Besnard 01 pp 1-76 - Archive

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Besnard 01 pp 1-76

Life > Besnard
DOCUMENTS ET RECHERCHES
IV
Charles BESNARD
 
 
VIE DE
M. LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT
 
 
 
 
CENTRE INTERNATIONAL MONTFORTAIN
00135 - Roma Viale dei Monfortani, 41
 
1 9 8 1

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Pro manuscripto -
Cum permissu Superiorum
Présentation des textes :
Marcel Gendrot, s. m. m.
 
A V A N T - P R 0 P 0 S
 
 
 
 
L'ouvrage, dont voici la première édition, nous est parvenu dans un manuscrit deux fois anonyme. Le frontispice, qui annonce le titre, ne mentionne pas le nom de l'auteur. Celui qui, pour rendre service à l'auteur, a transcrit les pages originales, ne s'identifie pas lui-même. Pourtant, les deux anonymats peuvent être levés, au moins en partie.
 
En effet, le nom de l'auteur, grâce à certains détails exprimés dans le texte même et grâce à une tradition jamais contredite, ne fait pas de doute. Il s'agit du Père Charles Besnard, supérieur général, après les Pères Mulot et Audubon, des missionnaires de la Compagnie de Marie et des Filles de la Sagesse. Voir les témoignages personnels donnés par exemple, p. 160, 261 ...
 
Pour ce qui est du copiste, voici quelques indications qui peuvent mettre sur des pistes intéressantes :
 
Les archives de la Sagesse conservent précieusement :
 
1.    Le manuscrit de la "vie de Marie-Louise de Jésus", par Charles Besnard.
2.    Une copie de ce manuscrit dont s'est servi le Chanoine Allaire pour publier un "Abrégé de la vie et des vertus de la sœur Marie-Louise de Jésus. Poitiers 1768".
3.    Une copie du manuscrit de la "vie de Louis-Marie Grignion de Montfort".
 
Le P. Pierre H. Eijckeler, qui a longuement compulsé les documents concernant nos congrégations, a laissé une note d'archive sur les deux copies mentionnées ci-dessus :
 
«Il faut remarquer,
écrit-il, que l'écriture des deux copies est de la même main, mais malgré une étude comparative de cette écriture avec celle d'un assez grand nombre de montfortains vivant à l'époque et d'un certain nombre de personnages qui étaient en relation avec eux, comme justement le chanoine Allaire, nous n'avons pu identifier le copiste.
Par ailleurs, il faut constater une grande divergence entre la copie de la "vie de Marie-Louise" et la copie de la "vie de Montfort". Pour le premier ouvrage, le copiste ne s'est permis qu'un nombre très réduit de corrections. Mais le copiste du manuscrit Besnard de la "vie de Montfort" se permet des corrections nombreuses et des retouches pour lesquelles il a consulté l'auteur.
Les deux biographies émanent du même auteur, mais celui-ci fait remarquer que certains faits ont été traités plus amplement dans l'autre ouvrage qui, par les sujets quels traitent, étaient nécessairement corrélatifs. Mais ici il faut relever deux détails significatifs. Si l'auteur travaille dans le même temps aux deux ouvrages, on doit admettre que la "vie de Marie-Louise" était terminée plus tôt, puisque Allaire peut la reproduire déjà en 1768 et que Besnard affirme qu'il travaillait encore à la "vie de Montfort" en 1770 ... »
 
Le lecteur averti pourra faire une comparaison personnelle des écritures dans les fac-similés publiés au début du texte de Besnard.
 
Qui est Charles Besnard ?
 
Charles Besnard est né à Rennes, paroisse Saint-Germain, en août 1717. Elève du séminaire du Saint-Esprit à Paris, il se joignit aux missionnaires en 1743 et participa aux missions pour la première fois à Saint-Jean de Courcoué : 8 septembres octobre 1743. Sous les généralats des Pères Mulot et Audubon, il prit part à une soixantaine de missions.
 
Le 9 décembre 1755, le P. Besnard, aumônier à l'hôpital Saint-Louis de La Rochelle, vient rendre visite aux missionnaires qui donnent la mission au Poiré. Il est surpris de trouver le P. Audubon, supérieur général, gravement malade. Le P. Audubon meurt le 15 décembre. Nous savons les détails de la maladie et de la mort par une lettre que le P. Besnard écrit au P. Croissant, en date du 16 décembre 1755 : cf. Chroniques de Sr Florence, p. 38, n. 35. Dans cette lettre -dont les archives générales smm., à Rome, conservent une copie - l'auteur marque que le mourant avait désigné le P. Besnard pour lui succéder. Un peu plus tard, les missionnaires réunis en chapitre confirmèrent le choix fait par le supérieur mourant. Le P. Besnard avait alors 38 ans.
 
Malgré les tâches absorbantes de son supériorat, il continua de participer à un certain nombre de missions et écrivit la vie des fondateurs, le Père de Montfort et Marie-Louise de Jésus.
 
Charles Besnard mourut, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, le 22 avril 1788.
 
Besnard biographe
 
Charles Besnard, 3ème successeur de Louis-Marie Grignion de Montfort, était un grand admirateur du fondateur. Il en avait entendu parler au séminaire du Saint-Esprit et il savait que la seule biographie existant jusqu'alors, celle du sulpicien, Joseph Grandet, laissait à désirer. Le contact direct avec les personnes qui avaient bien connu M. Grignion, notamment le Fr. Mathurin, Sr Marie-Louise de Jésus et les premières Filles de la Sagesse..., le mettait dans une situation unique pour l'information. Il ramassa donc les matériaux nécessaires pour une nouvelle biographie, à laquelle il travaillait encore en 1770 (cf. p. 199).
On peut dire que son texte satisfait aux conditions fondamentales de toute biographie : information sérieuse, respect des faits, interprétation honnête.
 
Dans son "Avertissement", l'auteur cite ses sources et prouve son dessein de faire œuvre sérieuse. Le travail terminé, il en reprend la lecture, ligne par ligne, le chargeant de corrections, destinées non seulement à améliorer le style, mais surtout à préciser, çà et là, tel ou tel fait.
 
Il est intéressant également de noter que les biographes successifs n'ont eu à signaler que de rares erreurs dans sa Vie, connue, bien qu'inédite, grâce à de multiples copies faites au siècle dernier : erreurs dues non pas à des négligences, mais à des renseignements fautifs retenus, de bonne foi, comme exacts.
 
L'auteur pourra donc affirmer : «Je n'ai rien à me reprocher pour l'exactitude... » (p. 5)
 
Ces aspects positifs ne cachent pas les limites du texte de Besnard.
 
On peut reprocher à Besnard ce que l'on reproche aux hagiographes de son temps : il écrit pour édifier. Un saint personnage est avant tout une œuvre exceptionnelle de Dieu... D'où, une certaine tendance à pousser certains faits ou à les mettre dans un éclairage qui va moins aux hagiographes de notre temps...
 
C'est sans doute dans cette perspective qu'il faut comprendre certains silences (on laisse dans l'ombre tel ou tel fait qui pourrait ne pas être compris) ou certaines explications forcées.
 
Un exemple : les singularités de M. Grignion. Elles étaient de notoriété publique. L'auteur s'y arrête longuement dans l'«Avertissement». Ce qui surprend, c'est qu'il considère, à un moment donné, ces singularités comme voulues, recherchées - du moins exploitées - par M. Grignion lui-même pour attirer l'attention des populations. Il les aurait même en partie inventées comme un moyen d'apostolat. C'est aller bien loin, là où il s'agit sans doute, non pas d'actes du ministère proprement dit - tels certains spectacles qui frappaient l'auditoire - mais de choses relevant simplement de son physique ou de ses manières. Le besoin de présenter son personnage, non seulement sans fautes, mais même sans particularités physiques ou manières particulières, pousse Besnard à forcer la note. Vu le sens de "grandeur" qui, avec Louis XIV, était devenu une sorte de mystique, il arrivait aussi aux écrivains ecclésiastiques d'en colorer leurs héros. Besnard était également un enfant de son temps, un peu ingénu, mais si plein de foi.
 
Il y a aussi, dans la dernière partie du texte de Besnard (qui sera publié dans le deuxième volume), la question de la Règle. Besnard parle de Montfort, fondateur, dotant la Compagnie d'une Règle adaptée à son rôle missionnaire. Au lieu de citer la Règle primitive il cite une nouvelle Règle, qu'il a composée lui-même, - vague décalque de la Règle de Montfort, - sans doute dans l'espoir de gagner les bonnes grâces du gouvernement et d’obtenir des Lettres Patentes pour la Compagnie de Marie...
 
Il y a ici, pour nos historiens, belle matière à recherches complémentaires...
 
Pourquoi cette publication de Besnard aujourd'hui ?
 
Le manuscrit de Besnard fut rédigé vers 1770, mais il resta inédit. Quinze ans plus tard, en 1 785, le P. J. Picot de Clorivière, recteur de Paramé publiait La Vie de M. Louis-Marie Grignion de Montfort, missionnaire apostolique, instituteur des missionnaires du Saint-Esprit et des Filles de la Sagesse.
 
Ce n'était qu'une refonte, avec très peu d'additions, du travail de Besnard.
 
Sans doute conscient de ses limites littéraires, le P. Besnard avait-il préféré mettre la publication sous le nom d'un homme bien connu, le P. J. Picot de Clorivière (le même qui, en 1814, sera chargé de réorganiser la province de France de la Compagnie de Jésus).
 
Le manuscrit de Besnard ne fut donc jamais livré au public : la publication de Clorivière le remplaçait fort bien.
Alors, pourquoi sortir maintenant des archives le texte primitif ?
Il y a d'abord le fait que la vie publiée par Clorivière est, de nos jours, introuvable, en dehors de quelques bibliothèques privilégiées.
 
Il y a aussi le besoin, plus ressenti aujourd'hui qu'hier, de retour aux sources. On s'apercevra qu'une œuvre, restée en son état primitif, ne présente pas moins d'intérêt que sa publication dans un style plus soigné. Au temps de Besnard, le souvenir de Montfort nourrissait encore la piété de plusieurs paroisses et régions de l'ouest de la France. On sent que l'auteur parle à des gens qui ont connu M. Grignion ou en ont entendu parler.
 
Comment se présente le manuscrit de Besnard ?
 
Le texte a été écrit sur une série de cahiers qui ont été réunis et reliés dans un volume qui se présente actuellement sous les dimensions suivantes
 
                          hauteur    25 cm 7
                          largeur      20 cm 5
                          épaisseur    3 cm 5
 
Soit un total de 213 feuilles, plus quelques-unes rapportées : 420 pages écrites et quelques feuilles blanches.
 
En général, le manuscrit est assez lisible. Mais le nombre des corrections est considérable : quelques-unes sont importantes, plusieurs sont des détails qui n'ont d'intérêt que pour les spécialistes.
 
Voici ce qu'en écrit le P. Eijckeler, précédemment cité :
 
«Les corrections sont de diverses sortes. Il y en a que le copiste a fait au courant de la rédaction et qui ont trait au style ou à
la construction de la phrase. A une autre sorte de corrections appartiennent les textes écrits plus tard d'une encre visiblement plus noire et qui s'étendent parfois sur des pages entières ajoutées après coup, Il y a aussi les corrections dues à l'intervention de l'auteur...
Il y a parfois des corrections qu'on regrette. N'en signalons une seule. A la page 11, première pagination, première page du premier livre de la "Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort", Besnard avait écrit en parlant de la famille du saint
 
«Celui dont nous parlons fut l'aîné de dix-huit».
 
Ce chiffre répondait à la réalité. Mais dans la copie on a écrit au-dessus de dix-huit, de façon à peine lisible, un «huit» qui répondait mieux à la tradition établie par Grandet qui avait écrit de Louis Grignion
 
«Il était l'aîné de deux frères et six sœurs
... » (Grandet p. 2)
A nouveau le P. Eijckeler écrit :
«En haut de la première page du premier cahier une main indiscrète a écrit, d'une encre moderne, cette indication : 1 ère partie. Cette soi-disant "première partie" comprend 58 pages en deux cahiers, et ne comportait pas de numérotage, qui a été ajouté plus tard. Au commencement du troisième cahier nous trouvons l'indication IIe partie et alors le numérotage des pages recommence au chiffre 1, et continue jusqu'au chiffre 362. En réalité tout l'ouvrage compte donc 58 + 362 = 420 pages écrites. Après la page 205, le copiste a, par distraction, tourné deux feuilles, ce qui donne à cet endroit deux pages sans texte. Par contre, il a introduit avant les pages 73 et 79 deux pages supplémentaires pour y écrire des textes remplaçant d'autres supprimé&..»
 
Quelques remarques sur l'édition 1981
 
Les textes de la présente édition ont été soigneusement revus sur le manuscrit : les quelques cas où l'on hésite sur la lecture ont été signalés en note. Mis à part quelques détails d'orthographe et de ponctuation, le texte a été scrupuleusement respecté, même dans les formes de style moins correctes actuellement.
 
Pour faciliter la lecture et les références ultérieures, on a ajouté des titres et des numéros : le manuscrit ne comporte ni les uns ni les autres.
 
Quant à la pagination du manuscrit nous avons cru bon de l'indiquer, bien qu'elle soit parfois déroutante.
 
Les notes sont ordinairement des corrections de textes. Quelques-unes paraîtront minimes ; on aurait pu se dispenser de les indiquer. Mais, le but de la présente édition étant de fournir aux chercheurs un texte authentique, on a préféré indiquer les ajoutes, hésitations, rectifications, suppressions... Les spécialistes y retrouveront ici ou là des indications précieuses pour un travail ultérieur d'interprétation historique.
 
Il n'a pas été possible de publier en un seul volume les 700 pages de texte imprimé. Mais la numérotation suivie des titres et la double pagination du deuxième volume faciliteront les références. Les tables principales seront à la fin du deuxième volume.
 
Merci
 
Oui, merci à ceux qui vont continuer le travail. Et merci à tous ceux qui l'ont mis en route, notamment notre secrétariat général de Rome.
Merci au P. Joseph Frissen qui, depuis des années, fouille les archives montfortaines et apporte à l'histoire de nos congrégations une précieuse collaboration. Merci au P. Henri Derrien qui lui a prêté main forte pour la lecture des textes et l'établissement des notes de cette édition.
 
Merci au P. Eugenio Falsina pour avoir établi une concordance entre Grandet, Blain et Besnard dont bénéficiera le deuxième volume et qui pourra aussi constituer un volume à part de notre collection "Documents et recherches".
 
Merci à nos sœurs Anne-Marie du Saint-Esprit, Marie-Thérèse du Sacré-Cœur, Thérèse de la Croix, pour les heures passées - en plus de leur travail de routine - devant l'IBM compositrice... et à Sr Bernardetta della Immacolata pour la mise au point de l'index final.
 
Merci à nos frères de St-Gabriel pour leur fraternelle participation dans l'impression des volumes.
 
Merci à chacun d'avoir apporté sa modeste collaboration qui a permis de réaliser, dans de bonnes conditions, cette simple édition de famille,
 
Rome, ce 8 décembre 1981
 
Marcel Gendrot,
S. M. M.
 

PREMIERE PARTIE
 
1er Cayer
 
OFFRANDE A JESUS-CHRIST
 
Le souverain prêtre et le pasteur[1] des âmes
 
 
 
 
/1/ A quel autre qu'à vous, ô mon Jésus, puis-je dédier la vie d'un saint prêtre et d'un zélé missionnaire ? Vous êtes tout à la fois et le prêtre éternel et le céleste missionnaire que votre divin Père a envoyé du ciel en terre pour procurer sa gloire et pour convertir les pêcheurs. Mais si votre élection, votre vocation et votre mission ont été le principe de celles de tous les bons prêtres et de tous les missionnaires apostoliques, elles en sont aussi le modèle[2]. Comme vous, ils ont été choisis de toute éternité pour travailler à la gloire; de Dieu, ainsi que votre Esprit l'a dit par un de vos prophètes : «in gloriam meam creavi eum» (Isa. 43, vv. 7). «Je l'ai créé pour ma gloire»
 
Ils ont été appelés comme vous au sacerdoce ; ils offrent avec vous et par vous le sacrifice adorable de votre corps et de votre sang ; comme vous, ils sont envoyés pour travailler à sauver[3] les âmes. Ils sont vos lieutenants, -vos vicaires, vos coadjuteurs dans l'œuvre du salut, et la mission qu'ils ont reçue de vous est celle que vous avez reçue de votre Père, ainsi que vous le dites vous-même : «Sicut misit me Pater, et ego mitto vos» (Joan. 20, vv. 21). «Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie»
U prêtre, mon Jésus, dont je vais écrire la vie, en vous consacrant mon ouvrage[4], a paru avoir cette mission divine qui présage la sainteté d'un fidèle ministre, et qui assure les succès de son ministère. Rien d'humain ne décida sa vocation ; il n'ambitionna pas l'honneur du sacerdoce ; il en redouta le fardeau, mais il se sentit appelé comme Aaron, et le premier sacrifice qu'd vous offrit fut celui de son obéissance. Le même esprit qui l'avait introduit dans le sanctuaire le dirigea dans ses travaux évangéliques. Il ne les[5] entreprit qu'avec la plus parfaite soumission aux ordres des premiers pasteurs de votre Eglise, et pour mieux assurer sa vocation ü voulut être envoyé par celui[6] qui vous représente vous-même et que vous avez établi pour être seul votre vicaire en terre.
 
Les grâces et les bénédictions que vous avez répandues sur les entreprises de son zèle prouvent assez que vous en avez été le principe et la fin, et les vertus qu'ü a pratiquées font voir également que votre vie fut toujours le modèle de la sienne. Humilié, calomnié, persécuté, ü eut avec vous des traits de ressemblance qui firent son mérite et sa gloire, vraiment digne d'être /2/ proposé à limitation de ceux que votre grâce fait entrer dans la même carrière. Daignez, ô mon divin Sauveur, en augmenter le nombre ; répandez parmi vos ministres l'esprit de zèle, l'esprit apostolique dont votre serviteur leur a donné l'exemple. «Que ses os prophétisent encore après sa mort !» (Eccli. 49, vv. 10).*
Le texte porte : Eccli. 49, vv. 18
Que du fond de son tombeau, une voix se fasse entendre pour inviter[7] de nombreux ouvriers à travailler à votre vigne et que de sa cendre même il sorte des étincelles de ce feu sacré dont il fut si vivement embrasé et qu'il eût souhaité pouvoir allumer par toute la terre.
 
C'est la grâce que vous demande celui qui entreprend avec votre secours, ô Sagesse Eternelle, d'écrire l'histoire d'une vie si édifiante[8], et de donner à sa plume cette célérité, dont parle le prophète, pour satisfaire plutôt au pieux désir de tant de saints ecclésiastiques qui la demandent avec empressement, et qui ne souhaitent[9] rien plus ardemment que d'en faire la règle de leur conduite.
 
 
Ainsi soit-il.
 

AVERTISSEMENT
 
 
 
/3/ Quelques fruits de piété qu'ait produit la première vie imprimée de M. de Montfort, il était nécessaire de donner celle-ci au public[10]. Le pieux auteur, trop précipité dans son ouvrage et mal servi dans ses[11] mémoires, a omis bien des faits et en a mal rendu un plus grand nombre encore. Mon dessein n'est pas de relever ses méprises et ses anachronismes, je ne veux que suppléer à ses omissions, raconter les évènements dans l'ordre où ils doivent être placés, et donner enfin une vie exacte et complète de Monsieur Louis-Marie Grignion de Montfort.
 
1 -
Raisons personnelles de l'auteur d'écrire cette vie
 
J'ai entrepris ce travail avec d'autant plus de satisfaction que j'ai toujours eu une vénération profonde pour ce grand serviteur de Dieu, étant né dans une ville où sa mémoire était encore toute récente lorsque j'y vins au monde, ayant souvent eu son nom à la bouche dès ma plus tendre jeunesse, où je bégayais un cantique composé à sa gloire et d'autres que lui-même a composés sur les plus grandes vérités ; lui étant même en quelque sorte redevable d'avoir été appelé à l'œuvre des missions, auxquelles je formai le dessein de me consacrer après avoir lu sa vie, lorsque je n'étais encore que dans les ordres inférieurs.
 
2 - Garanties d'exactitude
 
J'ai pris toutes les connaissances nécessaires pour ne rien omettre dans une vie où tout m'a paru intéressant, et je me suis attaché aux mémoires les plus sûrs pour ne rien dire que de vrai. Je me suis même transporté dans presque tous les endroits où le saint missionnaire a exercé son zèle et j'ai parlé à plusieurs personnes qui avaient assisté à ses missions. J'ai profité de tous les écrits qu'ont laissés ceux à qui une triste révolution et la mort elle-même n'ont pas permis de continuer l'ouvrage. Je n'ai rien à me reprocher pour l'exactitude, mais j'ai tout lieu de craindre que mon livre ne partage le sort de celui à la mémoire de qui je le consacre.
 
3 - La difficulté du sujet
 
J'y représente un homme que les esprits les moins prévenus accusèrent souvent d'indiscrétion et de singularité ; qu'un peuple stupide et malin traita de sorcier /4/ de possédé, d'antéchrist ; que des impies firent passer pour un fourbe et un imposteur, et à qui les faux sages du siècle crurent faire grâce de ne le regarder que comme un extravagant et un fou. La sincérité même que je mettrai dans les récits[12] doit y faire entrevoir l'homme extraordinaire, et quelquefois l'homme inspiré, et peut-être me reprochera-t-on de n'avoir pas assez voilé ce qu'il plaira d'appeler les défauts du tableau. Il est vrai, les fidèles verront avec édification un prêtre, qui s'est dévoué au salut des âmes, retracer de nos jours le genre de vie des Apôtres, faire tous ses voyages à pied, sans argent, sans crédit, sans secours, obligé de coucher dans des granges, dans des étables, sous les vestibules des églises, mort à tous les sentiments de la nature jusqu'à se priver de loger et de manger (chez) ses parents, de les visiter, même lorsqu'il est dans le lieu de sa naissance, avide d'humiliations, de croix, de souffrances, recherchant la compagnie des pauvres, vivant avec eux, et presque comme l'un d'eux. Mais que penseront, je ne dis plus[13] les faux sages du siècle, mais ceux même qui prétendent ne point s'écarter de la prudence évangélique, lorsqu'ils verront un prêtre se donner en spectacle par une suite d'actions où ils ont de la peine à la reconnaître : un ecclésiastique élevé dans les séminaires les plus distingués, se mettre à parcourir de vastes diocèses sans autre guide que son zèle, sans autre plan de conduite que celui qu'il paraît s'être[14] formé lui-même, marcher la tête nue pendant les hivers, dans les temps de pluie et les plus grandes chaleurs de l'été, avoir toujours un chapelet à sa ceinture, porter dans ses voyages un crucifix au bout de son bâton, entrer dans les maisons sans se faire annoncer, s'y mettre à genoux et réciter une oraison avant de parler à personne, prendre les fardeaux des pauvres qu'il trouve sur son chemin et les mettre[15] sur ses épaules pour les en décharger, engager des prêtres à le suivre sans savoir où ils iront coucher la première nuit, ni où ils prendront le lendemain le premier repas. Quelle idée se formeront-ils surtout[16] de ce nouveau missionnaire, lorsqu'ils verront plusieurs grands évêques, qui l'avaient appelé dans leurs diocèses, l'obliger d'en sortir, et /5/ d'autres refuser de le recevoir sur ce qu'ils en avaient appris.
 
4 - L'auteur entend prouver que la conduite de M.
Grignion n'est pas contraire à l'esprit de sagesse.
 
On voit bien que mon dessein n'est pas de passer légèrement sur des actions qui paraissent d'abord plus admirables qu'imitables. Mais ce n'est pas assez : j'entreprends de prouver, premièrement qu'elles n'ont rien de contraire à l'esprit de sagesse que l'on s'attend de[17] trouver dans la conduite[18] des serviteurs de Dieu, secondement qu'elles convenaient même aux pieux desseins de celui dont je donne la vie.
 
Et d'abord, ils avaient sans doute l'esprit de sagesse ces prophètes que Dieu avait remplis de son esprit pour déclarer[19] aux peuples ses volontés, les effrayer par les menaces et les faire rentrer dans les voies du salut. Cependant, par combien de mystérieuses singularités n'annonçaient-ils pas leur mission ? On a besoin, en les lisant, de se rappeler à tout moment que c'est par l'ordre de Dieu qu'ils agissent[20]. Tous ceux à qui Dieu communiquait le don de prophétie étaient des hommes extraordinaires, et ils ne le paraissaient jamais davantage que lorsque l'Esprit de Dieu se saisissait d'eux, selon l'expression de l'Ecriture : «et insiluit super eum spiritus Domini» (1 Sam. X, 10)
[Le manuscrit porte: (1 Reg. 10 vv. 10)].
 
Mais combien le témoignage du monde, en fait de sagesse, n'est-il pas récusable depuis que le chef-d'œuvre de la sagesse de Dieu, je veux dire le mystère de la Croix, lui a paru une folie et qu'ü a traité comme un fou le Fils de Dieu lui-même, la Sagesse incarnée. Il est hors de son bon sens, disaient les parents de Jésus-Christ à l'occasion des œuvres miraculeuses qui prouvaient si clairement sa divinité (Joan. X, 20).
Le silence qu'il garda à la cour d'Hérode était le reproche le plus sage de l'incrédulité de ce roi impie et le châtiment le plus convenable de son indiscrète curiosité. Cependant, ce que nous admirons aujourd'hui le fit traiter comme un esprit faible et un imbécile (Luc 23, 11). Les disciples en mille occasions n'ont pas été traités différemment du Maître. Le gouverneur [21] Festus disait à saint Paul que trop d'étude lui avait fait tourner la tête (Actes 26, 24). Et si dans l'Aréopage, cette assemblée si sage, si éclairée, /6/ quelques-uns l'écoutèrent avec applaudissement, d'autres[22] firent de son discours l'objet de leur risée (Actes 17, 32). La vie des premiers chrétiens, que paraissait-elle aux philosophes et à ceux des païens qui[23] dans ce qui ne concernait point le culte des idoles, vivaient le plus conformément aux lumières de la raison et aux principes de la loi naturelle ? Parmi les chrétiens eux-mêmes, que pensaient plusieurs en voyant un homme passer sa vie debout sur une colonne, ou enveloppé d'une cuirasse de fer dont le poids seul était un supplice ?
 
Il faudrait suivre toute la légende si l'on voulait rappeler[24] tous les saints qui ont fait des choses qui paraissaient peu conformes à la droite raison ; et ce que l'on a dit de saint François de Sales, qu'il était singulier en cela-même qu'il n'eut jamais aucune singularité, est une preuve qu'il y a eu peu de héros chrétiens à qui l'on n'ait reproché une conduite extraordinaire. Saint Simon[25] Salus passa toute sa vie pour un insensé saint Philippe de Néry, saint Félix de Cantalice, saint Ignace de Loyola ont fait des actions[26] que l'on a cru ne pouvoir justifier qu'en les nommant des excès de dévotion. Saint Jean de Dieu fut renfermé, comme un de ceux que l'on[27] confie aux religieux de son Institut pour les dérober aux yeux du public ou pour ne pas révéler le secret des familles.
 
Parmi ceux en qui repose particulièrement l'esprit de sagesse, parce qu'ils ont reçu la plénitude du sacerdoce, on en a vu à qui il échappait des traits auxquels on avait peine à reconnaître des hommes bien sensés. Saint Martin, au rapport de Sulpice Sévère, passait[28] dans l'esprit de plusieurs pour être dérangé, parce qu'il avait presque toujours les yeux tournés en haut pour regarder le ciel.
 
Il est donc vrai qu'il y a dans la vie des saints de(s) singularités qui ne sont point contraires à la sagesse surnaturelle. Dieu a sur eux des vues qu'il ne nous est pas permis, qu'il ne nous est pas même possible[29] d'approfondir. Son Esprit souffle où il veut et comme il veut. Quelquefois il répand dans des âmes choisies une charité si vive et si ardente qu'elles ont besoin d'exhaler au dehors le feu sacré[30] qui les consume, et ces héros de l'amour divin paraissent au-dessus de l'humanité. Comment voudrait-on les /7/ assujettir à suivre des voies ordinaires ? Ils ne marchent que par la sainte impétuosité de l'Esprit qui les conduit «ubi erat impetus spiritus illuc gradiebantur» (Ez. 1, 12).
 
D'autres fois, abîmés dans leur propre néant, ils ne désirent rien tant que les humiliations et les mépris plus ils travaillent[31] pour la gloire de Dieu, plus ils craignent leur propre gloire. Ils savent que le moindre retour sur eux-mêmes pourrait être un obstacle au succès de leur ministère. Dans la crainte de rechercher l'estime des hommes, ils en viennent jusqu'à se dépouiller de tout respect humain. Pour en secouer plus sûrement le joug et n'être pas tentés d'en suivre les lois, ils se plaisent à franchir certaines bornes et à ne point s'astreindre à ce que les mondains[32] appellent décence, égards, ménagements. Instruits à l'école de l'Apôtres ils se regardent comme les balayures du monde. Attentifs à copier Jésus-Christ lui-même, ils souhaitent être, ainsi que le prophète[33] l'a dit de lui, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple.
 
5 - Conduite extraordinaire et desseins de M. Grignion
 
Ce fut[34] sur ces grandes maximes[35] d'humilité, d'abnégation, que M. de Montfort régla tout le plan de sa conduite, et si on les trouve marquées au coin de la sagesse dans la vie des autres serviteurs de Dieu, on peut dire[36] qu'elles entraient comme nécessairement dans les projets qu'il avait formés en se dévouant au ministère évangélique. Que se proposa-t-il en effet, et à quoi tendirent toutes les démarches de son zèle ? Il ne crut pas devoir se fixer à la conduite d'un troupeau particulier, ni borner ses travaux à l'enceinte d'un diocèse et d'une province[37].  
S'il[38] n'eût voulu travailler que dans la sphère où se renferme le commun des prêtres, il est à croire qu'il se    fût comporté comme[39] tant de saints ecclésiastiques qui, sous l'autorité de celui des premiers pasteurs à qui ils ont voué l'obéissance, partagent avec lui la conduite des âmes ou s'emploient aux autres fonctions auxquelles ü les destine. Mais, voulant se consacrer à un apostolat illimité dans son étendue et dans sa durée, il fallait qu'il imaginât[40] un genre de vie conforme à la fin qu'il s'était proposée, et comme il entreprenait seul le grand ouvrage que Dieu lui inspirait, il ne pouvait guère l'annoncer qu'avec une espèce de singularité, et il devait, si je puis m'exprimer ainsi, paraître un homme unique. /8/
Nous n'avons pas été dépositaire des profondes réflexions qu'il fit avant de se produire et d'entrer dans une carrière où il ne s'est jamais démenti, mais les effets semblent nous dire[41] par quel enchaînement d'idées il arrangea son pieux système et sur quels fondements il appuya l'édifice saint qu'il voulait élever. Il se transporta en esprit aux Premiers siècles de l'Eglise, ou dans les lieux où l'évangile est nouvellement annoncé.[42] Il voit un apôtre ou un missionnaire entreprendre seul de convertir des nations entières[43], parcourir de vastes contrées avec tout le dépouillement prescrit par l'évangile et sans autre ressource que les soins de la Providence, attirer la multitude plutôt par le spectacle singulier qu'il présente que par les vérités qu'il annonce ; prêcher dans les hameaux, dans les places publiques, souvent interrompu par des huées et des clameurs ; heureux quand il trouve quelques personnes simples ou quelques enfants qui l'écoutent : bafoué, insulté, manquant de tout et ne trouvant pas pour lui-même les secours qu'il exhorte à donner à ceux qui sont dans la misère et la souffrance.
 
[44]
A la suite des peines et des traverses, le nouvel émule de ces grands hommes aperçoit leurs succès. C'en est assez : il se propose la même fin, et tiendra la même conduite. Il s'attachera surtout, comme Jésus-Christ leur maître commun et leur modèle, à instruire[45] le menu peuple et à évangéliser les pauvres. Il croit même que c'est[46] en quelque sorte le seul objet de sa mission ; il ne pense donc plus[47] qu'à prendre les moyens les plus propres à annoncer avec fruit la parole de Dieu à cette portion du troupeau de Jésus-Christ trop négligée, parce qu'il est rare de trouver un zèle pur, humble et désintéressé.
 
6 - Tout près du peuple
 
C'est pour le peuple qu'd prépare ses sermons, ses conférences, qu'il compose même ses cantiques. C'est pour ne pas perdre un instant de l'attention du peuple qu'il ne dit rien qui ne soit à la portée des plus simples[48], et que souvent il dit des choses que les personnes instruites trouvent[49] peu ménagées et trop naïves, et que les libertins tournent en ridicule. C'est pour toucher plus sensiblement le peuple qu'il mêle aux exercices de ses missions de pieuses cérémonies et des spectacles de religion que ne peuvent s'empêcher d'admirer eux-mêmes qui veulent[50] y trouver à redire. /19/
 
Ce n'était pas seulement dans les fonctions publiques de son apostolat qu'il combattait les vices et qu'il exhortait à la pratique des vertus[51] ; il voulait[52] que toutes ses actions, toutes ses démarches, tous ses entretiens, son extérieur même se rapportassent à cette fin.
 
Il était donc essentiel à son projet de se livrer à des mouvements de zèle et de faire bien des choses qui en tout autre eûssent paru répréhensibles[53]. Il fallait qu'il se produisit en public[54] avec tout ce qui pouvait[55] faire reconnaître en lui un prêtre détaché de tout, ne cherchant dans le sacré ministère que le travail, les humiliations, les croix ; au-dessus de toute considération humaine, sacrifiant au désir du salut des âmes, son repos, sa santé, les plus beaux jours de sa vie, sa vie même.
 
7 - Précis final
 
On verra plus en détail, dans le récit que nous allons faire de ses œuvres saintes, sur quoi pouvait tomber[56] le reproche de cette singularité qu'on lui a imputée. Achevons de le justifier par avance par quelques courtes[57] réflexions, qui sont autant le précis de son éloge que son apologie.
 
Toutes les missions qu'il a données en sept ou huit diocèses, pendant plus de dix ans, ont eu l'applaudissement de tous les gens de bien et ont été suivies d'une infinité de conversions éclatantes. On observe même encore dans une infinité d'endroits les édifiantes pratiques qu'il y avait coutume d'établir et qui y rendent sa mémoire en si grande vénération.
 
Quelques-évêques qui, sur les plaintes qu'on leur faisait de ses prétendues indiscrétions, l'avaient interdit ou fait sortir de leurs diocèses, ont été les premiers à lui rendre, après sa mort, les témoignages les plus avantageux et à approuver la confiance qu'on avait en sa protection auprès de Dieu. Il en est qui l'ont réclamée eux-mêmes.
 
8 - Les Etablissements de M. de Montfort
 
Il a fait deux établissements : l'un pour perpétuer l'œuvre de ses missions, c'est celui des missionnaires du Saint-Esprit ; l'autre, qui est comme le testament de sa charité pour les pauvres, est celui des Filles de la Sagesse, destinées à remplir à leur égard toutes les œuvres de la miséricorde. Ces deux établissements subsistent depuis plus de cinquante ans, sans que le temps y ait apporté d'autre /10/ changement que de les rendre plus utiles et plus dignes de leur destination. Les missionnaires sont appelés en une infinité d'endroits ; ils travaillent conformément aux maximes qu'il leur a tracées dans ses écrits et dans son règlement. Ils donnent les missions de la manière qu'il les donnait lui-même, et tout le monde sait les fruits de piété qu'elles produisent. Dans l'exercice assidu d'un si pénible ministère, ils trouvent à peine quelques jours chaque année pour[58] se réunir auprès du tombeau de leur père, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, où est située la seule maison qu'ils occupent.
 
Les Filles de la Sagesse, dont la communauté est dans le même bourg , profitent du peu de temps qu'ils y restent pour recevoir d'eux les salutaires avis et les utiles instructions dont elles font un si bon usage dans plus de cinquante établissements où elles sont répandues.
 
Le fondateur[59] de ces deux congrégations essuya toute sa vie des rebuts et des mépris. Ses enfants et ses filles n'ont peut-être[60] à craindre que les applaudissements et les louanges[61] qu'on leur donne.[62] On lui a reproché quelques traits singuliers et l'on ne peut s'empêcher d'admirer aujourd'hui les fruits toujours subsistants de sa profonde sagesse. Si ce contraste parait lui-même une singularité, Il faut avouer qu'elle ne peut que tourner à sa gloire.
 
9 - En conclusion
 
Enfin, je mets pour un moment à sa place tout prêtre qui se fût proposé les mêmes fins que lui, et je demande si, dans la même perspective, il n'eût pas envisagé les objets de la même manière, et s'il eût tenu une conduite bien différente ?
 
M.  de Montfort entreprend de travailler à la conversion des pécheurs et[63] cherche[64] à intéresser spécialement pour eux Celle qui en est l'asile et le refuge. Il veut, pour parvenir à un plus parfait renoncement à lui-même, se procurer[65] des humiliations, des mépris. Son but est de travailler surtout auprès des humbles et des pauvres, de les attirer en foule, et[66] de s'en faire connaître[67] /11/ au premier abord par un extérieur capable[68] tout à la fois de les surprendre et de les édifier. Il fallait donc que tout annonçât en lui le dévot de Marie, le héros de l'abnégation et l'apôtre du peuple.
 
 
Dieu seul !

La Vie
de Messire Louis-Marie Grignion
de Montfort
prêtre missionnaire apostolique
 
 
LIVRE PREMIER
 
 
 
 
L'homme apostolique, dont j'entreprends d'écrire la vie, naquit le trente un janvier[69] de l'année mil six cent soixante et treize, à Montfort-la-Canne, petite ville de l'évêché de Saint-Malo, en Bretagne. Son père se nommait Jean-Baptiste Grignion de la Bacheleraye, et sa mère Jeanne Robert, l'un et l'autre d'une honnête famille, mais d'une fortune bornée, surtout eu égard au grand nombre d'enfants qu'ils eurent de leur mariage.
 
Celui dont nous parlons fut l'aîné de huit[70], on lui donna sur les sacrés fonds du baptême le nom de Louis, mais la tendre dévotion qu'il eut toujours pour la très sainte Vierge lui fit désirer dans la suite qu'on ajoutât le nom de Marie à celui de Louis, et cette grâce lui fut accordée lorsqu'il reçut le sacrement de confirmation.
 
 
1 - Les premières inclinations
 
Ses premières inclinations furent des inclinations de vertus et les amusements de son enfance furent des exercices de piété. Respectueux pour ses parents et soumis en tout aux moindres signes de leurs volontés, il tâchait de prévenir leurs intentions et d'aller au devant de tout ce qui pouvait leur être agréable. Missionnaire pour ainsi dire dès le berceau, Il semblait préluder par de petits essais auprès des enfants de son âge aux prodiges qu'il devait un jour opérer dans ses fonctions apostoliques. Ses frères et ses sœurs furent les premiers objets de son zèle, mais d'un zèle déjà éclairé, insinuant, doux,[71] tendre, compatissant et toujours appuyé de l'exemple[72].
 
On a des chagrins domestiques. Qui est-ce dans la vie qui en est exempt ? La mère du /12/ petit Louis était quelquefois dans ce cas ; mais elle trouvait dans ce tendre et pieux enfant, qui n'avait encore que quatre ou cinq ans, un ange consolateur. Celui qui rend les langues des enfants éloquentes (Sap. X, 21) mettait dans la bouche de celui-ci des paroles d'autant plus efficaces, pour lui apprendre à souffrir chrétiennement les peines et les traverses de cette vie, que l'esprit de Dieu seul pouvait les avoir dictées. Instruit à l'école de cet esprit de sainteté, Louis se retirait souvent dans le secret de son cœur pour en écouter les leçons, pour en goûter les douceurs et pour répandre[73] son âme devant le Seigneur. Rien n'était plus touchant que de le voir humblement prosterné devant l'image de la très sainte Vierge, payer régulièrement tous les jours un tribut de louanges à la très digne mère de Dieu, et réciter le chapelet avec une dévotion admirable, pratique qu'U conserva jusqu'au dernier soupir de sa vie avec la plus grande fidélité.
 
2 - Au Collège de Rennes
 
Il avait presque atteint l'âge de douze ans lorsqu'on l'envoya au collège de Rennes, un des plus considérables de tout le royaume. Son innocence, sa simplicité, sa haute piété, son zèle l'y accompagnèrent et ne l'y abandonnèrent jamais. La prière et l'étude partagèrent tout son temps, et ses professeurs le proposèrent[74] souvent pour modèle à tous ceux de son âge.
 
Cependant il faut du délassement à l'esprit, et la vertu ne condamne pas d'innocentes récréations, souvent nécessaires pour reprendre le travail avec plus d'ardeur et de succès. Chacun a son goût, et il n'y a de vrai plaisir que celui qui y est conforme. Celui du jeune Grignion était de visiter les hôpitaux et de converser quelquefois, mais très rarement, avec ses condisciples, pour s'édifier avec les uns, et retirer les autres du libertinage[75].
 
3 - Un talent naturel pour le dessin
 
Il s'exerçait encore au dessin pour lequel il avait un talent naturel et décidé. Son peu de fortune ne lui permettait pas d'avoir en ce genre des maîtres qui pussent cultiver et perfectionner ce talent. Mais son génie /13/ y suppléait et il est sorti de son crayon et de son pinceau quelques petits ouvrages que les maîtres dans l'art n'auraient pas désavoués. Telle fut la copie d'un excellent petit tableau de piété, en miniature, dans laquelle il réussit si parfaitement qu'un homme de considération[76], et fort entendu en cette partie, en fut tellement satisfait qu'il lui donna un louis d'or pour l'avoir. Il rendit à l'art ce qu'il en avait retiré, car il sacrifia ce louis d'or pour payer quelques leçons qu'd alla, dans la suite, prendre chez un peintre avec qui il avait déjà fait connaissance.
 
4 - Précepteur de ses frères
 
L'arrivée de son père et de sa mère, qui se virent obligés de s'établir à Rennes pour donner de l'éducation à leurs autres enfants, lui procura une nouvelle occupation. Il se fit le précepteur de ses deux frères, et il s'acquitta de tout ce qu'on pouvait désirer de lui à cet égard avec une capacité, une prudence, une douceur et une application dignes de la plus grande admiration, Devenu maître des autres, il n'oublia point qu'il ne cessait pas pour cela d'être disciple, et il sut concilier parfaitement ce que demandait de lui l'une et l'autre qualité.
 
5 - Ecclésiastiques amis
 
Pendant ce temps, sa ferveur recevait tous les jours de nouveaux accroissements, et la liaison intime qu'il eut toujours tant avec ses professeurs qu'avec les ecclésiastiques les plus vertueux, y contribua extrêmement. Il eut toute sa vie pour eux une vénération profonde et en particulier pour le P. Gilbert, jésuite, qui avait été son professeur en rhétorique, et pour Monsieur Bellier, prêtre séculier, dont la mémoire sera toujours en bénédiction à Rennes, où il assemblait toutes les semaines, dans sa maison, certain nombre d'écoliers pour leur faire des conférences de piété, et dont le jeune Grignion était des premiers et des plus fervents.
 
 
6 - Congréganiste
 
Mais sa tendre dévotion à la Mère de Dieu eut encore plus de part que tout le reste à l'éminente sainteté dont il jetait les fondements solides. Comme il y avait dans le collège, ainsi que dans tous les autres de la Compagnie de Jésus, une congrégation établie sous l'invocation de la très sainte Vierge, où l'on n'admettait que ceux d'entre les étudiants qui voulaient faire profession d'une /14/ régularité plus exacte et d'une piété plus distinguée, il demanda avec le plus grand empressement la grâce d'y être reçu et elle lui fut accordée. Dès sa plus tendre enfance serviteur de Marie par attrait, il ressentit la plus grande consolation de s'en voir encore serviteur par choix et par état. C'est à cette auguste Reine du ciel et de la terre qu'il avait recours dans ses besoins spirituels et temporels. Il aimait à en entendre parler ; il en parlait souvent lui-même, et n'en parlait jamais qu'avec la plus grande effusion de cœur. En revenant de classe et en y allant, Il ne manquait pas de passer par l'église des Grands Carmes pour y adorer Jésus-Christ et rendre ses tendres et profonds respects à sa divine Mère.
 
 
7 - Ses austérités. Sa bonté pour les autres
 
Le cours naturel et réglé des études l'avait déjà conduit jusqu'en philosophie[77] et bien loin que la liberté dont on commence à jouir dans ces classes supérieures n'altérât en rien ses pratiques de piété, à mesure[78] qu'il acquérait de nouvelles connaissances il formait de nouveaux projets de perfection et sa ferveur[79] répondait à ses lumières. Avide d'austérités[80] dans un âge où l'on ne l'est communément que de plaisir, il réduisait son corps en servitude par des macérations continuelles et de toute espèce, de sorte qu'on ne savait ce qu'on devait le plus admirer en lui, ou son innocence ou sa pénitence. Mais il n'avait de dureté que pour lui-même et sa charité compatissante le rendait ingénieux à soulager les peines et les misères des autres. Un seul trait va justifier ce que je dis et montrera en même temps la vivacité de sa foi.
 
Il y avait parmi les écoliers du collège un jeune homme si pauvre et si mal vêtu qu'il osait à peine se montrer, parce qu'il avait toutes sortes de mépris à essuyer de la part de ses condisciples, dès qu'il paraissait dans leur compagnie. M. Grignion entra dans sa peine, et sans y être autrement sollicité que par les seuls mouvements de sa charité prévenante, il pensa à y remédier efficacement.
 
Dans cet esprit, il ne balance pas à se faire mendiant lui-même ; il s'adresse à ceux de ses compagnons d'étude qu'il croit plus en état de faire quelques libéralités, et il réussit enfin à amasser une somme, mais si modique qu'il en fallait encore autant pour venir à bout de ce qu'il s'était proposé. Malgré cela, il va trouver le pauvre /15/ écolier, il le mène[81] chez un marchand et en le lui présentant, il lui dit : «Voici mon frère et le vôtre, j'ai quêté dans la classe ce que j'ai pu pour le vêtir - si cela n'est pas suffisant, c'est à vous à ajouter le reste». Le marchand, frappé de ce trait de simplicité, prend ce qu'on lui donne, et la charité produisant la charité, tire de ses propres fonds le supplément nécessaire pour consommer la bonne œuvre.
 
8 - L'estime de son entourage
 
La vertu, quand elle est marquée à un certain coin et qu'elle est portée à un certain degré, a beau vouloir se dérober aux yeux des hommes, Dieu aime à tirer du sein des ténèbres les justices cachées de ses humbles serviteurs. M. Grignion l'éprouva, et quelqu'attention qu'il eût à laisser ignorer ce qu'il entreprenait, ce qu'il exécutait et ce qu'il souffrait pour les intérêts de la cause de Dieu, il ne put réussir à détourner de dessus lui les regards, l'estime et même la vénération de ses condisciples, de ses maîtres et de tous ceux qui avaient quelques rapports avec lui. Un extérieur modeste[82] et dans lequel tout respirait la mortification, le recueillement, l'union la plus intime avec Dieu, une conversation pleine de feu et qui n'avait pour objet que la gloire de Dieu et le salut des âmes, une affection plus que paternelle pour les pauvres,[83] c'est ce qu'on ne pouvait s'empêcher de remarquer en lui, toujours avec de nouveaux sentiments d'admiration.
 
Un de ses condisciples, avec qui il était allé chez un ami commun passer une partie des vacances à la fin du cours de philosophie, le surprit plus d'une fois, malgré son attention à se cacher aux yeux des hommes, dans les exercices de la charité la plus cordiale à l'égard des pauvres. Il rend témoignage en particulier qu'un jour il le trouva caressant un pauvre mendiant, hébété et fort disgracié de la nature, l'embrassant et lui baisant les pieds.
 
 
9 - Mauvais traitements de la part de son père
 
Quoique jamais il ne se plaignît de la fâcheuse sévérité[84] d'un père qui ne donna,[85] pas toujours à ses enfants des exemples de douceur, on sait cependant ce que souvent il avait à souffrir, et l'on ne peut assez louer[86] la patience invincible[87] /16/ qu'il opposa aux mauvais traitements dont on payait les services essentiels qu'il rendait dans la maison paternelle.
 
Le Seigneur qui permettait cette épreuve voulait y mettre des bornes ou plutôt, en l'appelant à l'état ecclésiastique, il lui ouvrait une carrière où il aurait des épreuves encore plus fortes à soutenir. La connaissance certaine qu'il eut de sa vocation fut le fruit de sa confiance dans la très sainte Vierge, à qui il recommandait continuellement cette grande affaire, ordinairement si décisive pour le succès de celle du salut. Les réponses intérieures qui lui furent données le rassurèrent parfaitement sur la voie dans laquelle il voulait entrer.
 
 
10 - Il a connaissance des séminaires de Saint-Sulpice
 
Déjà il avait commencé son cours de théologie dans même collège où il avait fait toutes ses autres classes, lorsque la Providence lui fit[88] naître un moyen d'aller Paris pour y perfectionner en lui l'esprit des lévites de loi nouvelle, dans une école qui, depuis son institution jusqu'à présent, a formé les plus illustres et les plus dies sujets pour tous les différents degrés de la hiérarchie ecclésiastique. Je parle des séminaires de Saint-Sulpice.
 
Il n'en eut connaissance pour la première fois que par le récit avantageux que lui en fit[89] une demoiselle de Paris, que quelques affaires avaient appelée à Rennes et qui s'était mise en pension chez son père. Dès ce moment il y porta son esprit et ses vœux. Mais il fallait y payer une pension, et sa famille n'était pas en état de fournir à cette dépense. La Providence y pourvut, et l'instrument dont elle se servit, pour cet effet, fut Mademoiselle de Montigny, la même qui lui avait parlé d'abord de Saint-Sulpice. De retour à Paris, elle ménagea[90] des ressources pour l'exécution du dessein qu'elle avait elle-même inspiré à M. Grignion.
 
11
- Le voyage à Paris
 
Ce fut un spectacle aussi touchant qu'édifiant de le voir se mettre en chemin seul et à pied, tenant un bâton d'une main et son chapelet de l'autre, l'esprit élevé au ciel, le cœur embrasé d'amour pour Dieu, insensible, non par dureté mais par dégagement, aux tendres adieux de ses parents et de ses amis,[91] dans un abandon total de lui-même /17/ à la divine Providence, sans soins, sans inquiétude pour l'avenir, quoiqu'il sût parfaitement que rien n'était moins assuré que les ressources dont on voulait le flatter.
 
Telle fut dans toute la suite de sa vie, sa façon de voyager. Le peu d'argent qu'on lui avait donné ne pouvait suffire pour le conduire à son terme, mais il en prit occasion de pratiquer deux vertus qui lui furent toujours bien chères, savoir : l'humilité et la pauvreté. Le goût qu'il avait à cet égard dut être satisfait par la nécessité où il se trouva de demander l'aumône et par les rebuts qu'il eut plus d'une fois à essuyer. Cependant, des pluies continuelles rompirent tous les chemins et elles ne cessèrent de tomber jusqu'à son arrivée à Paris.
 
12 - L'usage qu'il fait de ses yeux
 
En entrant dans cette capitale, il fit un pacte avec ses yeux, pour leur interdire la vue de tout ce qui peut exciter et flatter la curiosité naturelle à tous les hommes et aux jeunes gens principalement. Règle inviolable, qu'il garda durant tout son séjour à Paris, dont il sortit après bien des années aussi peu instruit de tout ce qui s'y voit de curieux que s'il n'y avait jamais demeuré. La seule chose qui ne lui échappait pas, c'était les images ou les statues de Notre-Seigneur et de la très sainte Vierge, qu'il saluait sur tous les lieux de son passage où elles se trouvaient, et à quoi presque personne ne faisait attention.
 
 
13 - Il entre dans la communauté de M. de la Barmondière
 
La charitable demoiselle de Montigny, dont nous avons déjà parlé, reçut ce nouvel hôte avec le respect que lui inspirait pour lui la connaissance qu'elle avait de son éminente sainteté. Elle voulut qu'il passât quelques jours chez elle, pour se délasser des fatigues du voyage et y consentit ; mais elle ne put le retenir aussi longtemps quelle l'aurait désiré, et pour répondre à l'empressement qu'il avait de se rendre au terme qu'on lui avait fait envisager, elle le conduisit bientôt chez M. de la Barmondière, alors curé de Saint-Sulpice, et elle le lui présenta pour être admis dans sa communauté, à la faveur d'une petite pension qu'elle lui avait procurée.
 
Il y a entre les gens de bien je ne sais quelle sympathie qui les fait se goûter mutuellement en se voyant et même avant que de se bien connaître. Le respectable supérieur fit l'accueil le plus favorable au nouveau récipiendaire et il lui accorda la place qu'on demandait pour lui et qu'il désirait avec tant d'empressement.
 
14 - «Tout mon appui est sur Dieu»
 
Cependant la dame charitable qui s'était engagée à payer sa pension ne s'acquitta /18/ de sa promesse que pendant quelques mois, après lesquels son cœur et sa bourse se resserrèrent et se fermèrent en même temps. Cette épreuve aurait pu alarmer tout autre que M. Grignion, mais il la soutint avec cette égalité d'âme inaltérable que produisait en lui son abandon à la Providence. Sans appui, sans secours, à la veille d'être congédié de la communauté et de ne savoir que devenir, surtout dans une année où la misère était si grande dans Paris que les facultés des plus riches pouvaient à peine suffire aux besoins des pauvres, il espéra contre l'espérance même, et il ne permit pas à sa bouche de s'ouvrir à la plainte la plus légère, à son cœur de se livrer à la moindre agitation, à son esprit de penser un seul instant à ce qu'il a à craindre pour le présent ou pour l'avenir. Toujours uni à Dieu, toujours appliqué à ses devoirs, toujours content, il se repose doucement dans le sein de son Père céleste en qui il a mis toute sa confiance. «Que fussiez-vous devenu, lui dit-on une fois, si M. de la Barmondière vous eût renvoyé ? » - «Je n'y ai pas encore pensé, répondit-il tranquillement,[92] tout mon appui est sur Dieu».
 
15 - Veilleur de morts et quêteur
 
Dieu parla au cœur de M. de la Barmondière en faveur de celui qui était abandonné des hommes. Il lui inspira de le choisir pour aller veiller[93] les morts sur la paroisse de Saint-Sulpice, afin de lui faire trouver, dans la rétribution qui était attachée à cet office, de quoi fournir à sa pension. Tout était égal, tout était indifférent à M. Grignion, qui ne cherchait que Dieu, son amour, sa gloire, l'accomplissement de sa volonté. Il accepta sans balancer la proposition et il se soumit à tout ce qu'on voulut. Il avait par ce moyen sa nourriture assurée. Mais, il lui fallait encore chercher de quoi s'entretenir en linge et en habit clérical et décent. S'il n'avait pas eu un goût aussi décidé que celui qu'il avait pour tout ce qui peut mortifier l'amour-propre, cette situation aurait pu lui paraitre fâcheuse, mais il sut y trouver un double avantage : celui de dévorer toutes les humiliations de la mendicité, et celui d'être en état de faire la charité aux autres, en partageant avec eux celles qu'on lui faisait à lui-même. C'est en effet ce qu'il pratiqua constamment tandis qu'il fut dans le cas de demander et de /19/ recevoir des secours étrangers. On aurait dit qu'il ne recevait que pour donner, et qu'il n'était que le dépositaire des aumônes[94] qu'on lui faisait. On l'a vu non seulement prodiguer en faveur de ceux qui réclamaient son assistance l'argent qu'on lui donnait pour lui-même, mais encore se dépouiller de ses propres habits pour en revêtir ceux dont l'indigence paraissait égaler la sienne. Voilà comment il était tout à la fois et l'objet des soins particuliers de la Providence et le canal par où elle (
Le ms. porte par erreur au lieu de «par où elle» : pour elle)
répandait ses biens sur ceux qui[95], comme lui, n'avaient aucune autre ressource.
 
16 - Direction de M. de la Barmondière
 
Désormais attaché et fixé à la communauté de M. de la Barmondière, il le choisit pour confesseur, et afin de lui donner une plus entière connaissance de lui-même il lui fit une confession générale. Je l'appellerais plus volontiers le détail de sa vie innocente, et la manifestation des dons les plus exquis du Seigneur et des grâces les plus distinguées. Ainsi en jugea le directeur qui était lui-même un homme d'une grande vertu, mais à laquelle on ne rendit la justice qu'elle méritait qu'après qu'il se fût démis de sa cure. Il ne trouva rien à réformer dans son saint pénitent et il crut devoir l'abandonner à lui-même, ou plutôt à l'esprit de Dieu, dont il le voyait tout rempli et tout pénétré.
 
M. Grignion se trouva donc lui-même l'arbitre de toutes les austérités qu'il voudrait pratiquer, et dès lors elles furent sans bornes et sans mesure. Disciplines sanglantes et journalières, haires, cilice, ceintures et bracelets de fer hérissés de pointes, c'était une succession continuelle et non interrompue de tout ce qui peut crucifier la chair et imprimer sur le corps la mortification de Jésus. (II. Cor. IV, 10).
 
Les veilles si capables d'abattre et l'esprit et le corps ne lui parurent pas une raison de rien retrancher de ses macérations. Il trouvait plutôt dans[96] la vue des cadavres, auprès desquels il passait les nuits[97], de quoi s'animer de plus en plus au désir et à la pratique de la pénitence. Il suivait en esprit leurs âmes au tribunal de Dieu. Là il les voyait seules et sans suite, dépouillées de tout l'appareil imposant qui les environnait sur la terre et qui leur conciliait les respects, les hommages et presque les adorations des autres créatures. Il les voyait jugées par le juste Juge, et se mettant en quelque sorte à /20/ leur place, se pénétrait des mêmes sentiments qu'elles avaient éprouvés à ce moment terrible. Aussi regardait-il ces veilles de la nuit auprès des morts comme une exhortation pressante pour lui de mourir à tout et de ne plus vivre qu'au Roi immortel et invisible des siècles. (I. Tim. 1, 17).
 
L'ordre qu'il observait ordinairement dans ces veilles était de donner à l'oraison quatre heures entières, toujours à genoux, les mains jointes et comme immobile, ensuite deux heures à la lecture spirituelle ; les deux suivantes au sommeil, et ce qui restait à l'étude des cahiers de théologie, dont il allait prendre les leçons en Sorbonne avec la communauté. Il était d'usage que ceux qui veillaient auprès des morts prissent quelques rafraîchissements, et ils leur étaient d'autant plus nécessaires que véritablement la nourriture de la communauté de M. de la Barmondière était un peu au-dessous de la frugalité. Malgré cela, M. Grignion ne voulut jamais user de ces rafraichissements, et la nourriture de la communauté était à son gré trop exquise pour lui et trop abondante.
 
Son esprit et son cœur n'étaient pas moins mortifiés que son corps et jamais[98] peut-être, homme ne sut plus que lui se mettre au-dessus du respect humain. Toutes les fois qu'il entrait en Sorbonne et qu'il en sortait, il ne manquait pas de faire, au milieu de la classe, sa prière à genoux.
 
On l'a vu se tenir aux portes des maisons, en dehors, tête nue, à genoux et en oraison, en attendant que celui qu'il accompagnait eut achevé la visite qu'il y allait faire. Dans l'intérieur de la communauté, il avait des manières si simples et si éloignées de tout ménagement de politique qu'elles en paraissaient singulières. On en prit souvent occasion de le railler, et même[99] quelquefois de le traiter assez durement. Mais il recevait avec joie et[100] avec action de grâces toutes ces mortifications, comme si on lui avait rendu quelque service essentiel. Les grâces extraordinaires qu'il recevait de Dieu, et qui souvent, malgré lui, se manifestaient au dehors augmentaient encore beaucoup le préjugé[101] qu'on avait de sa singularité[102] et donnaient lieu à de nouvelles persécutions. Tantôt on le voyait, au milieu du repas, ou dans la conversation, éclater tout à coup en soupirs et en sanglots qu'il ne pouvait retenir, tantôt devenir comme immobile et sans soutien, dans l'état d'une espèce de ravissement, selon les uns, et de stupidité selon les autres.
 
Il n'est pas donné à tous[103] de connaître les voies extraordinaires, mais tous devraient au moins[104] /21/ les respecter, surtout quand[105] elles sont justifiées par les exemples de la vertu la plus héroïque en tout genre. Ce fut là néanmoins, pour M. Grignion, la source de bien des mépris et de bien des insultes dans le temps dont je parle et dans le reste de sa vie.
 
17 - Mort de M. de la Barmondière
 
Le Seigneur[106] lui envoie une épreuve encore plus terrible : M. de la Barmondière meurt, et sa mort entraîne la ruine de sa communauté. Le même coup qui frappe le pasteur, frappe également et disperse les brebis. Voilà M. Grignion une seconde fois sans appui, sans aucune ressource humaine. Mais ce qui le touche encore plus, c'est qu'en perdant un protecteur puissant, un père tendre, un ami zélé, il perd encore un saint directeur, un directeur éclairé. On était attentif à voir comment il prendrait cet événement.[107] A peine en parait-il touché !
On a beau chercher à lire dans ses yeux et sur son visage le deuil et la tristesse, on n'y découvre que la même sérénité.
 
Etait-ce insensibilité[108] ? Non, M. Grignion avait naturellement un bon cœur, un cœur tendre et reconnaissant. Il se fit aussi toujours gloire de fouler aux pieds cette fausse sagesse et cette prétendue force d'esprit[109] que peuvent inspirer les dogmes fastueux d'une philosophie profane. Cette supériorité d'âme qui l'élevait au-dessus de tout venait de plus loin et de plus haut.
 
Abîmé, perdu en Dieu, il croit que tout demeure pour lui en son entier, dès qu'il trouve Dieu dans son cœur[110]. Il attendra en paix ce qu'il lui plaira d'ordonner de lui[111]. Le silence et la confiance feront toute sa force. (Is. XXX, 15).
 
Ce sont ces sentiments qu'il exprima avec une simplicité et une onction admirables dans une lettre qu'il écrivit alors à M. de la Viseulle, son oncle maternel, très vertueux ecclésiastique et prêtre habitué de la paroisse de Saint-Sauveur à Rennes. Elle est datée de Paris, du 20 septembre de l'année 1694. On en verra ici volontiers un extrait[112].
 
18 - Lettre à M. de la Viseulle
 
«
Le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs.
 
J'ai reçu avec bien de la joie votre lettre, qui m'est d'autant plus chère qu'elle part d'une personne qui a plus d'affection pour moi. Comme, dans votre lettre, vous me donnez la nouvelle d'une mort, il faut que pour échange je vous donne aussi la nouvelle d'une qui est de M. de la Barmondière, mon directeur et supérieur, et qui m'a fait tant de bien ici. Il est enterré de dimanche dernier, avec le regret de toute la paroisse et de tous ceux qui l'ont connu. Il a vécu en saint et il est mort en saint. C'est lui qui a fondé le séminaire où je suis, et qui avait eu la bonté de m'y recevoir pour rien. Je ne sais pas encore comment tout ira, si j'y demeurerai ou en sortirai, car on ne sait pas encore à découvert son testament. Quoiqu'il m'en arrive, je ne m'en embarrasse pas. J'ai un Père dans les cieux qui est immanquable. Il m'a conduit ici, il m'y a conservé jusqu'ici, il le fera encore avec ses miséricordes ordinaires, quoique je ne mérite que des châtiments pour mes péchés. Je n'ai pu faire réponse à votre lettre aussitôt que j'aurais voulu, car j'en ai été empêché par une retraite que j'ai faite à Saint-Sulpice pour recevoir les quatre mineurs, que j'ai, Dieu merci, reçus.» /22/
 
19 - A la communauté de M. Boucher
 
La communauté de M. Boucher offrit à M. Grignion un nouvel asile dans lequel il se réfugia. La vie pauvre, dure, obéissante qu'on y menait était extrêmement conforme à son attrait. Mais ses forces, déjà usées par ses grandes austérités, s'épuisèrent enfin, et très peu de temps après son entrée dans cette maison il tomba dangereusement malade. Comme elle était elle-même plutôt un hôpital qu'une communauté, on le fit transporter à l'Hôtel-Dieu, où il se rendit avec plus de joie qu'on ne va prendre possession d'un riche et magnifique palais. Rien n'égalait la consolation qu'il ressentait en pensant que, pauvre lui-même, il était dans la maison et dans la compagnie des pauvres, et cela, à la suite d'un Dieu pauvre avec lequel il avait du moins ce trait de ressemblance. C'est ainsi que dans la joie de son cœur, il s'en expliqua à un de ses amis qui le vint voir pendant sa maladie. Cependant le danger allait toujours en augmentant, et accablé par les remèdes, peut-être autant que par le mal. il ne laissait entrevoir aucune espèce de guérison[113]. Lui seul assurait qu'il n'en mourrait pas[114], mais il l'assurait avec une fermeté qui ne pouvait guère être fondée que sur une connaissance surnaturelle. L'événement justifia sa prédiction, ou si l'on veut ses pressentiments. Il guérit, et sa convalescence fut presque aussi rapide que le progrès de sa maladie. Mais ce qui fut d'une plus longue durée, ce fut[115] les heureuses et édifiantes impressions qu'il laissa dans tous les esprits par les grands exemples d'humilité, de douceur, de patience, de résignation, d'amour de Dieu et de toutes les vertu s qu'il fit éclater durant le cours de sa maladie.
 
20 - M. Grignion entre au petit Saint-Sulpice
 
Au sortir de l'Hôtel-Dieu, le petit séminaire de Saint-Sulpice s'ouvrit pour lui, et ce fut encore l'ouvrage d'une Providence extraordinaire, qui l'abandonnait d'autant moins qu'il s'abandonnait plus à elle. C'est lui-même qui nous l'apprend dans la lettre suivante, également écrite à son oncle.
 
11 juillet 1695
Mon très cher oncle,
«Le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs.
 
C'est pour vous saluer très humblement et pour vous marquer que la Providence m'a /23/ mis au petit séminaire de Saint-Sulpice par le moyen de madame d'Alègre, qui est celle dont vous avait parlé mademoiselle de Montigny et chez qui est mademoiselle Le Breton. Comme elle avait donné 160 livres de revenu par an pour la nourriture d'un ecclésiastique, que cela a été uni au petit séminaire où on paie 260 livres après la mort de M. de la Barmondière et la réunion de son petit séminaire avec l'autre petit, elle a dit à mademoiselle Le Breton et au supérieur du séminaire qu'elle voulait que ce fût moi qui remplisse cette place. Madame d'Alègre ayant entendu parler de vous à mademoiselle Le Breton, elle vous prie de dire, pour elle, une messe à l'autel de la très sainte Vierge ; je vous en prie aussi de tout mon cœur. Et comme cette pension n'est pas suffisante pour payer la pension du petit séminaire, l'aimable providence de Dieu m'a fait avoir, sans que j'y aie jamais pensé, une chapellenie d'environ 100 livres à deux lieues de Nantes, dont je suis pourvu, tellement qu’elle me servira de titre. Remerciez, je vous prie, Dieu pour moi des grâces qu'il me fait, non seulement pour les choses temporelles, qui sont peu de choses, mais pour les éternelles.»
 
21 - L'esprit d'oraison de M. Grignion
 
M.  Grignion trouva au petit séminaire deux grands maitres dans la science des saints, M. Bouin et M. Brenier. Le premier fut son directeur, et le second son supérieur. Ils jugèrent à propos de le retirer des études de Sorbonne, quoiqu'il y excellât au point que M. de la Barmondière ne balançait pas à lui donner la préférence, pour l'esprit et la capacité, sur tous les grands sujets qui composaient sa communauté.
 
M.  Grignion n'en eut que plus de temps pour vaquer aux choses spirituelles, et pour cultiver son intérieur. C'est aussi à quoi il s'appliqua avec un redoublement de ferveur. Son oraison était continuelle, et il en portait l'esprit dans les récréations mêmes. Il n'en connaissait pas d'autres pour lui que de parler de Jésus et de Marie. Il ne tarissait pas sur ces deux points et l'on crut voir de l'excès dans la longueur de ces pieux entretiens qui prenaient trop sur un temps destiné uniquement à délasser l'esprit, de sorte qu'on en porta des plaintes à celui qui dans l'absence du supérieur faisait à sa place. C'était son directeur lui-même, qui lui ordonna d'en user avec plus de circonspection et de joindre la discrétion au zèle.
 
Ici commence à proprement parler l'histoire, dirai-je, des pieux excès de M. Grignion ou celles des profondeurs impénétrables de l'esprit de Dieu, qui s'empare d'une âme, qui l'élève[116], qui la transporte, qui la conduit par des routes inconnues au commun des mortels. Et ici commence, en même temps, l'histoire des grandes contradictions qu'il eut à essuyer, qui désormais marqueront[117] tous les jours de sa vie[118]. /24/ Tel qu'on voit un feu violent, mais renfermé, qui fait effort pour sortir de captivité et qui après avoir consumé tout ce qui l'environne semble chercher à se faire jour pour porter au loin l'embrasement, tel vit-on le fervent séminariste brûlé du feu de l'amour divin, dont il ne pouvait retenir captives au-dedans de lui-même les saintes ardeurs, chercher à le répandre et à embraser tout le monde.
 
22 - Lectures de Boudon, St Bonaventure cantiques, etc...
 
C'était tous les jours de nouvelles pratiques de piété, mais toujours solides qu'il avait à proposer aux autres séminaristes. Le livre de M. Boudon, ce saint archidiacre d'Evreux,[119] dans lequel il traite de l'esclavage de la très sainte Vierge lui était tombé entre les mains. Aussitôt il se consacre à cette dévotion et il veut y engager les autres. A peine a-t-il connaissance du[120] psautier de Saint Bonaventure, chef-d'œuvre des transports du cœur le plus dévoué à Marie, qu'il se fait une loi de le réciter, et qu'il en conseille l'usage à ceux qui ne sont pas encore[121] engagés dans les ordres sacrés. Comme on l'accuse d'être trop concentré en lui-même pendant les récréations, il fait des cantiques et il les chante. Le cœur avait mis en action son esprit pour les composer, et il anime également son geste et sa voix, lorsqu'il les chante pour divertir pieusement[122] les assistants et[123] pour les édifier et les toucher. D'autres fois il propose à ses confrères de diriger aux anges gardiens les uns des autres les saluts que l'usage de la société civile a introduits de se faire mutuellement. S'il trouve une image de Notre Seigneur ou de la très sainte Vierge, qui lui paraisse propre à[124] inspirer la dévotion, c'est pour lui une heureuse découverte, et dont il s'empresse à faire part à tous ceux qu'il rencontre. Quelque pauvre qu'il soit, les fonds ne lui manquent jamais quand il est question de faire ces pieuses emplettes et pour lui et pour les autres. Il portait toujours sur lui un crucifix et une image de la très sainte Vierge (
N.B : Les mots   en italique ne sont pas en relief dans le manuscrit)
en relief, mais on peut assurer que l'un et l'autre étaient encore gravés plus avant dans son cœur.
 
Il faisait néanmoins un usage continuel de ces symboles extérieurs pour s'animer à la dévotion[125] et pour l'exciter dans ceux qu'il connaissait. Lorsqu'il étudiait il avait toujours devant les yeux...
 
2e Cayer
 
/25/ une image de l'auguste mère de Jésus-Christ. Trouvant un jour dans Paris deux jeunes gens qui avaient tiré l'épée et qui se battaient, il se présenta à eux le crucifix à la main et il leur parla si pathétiquement qu'il réussit à les séparer.
 
Bien différent de ces faux mystiques qui, sous le spécieux prétexte d'un culte purement intérieur, condamnent ou méprisent les moyens sensibles de s'élever à Dieu, il les recommandait à tout le monde et il s'en aidait lui-même. Le crucifix et l'image de la très Sainte Vierge furent, dans tout le cours de sa vie, ses plus grandes ressources, ou plutôt son unique ressource pour tout ce qu'il entreprenait.
 
23 - Le «singulier» chez M. Grignion
 
Cependant, de tout ce que nous venons de dire résultait un composé de quelque chose de singulier : un homme qui n'était pas comme les autres, un homme qui étant dans le monde semblait n'être pas de ce monde ; et dans ce genre de singularité il allait toujours croissant[126] ; plus il vivait parmi les hommes, moins il vivait comme les autres hommes. Les choses de la terre ne lui étaient rien, il n'y pensait seulement pas, ou il les envisageait sous leur véritable point de vue, c'est-à-dire dans le néant qui leur est propre. Dès lors, fort au-dessus de tout ce qu'on appelle dans le monde bienséances, il ne connaissait que celles que sa foi et son amour pour Dieu lui prescrivaient. Tout l'humain disparaissait à ses yeux, et dans la multitude des choses visibles qui frappaient ses sens, il ne voyait que l'invisible. De là, ses façons de penser, de parler et d'agir, qui n'étaient rien moins qu'ordinaires. Déplacé, pour ainsi dire, dès qu'on le retirait des choses divines, il paraissait ou aliéné ou sans esprit et sans conception. Il est vrai que dès qu'il était question des choses de Dieu, il se retrouvait tout entier : pensées sublimes, sentiments tendres et affectueux, raisonnements solides[127], discours pleins de force et d'onction ; il ne laissait rien à désirer, et on n'avait qu'à admirer.
 
            Si on n'avait vu M. Grignion qu'en passant, ainsi qu'on voit ces hommes rares et extraordinaires qui ne se montrent que comme on voit des tableaux mouvants, il aurait passé non seulement pour un homme extrêmement judicieux et sensé, mais encore pour un oracle, un saint du premier ordre, un homme unique, un séraphin sur terre. Mais on vivait avec lui tous les jours, et tous les jours on le voyait comme un de ces phénomènes qui se font dans un siècle et dont on observe curieusement les commencements, les progrès et la fin, mais avec lesquels on ne se familiarise pas pour l'ordinaire. Il n'en faut pas tant pour faire un problème, et M. Grignion en fut un pour ceux avec qui il vécut au séminaire de Saint-Sulpice.
 
24 - La direction de M. Leschassier
 
Il avait eu pour directeur à Rennes le Père Descartes, jésuite. M. de la Barmondière et M. Bouin le furent ensuite à Paris, et M. Leschassier, ce très digne supérieur des séminaires de Saint-Sulpice, /26/ et dont le nom seul fait l'éloge. M. Leschassier se chargea en dernier lieu du soin de le conduire. Comme d'une part il s'élevait, du côté des séminaristes, une espèce de cri général contre les façons singulières de M. Grignion, et que d'une autre part les directeurs qui le connaissaient plus intimement, et ses supérieurs qui l'examinaient de plus près, voyaient en lui la régularité la plus soutenue, l'humilité la plus profonde, l'obéissance la plus exacte, la mortification la plus universelle, le détachement le plus parfait, les vertus les plus héroïques en tout genre, ces derniers, par un tempérament digne de leur haute prudence, craignaient également d'approuver et de condamner.
 
M.  Leschassier alla plus loin et il joignit l'épreuve à l'examen. Tandis que, dans le particulier, il tenait son pénitent dans la dépendance la plus entière, et qu'il le faisait rentrer dans l'état d'une véritable enfance ; tandis qu'il contredisait tous ses goûts, de quelque nature qu'ils fûssent, bons ou indifférents, pour le faire mourir absolument à sa propre volonté ; tandis qu'il affectait d'avoir pour lui les manières les plus dures et les plus rebutantes, il avait encore chargé Monsieur Brenier de l'exercer en public.
 
25 - Le rôle de M. Brenier
 
Ce dernier était peut-être un des hommes du monde le plus capable de s'acquitter parfaitement d'une pareille commission. il avait pour lui-même une vertu rigide et austère, et son extérieur grave et imposant inspirait, dès qu'il paraissait, le respect et la crainte. Il n’avait pas besoin de parler pour contenir ou faire rentrer dans le devoir, et il lui suffisait de se montrer, sévère autant par caractère que par obéissance, il avait tout ce qu'il fallait pour répondre aux vues de M. Leschassier sur M. Grignion. Il le reprenait à tout propos, et sans jamais adoucir ses corrections. A l'entendre parler, son zèle n'était qu'activité naturelle, son silence taciturnité d'humeur, sa régularité hypocrisie, son oraison pure illusion, ses pratiques de piété imagination, son extérieur un composé de folie et de stupidité, ses mortifications singularités, toute sa conduite entêtement et opiniâtreté. C'est en public qu'il lui faisait ces réprimandes, au milieu des exercices d'un séminaire où il y avait beaucoup de vertu à la vérité, mais où il y avait encore plus d'esprit de jeunesse, et peut-être autant de ce caractère antipathique[128] qui regarde comme ennemi quiconque ne fait pas (comme) le grand nombre. Au moins était-il certain que les esprits étaient si fort prévenus contre l'accusé qu'on était toujours prêt à le croire coupable de tout ce qu'on lui imputait. M. Brenier pensait bien différemment ; mais en maître habile dans l'art d'éprouver les esprits pour voir s'ils sont de Dieu, (I. Jean. IV, 1) il paraissait /27/ toujours punir et ne jamais approuver. Plus on avait de respect et d'estime pour le supérieur, plus aussi ses corrections paraissaient justes et fondées, et par une suite nécessaire plus elles étaient humiliantes pour celui qui les subissait.
 
       Six mois entiers se passèrent de la sorte, pendant lesquels il n'était presque question que des fautes, des ridicules, des travers de M. Grignion, et M. Grignion toujours en paix, toujours égal à lui-même, ne s'excusait jamais, s'avouait coupable de tout, demandait pardon des fautes qu'il n'avait pas faites, et trouvait encore le secret de croire qu'on lui faisait grâce.
 
Après les réprimandes les plus dures et les moins méritées, on le voyait s'approcher de celui qui venait de les lui faire, lui parler avec confiance, et en user à son égard comme s'il n'en avait reçu que des éloges et des bienfaits. M. Brenier ne put prendre sur lui de continuer à exercer plus longtemps un jeune homme dont il connaissait déjà la vertu, mais de laquelle il pouvait encore moins douter après une épreuve soutenue d'une manière si édifiante et si admirable.
 
26 - M. Grignion est nommé maître des cérémonies
 
M. de Leschassier n'en rabattit rien de sa fermeté à l'égard de son pénitent. Il le chargea de l'office de maitre des cérémonies, sous M. de la Garde. Cette fonction demande de l'action et du mouvement et le but du sage directeur était de le distraire par là du recueillement profond pour lequel il avait un attrait marqué, mais où on l'accusait d'excéder.
 
Il s'acquitta de ce nouvel emploi avec toute l'exactitude, la capacité et le succès qu'on pouvait désirer. Il vint même à bout, pendant six mois qu'il en fut[129] chargé, d'un ouvrage que plusieurs autres avant lui avaient entrepris, mais qu'ils avaient tous abandonné. Ce fut de ranger et d'ordonner de suite tout ce qui regarde les offices et les fonctions de diacre, de sous-diacre et d'acolyte, afin qu'on pût s'en instruire et les apprendre plus facilement, en trouvant réuni et marqué[130] sous son titre, ce qui était dispersé sous plusieurs.
 
27 - Pèlerin à Chartres
 
C'est une sainte pratique, entre plusieurs autres au séminaire de Saint-Sulpice, de députer tous les ans quelques sujets pour aller, au nom de la maison, en pèlerinage dans quelque église célèbre consacrée à Dieu sous l'invocation de la très sainte Vierge. M. Leschassier jeta les yeux sur M. Grignion dans la vue de le retirer un peu, par cette pieuse dissipation, de l'attention concentrée qu'il avait toujours à Dieu et qui le jetait quelquefois dans une suite d'abstractions auxquelles on ne pouvait s'accoutumer. /28/
 
S'il y avait au monde une commission qui dût lui être agréable, c'était celle dont on le chargeait. Il s'agissait de l'honneur de Marie et jamais il ne la séparait de Jésus, dans ses discours, dans son esprit, dans son cœur. Il est vrai que dans cette destination on ne recherchait pas sa satisfaction, mais il l'y trouva tout entière. Notre-Dame de Chartres était le terme du pèlerinage[131] ; on lui donna pour associé M. Bardou, ecclésiastique [132]en qui on remarquait également un grand attrait pour l'oraison et pour la mortification. Rien n'était mieux assorti, et tous deux, à pied, se mirent en route. Mais qu'est-ce qui pouvait dissiper un homme qui voyait Dieu, et qui ne voyait que Dieu seul en tout ? Aussi[133], parler à Dieu, parler de Dieu, c'est ce qui partagea tout le temps[134] dans l'aller et dans le retour. Pour ce qui est du terme, à peine y est-il arrivé que, porté sur les ailes de l'amour qu'il a pour sa bonne mère, il va dans l'église de Chartres chercher auprès d'elle le délassement de toutes les fatigues du voyage. Le jour suivant, il prévient l'aurore pour se rendre dans la chapelle souterraine, objet particulier de la dévotion des pèlerins. Il y communie et y passe six heures de suite à genoux, en oraison et comme en extase. Ce n'est qu'à regret qu'il se voit arraché de ce saint lieu pour prendre un repas très frugal. Le soir, il y retourne, et y passe de nouveau six heures entières en oraison, comme le matin.
 
            A son retour le séminaire de Saint-Sulpice le retrouve dans un recueillement aussi profond qu'à son départ, mais dans les sentiments d'une ferveur toute nouvelle.
 
28 - L'auteur justifie les directeurs de Saint-Sulpice
 
On sera peut-être surpris que des hommes aussi vertueux, et[135] aussi consommés dans le grand art de conduire les âmes dans les voies de la perfection la plus sublime, que le sont messieurs les directeurs des séminaires de Saint-Sulpice, aient traité M. Grignion avec tant de rigueur. Mais ils sont à cet égard exempts de tous reproches, et il n'est pas nécessaire pour cela d'avoir recours aux profondeurs impénétrables de la divine Providence, qui permet quelquefois que les saints soient persécutés par des saints. Il était du devoir de ces messieurs si zélés et si éclairés de ne pas autoriser par leur approbation, ou même par leur silence, des singularités qui, quelque bon qu'en pût être le principe, sont toujours d'un exemple dangereux pour une communauté. En effet, la vie commune étant proprement ce qui constitue une communauté, ce serait la détruire, en voulant la perfectionner, que de ne pas combattre ce qui peut lui être opposé. D'ailleurs, ces voies extraordinaires sont toujours justement suspectes d'illusions si elles ne sont puissamment éprouvées. Enfin, on n'en est pas, pour cela, moins admirateur des opérations du Seigneur dans des âmes privilégiées, /29/ qu'il attire à lui d'une façon spéciale, et qui répondent avec fidélité aux desseins qu'il a sur elles.
 
Le saint patriarche Jacob découvrit, au moins confusément, le secret du ciel dans le récit simple et naïf que faisait de ses songes mystérieux son fils Joseph en présence de ses frères (Gen. XXXVII, 11)[136]. Cependant, il ne se crut pas pour cela dispensé de faire des remontrances même assez vives à cet enfant tout privilégié et tout favorisé qu'il était de l'éternel (Ibid. vv. 10). C'est sur ce modèle admirable et canonisé par l'Esprit-Saint lui-même que messieurs les supérieurs et directeurs se[137] conduisaient à l'égard de M. Grignion. Celui-ci, non plus que le chaste Joseph, n'en était ni moins grand ni moins saint aux yeux de Dieu ; et si on ne peut avec raison blâmer ceux qui l'éprouvaient, on peut encore moins le blâmer lui-même avec quelque fondement, car si on veut y regarder de près, tout son crime était d'être plus saint qu'on ne l'est ordinairement, quand on l'est même beaucoup, et de l'être par des voies moins ordinaires.
 
29 - M. Grignion est ordonné prêtre
 
[138]
M. Grignion avait l'âge, et au-delà, d'être admis aux saints Ordres. On l'avertit de s'y préparer, et il le fait. Mais quand on lui annonce qu'il faut se disposer à recevoir l'onction sacerdotale, cet homme d'une égalité jusqu’alors[139] inaltérable, laisse paraître son trouble il frémit, il est saisi d'un saint tremblement, et pour la première fois de sa vie il résiste à l'autorité. Rien ne put le rappeler à la soumission que des ordres précis et formels ; on les lui donne et, dès ce moment, il plie les épaules sous le fardeau qu'on va lui imposer, et dont il sent, par avance, toute la pesanteur. Mais en recevant le caractère auguste de prêtre de la loi nouvelle, avec quelle plénitude n'en reçut-il pas l'esprit ? On en peut juger et par les dispositions qu'il y avait apportées, et par les effets sensibles qu'il produisit en lui.
 
            Ce fut à l'autel de la sainte Vierge, dans l'église de la paroisse de Saint-Sulpice, que le nouveau prêtre célébra sa première messe. Ceux qui y assistèrent, et dont quelques-uns n'étaient pas prévenus en sa faveur, convinrent qu'ils n'avaient rien vu de si édifiant, et qu'il leur avait paru à l'autel comme un ange. Ce sont leurs propres expressions.
 
30 - L'embarras de choisir sa route
 
M.  Grignion consacré prêtre ne crut devoir penser[140] qu'à se consacrer lui-même au salut des âmes. Persuadé que le sacerdoce, selon la belle remarque de saint Augustin, n'est pas un honneur personnel, mais un ministère établi par Jésus-Christ pour l'utilité de toute l'Eglise, il crut qu'il n'était plus à lui, mais qu'il se devait au service de cette Eglise. L'embarras était de connaître la route particulière qu'il devait tenir dans ce nouvel état. Il se serait volontiers dévoué aux missions du Canada, où messieurs[141] de Saint-Sulpice /30/ ont divers établissements. M. Leschassier ne fut pas de cet avis, et l'en détourna absolument. D'un autre côté, il n'avait pas d'attrait pour la vie sédentaire que demandait la résidence dans le séminaire, où l'on aurait souhaité le retenir. Le petit bénéfice qu'il avait, et qui lui tenait lieu de titre, bornait son ambition. De plus grands revenus lui auraient été à charge, et ne convenaient nullement au goût dominant qu'il avait pour la pauvreté.
 
31 - A la communauté de M. Lévêque
 
Tandis qu'il délibérait, un évènement lui donna lieu, si ce n'est pas de se décider entièrement, au moins de faire un essai. M. Lévêque, instituteur et premier supérieur de la communauté ecclésiastique de Saint-Clément à Nantes, se trouva dans ce temps-là à Paris, au séminaire de Saint-Sulpice. Ayant connu M. Grignion, il lui proposa de se joindre à lui. Notre saint prêtre[142] demanda conseil, et ce qui lui fut répondu s'accordant avec son attrait[143], il accepta la proposition.
 
Rendu à Nantes, il se livre pendant une année entière au travail des missions avec un zèle infatigable, mais sans se relâcher en rien dans ses pratiques de pénitence et dans son union continuelle avec Dieu. Si tous les sujets qui composaient la communauté de Saint-Clément eûssent ressemblé au supérieur, le nouveau missionnaire s'y serait entièrement dévoué. Mais ils n'en avaient, à beaucoup près, ni l'esprit ni les sentiments, et ce fut ce qui l'empêcha de s'y fixer. Les révolutions[144] arrivées depuis à cette communauté montrent assez combien il pensait juste et quelle était sa prévoyance. Le bon ordre avec lequel elle est aujourd'hui gouvernée, aussi bien que le séminaire du diocèse, parles messieurs de Saint-Sulpice, a réparé avec avantage tous les dérangements qui suivirent la mort du premier supérieur de cette maison.
 
32 - Eloge de M. Lévêque
 
On verra ici avec[145] autant de plaisir que d'édification, un court récit de ce qui regarde ce grand serviteur de Dieu, qui fut le premier maitre de M. Grignion dans l'exercice des missions. M. Lévêque avait été un des premiers disciples de M. Olier, ce saint fondateur de la Congrégation de Saint-Sulpice, et qui par cet endroit mérite d'être placé au rang des plus signalés bienfaiteurs de l'Eglise de France. Le disciple avait parfaitement puisé l'esprit du maitre dans la céleste école de perfection, placée alors dans le château d'Avron (
Le ms. porte Aovone)
et maintenant à Issy, proche Paris.
 
L'humilité et la pénitence furent ses vertus dominantes et il les porta l'une et l'autre au plus haut degré. Il allait de temps en temps à Paris se renouveler dans la ferveur, au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il regardait comme le berceau de sa naissance spirituelle. Un écu lui suffisait pour son voyage de Nantes à Paris, parce qu'il ne mangeait que du pain[146] et qu'il ne buvait /31/ que de l'eau. Aussi, dans les auberges où il était connu on ne s'avisait pas de lui présenter autre chose. Dans les dernières années de sa vie, ses voyages au séminaire de Saint-Sulpice étaient plus fréquents et son séjour y était plus long. Il désirait même d'y mourir, et ses vœux furent exaucés. Ce fut à Issy que ce vieillard vénérable, âgé de plus de 80 ans, alla se préparer au grand passage du temps à l'éternité. Toujours couvert d'un affreux cilice, son vêtement ordinaire, il y passa le carême qui précéda sa mort, en solitude,[147] en prières et en pénitence. Il faisait régulièrement huit heures d'oraison par jour et comme il lui était défendu de les faire de suite à genoux, il ne se soulageait qu'en se prosternant sur le pavé de marbre de la dévote chapelle de Notre-Dame de Lorette, où il trouvait ses délices. Il employait le reste de sa journée à dire son bréviaire, réciter son chapelet et lire des livres de piété. Comme on J'exhortait à modérer ses austérités, il ne répliquait autre chose si ce n'est qu'il craignait que la mort ne le surprit sans faire pénitence. Ce fut dans ces sentiments et après une préparation si parfaite, que dégagé de tout il passa doucement à une meilleure vie, plein de jours et de mérites.
 
 
33 - Visite de M. Grignion à Fontevrault
 
M.  Grignion s'étant déterminé, après une mûre délibération devant Dieu, à quitter la communauté de Saint-Clément, se retrouva plongé dans ses premières incertitudes sur le parti qu'il avait à prendre. Il crut ne pouvoir mieux faire que de retourner à Paris pour consulter les oracles du Seigneur qu'il y avait laissés. Il prit sa route par Fontevrault, où il avait une sœur qui depuis peu y avait fait profession[148]. Il est à présumer que ce fut[149] à l'occasion de ce voyage que lui arriva ce que nous allons[150] raconter. Comme il ne voulait vivre que d'aumônes et sur les seuls fonds de la Providence, il alla à l'abbaye de Fontevrault demander la charité pour l'amour de Dieu. La religieuse à qui il parla trouva quelque chose de singulier dans son extérieur[151] et dans ses manières. Mais elle fut surtout frappée de son air dévot et de l'affection avec laquelle ü prononçait ces paroles : «Pour l'amour de Dieu». C'en fut assez pour exciter une curiosité peut-être un peu trop naturelle, mais après tout excusable, et qui pouvait avoir un bon principe. L'homme de Dieu ne la satisfit pas, et pour toutes réponses aux questions différentes qu'on lui fit, il ne cessa de répéter : «Je demande la charité pour l'amour de Dieu». Madame l'abbesse, avertie de ce qui se passait et sollicitée de le[152] voir par elle-même, se transporta sur le lieu[153], et demanda son nom au pauvre voyageur. «Madame, répliqua-t-il, à quoi bon me /32/ demander mon nom ? ce n'est pas pour moi, mais pour l'amour de Dieu que je demande la charité.» La question n'était pas déplacée, mais la réponse, dont on ne pénétra pas alors l'esprit, fit juger que celui qui la faisait était insensé, et on le renvoya sans lui rien donner.
 
M.  Grignion, épuisé de fatigue, reçut ce refus avec une patience héroïque et se contenta de dire à la sœur du dehors : «Si Madame me connaissait, elle ne me refuserait pas la charité.» Ce peu de paroles prononcées avec beaucoup de douceur et de modestie, ayant été rapporté au couvent donna lieu de penser qu'il y avait là-dessous quelque mystère. La sœur de M. Grignion en devint l'interprète. En effet, on ne lui eût pas plus tôt dit ce qui venait de se passer, et dépeint l'air et la figure du voyageur[154] qu'elle s'écria aussitôt : «C'est mon frère !» Or, elle avait souvent parlé aux religieuses de ce frère et ce qu'elle en avait dit leur avait inspiré un grand désir de le connaître. On envoya sur-le-champ courir après lui, lui faire des excuses et le prier de revenir, mais le pieux pèlerin ne pouvant agréer qu'on fit en sa considération ce qu'il croyait ne lui être dû qu'à titre de pure charité, répondit : «Madame l'abbesse n'a pas voulu me faire l'aumône pour l'amour de Dieu ; maintenant elle me l'offre pour l'amour de moi ; je la remercie.» Cela dit, quelque besoin qu'il’ eût dans le moment de repos et de nourriture, il alla chercher l'un et l'autre chez les pauvres gens de la campagne, dont le commerce faisait ses délices.
 
On pensera peut-être ici que la prudence de ces dames aurait un peu trop resserré leur charité, et que l'humilité de M. Grignion[155] n'aurait pas assez évité de donner quelque suspicion d'humeur. Mais, d'un côté personne n'ignore les aumônes immenses que cette sainte et célèbre maison est[156] depuis longtemps en position de faire aux pauvres de tous états et de toute espèce. Et par rapport à M. Grignion[157], outre qu'il voulait sans doute faire à Dieu le sacrifice du plaisir de voir sa sœur, ne tenant plus en rien à la chair ni au sang, on doit se ressouvenir qu'uniquement rempli des vues de foi qui l'animaient, il envisageait les choses d'une manière qui le mettait entièrement au-dessus des jugements du monde.
 
34 - Rencontre avec les pauvres de Poitiers
 
M.  Grignion continua sa route par Poitiers. L'esprit de Dieu l'y conduisit, mais sans lui manifester ses desseins, et sans lui faire connaître que le Poitou devait être un jour un des plus grands théâtres de son zèle, et d'un zèle éprouvé par bien des traverses et des contradictions. En arrivant dans la capitale de cette province, il alla droit à l'hôpital et il y célébra les saints mystères. On crut voir un séraphin à l'autel, et on ne fut pas moins édifié /33/ de la ferveur avec laquelle il fit son action de grâces, qui dura une heure entière, pendant laquelle il se tint toujours à genoux, les mains jointes, immobile, et dans le recueillement le plus profond.
 
Les pauvres eurent tout le loisir de le considérer, de l'admirer et de se communiquer leurs[158] idées au sujet de cet étranger. «Venez, se disaient-ils les uns aux autres, venez voir un saint ! Voilà l'homme qu'il nous faut pour demeurer avec nous et nous conduire. Il faut l'arrêter, et l'empêcher de nous quitter». L'exécution suivit de près la délibération. Dès que les pauvres virent M. Grignion se lever pour sortir, ils s'attroupèrent autour de lui et le conjurèrent, dans les termes les plus tendres, et avec la plus grande instance, de rester avec eux et de ne les pas abandonner. «Mes chers enfants, répondit-ü, demandez si c'est la volonté de Dieu». Cependant, il consentit à attendre la réponse de M. l'évêque de Poitiers, auquel un des pauvres ne balança pas d'écrire au nom des autres. L'absence du prélat ne permit pas d'avoir une réponse aussi prompte qu'on l'aurait désiré. L'homme de Dieu consacra ce délai à des exercices de zèle, auxquels il se livra avec la permission de Messieurs les grands vicaires. Il rassemblait, presque tous les jours, sous la halle, les pauvres et les enfants pour leur faire le catéchisme. Et comme la curiosité y attirait aussi[159] d'autres personnes de tout âge et de toute condition, il crut devoir joindre à l'instruction familière des exhortations vives et pathétiques. La grâce et l'onction de l'Esprit-Saint animant tous ses discours, on en sortait touché et attendri[160] et on y retournait avec un esprit de foi et de religion. Les écoliers du collège de Poitiers n'échappèrent pas à son zèle et il fit parmi eux de très grands biens, dont on a vu dans la suite des fruits persévérants.
 
35 - Aumônier à l'Hôpital Général de Poitiers
 
Les vœux des pauvres furent enfin exaucés ; on leur accorda M. Grignion pour être leur aumônier et leur confesseur. L'hôpital était dans un grand désordre, tant pour le spirituel que pour le temporel. Il n'y avait presque nulle règle, nulle subordination, nulle économie. Le mal était grand et il demandait un remède efficace et présent. Le nouveau et zélé directeur n'oublia rien pour retrancher les abus et remettre l'ordre. Il proposa des règlements, et il n'épargna ni prières ni exhortations pour les faire accepter et garder. Les besoins temporels attirèrent également son attention. On le vit /34/ se mettre lui-même à la tète de quelques pauvres qu'il envoyait par la ville, et la parcourir ainsi avec un âne chargé de paniers pour recevoir les aumônes. Mais plus il faisait[161] pour se rendre utile à l'hôpital et pour y gagner les esprits et les cœurs, plus il trouvait d'opposition aux succès de son zèle, de sorte qu'il se détermina à se retirer et à continuer sa route pour Paris.
 
36 - A Paris
 
En arrivant, il se présenta à la Salpêtrière, un des plus grands hôpitaux de la capitale du royaume. Il y fit offre de ses services. On les agréa ; mais s'il y trouva, selon ses désirs, beaucoup d'occupations et de travail, il n'y trouva pas moins de contradictions et de croix. M. Grignion était un de ces hommes qui, en fait de vertu et de perfection, prennent leur vol si haut qu'on n'oserait pas entreprendre, je ne dis pas de l'égaler, mais de le suivre[162] même de loin. Alors l'émulation découragée se change souvent en jalousie, défaut dont l'état le plus saint n'est pas toujours exempt, au moins à en juger par une conduite extérieure qu'on aurait peine à justifier aux yeux du monde, mais que de trop forts préjugés peuvent rendre moins coupables[163] aux yeux de Dieu. On ne dit pas combien de temps le nouveau confesseur de la Salpêtrière vécut avec ses confrères ; ce que l'on sait, c'est que ceux-ci réussirent aisément à s'en défaire.
 
Comme il ne voulut rien prendre de ce qu'on donne par an aux prêtres qui desservent cet hôpital, on l'habilla et on lui fit présent d'un chapeau ; mais l'ayant trouvé trop lustré, il le donna à un pauvre quand il sortit et prit le sien. Alors incertain autant et plus que jamais dans ses voies, il ne savait par quelle route il devait marcher. Son oracle était muet et ne voulait plus rendre de réponse. Il en fut même fort rebuté quand il alla se présenter devant lui ; et surtout un jour où l'humiliation fut d'autant plus grande qu'elle eut pour témoins plusieurs ecclésiastiques. Il n'est pas douteux que le maître, en refusant à l'ancien disciple ses conseils et son assistance, ne se conduisit par des motifs qu'on doit respecter, et qu'il serait téméraire et même injuste de condamner. On doit porter le même jugement d'un autre de ses anciens supérieurs qui, ayant été fait supérieur du séminaire d'Angers, ne lui fit pas un accueil plus favorable, lorsqu'il se présenta pour lui rendre ses devoirs et prendre ses avis. L'homme de Dieu sut mettre à profit toutes ces disgrâces, et la divine Providence /35/ eut soin de le dédommager par des consolations surabondantes. Jamais plus rempli de confiance que lorsqu'il était plus abandonné, jamais plus content que lorsqu'il manquait du nécessaire, il souffrait tout en silence et n'ouvrait la bouche que pour se répandre en tendres actions de grâces qu'il rendait au Seigneur.
 
Son asile en sortant de la Salpêtrière fut un petit réduit sous un escalier, dans une maison voisine du noviciat des jésuites. Une pauvre couchette, un vaisseau de terre, un bréviaire, une bible, un crucifix, une image de la très sainte Vierge, un chapelet et ses instruments de pénitence, composaient tous ses meubles. Un mendiant par état et par profession aurait eu de la peine à se contenter d'un endroit si obscur et si malsain. Mais ce grand zélateur de la pauvreté de Jésus-Christ s'y trouvait mieux que dans les plus beaux palais du monde.
 
Là il passait la meilleure partie des jours et des nuits en oraison. Le goût qu'il trouvait aux communications intimes qu'il avait avec Dieu lui fit naître la pensée de passer le reste de ses jours en solitude, ou au moins de suspendre pour un temps les fonctions de son zèle. Il consulta à ce sujet un père de la Compagnie de Jésus, qu'il avait pris pour directeur, et il lui fut répondu qu'il ne devait ni abandonner, ni même suspendre les exercices du saint ministère.
 
Cependant il fallait trouver de quoi vivre et la Providence y pourvut. Un excellent ecclésiastique, nommé M. Bargeaville, très digne prêtre de la communauté de Saint-Sulpice, instruit par M. Grignion lui-même de la misère extrême à laquelle il était réduit, en parla à la supérieure des religieuses du Saint-Sacrement, rue Cassette, à Paris, et en même temps il lui dit tant de bien de celui qu'il lui recommandait, qu'il inspira à cette religieuse un désir pressant de le connaître. Cette grande servante de Dieu ne l'eût pas plus tôt vu qu'elle en conçut une haute estime, et à la fin du premier entretien qu'elle eut avec lui, elle lui proposa d'accepter tous les jours la portion de la communauté qu'on servait devant l'image de la très sainte Vierge placée dans le réfectoire, où[164] elle représentait la première supérieure de la maison. Cette portion était destinée pour les pauvres, et dès là elle ne pouvait manquer d'être agréable au saint prêtre. Mais il demanda et il obtint la permission de la partager avec un autre pauvre. Tous les jours il se transportait, à l'heure marquée, à un des parloirs, /36/ accompagné du premier pauvre qu'il avait trouvé, qu'il faisait asseoir à table auprès de lui, et qu'il servait le premier. Mais il fallait encore pourvoir aux besoins d'une de ses sœurs, qui était à Paris dans une situation assez fâcheuse. Mademoiselle de Montigny, à son retour de Rennes à Paris, en avait emmené une qu'elle avait prise en affection, et Madame de Montespan en dota une autre à Fontevrault où elle avait fait profession, lorsque son frère y passa en demandant la charité, et sans se faire connaître, ainsi que nous l'avons raconté. La première, après la mort de Mademoiselle de Montigny, fut obligée de sortir de la communauté où on l'avait mise en pension pour lui donner de l'éducation, et Madame de Montespan l'avait placée chez les Filles de saint Joseph, faubourg de Saint-Germain, à la recommandation de Madame la duchesse de Mortemar. Divers événements la mirent encore dans le cas d'être congédiée, sans qu'il y eût néanmoins de sa faute. M. Grignion proposa aux religieuses de l'Adoration Perpétuelle du très Saint-Sacrement d'en faire chez elles, ou dans une autre de leurs maisons, une sœur converse. C'était déjà ses bienfaitrices, et elles ne cherchaient que l'occasion de l'obliger, non seulement par charité, mais encore pour son éminente sainteté. Elles demandèrent à la voir. Mais elles la trouvèrent si délicate, qu'elles la jugèrent plus propre à servir la religion dans l'état de religieuse de chœur que dans celui de sœur converse. L'embarras était de lui procurer une dot suffisante.
 
Deux postulantes du même Institut se disposaient alors à partir pour la communauté de Rambervillers, en Lorraine, diocèse de Toul. Comme cette maison manquait de sujets, on se persuada qu'une troisième postulante pourrait y faire plaisir, et qu'on se contenterait d'une dot modique. Les religieuses et quelques dames du dehors se donnèrent bien des mouvements pour faire réussir ce projet. Mais leurs tentatives furent inutiles. Déjà tout semblait désespéré, et les deux postulantes devaient partir sous deux jours, lorsqu'une personne de considération, beaucoup moins riche que celles dont on avait sollicité la charité et qui n'avait appris que par occasion ce qui se passait à ce sujet, fut inspirée de promettre la somme qu'on demandait pour la troisième postulante, et même de l'habiller et de fournir à toute la dépense du voyage. Ce miracle de Providence fut l'effet du parfait abandon du serviteur de Dieu à ses dispositions souvent impénétrables, mais toujours adorables. /37/
 
37 - Chez les ermites du Mont-Valérien
 
Sur ces entrefaites M. l'abbé Madot, depuis évêque de Châlons-sur-Saône, et qui a rempli ce siège avec tant de zèle et d'édification pendant un grand nombre d'années, jeta les yeux sur M. Grignion pour une bonne œuvre qu'il avait extrêmement à cœur, et dans laquelle il n'avait encore pu réussir. Il était supérieur des ermites du Mont-Valérien, auprès de Paris. Ces ermites forment une communauté fort austère, et si le démon de la discorde n'y avait pas divisé les esprits et aliéné les cœurs[165], rien n'aurait été plus édifiant. Celui qui était à la tête de ces solitaires s'appelait le frère Jean. Il les avait assez longtemps gouvernés dans la paix et dans l'union, lorsque les sacrés liens de la charité furent malheureusement rompus. L'illustre et zélé supérieur, après avoir inutilement mis tout en usage pour rappeler la concorde parmi eux, eut enfin recours à M. Grignion qu'il pria de se charger de cette commission. Celui-ci l'accepta et partit aussitôt pour aller sur cette montagne, la plus élevée de celles qui sont aux environs de Paris. Il s'agissait d'une bonne œuvre et l'humble serviteur de Dieu, n'ayant eu aucune part au choix qu'on avait fait de lui, crut y voir un ordre de la divine Providence, qui ne lui laissait d'autre parti à prendre que celui de se soumettre.
 
Rendu au lieu de sa destination, il ne s'y annonça point par un air d'autorité et de domination, mais par toutes les vertus qui peuvent concilier le respect et la confiance. Son recueillement, son esprit d'oraison, sa ferveur, sa mortification étonnèrent ces solitaires. Ils le voyaient suivre leurs règlements avec la plus grande exactitude, se trouver à tous les exercices et leur donner, en tout genre, les exemples de la plus haute perfection. Ces hommes si austères ne le paraissaient plus auprès de lui, car à toutes leurs pénitences il ajoutait encore ses pénitences particulières. Durant les intervalles entre les exercices communs on était assuré de le trouver dans la chapelle, toujours à genoux et en oraison, glacé et tremblant de froid, parce que ses pauvres vêtements ne pouvaient pas l'échauffer et le défendre de la rigueur de la saison. Les solitaires en eurent pitié et le prièrent de prendre un de leurs habits. Il se rendit à leurs sollicitations, et ainsi revêtu de la robe blanche de ces ermites, il paraissait et vivait parmi eux, comme l'un d'entre eux et sans aucune distinction. Frappés enfin[166] de tant de grands exemples, touchés[167] par la grâce et l'onction de ses paroles, gagnés par sa douceur et son humilité, ils ne tardèrent pas à se rendre à ses désirs et à unir leurs voix à la sienne pour rappeler parmi eux la paix et la concorde qui en avaient été bannies. C'est tout ce qu'on demandait de M. Grignion, qui, après avoir de la sorte et si heureusement rempli sa mission, retourna[168] à Paris. Il y retrouva des croix et des contradictions, car elles semblaient naître sous ses pas, et la persécution devint /38/ si violente qu'il se détermina enfin à quitter cette capitale.
 
38 - M. Grignion retourne à Poitiers
 
L'hôpital de Poitiers, ou plutôt les personnes qui désiraient le bien véritable de l'hôpital redemandaient M. Grignion. Son départ y avait laissé un grand vide qui n'avait pas encore été rempli. M. Girard était mort, et M. de la Poype de Vertrieu l'avait remplacé. Ce prélat, digne des plus beaux et des premiers temps de l'Eglise, ne respirait que le zèle de sa propre perfection et le salut des âmes confiées à ses soins. On lui avait parlé de l'ancien aumônier de l'hôpital, et il le vit avec joie reprendre ses premières fonctions.
 
Lorsque M. Grignion partit de Paris, on lui donna pour son voyage dix écus, par charité, mais il ne les reçut que pour les distribuer sur-le-champ aux pauvres. Les fonds de la Providence étaient les seuls sur lesquels il voulait compter, et son abandon à cette Providence si admirable ne lui permettait pas d'user de prévoyance pour le lendemain. Il trouva l'hôpital de Poitiers dans un aussi grand dérangement qu'il l'avait laissé, et il entreprit avec un nouveau zèle d'y rétablir l'ordre. Il obtint que les heures des repas fussent réglées, que les pauvres fussent servis en même temps, que les hommes fussent séparés des femmes et qu'on fit une lecture de piété pendant le repas. Il réussit encore à faire faire, le matin et le soir, la prière en commun. Enfin comme le bien de la société en général dépend de la bonne éducation des enfants, il interposa l'autorité de M. l'évêque pour leur faire donner un maître particulier, dont l'unique occupation serait de leur apprendre à lire et à écrire et de les former à la piété.
 
Quoiqu'il n'y eût rien que de très sage dans ces règlements, ils souffrirent bien des contradictions de la part des gouvernantes, et de celle des administrateurs gagnés par les premières. Celles-ci se trouvaient assujetties et réglées, au moins quant aux services, par le règlement des pauvres. Accoutumées à ne connaître d'autre règle qu'un gouvernement presque arbitraire, et où elles consultaient beaucoup plus leur commodité que les besoins de l’hôpital, une réforme qui allait à les captiver n'était pas de leur goût. Cependant, quelqu'ennemi qu'on soit de l'ordre et de la règle, on n'aime pas à le paraitre. Aussi n'est-ce pas[169] de ce côté-là qu'elles attaquèrent le saint réformateur. D'abord elles tachèrent de lui procurer, par elles-mêmes et[170] par les administrateurs, les plus grandes mortifications. Elles contredisaient tout ce qui n'était pas ou d'une nécessité absolue ou d'une bienséance évidente. Ainsi elles ne voulurent pas souffrir une lampe qu'une /39/ personne de piété voulait entretenir à ses frais devant une image de la très sainte Vierge. Le zèle tendre et animé de leur saint aumônier pour l'honneur de Marie leur était connu, et elles jugèrent avec raison que ce serait là pour lui une mortification bien sensible.
 
Le prétexte de ce que l'innovation présente ordinairement d'odieux était celui dont elles s'efforçaient de justifier leur opposition à toutes les autres pratiques que l'homme de Dieu croyait devoir introduire, et faire passer en règle dans l'hôpital. «Pourquoi, disaient-elles, changer des usages de tous les temps, et en introduire de nouveaux ? Il faut donc passer condamnation sur les anciens administrateurs, et sur les anciennes gouvernantes ? Et nous, qui leur avons succédé, devons-nous rentrer dans l'enfance et aller prendre des leçons d'un nouveau venu, comme si les temps anciens ne valaient pas bien les derniers ? » Voilà comment le relâchement, après s'être une fois introduit dans une communauté, trouve le secret de s'y soutenir, et de s'y autoriser. Cependant quoi de moins raisonnable, surtout quand il s'agit d'établissements qui intéressent le bien public autant que les hôpitaux l'intéressent ? Car enfin, il ne s'agit pas de ce qui a été, mais de ce qui aurait toujours dû être, et de ce qui peut assurer une bonne administration. Les abus pour être consacrés par une longue possession, ne cessent pas pour cela d'être des abus, et comme ce serait légèreté de changer, sans raison, des usages bons en eux-mêmes, ce serait aussi une opiniâtreté déraisonnable de se refuser à des changements que demande le bon ordre et qui deviennent nécessaires.
 
Monsieur Grignion comprit aisément que des filles qui n'ont pas été formées de bonne heure au gouvernement des hôpitaux en deviennent rarement bien capables surtout quand elles n'ont pas été élevées dans un certain esprit intérieur et dans la pratique de l'obéissance et de la subordination. Saint Vincent de Paul l'avait également compris avant lui ; et c'est, en particulier, ce qui détermina ce grand saint et ce grand homme à établir la célèbre congrégation des Filles de la Charité, appelées communément les Sœurs Grises. C'est aussi ce qui a donné naissance à une autre congrégation si édifiante et si respectable, connue sous le nom des demoiselles de Saint Thomas de Villeneuve. Le saint aumônier de l'hôpital de Poitiers, marchant sur les traces de ce qu'il y avait eu de plus éclairé avant lui, conçut un projet semblable et ce fut pour lui la source de bien de nouvelles contradictions. /40/
 
39 - La première Sagesse
 
Il est vrai qu'il commença d'une manière fort extraordinaire l'établissement qu'il projetait. D'abord il choisit entre les pauvres filles de l'hôpital dix ou douze des plus vertueuses. La plupart étaient très infirmes. Les unes étaient boiteuses, les autres aveugles ; il y en avait qui étaient couvertes de plaies. Mais la ferveur, que l'homme de Dieu leur avait inspirée, leur faisait trouver des forces pour garder la règle qu'il leur présenta. Elles devaient se lever à quatre heures, faire une heure d'oraison, réciter le chapelet, entendre la messe et s'occuper ensuite au travail jusqu'au diner. A une heure après midi, elles devaient dire un second chapelet et reprendre le travail comme le matin. A cinq heures et demie, il y avait encore une demi-heure d'oraison prescrite, laquelle était suivie d'un troisième chapelet, ou de la troisième partie du rosaire. Le silence leur était recommandé dans tous les temps, à la réserve d'une heure de récréation qu'on leur accordait après le diner et d'une demi-heure après le souper. Il leur nomma une supérieure particulière, choisie d'entre elles, et qui était chargée de présider à tous les exercices. Elles étaient logées dans la maison de l'hôpital, dans[171] un appartement séparé des salles. Au milieu de la chambre commune était une grande croix, et le nouveau patriarche nomma cet endroit : La Sagesse, et ses filles en portèrent le nom, s'appelant dès lors, comme elles s'appellent encore aujourd'hui, les Filles de la Sagesse.
  L'homme de Dieu concevait parfaitement que ces pauvres filles n'étaient nullement en état de gouverner les hôpitaux, et qu'un institut formé sur ce plan et composé de pareils sujets pouvait être fort édifiant en lui-même, mais qu'il ne pouvait être d'aucune ressource pour ces asiles de la misère publique. Aussi avait-il des vues plus sublimes. En s'y prenant de la sorte, il voulait commencer l'œuvre de Dieu dans l'humiliation et l'abaissement, et élever un trophée[172] à la sainte folie de la croix, persuadé que c'était là le secret le plus infaillible pour attirer les bénédictions du ciel[173] sur toutes sortes d'entreprises.
 
40 - Action héroïque de M. Grignion
 
Cependant l'attention particulière qu'il avait à ce petit troupeau choisi ne diminuait rien de son zèle et de sa sollicitude[174] pour tout ce qui concernait les autres parties de son administration dans l'hôpital. Il ne se bornait pas à donner aux pauvres tous les /41/ secours spirituels qui pouvaient dépendre de son ministère, il étendait même sa charité sur les besoins du corps. Jamais il n'était plus content que lorsqu'il pouvait panser leurs plaies, faire leurs lits, rapproprier les hardes à leur usage et balayer les salles et les cours.
 
Un jour. ayant appris que les pères des pauvres avaient congédié u n malade couvert d'ulcères infects et dont la maladie pouvait être contagieuse, il alla les trouver pour les prier de lui permettre de ramener ce malade à l'hôpital, leur représentant qu'il y avait une chambre éloignée des salles, de façon que le mal, s'il était véritablement contagieux, ne pourrait se communiquer à personne ; que du reste il ne voulait pas que ce pauvre malheureux devint à charge à qui que ce fût de la maison, qu'il s'en chargerait seul et qu'il en prendrait soin[175]. A force de prières et d'instances, il obtint ce qu'il demandait, et ü ne cessa d'assister jour et nuit le malade, sans permettre qu'aucun autre que lui en approchât, jusqu'à ce que la nature et la force du mal l'eûssent conduit au tombeau.
 
Ce fut dans cette occasion que M. Grignion fit une de ces actions héroïques dont le récit, tout révoltant qu'il est pour la nature, ne doit pas être dérobé à l'édification des âmes saintes. Comme il sentait une fois quelque répugnance à le servir, il se rappela cette grande maxime, que l'on n'avance dans la vertu qu'autant qu'on se fait violence, et qu'un grand sacrifice rend tous les autres moins pénibles. Fortifié par cette pensée, il ramassa dans un petit plat le pus sorti des plaies de ce pauvre ulcéré et l'avala[176]. On peut lire dans la vie de sœur Marie-Louise de Jésus à quel sujet il lui en fit la confidence
 
41 - Mademoiselle Louise Trichet
 
Ce fut de cette sainte fille, connue dans le monde sous le nom de Mlle Trichet, qu'il se servit pour jeter les premiers fondements d'une congrégation dont il n'avait fait qu'une ébauche très imparfaite dans la petite société des filles de l'hôpital dont nous avons parlé. Cette demoiselle, âgée de dix-neuf ans et demie[177], s'était mise sous sa conduite lorsqu'il méditait le plan de l'institut des filles de la Sagesse.[178] Elle lui déclara le dessein où elle était de mener une vie retirée. «Ma fille, venez demeurer à l'hôpital», lui dit le saint aumônier des pauvres, /42/ sans lui rien ajouter de plus.
 
L'esprit de Dieu avait dicté ces paroles ; l'esprit[179] de Dieu les grava dans celui[180] de la jeune personne. Elle y réfléchit profondément, et de l'esprit elles passèrent jusqu'au cœur. Elle en rendit compte à son saint directeur qui, pour mieux l'éprouver, répliqua qu'il n'avait pas parlé sérieusement, qu'au surplus il ne voulait pas se mêler de cette affaire qui souffrirait bien des difficultés. «Permettez au moins, répondit-elle, que j'en parle à Monseigneur». A peine en eut-elle obtenu la permission qu'elle alla se jeter aux pieds de M. l'évêque de Poitiers en lui déclarant quelle sortait d'une communauté, qu'elle ne voulait plus rester dans le monde et chez ses parents, et qu'elle le suppliait de la faire recevoir à l'hôpital. Le prélat répondit qu'il le voulait bien, mais qu'il ne croyait pas qu'on eût besoin de gouvernantes, et qu'en tout cas il en parlerait au bureau. Il se trouva en effet qu'on n'avait pas besoin ou qu'on ne voulait pas de nouveaux sujets à l'hôpital. Dans cette circonstance, la vertueuse fille pressée intérieurement de ne pas abandonner son projet, conjura M. l'évêque de vouloir bien la faire recevoir en qualité de pauvre, puisqu'elle ne pouvait être reçue en qualité de gouvernante. Il y acquiesça et lui donna une lettre pour messieurs les administrateurs. La surprise de ceux-ci fut extrême, en apprenant que la fille d'un homme du même état que celui du plus grand nombre d'entre eux demandait à être reçue à l'hôpital sur le pied de pauvre. Ils auraient cru se déshonorer eux-mêmes en se rendant à ses désirs. Cependant, par déférence pour la recommandation de leur évoque, ils prirent un tempérament, et ce fut de l'admettre pour servir d'aide à la supérieure, en ordonnant qu'elle serait traitée comme les autres gouvernantes.
 
Le procédé de messieurs les administrateurs était louable, mais ils pensaient tout humainement et M. Grignion avait bien d'autres vues. Il ne douta pas dès ce moment que la Providence ne voulût lui ménager un sujet capable de lui aider à fonder son nouvel établissement, quand il pourrait avoir son entière exécution. Dès qu'il fut instruit de tout ce qui se passait, il ordonna à la nouvelle postulante de se mettre au nombre des filles qu'il avait rassemblées dans l'appartement qu'on appelait La Sagesse, et il voulut l'y conduire lui-même en présence de la Supérieure. «Etablissez-la donc, lui dit celle-ci, supérieure de ces pauvres filles» «Non, répondit-il, il faut qu'elle sache obéir avant que de commander.» Il voulut ensuite qu'elle n'eût pas d'autre nourriture que celle des pauvres. /43/ Quelques jours après, il lui proposa de changer d'habit et de prendre une robe d'une couleur grise et d'une étoffe grossières Il venait de recevoir dix écus d'aumône, il les fit[181] employer à cet usage, voulant que tout ce qu'il entreprenait fût marqué au coin de l'humilité et de la pauvreté. Quoique la fille eût prévenu sa mère sur ce changement, cependant quand elle se présenta devant elle sous ce nouvel habit, elle en fut extrêmement choquée et déclara qu'elle ne le souffrirait pas, se persuadant que l'honneur de sa famille y était intéressé. Rien n'était plus étranger et plus inconnu à l'homme de Dieu que ces idées d'honneur selon le monde. Il persista à exiger de son humble pénitente qu'elle soutint cet assaut avec fermeté et sans se démentir. Elle obéit, et c'est la même qui, sous un habit tel qu'elle le prit alors, a été pendant près de cinquante ans supérieure générale des Filles de la Sagesse, dont le chef-lieu a été établi à Saint-Laurent-sur-Sèvre dans le Poitou, diocèse de La Rochelle, comme nous le dirons dans la suite.
 
42 - Suppression de la première Sagesse
 
Cependant, cette singularité déplut beaucoup aux administrateurs et aux gouvernantes. On disait qu'il ne convenait pas d'avoir dans un hôpital comme deux hôpitaux différents, qui eussent chacun leur supérieure ; que cela n'était propre qu'à causer du trouble et de la division en ôtant l'uniformité qui est l'orne de toutes les communautés bien réglées ; qu'il convenait beaucoup mieux que toutes fûssent réunies pour le service commun de la maison, et on concluait qu'il fallait détruire cet établissement. Le bureau prit, en conformité, une délibération, laquelle fut exécutée.
 
 
43 - Monsieur Grignion se retire
 
Il faut convenir que messieurs les administrateurs se fondaient sur des raisons plausibles en prenant le parti auquel ils se déterminèrent. Peut-être même auraient-ils été blâmables d'en agir autrement, d'autant plus qu'on n'est pas censé lire dans l'avenir, et qu'il est de la sagesse de se décider suivant les circonstances. M. Grignion de son côté suivait les lumières que lui donnait l'esprit de Dieu, et la preuve que c'était cet esprit qui le conduisait uniquement, c'est qu'il reçut ce coup avec la plus grande résignation, et qu'il vit dissoudre son établissement presque dès sa naissance, sans rien dire qui pût marquer la moindre -aigreur, ou même la moindre altération. Malgré cela, l'orage ne fut pas entièrement dissipé, et il fallut enfin que M. Grignion sortit une seconde fois de l'hôpital de Poitiers. En se retirant il recommanda extrêmement, et il ordonna même à celle /44/ à qui il avait donné le saint habit,[182] de ne le point quitter et de demeurer toujours à l'hôpital, jusqu'à ce qu'il plût au Seigneur de procurer l'établissement des Filles de la Sagesse.


[1]
1
er texte le sanctificateur des âmes
[2]
1er texte et la fin
[3]
1er texte au salut des âmes
[4]
1er texte en vous la consacrant
[5]
1er texte Il ne l' (puis des lettres barrées, illisibles)
 
[6]
1er texte celui-là même
[7]
1er texte pour inviter un nombre
[8]
1er texte (en marge, sur renvoi de lettre A) et qui souhaite d'y mettre au plus tôt la dernière main, vous priant aussi de donner à sa plume.
[9]
1er texte : souhaitent, barré en surcharge : désirent, barré à son tour ; repris : souhaitent.
[10]
1er texte : bien des raisons m'engagent à donner celle-ci au public
[11]
1er texte : ces mémoires
[12]
1er texte : les récits dont au moins
[13]
1er texte : je ne dis pas
[14]
1er texte : qu'il s'est formé
[15]
1er texte : et les charge
[16]
1er texte : lorsqu'ils verront ce
 
[17]
1 er texte : que l'on croit devoir trouver
[18]
1 er texte : la vie
[19]
1 er texte : pour annoncer
[20]
1 er texte : (précédant le texte qui suit et barré) Jérémie fait forger des chaînes et se les met au cou (Jer 27, 2) puis en marge, renvoi à la lettre B : et lés donne ensuite aux ambassadeurs des rois d’Edom, de Moab, d’Ammon, de Tyr et de Sidon. Rentrant dans le corps de la page, le texte continue : Isaïe se dépouille de ses habits, ôte ses souliers et marche ainsi au milieu de Jérusalem (Is 20, 2). Ezéchiel attire les regards du peuple par une suite d'actions toutes plus révoltantes (1er texte : toutes plus bizarres en apparence). De nouveau en marge, sur renvoi à la lettre A : Quelle nouvelle est venu vous apporter cet insensé, diront à Jéhu (ce mot en surcharge au-dessus de Jéhu, barré) les officiers de l'armée un parlant du disciple d'Elisée que ce prophète lui avait envoyé pour le sacrer roi d'Israël (4 Regum 9, v. 11, barré, puis: 4 Reg. 9, v. 11).
[21]
1er texte : Le président Festus
 
 
[22]
1er texte : un plus grand nombre
[23]
1er texte : qui vivaient
[24]
1er texte : si l'on voulait citer
[25]
1er texte : Saint Simon, barré, puis repris.
[26]
1er texte : des choses
[27]
1er texte : comme l'un de ceux qu'on
[28]
1er texte : passait pour
[29]
1er texte : pas même permis
[30]
1er texte : le feu divin
[31]
1er texte : plus ils travaillent aux sacrés
[32]
1er texte : le monde
[33]
1er texte : ainsi qu'un prophète
[34]
1er texte : Ce fut particulièrement
[35]
1er texte : ces grands exemples
[36]
1 er texte : on peut dire que la pratique
[37]
1 er texte : et d'une providence
[38]
1 er texte : S'il nous
[39]
1 er texte : qu'il eût suivi le genre de vie de
[40]
1 er texte : qu'il se formât
 
[41]
1 er texte : les effets peuvent nous faire (comprendre)
[42]
1er texte : Ici il voit
[43]
1er texte : sans autres ressources ; en surcharge : avec tout le (dépouillement)
[44]
1er texte : M. de (Montfort)
[45]
1 er texte : à évangéliser
[46]
1 er texte : c'est même
[47]
1 er texte : qu'aux moyens
[48]
1er texte: à la portée du simple
[49]
1er texte: trouvent trop ; en surcharge : un mot barré illisible
 
[50]
1er texte: une lettre illisible, substituée par la première lettre de : veulent.
[51]
1er texte: et qu'il portait à la vertu
[52]
1er texte: il vous
[53]
1er texte : (remplace par celui qui fait suite) On ne devait pas être étonné de le voir reprendre les jureurs au milieu des rues, imposer silence aux personnes qui parlaient dans les églises.
[54]
1er texte: qu'il parût en public
[55]
1er texte: pouvait en faire
[56]
1er texte: la première lettre de : tomber, était un p (porter)
[57]
1er texte: par avance en faisant, puis un ou deux mots barrés, illisibles.
[58]
1er texte : pour venir
[59]
1er texte: Le père commun des
[60]
1er texte: lettres barrées, illisibles
[61]
1er texte: n'ont à se défendre que des applaudissements et des éloges
[62]
1er texte: (précédent le texte qui suit) Qu'on me pardonne si ce trait m'a échappé. Mes confrères l'ignorent, et le témoignage que je rends ici à la vérité ne peut retomber que surmoi. D'ailleurs il fallait (d'abord : Mais il était nécessaire) opposer les fruits (en surcharge : un ou deux mots barrés, illisibles) toujours subsistants de la profonde sagesse de M. de Montfort à quelques actions (d'abord : faits) singulières qu'on lui reproche.
[63]
1er texte: et veut intéresser spécialement pour eux
[64]
1er texte: et cherche par de saintes pratiques à intéresser
[65]
1 er texte: rechercher les humiliations, les mépris.
[66]
1 er texte: et, barré puis repris
[67]
1 er texte: par un extérieur capable de (puis : à) s'en faire connaître et à les édifier.
[68]
1 er texte: capable de les sur (prendre)
[69]
1er texte: mil six cent; en surcharge : de
[70]
1er texte: un chiffre barré; en surcharge : huit
[71]
1er texte: en surcharge deux ou trois mots barrés, illisibles
[72]
1er texte: du bon exemple, qu'il donnait lui-même.
[73]
1er texte: à son tour
[74]
1er texte: le proposaient
[75]
1 er texte: lorsqu'ils y étaient engagés.
[76]
1er texte: un homme de condition
           
[77]
1er texte: (remplacé par celui qui fait suite) et ni l'âge ni le nouveau genre d'étude n'altéraient en rien ses pratiques de piété.
[78]
1er texte: au contraire, à mesure
[79]
1er texte: sa fidélité
[80]
1er texte : Austère jusqu'au prodige
[81]
1er texte: il le mène avec /
 
[82]
1er texte: Un extérieur toujours composé
[83]
1er texte: et qui lui faisait leur donner dans ses recherches comme dans son cœur la préférence sur tout.
[84]
1er texte: des violences ; puis, en surcharge : de l’austère sévérité; puis : dureté (à la place de : sévérité)
[85]
1er texte: ne donnait pas
[86]
1er texte: et l'on eut souvent lieu d'admirer ; puis, en surcharge : et l'on ne peut assez admirer; puis, et l'on ne pouvait
[87]
1er texte: la douceur admirable
 
[88]
1er texte: lui fait naître
[89]
1er texte: et par les grands biens que lui en dit
[90]
1er texte: et elle trouve
[91]
1er texte: du reste
[92]
1er texte: froidement
[93]
1er texte: pour aller visiter
[94]
1er texte: des charités
 
[95]
1er texte: qui ressentaient
[96]
1er texte: Au contraire la vue
[97]
1er texte: ne faisait que lui inspirer de plus en plus et ranimer dans lui le désir de la pénitence.
[98]
1er texte: jamais hom (me)
[99]
1er texte: et même de le traiter quelquefois
[100]
1er texte: et même
[101]
1er texte: l'idée
[102]
1er texte: de sa singularité, puis, en surcharge : sainteté
[103]
1er texte: à tout le monde
[104]
1er texte: tous au moins devraient
[105]
1er texte: quand par ailleurs
 
[106]
1er texte: Cependant le Seigneur
[107]
1er texte: Mais à peine
[108]
1er texte: au prétendue force d'esprit ?
[109]
1er texte: et cette prétendue force d'esprit, barré, puis repris en surcharge
[110]
1er texte: dès qu'il ne perd pas son Dieu
[111]
1er texte: ce qui (en surcharge : qu'il) sera ordonné de lui, sans s'en inquiéter autrement.
[112]
1er texte: l'extrait
[113]
1er texte: Tandis que tout le monde en désespérait, lui seul
[114]
1er texte: qu'il en reviendrait       
[115]
1er texte: en surcharge un mot barré, illisible
[116]
1er texte: qu'il élève
[117]
1er texte: caractériseront
[118]
1er texte: qui, même après se mort, (suivront sa mort, barré, puis) suivront sa mémoire, ses ouvrages, ses institutions, et qu'il laissera en héritage à ses disciples fidèles et à ses successeurs dans le ministère apostolique.
[119]
1er texte: et dans lequel
[120]
1er texte: du psaut
[121]
1er texte: pas encore dans
[122]
1er texte: un mot barré, illisible; en surcharge : pieusement
[123]
1er texte: et peut-être
 
[124]
1er texte: à en inspirer
[125]
1er texte : pour ranimer sa dévotion
[126]
1er texte: au reste dans ce genre de singularité il allait toujours croissant;
 
[127]
1er texte: raisonnements sublimes
 
[128]
1er texte: (remplacé par celui qui fait suite) qui toujours prit à s'aigrir contre ceux qui se distinguent par leur mérite
[129]
1er texte: qu'il fut en charge
[130]
1er texte: et rangé
[131]
1er texte: et on lui donna
[132]
1er texte: ecclésiastique d'une grande oraison et d'une mortification excessive
 
[133]
1er texte: deux ou trois lettres barrées, illisibles, avant : Aussi
[134]
1er texte: tel fut le partage de tout le temps
[135]
1er texte: que, en surcharge : et
[136]
1er texte: Pater vero rem tacitus cons(iderabat)
[137]
1er texte: le conduisaient
[138]
1er texte: Cependant, il y a des bornes à tout
[139]
1er texte: une égalité toujours inaltérable
[140]
1er texte: penser lui-même
 
 
[141]
1er texte: les messieurs
[142]
1er texte: Celui-ci
[143]
1er texte: son dessein
[144]
1er texte: Les révolutions depuis arrivées
[145]
1er texte: avec plaisir
[146]
1er texte: un mot barré, illisible
[147]
1er texte: et en prières
[148]
1er texte: qui se lisait entre cette phrase et la suivante – Nous dirons (en surcharge : pourrons dire) dans la suite comment cette sœur fut reçue dans cette illustre abbaye, et comment son saint frère, malgré la pauvreté dont il faisait profession, réussit également à placer une autre de ses sœurs dans une communauté religieuse en Lorraine. Quoiqu'il en soit, puis en surcharge une dizaine de mots barrés, illisibles, et : Quoiqu'il en soit, il est à
[149]
1er texte: que c'est à l'occasion , en surcharge deux mots barrés, illisibles, puis: un effet
 
[150]
1er texte: ce que je vais
[151]
1er texte: sa physionomie
[152]
1er texte: de de
[153]
1er texte: les lieux
[154]
1er texte: si remarquable par son n(é)...
 
[155]
1er texte: de M. Grignion, barré, repris en surcharge
[156]
1er texte: est, répété par erreur et barré
[157]
1er texte: au serviteur de Dieu
[158]
1er texte: une ou deux lettres, barrées, illisibles
 
 
[159]
1er texte: d'ent (rer)
[160]
1er texte: pénétré ; en surcharge . touché et attendri
[161]
1er texte: plus il en faisait
[162]
1er texte: suivre, barré, puis repris
[163]
1er texte: rendre plus innocente
[164]
1er texte: et
[165]
1er texte: en divisant les esprits, n'y aurait pas divisé les cœurs
[166]
1er texte: frappés néanmoins
 
[167]
1er texte: touchés par l'onction
[168]
1er texte: s'en revint
[169]
1er texte: n'est-ce pas, barré, puis repris
[170]
1er texte: par elles-mêmes ou
[171]
1
er texte: mais dans
[172]
1er texte: un triomphe
[173]
1er texte: de Dieu
[174]
1er texte: ses sollicitudes
[175]
1er texte: Privativement
[176]
1er texte: et l'avala (en surcharge, plusieurs mots barrés, illisibles) barré puis repris
[177]
1er texte: et qui venait de sortir d'une communauté
[178]
1er texte (intercalé avant celui qui suit) Elle lui communiqua la peine quelle avait à rentrer dans le monde, après l'avoir quitté et lui déclara
 
[179]
1er texte: et l'esprit de Dieu
[180]
1er texte: dans le cœur
[181]
1er texte: et il les fit
[182]
1er texte: l’habit de la sagesse
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