p. 156—167.
[27]c Besnard Livre II. II est à remarquer que Grandet, le premier biographe, semble avoir tout ignoré d'un séjour de Montfort et des ses frères à l'ermitage de S. Lazare.
[28] Grandet, p. 374.
[29] a Grandet, p. 374.
[30] Lettre du Saint à Marie Louise de Jésus.
[31] Besnard. Livre iii.
[32] Grandet, p. 304.
[33] Grandet, p. 374.
[34] Lettre de Montfort au curé de Pontchâteau. 29 janvier 1711.
[35] Grandet, p. 371.
15 Besnard. Livre VI.
Ce témoignage a certainement plus de valeur que celui de la Sœur Florence, qui dit dans ses Chroniques, en parlant du frère Joseau:
"Il fit la connaissance du frère Jacques, qui avait suivi M. de Montfort les 7 ou 8 dernières années de sa vie".
Cette assertion de sœur Florence ne peut reposer que sur les dires de frère Joseau, car la sœur n'a pas connu elle-même le frère Jacques. Besnard, par contre, a sous les yeux des notes écrites par ce frère Jacques.
[37] Besnard, Livre VI.
La raison pour laquelle Montfort envoya la frère Jacques à Tréguier?
Un "séminariste" s’était présenté au Saint pour l'aider dans ses travaux. Celui-ci y voyait un "catéchiste" possible. Quand le jeune homme lui demanda d'aller d'abord à Tréguier pour prendre congé de ses parents, non seulement il le lui permit, mais il lui prêta même sa mule. Le séminariste se hâta de vendre la bête et de mettre l'argent en poche. Ce n'est pas pour ravoir la mule que Montfort envoya frère Jacques, mais pour s'informer des faits et gestes de ce jeune homme dans lequel il croyait trouver un auxiliaire possible.
[38] Fradet. Cantiques, p. 685.
[39] Besnard Livre VI.
[40] Mémoire Blain. Chap. 79.
20 Ibidem.
[42] Besnard. Livre VI.
[43] Besnard. Livre VI.
[44] Picot p. 427.
De ce reproche, que Montfort adresse au frère, d'après Picot, on a voulu conclure, que les frères du Père de Montfort avaient et suivaient une règle spéciale.
"Vous avez violé cette prescription de la règle, qui vous marque d'être retiré à neuf heures". Cette prescription existe dans la Règle écrite par Montfort pour ses prêtres et ses frères. Règlement de leur temps dans les missions": N°. 12, "A neuf heures ou environ, on doit être couché, avec silence et modestie". Il n'est nul besoin d'inventer une règle spéciale, dont aucun document ne fait mention.
24  Grandet, p. 279.
[46] Grandet ne connaît que les frères Mathurin? Jean et Nicolas Besnard connaît les frères Mathurin, Jean, Nicolas, Pierre et Jacques.
[47] Nous avons déjà cité ailleurs — Chap. II, § II un texte emprunté aux "Pratiques des Missions" qui prouve clairement que Montfort considérait les collaborateurs prêtres qui étaient avec lui comme des missionnaires de la Compagnie de Marie.
[48] L'écriture de tout ce manuscrit est très régulière, très lisible et presque sans ratures. Hélas, la première feuille du Manuscrit est perdue, mais Grandet nous a conservé le texte que Montfort y avait écrit. Les dernières pages du carnet, 83-88, manquent également, mais il ne semble pas qu'elles portaient de texte écrit de la main de Montfort, vu que la troisième partie de la Règle — L'Allocution aux associés de la Compagnie de Marie — finit à la page 82.
[49] "Nous ne donnons pas ici les Règlements de la Compagnie de Marie, comme nous l'avions promis, parcequ'ils sont trop longs; nous réservons à les faire imprimer à part si on le juge à propos". Grandet p. 250.
[50] Besnard. Livre V.
[51]) De nos jours on ne connaît que des prêtres "formés dans les séminaires". Au commencement du XVIIIe siècle, cette prescription du Concile de Trente n'était pas encore observée partout. C'est une des raisons pour lesquelles des sociétés fondées dans un autre but, se sont appliquées à cette œuvre de première importance. Trop de prêtres ne faisaient encore qu'un stage de quelques mois dans un séminaire avant leur ordination.
[52] Cf. IIme Partie.
[53] Grandet, p. 192.
[54] Besnard. Livre. V. Cf. Chap. II.
[55] Besnard Livre III et Grandet p. 353.
[56]  Grandet, p. 353.
[57] Besnard. Livre. V.
[58] Besnard. Livre. v.
[59] ) Besnard. Livre. v.
[60] Besnard. Livre. V.
 
[61] Henri Le Floch, Claude Poullart des Places, pages 386, 538.
[62] Henri Le Floch. Ibidem, p. 339, 349.
[63] Besnard. Livre. V.
[64] Besnard. Livre. V.
[65] Quérard. La Vie du Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort III. V.p. 552.
[66] Inquisitio. p. 284.
[67] Cf. Chap. VII.
[68] Dans sa première Esquisse d'une Vie du saint missionnaire, Grandet écrit: "Il pensa à former un corps ou communauté de douze hommes apostoliques, qui n'auraient aucun bien ni revenu, non plus que les Apôtres et qui s'abandonneraient à la Divine Providence pour leur subsistance, pour aller suivant l'ordre de nos Seigneurs les Evêques, prêcher l'Evangile par tous les diocèses.
Il leur dressa même des règles contenant des points d'une sublime perfection. Le centre de leur Congrégation devait être La-Rochelle et il s'était déjà associé plusieurs prêtres, qu'il avait conduit à un si grand détachement, qu'ils le suivaient partout."
[69] Besnard, Livre V.
Besnard connut M. Caris bien intimement; on sent qu'il fut l'un de ceux qui reçurent les conseils du saint homme et les suivit.
Ce récit démontre que ce projet avorté de M. Caris date de 1713, de la visite de Montfort au Séminaire lors de son dernier voyage à Paris.
[70] Grandet, p. 348 et 352—353.
[71] Règle Manuscrite. III. Partie.
[72] Mémoire Blain; Chap. 68.
[73] Mémoire Blain, Chap. 68.
[74] Règle Manuscrite, IIIme Partie.
[75] Ibid., Ire Partie.
[76] Règle Manuscrite, IIe Partie.
[77] Grandet, p. 188.
[78]  Grandet, p. 225.
[79] Cf. note 63.
[80] Grandet, p. 383.
[81] Dans le Manuscrit la Règle occupe les pages 24 à 74. De ces 50 pages les "Pratiques des Missions" en occupent 20, de 52 à 74.
[82] C'est encore Grandet qui nous apprend ce détail dans son esquisse d'une vie du grand missionnaire. Voyez Appendice de cette Etude.
[83] Lettre à Monsieur Leschassier. Cf. Chap. I. S 2.
[84] Nous ferons voir ailleurs que Grandet a eu entre les mains à peu près tous les manuscrits laissés par Montfort. Nous voulons simplement donner ici une preuve du fait que le biographe s'est documenté, sur cette question des catéchismes et des écoles, dans les écrits même du Saint.
Grandet. IV Moyen — Le Catéchisme.
 
Il voulait que les missionnaires se fournissent du "Catéchisme de la Mission" ; que les demandes en fussent courtes, claires et faciles à retenir; qu'on fît placer les enfants sur des bancs en amphithéâtre.
Que le catéchiste s'appliquât plus à les interroger qu'à leur parler, et à leur faire répéter ce qu'on leur avait expliqué dans le catéchisme précédent; qu'on se fît aimer et craindre tout ensemble; qu'on ne les frappât jamais de la main et de la gaule; qu'on leur fit une exhortation d'un quart-d'heure à la fin.
 
Montfort. "Règle Manuscrite". Règles du Catéchisme.
 
Il ne se servira ordinairement que du "Catéchisme abrégé des missionnaires" dans lequel les enfants peuvent apprendre tout ce qui est nécessaire au salut... Il fait assoir les enfants comme les neuf chœurs des anges dans le ciel...
Il a pour grande maxime d'interroger beaucoup les enfants et de parler très peu... Il fait répéter par un seul ce qui a été appris dans le dernier catéchisme ...
II tâche de se faire aimer et craindre tout ensemble ... mais jamais il ne frappe de la main ni de la gaule...
Réservant à leur faire ou faire faire... une exhortation pathétique d'un bon quart-d'heure ... sur la fin du catéchisme.
 
8 Grandet p. 288.
[86] Grandet p. 79.
[87] On a même voulu nous fournir la preuve que le frère Mathurin faisait l'école à S. Laurent-sur-Sèvre en 1715. Cette preuve prend un air tout à fait scientifique. A. Baraud a publié dans la "Revue du Bas Poitou", Tome XXII, 1909 page 439:
"L'instruction primaire en Bas Poitou avant la Révolution. Liste des Ecoles, des Maîtres et Maîtresses avant 1791."
Les renseignements reproduits seraient empruntés aux "Chroniques paroissiales de Saint-Laurent-sur Sèvre".
Le texte qui doit servir de preuve est le suivant:
"15 Septembre 1715: les habitants réunis veulent une école de la Sagesse pour l'instruction des garçons: le premier régent à cette époque est frère Mathurin."
Malheureusement ces "Chroniques paroissiales de Saint-Laurent" ne sont pas des Chroni­ques" mais un recueil de notes sans aucune valeur au point de vue histoire. (Cf. Nov. Inquisitio, p. 404).
Et puis le texte se suffit à lui-même pour prouver sa non-authenticité. Comment la Sagesse peut elle intervenir dans une école pour garçons? Comment frère Mathurin peut-il être régent à Saint-Laurent en 1715, alors qu'il n'a existé aucune relation entre cette paroisse et Montfort avant le mois d'Avril 1716?
[88] Grandet, p. 278. Cette affirmation de Grandet est contredite par tout ce que nous savons du développement de la Compagnie de Marie après la mort du Saint.
[89] Grandet, p. 383.
 
[90] On raisonne ainsi: Montfort leur fait porter la soutanelle, donc c'étaient des religieux. C'est exactement le contraire. S'ils avaient été des religieux, ils n'auraient pas eu besoin de la soutanelle, puisqu'ils auraient porté la soutane.
[91] Le 4 Avril 1716 Montfort écrira à la Supérieure de la maison des Incurables à Nantes: "Si sa grandeur me refuse quinze jours que je lui demande à me reposer de mes travaux à Nantes, sans perdre le trésor infini de la Sainte Messe ..."
13Besnard; Livre VII.
Lors de son voyage à Rouen en 1714 Montfort passa par Nantes et à l'aller et au retour. Besnard nous dit seulement que sa première visite fut pour la maison des Incurables, et qu'il n'avait pas moins de zèle pour ses chers „Amis de la Croix".
[93] L'ordonnance Royale sur le financement des écoles gratuites dans le territoire de l'ancienne province de Poitou.
Le Roi ayant ordonné... qu'il sera établi des maîtres et des maîtresses d'école dans plusieurs lieux — pour instruire les enfants principalement ceux dont leur père et mère ont fait profession de la religion prétendue réformée ...
[94] Grandet, p. 192.
[95] Grandet, p. 383.
[96] Besnard. Livre VII.
[97] Besnard; Livre VII.
 
[98] Il est visible qu'ici Grandet dépend de la Règle Manuscrite de Montfort; Règles du Catéchisme : "Le premier ou le second catéchisme de la mission, il fait assoir les enfants coude à coude, par âge et par ordre, comme les neuf chœurs des anges… et il appelle chaque banc du nom d'un des neuf chœurs des anges : Chérubins, Séraphins, Trônes, etc...
[99] Grandet, p. 384.
[100] Besnard Livre VII.
[101] Grandet, p. 192.
[102] Pour Grandet les frères nommés dans le testament ne peuvent s'identifier avec les régents de La Rochelle, puisque ces quatre frères suivaient partout les missionnaires.
[103] Cf. Chapitre II, § III.
1 Grandet, p. 192. Cf. Chap. III. § V de cette Etude. Page 32
[105] Besnard; Livre VII.
[106] L'acte de partage se trouve dans les archives du cabinet du notaire de Vouvant, maître Baudry.
[107] 10°) Cet acte d'achat se trouve également dans ces archives. Il s'agit ici du jardin que la dame donna plus tard à Montfort.
[108] Cet acte d'arrentement aux mêmes archives.
[109] Cet acte d'arrentement aux mêmes archives.
Certaines ressemblances de noms ont introduit des chercheurs en erreur.
Ainsi on retrouve dans les registres de la paroisse de Vouvant l'acte de mariage de René Goulard de la Brûlerie avec Florence Creuzeron, et cela à l'année 1717. Il s'agit ici du fils de René Goulard et de Suzanne de Rorthay qui contracta mariage avec la sœur de sa belle-mère, Florence Creuzeron, veuve de Louis Guerry. Il me semble qu'il est question ici de redorer le blason. Les Creuzeron étaient fortunés. Le jeune Goulard avait dû emprunter son cheval de bataille.
Il serait intéressant de rechercher s'il n'y avait pas de liens de parenté entre Louis Marie Grignion de Montfort et les Creuzeron.
Il y a toujours encore à Vouvant une "Grignionière" qui en 1706 était propriété de Benjamin Guinefaule. Cette demeure qui fut habitée aussi par les Hilerins — bienfaiteurs du saint — ne doit-elle pas son nom à la famille Grignion qui était assez connue à Vouvant au XVIIe siècle? Les registres de la paroisse conservent l'acte de mariage du 3 Novembre 1680 entre Messire Jean Grignion, âgé de trente ans, fils de défunct Pierre Grignion, sieur du Courtiou, et de dame Fleurance Creuzeron, avec Mademoiselle Anne Guerry. Voici ce que nous donne un tableau généalogique. Creuzeron
                                                                                           Ι       
Jeanne Baron X Jacques                  Florence  X  Pierre Grignion
                                              Ι                                                                                  Ι
              André Creuzeron, m.s.a.
Jacques Creuzeron                                                                                    Jean Grignion
sieur de Malvoisine                                                                                                 x
Syndic de Vouvant                                                                      Anne Guerry, soeur de Louis
Florence Creuzeron           X Louis Guerry
  1. x René Goulard
Fils de René et de
Suzanne de Rorthay
Jeanne Creuzeron X René Goulard
veuf de
Suzanne de Rorthay
Catherine Creuzeron, m.s.a.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
[110] Le vingt un Avril mil sept cent vingt six a été par moi prêtre curé de Notre Dame de Vouvant inhumé en la chapelle de St. Pierre de cette église de ce lieu, le corps de Dame Catherine Dubois, veuve de Messire Jean Barré, sieur de la Thibeaudière, lieutenant civil et criminel du siège royal de ce lieu-séant à la Chataignerai... etc.
Registres des actes de décès, paroisse de Vouvant (Mairie de Vouvant)
[111] Les minutes de ces actes se trouvent aux archives du cabinet du Notaire de Vouvant. Mtr. Baudry.
[112] Par contre on trouve dans les Archives du Notaire de Vouvant une lettre écrite par Frère Coissard avertissant le prédécesseur de Maître Baudry que le Testament Creuzeron (Madame de la Brûlerie) ne se trouve plus dans les papiers de l'étude, mais est en possession de la famille Laennec (héritiers de Jeanne Creuzeron) et que lui frère Coissard en a obtenu une copie.
On sait que le Sulpicien Gouin (p. 42,) dans sa vie illustrée du Bienheureux Père de Montfort, a reproduit un fac-similé d'un texte qui doit se trouver au bas de ce Testament.
Le document lui-même reste introuvable, vu que M. Michel Laennec, demeurant à la Chapelle Guinchay et dépositaire des papiers de la famille m'a fait voir que ce document ne se trouvait plus en sa possession.
M. Laennec se rappelait l'avoir vu entre les mains de son père avant qu'on ne photographie ce texte précieux, mais ne se rappelait pas l'avoir revu depuis...
[113] Le Notaire de Vouvant, maître Baudry, et ses clercs, furent témoins de la découverte de ce document, que nous avons fait photographier pour en donner une reproduction.
[114] La Baronnie du Petit Château (par opposition au grand Château qui se trouvait au centre de la ville) s'étendait jusqu'aux pieds des remparts de Vouvant.
Mais il ne faut pas déduire de là que le notaire Bernier ne pouvait s'occuper que d'affaires regardant le territoire de la Baronnie.
Il faut remarquer que dans le texte écrit par Bernier lui même, c.a.d. dans le Testament Arcelin il y a une lacune (qu'on retrouve dans la copie publiée par l'Inquisitio) On lit en effet: "Je me suis transportée jusques au lieu du Petit-Château où se tient ordinairement la cour dudit lieu et (de) la paroisse de Vouvant."
Les affaires de la paroisse de Vouvant étaient en effet traitées par le Notaire Bernier. On retrouvera p.e. aux archives du Cabinet de Maître Baudry, une pièce rédigée par Bernier dans laquelle la servante du curé de Vouvant rétracte ses faux témoignages.
Les mots mis entre guillemets dans le Concept ont été rayés dans le texte original.
[115] a Vouvant les choses n'ont guère changé. La maison Arcelin se trouve toujours aux pieds des remparts, tout près de la Grande Poterne.
A lire le texte tel quel on croirait que le jardin était entouré de murailles. Il ne peut s'agir ici que de la petite cour qui se trouvait devant la maison et qui était ainsi séparée du Four Bannier installé juste devant la maison Arcelin et face au Moulin à seigle. Tous ces détails rendront l'intelligence du Testament Creuzeron plus facile.
Le propriétaire actuel de la maison Arcelin a englobé sous un même toit l'ancienne maison et une petite cour sise par le derrière et indiquée encore comme telle sur les plans de la ville. Quand on lit comment Renée Arcelin parle de faire un bastiement dans ou auprès de la maison, on se demande si le propriétaire actuel n'a pas réalisé, sans y penser, le plan de l'ancienne propriétaire. Il a obtenu ainsi trois chambres basses, au lieu de deux.
[116] Comparer les termes par lesquels ces deux dames sont indiquées dans le Testament du Saint: Madame de la Brulerie-la Bonne Femme.
[117] Ce terme de "rente de 6 livres d'heure" reste étrange. Il n'est pas usuel, d'après ce que m'ont dit les hommes de loi du pays Vendéen.
Dans l'acte officiel par lequel Jeanne Creuzeron achète le jardin au Chapitre de la Cathédrale de la Rochelle il n'est question que d'une rente de six livres. Comme nous ne pouvons consulter l'original du Testament La Brûlerie, nous ne pouvons contrôler s'il s'agit ici d'un erreur de copiste. Cela semble pourtant probable. La Dame de la Brûlerie — Jeanne Creuzeron — fille de gros fermiers, ne s'était elle pas engagée à payer la rente en nature, et ne faut-il pas lire: six livre de beurre?
[118] Voyez au chapitre III comment cette clause cadre avec une prescription de la "Règle Manuscrite".
[119] Bernier avait écrit d'abord — comme par habitude — prêtre curé. Il rectifie aussitôt: prêtre missionnaire. Dans le Concept il se contente du terme "Mre L. M. de Montfort" Dans le document officiel il emploie le nom légal L. M. de Montfort Grignion. Le saint en usera de même dans la signature de son testament.
[120] Besnard. Livre VIII.
[121] La Vie rie M. L. M. rie Montfort, par Picot rie la Clorivière. p. 485.
C'est le seul document produit par un des anciens biographes qui fasse allusion aux donations de Vouvant. Il est d'autant plus regrettable que nous soyons obligés de nous contenter de cette "copie" et ne puissions disposer de l'original.
[122] Grandet, page 233.
[123] Grandet, page 235.
[124] Picot de Clorivière, p. 494.
[125] Il s'agit probablement du frère Gabriel, car Montfort fait écrire dans son Testament: "... et le frère Gabriel qui est avec moi".
[126] Le texte de ce sermon nous est heureusement conservé dans le "Livre des Sermons" du Saint.
[127] Grandet, p. 256.
[128] Cf. Chapitre VII.
[129] Grandet, page 227.
[130] Besnard, Livre VIII. Besnard place ce passage immédiatement après son "précis" du Testament de Montfort. De là on s'est hâté de conclure: Après avoir rédigé le Testament de son ami, M. Mulot refuse encore la succession du Missionnaire.
La raison qui a poussé à émettre une telle supposition est trop obvie; il faut que la Compagnie de missionnaires cesse d'exister à la mort du Saint!
Mais d'abord l'écrivain Besnard ne dit pas que cet entretien eut lieu après la rédaction du Testament. Ensuite le texte de Besnard contient justement l'acceptation par M. Mulot de la succession du Missionnaire. Enfin ce n'est que parceque Besnard ne donne qu'un „précis" du Testament, qu'une telle supposition était possible.
Quand on compare ce précis avec le texte original, on voit que Besnard a justement laissé de côté tout ce qui, dans le Testament original, apporte la preuve que M. Mulot avait accepté la succession du missionnaire avant d'écrire les dernières volontés que celui-ci lui dictait.
 
[131] Cet exemplaire dans lequel est écrit le Testament est le seul qui nous ait été conservé de cette plaquette éditée par le Saint.
[132] "Luigi-Maria", p. 104.
[133] Grignion de Montfort. p. 112.
[134] Grandet, Préface, p. XVIII-XIX.
[135] Grandet cite dans l'ordre où ils s'y trouvent tous les cantiques que contient ce manuscrit. On sait que cet ordre varie dans les quatre manuscrits conservés.
[136] “Luigi-Maria", p. 206: “E al deposito à Nantes, per la difesa dei Fratelli Insegnanti, che dobbiamo di avere ancora, nell'originale, il testamento di Luigi-Maria de Montfort."
[137] "Luigi-Maria", p. 205.
[138] Cf. Chapitre XII, § I.
[139] Transcription diplomatique emprunté à "Inquisitio", pages 227-229. Les mots mis entre guillemets ont été ajoutés par la Commission Historique pour l'intelligence du texte.
[140] Texte emprunté à Grandet pages 257—259.
J'ai mis entre guillemets le mot "que" dans l'article 7° du Testament parceque c'est une ajoute que Grandet a cru nécessaire.
[141] Besnard. Livre VIII.
[142] Picot de Clorivière. p. 498.
Le lecteur peut se rendre compte des omissions commises par ces deux auteurs. Quand on réalise que Besnard date d'environ 1760, et Picot de 1785, on peut comprendre pourquoi ils ont laissé de côté p.e. l'article 7°, qui en soi est certainement très important, mais qui pour eux n'avait plus aucun intérêt.
[143] Grandet, p. 253.
[144] Grandet, p. 359.
[145] Cf. Chapitre II, § III.
[146] Grandet, p. 407
[147] Grandet, p. 157.
[148] Grandet, p. 313—314.
[149] Le Secret du Très Saint Rosaire, p. 131.
[150] Le Secret du Très Saint Rosaire, p. 111.
[151] En dehors du Secret du Très Saint Rosaire, dont Montfort se servait dans ses missions pour expliquer cette prière aux peuples, nous trouvons dans sa „Règle Manuscrite" les prescriptions faites certainement pour ses successeurs. Pratiques de leurs Missions. No. 8.
"Ils établissent de toutes leurs forces, pendant toute la mission, soit par des lectures du matin, soit dans les conférences, soit dans les prédications, la grande dévotion du Rosaire de tous les jours; et ils agrègent en cette Confrérie, comme ils en ont le pouvoir, tous ceux qu'ils peuvent; ils leur expliquent les prières et les mystères dont il est composé, soit par leurs paroles; soit par des peintures ou images qu'ils ont pour cet effet."
On voit que la Règle ne prévoit pas l'existence des bannières mais exige la prédication du Rosaire. Cet apostolat pouvait continuer sans ces accessoires, qui étaient certainement une acqui­sition des dernières années.
[152] Ne pas confondre les „Catéchismes des peuples de la campagne" avec le „Catéchisme abrégé des missionnaires", manuel dont Montfort et les siens se servaient dans leurs missions Règle Manuscrite. Règle du Catéchisme. No. 13.
11 Mémoire Blain. Chap. XLIX.
[154] "Livre des Sermons" Pages 261—263.
[155] Règle Manuscrite — Pratiques de leurs Missions. No. 7.
14 "Livre des Sermons" Page 37—41.
[157] "Luigi-Maria", page 200. Voici le texte Italien:
Degli oggetti suoi, il Montfort dispone come se l’opera delle missioni non dovesse continuare. Fuori dei libri o meglio libriccini che si smerciavano insieme agli strumenti di penitenza fabbricati dai Fratelli stessi, il Beato usava di portare con sè, completando la carica di un mulo, diverse bandiere, destinate a figurare nelle processioni, in testa dei diversi gruppi, ed in particolare una série di quindici bandiere, sulle quali erano figurati i misteri del Rosario.
Ora, invece di dare queste bandiere ai due sacerdoti, che dovrebbero essere la sua speranza, e che saranno infatti i primi membri della Compagnia di Maria, egli le disperde, regalandole a parrocchie che saranno certo felici di avère un ricordo del santo sacerdote, da cui furono evange-lizzate; ma la donazione distrugge uno strumento di bene non spregevole. Cosi pure fa meraviglia che libri utili a predicatori di missioni siano dati a sacerdoti, che non sono né il Vatel, né il Mulot.
[158] Besnard, Livre VIII.
[159] Besnard, Livre VIII.
[160] Cf. Chapitre IX, § II.
[161]  Besnard a reproduit ainsi cette clause du Testament:
Je n'ai point d'argent à moi en particulier, mais il y a cent trente cinq livres qui appartiennent à frère Nicolas de Poitiers; il faut les lui rendre.
L'auteur, gui n'a pas donné les noms des frères dans l'art. 2° du Testament, sait pourtant que Nicolas est un frère, terme qui ne se trouve pas dans l'art. 4° du Testament. Mais il apparaît ici clairement que Besnard n'a eu sous les yeux que le texte de Grandet; et comme Grandet ne donne pas de solution pour la question qui surgit, savoir: que faire de cet argent du frère Nicolas, Besnard adopte la solution qu'il trouvait ailleurs dans le Testament: „il faut le lui rendre" comme, à l'art. 10: „S'il y a du reste, il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient".
[162] Grandet, p. 310-311.
[163]) Confer les témoignages de M. des Bastières, Chap. IV, § II. ;. -C*- 4 2_ -
[164] Confer Chapitre II, § III.
[165] Grandet a simplifié le texte du Testament. Il me semble que la nuance que Montfort avait voulue, son ultime appel au frère Mathurin, a échappé au biographe.
[166] Nous traiterons explicitement du mercier et de la boutique à l'art. 2° qui relève de la Hle Partie du Commentaire.
[167] Confer Chapitre II; § III.
[168] Les vœux de pauvreté et d'obéissance réclamés par la Règle écrite par Montfort pour sa Compagnie de missionnaires.
[169] Cet article 10° doit se placer, en bonne logique, avant l'art. 6°, dans lequel il est dit que M. Mulot peut user de ce qui reste dans la boutique. On ne peut parler de reste que quand toutes les obligations sont acquittées.
[170] Montfort a édité en 1711 à La Rochelle un recueil de Cantiques. Pauvert, qui a eu un exemplaire de cette édition entre les mains, ne nous dit pas si elle porte un nom d'éditeur. Cf. La vie du Vénér. Serviteur de Dieu, Louis-Marie Grignion, par Pauvert, p. 620.
Les contracts d'alliance qui nous ont été conservés avaient servi à la mission de Pontchâteau en 1709 et de Fontenay en 1715; ils ne portent pas de nom d'imprimeur.
[171] Chap. IV.
[172])   „Luigi-Maria", p. 199-200.
La somma avanzata dal rev. do Vatel è forse da considerarsi come un dono fatto da lui a pro dell'opera delle missioni, non come un prestito; Se sarà cosi, toccherà al vescovo, come tutore dei Fratelli, di rivendicare a loro vantaggio quella somma, il cui rimborso verrebbe a diminuire la loro parte.
[173] Certains semblent croire qu'il faut séparer le dernier membre de phrase de l'art. 10°, pour le rattacher à l'art. 11°.
Nous avons préféré la version de Grandet parcequ'en soi elle est plus logique et par ailleurs nous avons des preuves que le premier biographe a, mieux que d'autres, compris le Testament.
Avec Grandet nous avons lu l'art. 10°: S'il y a du reste dans la boutique, il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, si Monseigneur le juge à propos.
Les partisans de la nouvelle version lisent le texte ainsi: Art. 10° ...S'il y a du reste dans la boutique, il faut rendre à M. Vatel ce qui lui appartient.
Art. 11°. Si Monseigneur le juge à propos, voilà mes dernières volontés, que M. Mulot fera exécuter...
[174] Grandet, p. 343.
3 Grandet, p. 375.
[176] Mémoire Blain, Chap. LXXXI.
[177] Il legato a favore dei Fratelli non è forse la parte più importante dell'avere del Mont­fort, ma si compone di roba immediatamente utile, i mobili delle due case di Nantes e di La Rochelle, ove il Montfort ha fatti tanti soggiorni brevi e lunghi, e di libri smerciabili. Poveri mobili, si, ma adatti a Fratelli, che hanno fatti il voto di povertà; perciò sono giustamente qualificati come piccoli mobili. Il seguente elemento del retaggio costituiva il fondo di bottega, quei volumetti cioè di ogni génère, che si vendevano nelle missioni: quell'opuscolo “Pour bien mourir", sulle pagine del quale si scrisse il Testamento, per nominarne uno, raccolte di cantici, regolamenti di confraternite ecc. Grandet, tanto bene informato dal rev.do Des Bastières sull'andamento delle missioni montfortane, c'informa ottimamente in materia: “Monsieur Grignion avait un Mercier qui vendait à la porte des Eglises où il faisait Mission, des images, des livres, des chapelets et toutes sortes d'instruments de pénitence…
"Luigi-Maria", p. 198-199.
 
[178] "Pour l'usage".
Peut on donner à ce terme: "pour l'usage" le sens de la locution moderne: "ad usum" qu'employent les religieux pour indiquer que l'objet, sur le quel ils le marquent, n'est pas leur propriété mais celle de la Communauté.
A moins d'indications contraires données par le document lui-même il faut donner au même terme toujours le même sens.
Nous retrouvons ce terme "pour l'usage", et son équivalent "à l'usage", dans plusieurs articles du Testament. Il faut donc admettre qu'il a partout le même sens.
Or dans l'art. 2° il est dit que les objets doivent être conservés pour l'usage des frères, qui dans ce cas sont religieux.
Mais, à notre humble avis, le sens de la locution est tout autre que celle qu'on présente. L'usage à faire d'un objet, même par un religieux, dépend de la nature de cet objet.
Ainsi l'usage que les frères doivent faire des "petits meubles et livres de mission" n'est pas un "ad usum" des religieux, mais l'usage qu'un mercier fait de sa marchandise.
Dans l'Art. 6°, Montfort dit que: "s'il y a quelque chose de reste dans la boutique, M. Mulot en usera en bon père à l’usage des frères et à son propre usage: Inutile d'insister; il ne s'agit certainement pas de cet "ad usum", car le sens est totalement différent. A l'usage des frères, à l'usage de M. Mulot signifie "pour leurs besoins". L'Art. 3° nous donnera l'occasion d'expliquer quel est le sens du texte: les meubles... seront pour l'usage des frères.
[179] In questo Testamento di un povero uomo, c'è un particolare molto straordinario, l'in-tervento del vescovo, mons. de Champflour. Benché questi fosse stato per il Montfort un inde-fesso protettore ed amico, sembra pretesa insopportabile il volerlo fare legatario, mentre dovrebbe bastare nominare il rev.do Mulot, in un istrumento ove si tratta di poveri mobili e di libriccini di poco prezzo. Gli è che le persone in favore di cui il Montfort vuol testare sono in una condivisione spéciale: sono religiosi, e dopo la sua morte saranno religiosi senza superiore. Ora chi, fuori del vescovo, può tutelare gli interessi di persone, che in virtù dei loro voti formano una Congregazione, anche se embrionale, che per altro non è di diritto pontificio? Perciò il Testamento dice bene: il legatario sarà il vescovo, aiutato per l'amministrazione dal rev.do Mulot, e l'oggetto del legato sarà non in proprietà dei Fratelli, ma per il loro uso. E questo dovrà durare fino a quando il vescovo non avrà delegato un altro superiore per governarli.
[180] Besnard, Livre IV.
[181] Cf. "Règle Manuscrite", Chap. III.
[182] Grandet, p. 374.
[183] Pourquoi les quatre Frères, qui ont été constitués en famille religieuse par rémission de vœux et voient leur avenir confié à M. Mulot sous le contrôle, de l'évêque de la Rochelle, sont-ils appelés "Frères de la Communauté du S. Esprit" (Le Testament de S. Louis-Marie Grignion de Montfort: Eugène Card. Tisserant, Analecta Bollandiana, p. 474). ...nous répondrons ailleurs à la question posée. P.E.
[184] Cf. Chap. III, § V.
[185] Cf. Chap. III, § V.
[186] Grandet, p. 258.
[187] Inquisitio, p. 228.
[188] Luigi-Maria", p. 196.
[189] “Luigi-Maria", p. 203.
Il fatto capitale di questa donazione è che riguarda una casa fuori delle mura di Vouvant, città fortificata. La casa della vedova Goudeau, non solo era fuori delle mura, ma era in territorio di giurisdizione civile diversa da quella della città, benché appartenente, per la giurisdizione eccle-siastica, alla parrocchia di Vouvant. L'unica condizione che figuri nell'atto di donazione è che il P. di Montfort dovrà pregare per la donatrice, lui e quelli che gli succederanno. Non è detto chi sono. Mentre per la casa di città, è stipulato che i successori del Montfort saranno, come lui, della Compagnia dello Spirito Santo, e saranno sacerdoti, poiché dovranno dire, loro stessi, trenta messe all'anno, per la casa vicina al “Petit Château", i successori possono intendersi di Fratelli. Non c'è dubbio che nei primi giorni del gennaio 1716, quando ricevette le due donazioni di Giovanna Cruzeron e di Renata Arcelin, il Montfort aveva già determinato la destinazione che intendeva dare ad ognuna delle due case donategli: la casa di città vicina alla chiesa doveva essere il centro dei missionari, abitata magari anche da qualche Fratello adibito al loro servizio; quella fuori le mura il centro dei Fratelli della Comunità dello Spirito Santo per le scuole di carità. Non è possibile supporre che nella casa si sarebbe aperta una scuola per i bambini della città: il tenente di Vouvant non avrebbe accettato che sudditi suoi andassero a scuola in un territorio, che era sottratto alla sua giurisdizione.
[190] “Luigi-Maria", p. 203.
[191] Il testo della donazione di Renata Arcelin esclude il collegamento che si trova nel testo del Grandet "à condition que s'il n'y a pas moyen d'y bâtir". Bisogna assolutamente congiungere "à condition" aile parole precedenti: "petite maison donnée par une bonne-femme à condition". L'espressione "donner à condition", senza complemento è simile a quella di "vendre à condition" che è definito dal Littré: "Vendre à condition, c'est vendre à la charge de reprendre la chose si elle ne satisfait pas l'acheteur". È precisamente quel che dice l'atto di donazione: se la casa non sarà occupata dal P. di Monfort o da chi per lui, essa ritornerà a Renata Arcelin o ai suoi eredi.
Viene cosi confermato che l'espressione "Frères de la Communauté du Saint-Esprit pour faire les écoles charitables" è un nome simile a quello di "Communauté de la Sagesse pour l'instruction des enfants et le soin des pauvres", imposto dal Beato a Maria Luigia Trichet ed aile sue Figlie, nell'aprile 1715, quando arrivavano a La Rochelle. Il Testamento non prescrive di aprire una scuola nella mezza casa, data da Renata Arcelin, fuori delle mura di Vouvant, ma di collocarvi il centro dei Fratelli insegnanti, a circa 200 metri o poco più dai Missionari. I Fratelli saranno in una casa separata da quella dei sacerdoti, sennonché la possibilità di fab-bricare della zona del Petit Château non venga a consigliare un altro ordinamento, che toccherà al vescovo o comunque al successore del Montfort di vagliare e decidere. O si lasceranno le cose nello stato previsto dal Testamento, o si fabbricherà radunando tutta la Comunità dello Spirito Santo, Missionari, Fratelli insegnanti e Fratelli inservienti.
[192] "s'il n'y a pas moyen de bâtir".
Il peut y avoir eu naturellement un grand nombre de raisons pour lesquelles il n'y avait pas moyen de faire le bâtiment projeté.
Comme nous l'avons fait remarquer déjà au Chap. VIII, Renée Arcelin semble donner la moitié d'un bien indivis. S'il en est ainsi, il devient difficile de construire sur un terrain qui appartient à plusieurs en commun.
Il est possible aussi que ce soient les autorités militaires qui se soient opposées à toute construction en cet endroit. N'oublions pas que Vouvant était une ville à rempart et que la maison Arcelin se trouvait tout près de la Grande Poterne.
[193] Autrefois les habitants étaient obligés de faire cuire leur pain dans ce four contre redevance.
[194] Certains ont pensé qu'il fallait rattacher les derniers mots de l'art. 10° "Si monseigneur le juge à propos" à cet art. 11°. Alors il faudrait lire: Si Monseigneur le juge à propos, voilà mes derniers volontés que M. Mulot fera exécuter... etc.
[195] Grandet, p. 314.
[196] "Luigi-Maria", p. 265.
[197] Le Testament de S. L.-M. Grignion de Montfort: Analecta Bollandiana, p. 473.
[198] "Luigi-Maria" p. 203.
[199] Claude Poullart des Places, par H. Le Floch, p. 522 et 549.
[200]) Le Testament de S. Louis-Marie Grignion de Montfort: Analecta Bollandiana, p. 473.
[201]  Ibidem.
[202] “Luigi-Maria". p. 198.
[203] “Luigi-Maria", p. 203. Cf. cette Étude, p. 131.
[204] Le Testament de S. L.-M. Grignion de Montfort (Analecta Bollandiana, p. 474). Cf. cette Étude, p. 126.
[205] Ibidem, p. 474.
[206] Ibidem, p. 472.
[207]) Cf. IIIme Partie. La supplique des curés de Melle et de S. Pompain. 148
[208] Le nom du vicaire qui est illisible sur l'original du Testament se lit très clairement sur l'acte de dépôt du Testament.
[209] Grandet, p. 253.
[210] Nous étudions à fond cette hypothèse dans la IIIme Partie, Chap. XVIII, § IV.
[211] Nous reproduisons la lettre du frère Alexis en Appendice.
[212] Cf. IIIme Partie, Chap. XVIII.
[213] Besnard, Livre X.
[214] Cf. Chap. IX.
[215] M. Mulot a dû être témoin des relations du grand missionnaire avec maître Bernier. Aux archives du Cabinet du Notaire actuel, Maître Baudry, se trouve toujours l'acte de rétractation rédigé par Bernier et dans lequel la servante du curé de Vouvant admettait avoir trompé ét Montfort ét le curé de la paroisse. Celui-ci étant malade au moment où l'acte fut rédigé, le curé de Mervent, desservant de Vouvant, signe avec le Père de Montfort et Bernier.
[216] “Luigi-Maria", p. 205.206: C'erano dunque, prima della morte del Montfort, dei Fratelli che effettivamente insegnavano! Vedremo più sotto in quale scuola insegnavano. Basta rilevare quanto era grande l'intéresse del Beato per quei Fratelli insegnanti di Nantes. Egli aveva in quella città due gruppi di fedeli collaboratori: le signorine Dauvaise, che dirigevano la casa degli Incurabili, ed i Fratelli insegnanti. Alla casa degli Incurabili, il Testamento rimetteva la custodia delle statue di Pontchâteau, legato di pregio. Ma oltre quelle statue si trovava à Nantes una partita di mobilio, o quello personale della caméra ove il Beato aveva trascorsi diversi soggiorni, o panche e tavole adatte par la scuola. La casa degli Incurabili stava per ingrandirsi: il Montfort poteva temere che le sue governatrici volessero appropriarsi, per quell'ingrandimento, quei pezzi di mobilio. Gli premeva invece, incoraggiare quella sua récente Congregazione di Fratelli insegnanti. E quindi, mentre il rev.do Mulot avevo già finito di scrivere le sue ultime volontà, ed aveva apposto la data, quando cioè non restava più che à firmare, sovvenne al Montfort che occorreva ancora proteggere i suoi Fratelli insegnanti di Nantes contre una possibile usurpazione, e perciò egli fece aggiungere quella sentenza... La precauzione presa dal Montfort non era inutile. Poco più d'un mese dopo la sua morte, il rev.do Mulot doveva portarsi di persona a Nantes e farvi registrare il Testamento per assicurarne l'effetto: L'an mil sept cent et seize— etc.
È al deposito a Nantes, per la difesa dei Fratelli insegnanti, che dobbiamo di avère ancora, nell'originale, il Testamento di Luigi-Maria Grignion de Montfort.
[217] "Luigi-Maria", p. 198.
[218] Lettre de Montfort à Mademoiselle Dauvaise. Grandet, p. 253.
[219] Le Testament de S. Louis-Marie Grignion de Montfort. Eugène Cardinal Tisserant, Analecta Bollandiana, Tome LXVIII, p. 466.
[220] Ibidem, p. 466-467.
[221])   Cf. Chapitre IX de cette Étude.
10 “Luigi-Maria", p. 211-212: Ora l'ospedale di Nantes, come quello di Poitiers, ospitava un gran numero di fanciulli, che erano governati da certo Luigi Danto, accettato dagli amministratori dell'ospedale il 14 marzo 1696: “Louis Danto, âgé de 26 ans, natif de Redon s'est présenté... pour avoir soin des garçons à la condition d'être nourri et entretenu, tant sain que malade. Le Bureau l'a reçu pour la conduite desdits garçons dans la maison, pour coucher dans le dortoir desdits garçons... il aura sa portion, comme les sœurs, à une table séparée dans le réfectoire de Messieurs les aumôniers..." Si vede che Luigi Danto, chiamato d'ora in poi Fratel Luigi, rimasto nell'ospedale fino alla sua morte il 3 gennaio 1731, non essendo pagato, aveva un trattamento diverso da quello della servitù. Egli apparteneva a quel gruppo di cristiani ferventi, che descrive l'autore della storia degli ospedali di Nantes: “Quelques jeunes gens se présentèrent au Bureau pour servir gratuite­ment les pauvres sous le titre de Frères et s'acquittèrent de leur office avec zèle, mais leur dévoue­ment n'ayant pas rencontré d'imitateurs, l'administration fut obligée de recourir aux serviteurs à gages".
Non abbiamo una testimonianza diretta dell'influsso del Montfort su Luigi Danto, ne della sua aggregazione al gruppo dei Fratelli, ma Fratello Benedetto del Ponte Coissard, che partendo dal testo dell'istoriografo degli ospedali, fece ricerche d'archivio nel 1929, ha raccolto série ragioni d'identificare Luigi Danto con Fratel Luigi di La Rochelle del Testamento. Nei conti del ricevitore dell'ospedale, infatti, Fratel Luigi ha firmato ricevute per funerali ai quali assistevano i fanciulli il 20 aprile, 3 e 24 giugno 1713, 22 gennaio 1714, e, di nuovi dal 16 maggio 1716 in poi, abbastanza frequentemente. È naturale conchiudere dall'assenza del suo nome per ben due anni che egli per quello spazio di tempo non era présente a Nantes; e siccome il Beato di Montfort preparava allora l'apertura delle scuole maschili di La Rochelle, non è temerario pensare che chiamô a se Fratel Luigi, da lui istruito fra il 1708 ed il 1711 sul metodo d'insegnamento mutuo, sia per completare la sua formazione spirituale, sia per incaricarlo d'istruire gli altri futuri maestri. Il Montfort avrà pure incaricato Fratel Luigi d'incominciare le scuole, poiché era indispensabile, di fronte ai protes­tanti, di assicurarne immediatamente il successo. Morto il Montfort, Fratel Luigi ritornô immediata-mente a Nantes, per quelle difficoltà che intendeva precludere l'aggiunta del Testamento.
[223] "Luigi-Maria", p. 245.
[224] “Luigi-Maria", p. 213.
[225] Registre du Sanitat. Le 25 Mai et 1 Juin 1725. Conter Inquisitio, p. 475.
[226] Ce Factum dactylographié porte comme titre: Saint Montfort est-il fondateur de Pères ou de Frères, et de quels Frères. Le passage cité par nous se trouve, dans l'exemplaire que nous avons sous les yeux, à la page 29, comme réponse à la cinquième objection du D. du IIIme Chapitre. Ce Factum qui a été composé après la parution de l'Inquisitio dont il attaque les conclusions, soutient bien que: "Plusieurs Frères Montfortains tiennent une école stable à Nantes", p. 31; mais se distancie de la thèse qui voulait identifier ces frères avec les frères de l'Hôpital de Nantes, car il affirme encore à la page 29: "On ne peut citer aucun document, parlant de la moindre relation directe de Montfort avec cet Hôpital, encore moins avec les maîtres d'école".
[227] Cf. Chap. ii.
[228] “Luigi-Maria", p. 206, note. L'esecutore testamentario prese pure disposizioni per assicurare la conservazione delle statue del Calvario. Cf. Laveille, p. 296.
[229] Grandet, p. 278.
[230] Besnard, Livre VIII.
[231] Acte de l'assemblée des habitants de S. Laurent de 1719.
3 M. Vatel était toujours à S. Pompain. Il y signe au registre le 13 mais 1716 et puis le 24 Juin. Un voyage à S. Laurent pour le 20 Juin est donc possible.
[233] Nous avons déjà fait remarquer, que dans aucune de ces paroisses on ne retrouve la trace d'une bannière. Mon opinion personnelle serait plutôt que les bannières n'ont pas été distribuées, ni peut-être les étendards. Par là je ne veux en rien diminuer la valeur de l'art. 9 du Testament, mais je me demande si on a exécuté cette clause du Testament du Saint. On s'est bien permis de passer outre à la première clause, où il exigeait expressément qu'on mette son corps dans le cimetière. J'avoue pourtant que nous n'avons aucun indice que M. Mulot se soit servi plus tard de ces "ornements de mission".
[234] Nous reparlerons du frère Mathurin au Chapitre XX.
[235] Il semble plus probable que frère Joseau ait fait une copie d'une copie du Secret que possédait le frère Jacques. Ce n'est certes pas à ce dernier que Montfort avait adressé cette lettre-instruction. Mais comme nous ne possédons pas d'autre échantillon de l'écriture ni du frère Joseau, ni du frère Jacques, la question reste difficile à trancher.
[236] Chronique de Sœur Florence, p. 57-58.
[237] Saint Montfort est-il fondateur de Pères ou de Frères. Chap. LV, p. 62.
[238] Mgr. Laveille s'adresse ici au R.P. Chupin S.M.M. qui dans "Réponse au Livre de Mgr. Laveille" lui avait démontré le peu de fondement de ses variations en histoire.
10 Mgr. Laveille: Le Bienheureux L.-M. G. de Montfort a-t-il établi de son vivant des frères enseignants? Examen critique d'une brochure du R.P. Chupin de la Compagnie de Marie, p. 53.
[240] Besnard: "Marie-Louise", Manuscrit, p. 166.
 
[241] Chap. V, § III, d.
[242] Grandet, p. 278.
[243] Archives Départementales de Niort, Série G, Supplément, Nos 25, 30 et 33. Communiquée par le R.P. M. Sibold S.M.M.
[244] Grandet finit d'écrire son livre en 1723. Il mourut l'année suivante à l'âge de 78 ans. En 1719 il avait encore eu un entretien avec le doyen de Vihiers, mais il ne semble pas qu'il se soit déplacé beaucoup depuis cette époque. C'est le doyen de S. Laurent qui devint son correspondant, ce qui explique que les renseignements qu'il reçoit sont un peu colorés.
[245] Besnard a connu pendant plusieurs années MM. Mulot et Vatel et le frère Mathurin. Il a connu aussi Marie-Louise de Jésus, supérieure générale du Filles de la Sagesse, qui avaient leur communauté en face de celle des pères. Comme nous l'avons déjà dit, il avait sous les yeux les mémoires du frère Jacques, sans parler de toutes les archives de sa Congrégation, dont il était le troisième supérieur général.
[246] Besnard, Livre X.
 
[247] Besnard, Livre X
[248] Besnard, Livre X.
[249] Besnard, Livre X.
[250] Besnard, Livre X.
[251] Cf Chapitre I
[252] Besnard, Livre X.
 
[253] Besnard, Livre X.
 
[254] Besnard, Livre X.
[255] Besnard, Livre X.
 
[256] Besnard, Livre X.
[257] Besnard, Livre X.
[258] Grandet, p. 266-267.
[259] Besnard, Livre X.
[260] Vie de Messire Louis Grandet, voir Appendice.
[261] Grandet, p. 266-272.
[262] Grandet, p. 274.
[263] Cf. Chapitre iii de cette étude.
[264] "Règle Manuscrite", leurs oraisons et exercices de piété, no. 8. Au retour de leurs missions, pendant le repos que la divine Sagesse leur accords et leur conseille, "Venite seorsum et requiescite pusillum" ils s'appliquent à l'étude, pour se perfectionner de plus en plus dans la science de la chaire et du confessionnal.
[265] La chapelle des missionnaires ne fut dédiée au S. Esprit que en l'année 1723.
[266] Folie ou Sagesse, p. 338 et s.
[267] Grandet, p. 274 et s.
[268] Grandet, p. 277.
[269] Grandet, p. 279.
[270] Grandet, p. 402.
[271] Chroniques de la Sagesse.
[272] Besnard, Livre X.
[273] Chroniques de la Sagesse.
14 Chroniques de la Sagesse.
[275] Besnard, Livre x.
1 On sait que le Sulpicien Grandet était un biographe fécond. Il écrivit une longue série de vies de saints personnages de son temps, dont M. Letourneau a extrait "Les saints prêtres français du XVIIe siècle" par Joseph Grandet, Angers et Paris, 1897-1898. De l'ouvrage de Grandet existait une double copie, dont la première fut perdue à la Révolution Française. Plus tard la Bibliothèque Nationale put en racheter le premier volume à un chiffonier. L'autre copie était restée à Angers et fut apportée à Paris par M. Emery. Elle se trouve toujours dans la "Réserve précieuse" du Séminaire du S. Esprit, Rue du Regard 6, à Paris. Dans le IIIe Volume de ce manuscrit, qui n'est pas de la main de Grandet, se trouve une petite esquisse d'une vie de Saint Montfort, que nous reproduisons ici. D'après la pagination originale, celle que nous adoptons, elle occupe les pages 9 à 19. À l'une des feuilles est épingle l'original de la lettre de M. Bellier que nous reproduisons à la suite de l'esquisse. En face du titre (page 8) on trouve le texte: "Dicebant autem multi ex ipsis: Daemonium habet et insanivit, quid enim auditis", Joan., 10, 20.
[277] Le texte en cursif est rayé dans le manuscrit.
[278] Idem.
* Mons. le Doyen de Vihiers me dist le 12 Février 1719 quêtant allé, comme il faisait la mission à Nantes, sur un vaisseau il trouva deux matelots, qui se battaient. Il leur fist la correction. L'un en profita; l'autre continua ses blasphèmes et ses emportements Mr. de Montfort lui dit: "Misérable, tu seras dans 3 heures en enfer; au bout desquelles il mourut".
Mr. Vatel, qui s'était engagé pour être aumônier du vaisseau, pénétré de cet événement se dégage et se joint à Mr. de Montfort pour être missionnaire, Prêchant à Fontenay, un riche s'étant moqué de ses missions, Mr. de Grignion prêchant toujours, s'arrêta tout cours dans son sermon, se mit à genoux et dist: "Mon Dieu, je ne mérite pas d'être prophète", et se levant il dist: "Il y a un riche qui n'est pas loin d'ici, qui sera mort avant 15 jours. Ce riche tombe malade, regarde sa maladie comme rien, ne veut pas se confesser et meurt sans sacrements."
(Cette note d'une écriture différente se trouve dans la marge). P. E.
* "La Procession partit de Saint Pompain, à 3 lieues de Fontenay et à 19 de Saumur. Elle fut conduite par Mrs. Mulot et Vatel, qui ont succédé a Mr. Grignion dans ses missions."
M.lle Dauné de Nantes voulant je. je. un mausolé à Mr. de Montfort, son directeur, obtint permis de M. de La Rochelle de je. aster la terre, qui était sur son corps mort depuis 18 mois, pour avoir qu'un morceau de ses habits. Cela se fit. Mr. le Doyen de Saint Laurent, qui était présent, me dist le 21 Juillet 1719, qu'il n'exala aucune mauvaise odeur; que plusieurs personnes dirent qu'ils avaient senti comme de l’encens et de la myrrhe.
On lui mist une tombe de marbre, élevée de 3 à 4 pieds, sur laquelle on a gravé, en lettres d'or, ces paroles: "Quid cernis viator — lumen extinctum — hominem charitatis igne consumptus — omnibus omnia factum — Ludovicum Mariam Grignion de Monteforti — si vitam petis, nulla integrior — si paenitentiam, nulla austerior — si zelum, nullus ardentior — pietatem in Mariam, nullus Bernardo similior — sacerdos Christi, Christum moribus expressit — verbis ubique docuit — indejessus evangelizat — nonnisi in tumula requievit — pauperum pater — orphanum patronus — ut vixerat devixit ad coelum tandem maturus evolavit 29 Aprilis 1716."
(Cette note de la même écriture que celle de la page 14 se trouve dans la marge). P. E.
[279] Se basant uniquement sur ce passage de la lettre de M. Bellier, certains ont voulu promouvoir le frère Alexis; Frère enseignant d'une communauté fondée par Montfort. Ne pouvant trouver aucun autre indice et ne retrouvant pas son nom dans d'autres documents, on le réduit au rang de frère-novice. Remarquons seulement:
1. Rien ne permet de dater cette lettre du frère Alexis à M. Bellier.
2. Le texte de la lettre de M. Bellier ne permet pas d'affirmer que le frère Alexis avait assisté personnellement à la mort du saint.
3. Rien ne prouve que le frère Alexis fut originaire de Mortagne ou qu'il fut en résidence en cette ville. M. Bellier dit simplement que le frère lui écrivit une lettre de Mortagne.
4. Absolument rien dans ce texte ne prouve que frère Alexis fut un enseignant. Comme par ailleurs on n'apporte aucune autre preuve, on peut se réaliser quelle est la valeur d'un pareil argument.
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