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Le père au grand chapelt

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JEAN BOMBARDIER, S. M. M.





Le Père
au grand chapelet



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DESSINS D'ODETTE VINCENT-FUMET













LES EDITIONS MONTFORTAINES
NICOLET DORVAL 1947

JEAN BOMBARDIER, S. M. M.


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Le Père
au grand chapelet
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DESSINS D'ODETTE VINCENT-FUMET













LES EDITIONS MONTFORTAINES
NICOLET DORVAL

I. VERS L'AUTEL



Une belle famille chrétienne


Louis Grignion était fils de noble homme, Jean-Baptiste Grignion, sieur de la Bacheleraye, avocat, de Montfort la Canne, diocèse de Saint-Malo, et de Jeanne Robert. Né le 31 janvier 1673, il reçut au baptême le nom de Louis auquel il a-jouta celui de Marie au jour de sa confirmation.

Louis-Marie ne grandit pas solitaire: deux garçons et six filles le suivirent dans l'existence. De ces neuf enfants, Louis devint prêtre, un autre entra chez les Dominicains et trois filles prirent le voile. C'est à ce foyer chrétien que Louis-Marie s'initia à la pratique des vertus austères qui éton¬nèrent ses contemporains.

Pour dire toute la vérité, cet enfant se fit re-marquer très tôt à la maison par une piété et un sérieux au-dessus de son âge. Il n'avait pas encore cinq ans qu'il parlait volontiers de Dieu; il s'appro¬chait de sa mère, lorsqu'il la voyait affligée, pour la consoler et l'exhorter à souffrir avec patience. Si Louise était sa soeur préférée, c'est qu'elle vou¬lait bien partager ses exercices de piété. Parfois il devait lui faire de petits présents pour l'arracher à ses compagnes de jeu et lui offrir quelque petit compliment: "Ma chère soeur, vous serez toute belle et le monde vous aimera si vous aimez Dieu".



Que deviendra cet enfant ?
Un mystère planait sur l'avenir de cet enfant; sûrement Dieu avait jeté les yeux sur lui et l'avait réservé à quelque grande mission. Au baptême, il s'était emparé de ce coeur neuf et l'avait rempli de sa grâce. Selon toutes les apparences, Louis-Marie conserva intacte jusqu'à la tombe, par un privilège très rare, l'innocence de son baptême. "Il a toujours vécu comme un ange dans un corps mor¬tel". Ce témoignage provient de son ami intime et du confident de toute sa vie.

Louis-Marie en trouva le secret dans sa dévo¬tion à la sainte Vierge. Il enseignera plus tard aux pécheurs à confier leur persévérance à cette Vierge fidèle.

Jusqu'à l'âge de douze ans, il fréquente l'é¬cole de sa ville natale. Appliqué à l'étude, il ne se mêlait jamais aux jeux de ses petits camarades. Il préférait se retirer dans quelque coin tranquille, pour vaquer à la prière et réciter son chapelet de¬vant une petite image de la sainte Vierge.

Sa piété ne plaisait pas aux ambitions que son père nourrissait pour lui. Louis-Marie aurait mieux fait, à son sens, de s'intéresser à cette terre et aux besoins de la nombreuse famille. C'est qu'il avait entendu un appel vers une vie plus haute; il comp¬tait plus sur la divine Providence que sur ses ta¬lents naturels pour soutenir les siens. M. Grignion et son aîné ne voyaient pas lés choses du même oeil.

Un collégien qui n'est pas comme les autres

Louis-Marie a quitté Montfort pour Rennes où les Jésuites possèdent un grand collège classique. Comme les autres étudiants—leur chiffre dépasse les deux mille-Louis-Marie fréquente l'institution aux heures de classe mais pensionne au dehors. Il

a la bonne fortune d'avoir un oncle prêtre qui ré¬side tout près et qui le reçoit sous son toit.

Notre collégien a douze ans. Comment tra-versera-t-il ces huit années d'étude et de croissance physique, mêlé qu'il sera à une jeunesse dissipée et souvent corrompue? Sa piété et son recueillement résisteront-ils au tapage et aux divertissements d'une grande ville?

Son ami nous rassure en ces termes: "Louis était encore écolier et paraissait déjà un homme parfait, tenant tous ses sens sous une telle garde qu'on ne lui voyait échapper ni regards, ni gestes, ni manières inconsidérées. Ses yeux presque tou¬jours baissés, sa modestie, son air dévot le singu¬larisaient déjà en quelque sorte et le faisaient dis¬tinguer de presque tous les autres écoliers".

Que de jeunes écervelés perdent leur temps en classe, chahutent et s'amusent. Qu'ils courent les rues et les cabarets le soir, s'assemblent pour boire et se divertir. Louis-Marie ne les connaît pas. Une réserve rigoureuse monte la garde devant la porte de son coeur. Les histoires risquées ne parviennent pas à ses oreilles; les spectacles indécents s'arrê¬tent à la barrière de ses paupières closes; les livres suspects ne pénètrent pas dans sa chambre.

Vertu précoce, brillants succès

Avec les années, Louis-Marie avançait en âge, en science et en sagesse. Cet adolescent ne soup¬çonne rien des honteuses chaînes que traînent les âmes charnelles. Il ignore l'attirance du mal, tant ses yeux sont éblouis par l'éclat souverain de la vertu. Parce qu'il a gardé à Dieu les élans de son jeune coeur, Dieu l'a rempli de cette sagesse mille fois plus précieuse que l'or. Il lui a donné le goût, le désir et la jouissance de la vérité surnaturelle, de la présence et de la pensée divines.

En classe, il s'affirme un redoutable concur¬rent: à la fin de l'année, il remportait tous les prix. Il joignait à ses dons intellectuels de la facilité pour le dessin et la peinture. Un de ses tableaux, représentant l'Enfant-Jésus jouant avec saint Jean-Baptiste, plut à un conseiller du parlement en vi¬site à la maison. Il lui en donna un louis d'or pour ses pauvres.

Je dis bien, pour ses pauvres. Car ce collégien aimait à visiter les indigents et les malades, à les

consoler et à leur distribuer les aumônes qu'il avait recueillies. Il tendit la main en public et fit la quête auprès des étudiants, en faveur d'un cama¬rade en guenilles. Il porte ensuite le fruit de sa quête chez le marchand de drap et il lui présente son ami en haillons: "Voici mon frère et le vôtre, si cette somme d'argent ne suffit pas, à vous d'a¬jouter le reste". La charité est contagieuse: le marché fut conclu.

Privilégié de Marie

"L'amour de Marie était comme né avec M. Grignion, on peut dire que la sainte Vierge l'avait choisi la première pour un de ses plus grands fa¬voris, et avait gravé dans sa jeune âme cette ten¬dresse si singulière qu'il a toujours eue pour elle, et qui l'a fait regarder comme un des plus grands dé¬vots à la Mère de Dieu que l'Eglise ait vus".

Chose certaine, le Père de Montfort a été sus¬cité par la Providence pour intensifier dans l'Eglise le dévotion à la sainte Vierge. Il faut le ranger parmi les grands saints des derniers temps qu'il a lui-même prédits.
La Mère de Dieu fut l'ouvrière des merveilles de grâce que nous admirons dans l'âme de son jeune serviteur. La première, elle l'a choisi, elle l'a choyé et enveloppé de ses prévenances, elle a al¬lumé en son coeur cette filiale tendresse qui donne à sa piété tant de douceur et de séduction.
Nous comprenons à présent pourquoi Louis-Marie ressemblait si peu aux autres collégiens, pourquoi il menait une vie angélique dans un corps mortel. La sainte Vierge accomplissait ce prodige en sa faveur, parce qu'elle le préparait à sa mission de sauver les âmes et de prêcher aux siècles à venir les bontés inépuisables de la Reine des Coeurs. Louis n'a pas encore atteint sa vingtième année qu'il pratique déjà cette dévotion parfaite qu'il prêchera plus tard aux foules émerveillées.
Pour Marie on ne fait jamais assez ! Toujours plus, toujours mieux, voilà comment se mesure chez lui le culte de sa bonne Mère. Aussi quel ma¬gnifique et incroyable profit tire-t-il d'un si entier dévouement! Chaque heure, chaque minute de la journée, pour ainsi di¬re, se remplit de la pensée, de l'invoca¬tion, de l'imitation de Marie. Agir par elle, penser comme elle, prier avec elle, médi¬ter en elle, mérite pour elle, telle doivent la trame ordinaire de son existence.

Notre-Dame de son côté, se donne d'une manière ineffable à son fidèle serviteur. Elle épie les occasions favorables de lui faire du bien, lui donne de bons conseils, l'entre¬tient de tout le néces¬saire pour le corps et pour l'âme, le conduit

et dirige selon la volonté de son Fils, le défend et protège contre ses ennemis, intercède pour lui au¬près de Jésus auquel elle l'unit d'un lien très intime.
Au sortir de sa philosophie, Louis-Marie eut à décider la grave question de son avenir. Dans cet¬te décision, comme dans toutes les autres, ce fut la sainte Vierge qui le guida. Le sacerdoce fut le seul pour lequel son coeur parla, le seul que Dieu lui montra.

L'enfant- de la Providence
A l'automne de 1693, Louis-Marie dit adieu à la patrie de son enfance. Loin de la Bretagne l'en¬traînait son projet de devenir prêtre, un vrai prêtre du bon Dieu. Là-bas, à Paris, existait un séminaire, où les clercs vivaient séparés du monde et bénéfi¬ciaient d'un climat merveilleux pour cultiver les hautes vertus du sacerdoce. Les désirs de notre lé¬vite se portèrent vers ce jardin béni, surtout du jour où une pieuse dame offrit de payer sa pension. Il s'en remit à la divine Providence pour le reste.

M. Grignion, flatté sans doute de voir son fils prendre le chemin de la Capitale et, qui sait? des honneurs, ne fit pas de difficultés. Il offrit même un cheval pour le voyage. Louis-Marie refusa, con¬fiant de franchir à pieds, sans trop de peine, les deux cent milles qui le séparaient de Paris. Tout au plus emportait-il un habit neuf et dix écus en poches.

Véritables fiançailles avec la pauvreté du Christ. Louis-Marie Grignion, fils de noble homme, choisit de vivre désormais de la charité publique. A vingt ans, en pleine santé, doué d'une belle intel¬ligence et nanti d'une instruction solide, il s'éloi¬gne de sa famille et saute dans l'inconnu. La sé¬paration lui coûta sûrement, encore que la Vierge très bonne lui adoucit l'amertume de son sacrifice par des consolations intimes. Il embrassa sa mère, ses petites soeurs, ses petits frères, il serra la main de son père et il partit, son rosaire à la main. Un homme qui dit son chapelet est fort.

Sur la route de Paris

bout de huit ou dix jours. Au prix de quelles fa¬tigues et dans quel état! Il avait frappé aux por¬tes, mendié son pain et un gîte pour la nuit. La pluie, une pluie d'automne, abondante, tenace, glacée, l'avait surpris; le chemin tourne au bour¬bier, où les souliers glissaient et enfonçaient. Il ne payait pas de mine sous ses vêtements souillés et difformes. Il personnifiait bien la misère quand il déclinait son nom: Louis-Marie Grignion, un pau¬vre de Jésus-Christ!
Il supporta joyeusement le mauvais accueil qui l'attendait à la fin de certaines journées haras¬santes. On l'écoutait avec défiance, on le chassait menaçant de mettre les chiens à ses trousses. Il y avait tant de maraudeurs dans le pays.

Dans la Capitale

Il retrouva sa bienfaitrice à Paris. Mais, hé¬las! des revers de fortune ne lui permettaient plus de payer la pension au séminaire de Saint-Sulpice. Elle fit entrer son protégé dans un séminaire réser¬vé aux ecclésiastiques pauvres.
Bientôt la famine qui sévit partout dans le royaume le priva de sa pension. Le supérieur, qui ne voulait pas remettre Louis-Marie sur le pavé, lui offrit de veiller les morts de la paroisse à l'occasion. Louis-Marie ne s'y refusa pas, vu que c'était un moyen de gagner quelque chose. De plus il tendit la main.
La splendeur du grand roi Louis XIV avait at¬tiré dans la Capitale tout ce que la France comp¬tait de noblesse, de richesse et de talent. Louis-
Marie ignora tout ce qui se passa au dehors. Il vé¬cut à Paris comme au désert.

Ce que le missionnaire remarqua plus tard pour le condamner, le séminariste d'aujourd'hui ne le connaît pas. Les bruits de la vie mondaine, ses fêtes et ses scandales ne parviennent pas jusqu'à lui. Il gorge son âme d'une vie plus haute, puisée dans la contemplation de la Sagesse qui est Dieu.

Il portait les yeux si baissés qu'il ne pouvait voir qu'à ses pieds; on s'étonnait même qu'il pût se conduire dans les rues; et ce qui était plus éton¬nant, c'est qu'il savait où toutes les images de la sainte Vierge étaient placées dans les carrefours et sur les portes des maisons.

Théologien de Marie
On aurait pu craindre, au séminaire, qu'une oraison portée à une intensité aussi haute, entra¬vât l'activité intellectuelle de l'étudiant. Où trou¬vait-il le temps d'étudier avec ses prières intermina¬bles? Ces Messieurs se rassurèrent quand ils virent avec quelle maîtrise Louis-Marie soutint sa thèse publique sur la grâce.


Louis-Marie ne cache pas d'ignorance sous son évidente piété; une vie austère ne le dispense pas du travail ardu de l'étude. Il avait appris de la Vierge très sage le secret d'aimer Dieu de tout son coeur, de converser avec lui des heures entières, sans nuire à ses études théologiques.
Son amour pour Marie le portait à étudier tout ce qui avait été écrit à sa gloire. Penché de longues heures sur ses livres de mariologie, Louis-Marie se documente. Il lit le crayon à la main, puise dans la sainte Ecriture, chez les saints Pères et les théolo¬giens tout un arsenal de preuves qu'il ordonne vers une fin pratique. Car il porte dans sa tête et dans son coeur une idée bien claire qui le domine et le di¬rige. Il ambitionne de montrer toute la distance qui sépare la sainte Vierge des autres saints. Il croit qu'il reste à trouver une dévotion plus profon¬de, plus parfaite envers la Reine des saints. Il rêve d'augmenter l'amour des chrétiens envers leur cé¬leste Mère; de leur montrer comment elle mérite toute leur confiance et leur entier dévouement.

La grande découverte

Un beau jour, il fit la découverte. Dans un li¬vre écrit par M. Boudon il prit connaissance d'une dévotion plus élevée que les autres. Il y était ques¬tion de se consacrer totalement par une promesse et une donation, au service de la sainte Vierge à ti¬tre d'esclave d'amour. Esclave? C'était bien là le mot qu'il cherchait, le seul capable de dire toute sa pensée. Un esclave n'existe que pour le bénéfice d'un autre, il ne s'appartient pas. Abomination quand il s'applique entre mortels, l'esclavage prend une très haute signification quand il passe sur le plan surnaturel de nos relations avec Dieu et sa Mère.

Avec quel empressement Louis-Marie s'enrôla dans la société de l'esclavage de la sainte Vierge. Cette dévotion, assez répandue en France de son temps, lui permit de réaliser son ambition d'une dé¬votion à Marie totale et parfaite. Il ne s'arrêta pas en si bon chemin; dépassant les cadres étroits de cette pieuse pratique, il lui insufflera une âme nou¬velle, son âme à lui toute passée au service de la Reine des Coeurs, line se contentera pas d'une consécration extérieure, lue aux pieds de la statue de Marie en un jour de fête.

Depuis ce jour Louis-Marie Grignion est deve¬nu l'auteur et le propagateur d'une dévotion par¬faite à Notre-Dame: le saint-esclavage de Marie. De la sorte naquit humblement et petitement ce mouvement spirituel qui, jailli de la vie intérieure d'un séminariste, devait se préciser quelques an¬nées plus tard dans ses prédications et ses écrits, et se répandre à travers le monde et les siècles.

Comme un ange à l'autel

Le 5 juin 1700, Louis-Marie Grignion fut pro¬mu à la prêtrise; il avait vingt-sept ans.
Le chemin qui l'avait conduit à l'autel lui avait offert plus d'épines que de roses. Sa famille ne lui avait rien fourni; pas un misérable vêtement, pas un livre d'étude, pas un cahier pour tracer ses pensées qu'il n'ait été contraint de quêter à la cha¬rité.
Elevé à rude école, Louis-Marie avait progres¬sé à pas de géant dans la voie de la sainteté. La dé¬votion à la sainte Vierge surtout lui avait décou¬vert des sentiers cachés qui le conduisirent plus doucement et plus tranquillement au terme de ses désirs. M. Blain en fit la remarque: "Elevé, pour ainsi dire, aux pieds de

la sainte Vierge où son tendre amour pour elle le conduisait à tous moments, il éprouva toute sa vie ses cares¬ses, ses tendresses ma¬ternelles. Déjà avant les ordres sacrés il avait fait voeu de chasteté. Dans l'égli-se de Notre-Dame de Paris, où il avait cou¬tume tous les samedis d'aller communier, aux pieds de sa bonne Mère, il s'abandonna aux mouvements de la plus tendre piété et consacra à Dieu dans son corps une victime pure. Arrivé à un don sublime d'oraison et d'union à Dieu, que pouvait-il lui manquer pour le sacerdoce? Le lieu qu'il choisit pour dire sa premiè¬re messe fut celui dont il avait eu tant de soin de¬puis son entrée dans la séminaire: la chapelle de la sainte Vierge derrière le choeur, dans la paroisse de Saint-Sulpice. J'y assistai et j'y vis un homme comme un ange à l'autel,"

fl. MISSIONNAIRE


L'appel des âmes

Une fois prêtre, M. Grignion doit maintenant choisir le champ de son apostolat. Ni le professorat pi le ministère paroissial ne l'attiraient. Son zèle avait une autre envergure. "Allumé comme un grand feu, dit M. Blain, il ne demandait plus qu'à se répandre et embraser le monde."

Volontiers il aurait quitté son pays pour des plages lointaines. Rien, absolument rien ne lui importait que le salut des âmes.
Sera-ce le Canada?

Mgr de Saint-Vallier, successeur de Mgr de Laval sur le siège de Québec, avait séjourné au Sé¬minaire de St-Sulpice lors de son voyage en France. Bien souvent le Canada y défrayait les conversa¬tions. Mgr avait rencontré M. Grignion et l'avait pris en haute estime. Tout naturellement Louis-Ma¬rie s'offrit à partir pour la Nouvelle-France. On l'en détourna dans la crainte que, se laissant em¬porter à l'impétuosité de son zèle, il ne se perdit dans les vastes forêts de ce pays, en courant cher¬cher les sauvages.
' p Prédicateur

Puisqu'on le jugeait inapte aux missions étrangères, il se livrerait à la prédication dans son

pays. Restait à trouver un diocèse qui lui fît bon accueil. Justement M. Lévêque, qui était à la tête d'une maison de prédicateurs à Nantes, passa au séminaire. Il accueillit favorablement!les avances du jeune prêtre. Voilà comment, en septembre 1700, M. Grignion s'embarquait avec son nouveau supérieur pour descendre la Loire jusqu'à Nantes.
A la fin d'août 1701, il disaitadieu à la ville de Nantes. L'aumônerie de l'hôpital de Poitiers .l'at¬tendait.
En octobre 1703, M. Grignion dut s'éloigner; sa présence était devenue indésirable. Plutôt que d'importuner son entourage, il s'en alla. Quelle route choisir? Il n'avait pas de préférence. Les seu¬les relations sociales qu'il conservait l'amenèrent à Paris.
Tout seul au milieu du grand Paris, Montfort ne sait trop quoi devenir. Partout où il se présente, il est éconduit plus ou moins poliment. Ses anciens amis l'avaient délaissé; mais Dieu ne trompe pas. Avec une ardeur centuplée il soupirait vers ces som¬mets de la sainteté où l'on aime Dieu, Dieu seul, de tout son coeur.
On souffrait, à Poitiers, du vide qu'avait lais¬sé son départ. Il fut invité à retourner à l'hôpital. Il y resta peu de temps. La prédication l'appelait maintenant et Monseigneur ouvrait tout grand son diocèse à son apostolat.

Apôtre de Marie
Dans un faubourg de Poitiers, des artisans pauvres vivaient loin de l'église. Montfort s'y rend et déçlgre la guerre à l'ignorance religieuse, à l'i¬vrognei ie, au blasphème. Il achète une grange abandonnée, |o transforme en chapelle, y place une grande image de Marie, Reine des Coeurs. Il con¬voyé les vfidèles, prêche le chapelet, la dévotion à /V trie) la, pratique des vertus chrétiennes. Nous trouvons un rappel de sa prédication dans une let¬tre qu'il; leur adressa dans la suite: "Souvenez-vous donc^mes chers enfants, ma joie et ma couronne, d^'ai me ^ardemment Jésus-Christ et de l'aimer par Marie, de faire éclater partout et devant tous votre aévotion véritable à la très sainte Vierge, notre bonne Mère, afin d'être partout la bonne odeur de Jésus-Christ, afin de porter constamment votre croix à la suite de ce bon Maître et de gagner la couronne et le royaume qui vous attend."
Le diable, cette fois, avait sur les bras un rude adversaire. En vain cherchait-il un défaut dans la

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cuirasse de cet orateur enflammé, perçfu dans IV raison, vivant de mortifications et de pauvreté. Sg seule ressource était de l'attaquerKen face, de levré¬duire par la force. Il se jetait sur lui, le soir, quand le prêtre était seul dans sa chambre. DesWoisires entendaient, au milieu du fracas d'une lutte, la voix de Montfort clamer: "Je me moque de toi, je ne manquerai point de force et de courage pendant que j'aurai Jésus et Marie avec moi; je me moque de toi."

Vers Rome

En février 1706, le Père de Montfort prit le chemin de l'Italie. Il comptait alors six ans de prê¬trise, dont la majeure partie avait été dépensée à la prédication ou au soin des malades de Poitiers. Banni du diocèse, il devait porter son zèle ailleurs. Où aller? A 33 ans, l'heure était venue pour lui d'o¬rienter définitivement sa vie.
-
Mais Rome n'est pas aux portes de Roi<tî:)as Pour un pauvre comme Montfort, il n'é1r'*s.orVs question de voiture ni de cheval; il irait à ff c ' en pèlerin véritable, et mendierait son pa:p';su.r la rou¬te à l'exemple des pauvres Apôtres.   L',*

Entraîné à la marche et d'une santé robuste, Montfort traversa allègrement la France, franchit les Alpes et, rendu dans l'Ombrie verdoyante, fit un détour jusqu'à Lorette sur la côte de l'Adriati¬que. Pouvait-il visiter l'Italie sans arrêter à la mai¬son où l'Ange vint saluer Marie? D'ailleurs il dési¬rait confier à la sainte Vierge les intentions qui l'a¬vaient amené à Rome. En premier lieu, il désirait une précieuse faveur: la divine Sagesse, ou le don de toucher les coeurs par sa prédication. Il venait aussi à Rome dans le but de consulter le Pape, per¬suadé de recevoir de sa bouche les ordres de Dieu même.
Le 6 juin, il obtenait une audience du Saint-Père qui le reçut avec beaucoup de bonté mais lui ferma la route des pays lointains. "Vous avez un assez grand champ en France pour exercer votre zèle. N'allez point ailleurs et travaillez toujours avec une parfaite soumission aux Evêques dans les diocèses desquels vous serez appelé. Dieu par ce moyen en donnera bénédiction à vos travaux."
Sûr de sa vocation, Montfort fixa à son bâton de voyage un crucifix d'ivoire indulgencié par le

Pape et il reprit vivement le chemin de sa patrie. Notre-Seigneur lui avait parlé par la bouche de Pierre; il rapportait un titre glorieux, celui de mis¬sionnaire apostolique, d'envoyé du Saint-Père!

Adversaire de l'hérésie
La France, à ce moment, traversait une crise religieuse. Elle avait écarté, au prix de beaucoup de sang versé, le péril extérieur du protestantisme mais elle était déchirée au-dedans par les réforma¬teurs. Ils s'attaquaient à l'enseignement tradition¬nel et prétendaient donner à la religion une direc¬tion plus éclairée. Le Souverain Pontife, appelé à se prononcer sur la nouvelle erreur, l'avait condam¬née à maintes reprises sans jamais obtenir la pleine soumission des révoltés.
Pas de compromis avec l'erreur. Pour Mont¬fort la règle de foi infaillible est la voix de Rome. Calvinistes déclarés ou jansénistes hypocrites, les deux sectes sont jugées. Nous lisons dans son Trai¬té de la vraie dévotion à la sainte Vierge ce qu'il re¬prochait à ces doctrinaires hautains et desséchants. I Is craignent uniquement qu'on accorde trop d'hon¬neur à la sainte Vierge. Il ne faut pas tant parler d'elle, disent-ils de peur de déplaire à Dieu. Mont¬fort répond à des protestants qui s'ignorent par sa maxime favorite: De Maria nunquam satis. Ja¬mais on ne fera assez pour Marie.

A l'aventure
A partir de ce jour, la carrière apostolique du Père de Montfort va suivre son cours tourmenté. Pendant dix années il parcourra les diocèses de la
France occidentale, armé du glaive à deux tran¬chants de la parole divine. D'une paroisse à l'au¬tre, de diocèse en diocèse, il prêche, il convertit, il implante solidement dans les consciences les gran¬des vérités chrétiennes: il reconstruit le royaume de Dieu.
Chargé par le Pape de prêcher l'Evangile au pays de France, il n'a plus d'autre souci ni d'autre obligation. La bourse vide, il vit aux frais de la Providence. Les villes et les villages voient passer cet apôtre pittoresque, en quête d'âmes à sauver. Ici aujourd'hui, demain il sera rendu ailleurs, libre toujours de son temps et de sa personne. Il n'est pas lié à l'armée régulière du sacerdoce, au clergé diocésain. Son rôle l'apparente plutôt au franc-ti¬reur qui se porte partout où il trouve un bon coup à donner, sans plan préconçu, sans discipline trop ri¬gide, qui le gêne.
Le voici rendu à Rennes. Au lieu de se retirer chez ses parents, il préfère loger chez une pauvre femme qui manque elle-même du nécessaire et qui lui fournit, au prix le plus modique, de la galette de sarrasin et du lait. Tout au plus accepta-t-îl de prendre un repas à la maison. Il n'oublia pas ses protégés devant la table abondante qui lui fut ser¬vie. "Il prit une assiette blanche et la garnit de tout ce qu'il y avait de meilleur sur la table, pour l'envoyer aux pauvres de la paroisse."

La parole irrésistible

A la fin de 1708, le Père de Montfort entre dans le diocèse de Nantes. Cette date marque le point culminant de sa carrière. En pleine posses¬

sion de ses moyens oratoires, riche d'une expérien¬ce durement amassée, le coeur dévoré d'un zèle in¬satiable et jouissant de la présence habituelle de Marie dans son âme, quand il ne la contemple pas des yeux du corps, le Père de Montfort se dresse de¬vant les Nantais comme un nouveau prophète du Très-Haut.

Le mal sous toutes ses formes, le péché et le vice devront reculer devant ce champion toujours victorieux. Il s'attaque aux jeux de hasard, brise en pleine rue une table qui servait à cette fin. Après le jeu, la danse. Il se lança au beau milieu d'une centaine de jeunes gens qui s'amusaient au grand air, fort peu convenablement, un jour de dimanche.
A son arrivée, les danseurs l'entourèrent et firent la ronde autour de lui. Afin de mieux le narguer, ils entonnèrent un de ses cantiques de mission. Outré de tant d'insolence, le Père s'écria de toutes ses for¬ces: "S'il y a dans cette compagnie, des amis de Dieu, qu'ils se mettent à genoux avec moi !" La fa¬randole se termina par le chapelet et un sermon sur les dangers et les méfaits de la danse.
Personne ne pouvait tenir devant cet homme de Dieu; il était, à la lettre, irrésistible. Un vigne¬ron trop ambitieux en fit la terrible expérience. Il avait préféré continuer son travail, au lieu de sui¬vre les exercices de la retraite. Le dernier jour, un orage épouvantable éclata et notre homme fut tué raide, dans sa maison, par la foudre.

A Jésus par Marie
Le Père de Montfort savait par expérience que la plupart des conversions ne sont pas durables. Il prescrivait un remède souverain, infaillible contre cette faiblesse du pécheur: la dévotion à la sainte Vierge. "Engagez-vous au service de Marie, répé¬tait-il sur tous les tons, si vous voulez servir fidèle¬ment Jésus." A Jésus par Marie devint la tactique du Père de Montfort; c'est de nos jours la devise de toute une légion de fervents chrétiens, qui utilisent ce secret de persévérance. Dans ce but, le Père de Montfort avait inséré une invocation spéciale à la Vierge fidèle dans la formule des voeux du baptê¬me: "Je me donne tout entier à Jésus-Christ par les mains de Marie, pour porter ma croix à la suite tous les jours de ma vie." Il fit mieux encore; il ré¬pandit sa parfaite dévotion à la sainte Vierge qui constitue la meilleure manière de rester fidèle à son baptême. 1

Planteur de croix

Chacune de ses missions se terminait par une plantation de croix. Les fidèles se dirigeaient, en procession, vers l'endroit choisi à cette fin; les por¬teurs du précieux fardeau s'avançaient pieds-nus, au chant des cantiques. Le Père bénissait la croix, expliquait le sens de la cérémonie.

La plus célèbre de ses plantations de croix eut lieu près de Pont-Château, situé à une trentaine de milles à l'ouest de Nantes. Sur une lande inculte qui s'arrondissait en forme de butte et dominait toute la contrée environnante, il conçut le projet d'ériger un Calvaire géant qui serait visible de vingt milles à la ronde. Les paroissiens, admirable¬ment préparés par sa prédication, reçurent la pro¬position avec enthousiasme et s'offrirent sur le champ pour la réaliser.

Pendant quinze mois, on vint au chantier de douze à quinze lieues, pour travailler; hommes, femmes, garçons et filles, nobles et paysans pous-sèrent à la roue. Les uns creusaient, les autres em-plissaient les paniers et les hottes qui étaient por¬tés sur la colline à force de bras. Il y avait constam¬ment de deux à cinq cents travailleurs qui, sans rien recevoir, fournissaient leur nourriture et leurs ins¬truments, amenaient leurs charettes et leurs boeufs, et qui peinaient dur à élever leur Calvaire.

Cependant le Père de Montfort poursuivait ailleurs ses prédications. A la première occasion, il reprenait le chemin de son chantier; il constatait l'avancement des travaux, encourageait ses tra¬vailleurs de la parole et de l'exemple.   Il bêchait la terre comme eux, remuait de grosses pierres qu'il transportait dans ses bras vigoureux. Le soir tombé, les terrassiers du Christ se réunissaient au¬tour d'un grand crucifix de bois et lui offraient de bon coeur les fatigues, les sueurs et les souffrances de la journée. Bientôt trois grandes croix d'une cin¬quantaine de pieds se dressèrent dans le ciel. Les statues de Notre-Dame des Douleurs, de Jean et de Madeleine se pressaient près du Crucifié.

Un croix insoupçonnée

La nouvelle de la prochaine inauguration du Calvaire géant se répandit au loin et couvrit^ les routes de pèlerins. Le Père de Montfort avait réglé tous les détails de la cérémonie, la plus grandiose qu'il eût jamais conduite. La veille du 14 septem¬

bre, fête de l'Exaltation de la sainte Croix, à quatre heures de l'après-midi, un prêtre arriva de l'évêché, porteur d'une mauvaise nouvelle. Défense était faite de procéder, le lendemain, à la bénédiction du Calvaire.
Quelle influence maléfique avait donc opéré dans l'ombre? Ce mystère s'éclaircit dans la suite; des envieux, attristés de la popularité du mission¬naire, avaient intrigué auprès du roi et obtenu, sous de fausses raisons, l'ordre de démolir le Calvaire et de combler les fossés. Le triomphe de l'homme de Dieu se mua en une humiliation publique. Celui qui semait les croix sur le sol de France savait les apprécier quand elles lui étaient accordées par Dieu. Il apercevait, dans l'ordre de ses supérieurs, la volonté divine et il se réjouit du déshonneur qui lui en revenait. "Je n'en suis ni aise ni fâché; le Seigneur a permis que j'aie fait ce Calvaire, il per¬met aujourd'hui qu'il soit détruit: que son saint nom soit béni ! J'aimerais mieux, ô mon Dieu, mou¬rir mille fois, s'écria-t-il en élevant les mains au ciel, que de m'opposer jamais à vos saintes volon-tes.
D'ailleurs le Calvaire de Pont-Château ne fut qu'à demi démoli; il devait plus tard se relever de ses ruines. Dieu permet que les oeuvres de ses saints soient entravées, il se réserve de récompen¬ser leur fidélité par une gloire qui s'éternise dans la mémoire des hommes.

L'auréole de la sainteté
En 1711 déjà le Père avait été ravi en extase, un matin qu'il disait sa messe au grand séminaire de Luçon. La consécration opérée, il demeurait im¬mobile, les mains jointes. Le servant patienta une bonne demi-heure, puis descendit au réfectoire où son déjeuner froidissait.
-Est-ce que M. de Montfort vient seulement de terminer sa messe? demanda le Supérieur.

-Il est loin d'avoir terminé. Il y a plus d'une demi-heure qu'il a consacré, et depuis ce moment je ne sais s'il est vivant ou mort.

On dut en effet tirer le célébrant par sa cha¬suble pour le faire revenir à lui et achever sa mes¬se.

Quatre années plus tard, il était à prêcher sur la sainte Vierge quand son visage se transfigura. Au grand étonnement des auditeurs, les rayons qui émanaient de sa figure les empêchaient de le voir.
En combien d'occasions le Père laissa voir qu'il lisait dans l'avenir. Il prédisait le prompt retour à la santé à un malade, prévenait un autre de sa fin prochaine. Ses yeux perçaient même le secret des consciences.
Un usurier qui refusait de brûler ses contrats iniques s'attira cette terrible prédiction: "Vous êtes, vous et votre femme, attachés aux biens de la terre; vous méprisez ceux du ciel. En bien! vos en¬fants ne réussiront point et vous tomberez dans la misère. Vous n'aurez même pas de quoi payer vo¬tre enterrement. - Oh! répliqua la femme, il nous restera bien au moins trente sous pour le son des cloches. - Moi, je vous dis que les cloches ne sonne¬ront point à vos funérailles." Les époux Tangaran traînèrent leurs vieux jours dans l'indigence; ils moururent le jeudi saint, à quelques années d'in¬tervalle et furent enterrés le lendemain sans sonne¬rie de cloches, vu que la liturgie le défend durant les jours saints.

L'apôtre de l'avenir
Le Père de Montfort s'est accordé un congé de quelques mois, à l'été de 1712. Il habite une mai-sonnette que de bonnes gens ont mise à sa disposi-tion.
Un soldat de sa trempe ne supporte pas long-temps l'inaction; il a déposé pour un temps le glai¬ve de la parole, rien ne s'oppose à ce qu'il brandisse la plume. Sa pensée, éclairée de Dieu, voyage à travers les siècles et prévoit les luttes qui attendent l'Eglise. Il entend le bruit de la bataille engagée entre le bien et le mal, il aperçoit la sainte Vierge qui mène le combat et triomphe de l'enfer. 11 se jet¬te à l'avance dans la mêlée en fournissant aux sol¬dats de la Généralissime une arme redoutable, ir¬résistible, sa parfaite dévotion à la Reine des coeurs. C'est pour ces temps reculés qu'il écrit, à ces héros des derniers temps qu'il s'adresse. Il sait que son Traité de la vraie dévotion à la sainte Vier¬ge brillera comme un phare en ces temps périlleux, qu'il recrutera un grand escadron de braves et vail¬lants soldats de Jésus et de Marie.
La rédaction de son Traité ne le retint pas long¬temps à la maison. Ses fatigues oubliées, il ne peut résister davantage aux pressantes invitations qui le rappellent dans la chaire de vérité. Il reprend donc, à l'automne son ministère errant.

Le fondateur
Le Père avait présumé de ses forces plus qu'el¬les ne le permettaient. Cette lampe allumée mena¬çait de s'éteindre pour de bon. Le malade comprit l'avertissement du ciel. Le problème de l'avenir se posait maintenant d'une façon aiguë: lui disparu, qui continuerait sa mission de prédicateur et d'a¬pôtre de la sainte Vierge?
De son coeur angoissé montent, comme d'un volcan en'éruption, les flammes de sa prière em¬


brasée pour demander à Dieu des missionnaires de sa Compagnie de Marie. 11 veut des prêtres enivrés comme lui de pauvreté et de labeurs, qui s'appuient uniquement sur la croix du Christ. Il attend de vrais serviteurs de la sainte Vierge qui combattent sous sa bannière, la fronde du saint Rosaire dans les mains. Ils hériteront de son esprit missionnaire et mariai, de son amour des âmes, de son immense dé¬votion à Marie.

Où trouvera-t-il ces géants, qu'il grandit aux proportions de ses rêves magnifiques, ces nouveaux David qui terrasseront les ennemis de Dieu avec le bâton de la croix et la fronde du Rosaire? Confiant en l'assistance du ciel et la protection de sa Mère céleste, il prend le chemin de Paris, il se dirige vers le séminaire du Saint-Esprit où l'attend un ami d'enfance, le seul qui lui soit resté fidèle, M. Poul-lard des Places.

Une surprise l'attendait à son arrivée: son ami est décédé depuis cinq ans déjà. M. Bouic, qui lui a succédé, accueille le visiteur avec le plus grand respect. Il approuve ses projets, et s'engage à les favoriser de son mieux en lui préparant des sujets. Le Père de Montfort fut invité à donner quelques conférences aux élèves du séminaire; il leur expo¬sa le but et l'esprit de sa Congrégation. Il n'en fal¬lait pas tant pour enthousiasmer son jeune auditoi¬re. De fait, quatre d'entre eux devaient entrer dans la Compagnie de Marie.

Son projet de fondation prévoit des Frères laï-ques qui prêtent leur concours aux Pères et les dé-chargent du temporel. Il avait lui-même bénéficié longtemps de l'aide du Frère Mathurin; il savait quels auxiliaires précieux les Pères trouveraient dans ces Frères coadjuteurs.

Au service de l'enfance et des pauvres
Le Père de Montfort ne s'attarda pas à Paris. Il avait hâte de revoir Poitiers où il avait laissé la semence d'une nouvelle Congrégation de Religieu¬ses. L'histoire troublée de ses premières années de prêtrise lui revenait à la mémoire. Il revoyait cet¬te jeune fille à laquelle il avait dit sans hésitation: "Ce n'est pas votre soeur qui vous a adressée à moi, c'est la sainte Vierge." Que de difficultés il avait dû surmonter pour remettre un peu d'ordre dans l'hôpital ! Il avait ensuite introduit sa dirigée, Ma¬rie-Louise Trichet, dans la maison et l'avait laissée là comme la pierre d'attente d'une construction à venir.

Comment avait germé cette idée d'une Con-grégation religieuse vouée au soin des malades et des pauvres? Par la seule force des choses et de sa charité. Le Père avait constaté de ses propres yeux qu'un personnel laïque et bénévole ne suffisait pas à assurer le bien-être des malades et des pauvres. Sa dirigée désirait une vocation de dévouement et de charité; il l'avait orientée vers l'hôpital. Elle avait quitté une vie facile et un avenir brillant pour soigner les malades et nourrir les affamés. Le 2 février 1703, elle revêtait l'habit de drap gris et prenait le nom de Marie-Louise de Jésus. Elle fut, pendant neuf ans, la seule religieuse de son insti¬tut, une compagne qui l'avait suivie à l'hôpital de Poitiers ne devait prendre l'habit qu'en 1714, sous le nom, de Soeur de la Conception.
Le Père de Montfort ne trouva d'amis dans la ville où il avait si courageusement travaillé au bien des âmes et des indigents; les jansénistes, ses en¬nemis acharnés, prévinrent aussitôt l'Evêque de son arrivée et obtinrent un ordre de départ dans les vingt-quatre heures.
Puisque les hérétiques le chassaient du pays, le Père s'en retourna dans le diocèse de La Rochelle où il se trouvait à l'abri des persécutions.
L'instruction publique n'existait pas encore; une grande partie de la jeunesse croupissait dans une regrettable ignorance. Le missionnaire était maintes fois venu au secours de l'enfance; au cours de ses missions, il choisissait un maître d'école qu'il formait de son mieux à cette fonction.
Maintenant qu'il habite La Rochelle, il décide d'y ouvrir des écoles gratuites. Les garçons sont dé¬jà pourvus d'un local et de professeurs laïques; les filles attendent toujours leurs maîtresses. Le Père de Montfort leur a justement destiné les deux reli¬gieuses qu'il a laissées à Poitiers. Les deux institu¬trices se mirent vaillamment à leur nouvelle tâche. Des jeunes filles s'offrent à les aider; certaines de¬mandaient leur admission dans la communauté. Dieu bénissait visiblement l'oeuvre naissante et l'avenir s'annonçait prometteur.
Par un chemin long et tortueux, le Père de Montfort avait mené à bon terme le rêve de sa jeu¬nesse: donner aux pauvres, aux malades, aux en¬fants, des infirmières et des maîtresses vertueuses et compétentes.

La mission inachevée...

Une grande animation régnait dans le village de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Depuis quelques jours l'église ne désemplissait pas. Le bruit ne courait-il pas que le prédicateur de la retraite était un vrai saint? On racontait encore que la sainte Vierge lui apparaissait souvent; à Fontenay, un enfant de choeur avait aperçu le missionnaire en conversa¬tion avec une belle Dame qui flottait dans l'air.
La retraite battait son plein, quand Mgr de Champflour, évêque de La Rochelle, annonça sa vi¬site prochaine. La joie du Père de Montfort fut grande de préparer le peuple à la venue de son Pas¬teur; il lui avait, personnellement, tant de recon¬naissance. Comme un bon père, il avait recueilli le missionnaire éconduit de partout, il lui avait accor¬dé sa protection et sa confiance. Aussi voulut-il ne rien épargner pour assurer le succès de sa visite

pastorale. Cantiques, décorations, processions, le missionnaire vit à tout. Il n'oublia qu'une chose: le délabrement progressif de sa santé. Après la messe pontificale, il dut se mettre au lit. Son in¬domptable énergie lui permit de se relever une der¬nière fois, dans l'après-midi et de prêcher en pré¬sence du prélat. La fièvre qui brûlait son corps n'é¬tait que glace comparée à l'incendie de charité qui dévorait son coeur. Sa voix fléchissait notable¬ment, une vive douleur lui tenaillait le dos. Le chant du cygne prit fin.

Couché sur la paille, le Père de Montfort at¬tendit le passage de la mort. Il voulut mourir com¬me un esclave de Jésus et de Marie, avec de petites chaînes de fer aux pieds, au bras et au cou. Il prit dans sa main droite le crucifix indulgencié par le Souverain Pontife, et dans sa gauche l'image de Marie qu'il avait toujours sur lui. Il expira avec beaucoup de tranquillité et de paix. C'était le 28 avril 1716. Il tombait sur le champ de bataille, en pleine mission, comme un bon soldat du Christ et de sa Mère.


La mission continue
En réalité, ce flambeau n'était pas complète¬ment éteint; il avait transmis sa flamme à deux Congrégations naissantes qui devaient la conser¬ver à l'Eglise. Le Père de Montfort a survécu à l'ou¬bli et à la mort. Il a légué à ses enfants spirituels son zèle et sa dévotion à la sainte Vierge. Par leur entremise, il prêche toujours la mission au peuple chrétien, il prend soin des pauvres, des malades et enseigne la vérité religieuse aux enfants.

Imprimerie du Bien Public, Trois-Rivières, Canada

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