Besnard 06 pp 335-406 - Archive

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Besnard 06 pp 335-406

Life > Besnard
 
DOCUMENTS ET RECHERCHES
 
V
 
Charles BESNARD
 
 
 
 
 
VIE DE
 
M. LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT
 
 
 
 
 
 
 
 
CENTRE INTERNATIONAL MONTFORTAIN

 
Note de lecture
 
Le manuscrit de "la vie de Monsieur Grignion de Montfort", par Charles Besnard, troisième successeur du fondateur, comporte un seul volume. Les nécessités de l'édition ont obligé à publier le texte en deux volumes. Une double pagination du deuxième volume permet, si on le désire, d'utiliser une pagination suivie. Pour indiquer qu'il s'agit du deuxième volume on a fait suivre les chiffres d'une étoile : par exemple, 335*.
Comme la pagination du manuscrit manifeste quelques irrégularités et même une répétition pour la première partie (cf. p. 1-58), il a paru utile de présenter le texte avec un numérotage et des titres qui résument l'essentiel des idées développées.
Exceptionnellement, le livre neuvième mentionne, dans le manuscrit même, des titres : nous les avons repris tels quels.
Le livre dixième n'a pas trait au Père de Montfort, mais à ses successeurs. Pour cette raison et aussi en considération du caractère très diversifié des sujets traités, la numérotation de détails a paru moins utile.
La table finale comporte l'indication de la pagination du manuscrit et celle de l'édition 1981. Cette table finale s'inspire, pour une part importante, d'une table de concordance préparée par le P. Eugenio Falsina. Nous espérons pouvoir publier un jour cette "concordance" entre les textes des auteurs montfortains primitifs Grandet-Blain-Besnard.

 
LIVRE SIXIEME
 
 
 
126 - M. de Montfort affermit Marie-Louise Trichet dans sa vocation
 
M.       de Montfort, accoutumé à ne pas déranger ses voyages pour l'incommodité des saisons, se mit en route dans les chaleurs du mois d'août[1] pour se rendre de Paris à La Rochelle, où il devait achever de remplir les grands desseins que Dieu avait sur lui. Son chemin était de passer par Poitiers. Il avait lieu de croire qu'une absence de plus de sept années aurait pu dissiper les préventions dont il s'était vu la victime[2]. Il trouva tout le contraire. Son arrivée fit prendre l'alarme à ses anciens ennemis. On courut à l'évêché. On fit entendre que si on le souffrait seulement dans la ville, il en arriverait les mêmes inconvénients qui l'en avaient déjà deux fois fait sortir, et l'on obtint un ordre par lequel il lui était enjoint de n'y pas rester plus de vingt-quatre heures[3].
 
Un traitement si rude, et qui n'était que l'effet de la calomnie[4], bien loin de déconcerter le serviteur de Dieu, ne servit qu'à purifier et à faire éclater sa vertu. Souffrir et obéir, c'était l'unique parti qu'il prenait dans ces sortes d'occasions. Sa bouche demeura fermée aux plaintes et aux murmures, il ne fit pas même paraitre le moindre signe de mécontentement[5] à l'envoyé qui paraissait fort satisfait de lui apporter un ordre si fâcheux. Il sortit de Poitiers avant le terme qu'on lui avait marqué et se retira vers le soir au petit ermitage des Capucins. Ce qui le consola dans une humiliation si sensible fut de[6] voir le fondement de son grand ouvrage bien affermi par la persévérance de Mademoiselle Trichet, dite sœur Marie-Louise de Jésus, à qui il avait donné quelques années auparavant l'habit que portent[7] aujourd'hui les Filles de la Sagesse, dont elle devait être la première supérieure et la mère. Il vit avec bien de la satisfaction qu'elle avait toujours porté ce saint habit si pauvre, si simple, malgré tout ce qu'on avait fait pour l'engager à le quitter. Il l'affermit dans sa vocation, et la laissa plus déterminée que jamais à surmonter tous les obstacles qui pourraient s'opposer à l'établissement du nouvel Institut. Je ne parlerai point ici /139/ des excellentes qualités et de la tendre piété de cette vertueuse fille. On peut lire sa vie imprimée à Poitiers en 1769. Elle est très propre à édifier. On y trouvera même beaucoup d'événements qui ont rapport à celle du saint instituteur.
 
127 - Mission de Mauzé et grave maladie de M. de Montfort
 
Sa route le conduisit directement à la petite ville de Mauzé, à l'entrée du diocèse de La Rochelle. Après y avoir dit la sainte messe, il concerta avec M. le curé une mission dont l'ouverture fut fixée au dimanche suivant. Il prit le peu de temps qui restait pour se rendre à la ville épiscopale et y faire ses arrangements. Le séminaire était alors en vacances. Deux des directeurs, dont l'un professait la théologie, s'offrirent à lui pour partager le travail qu'il allait entreprendre. L'offre lui était trop agréable pour ne pas l'accepter, et rien ne lui donnait plus de satisfaction que de voir quelques religieux ou quelque bon prêtre séculier lui demander de prendre part à ses fonctions apostoliques. Il commença donc la mission avec ses deux zélés associés pour qui il avait une estime qui allait jusqu'à la vénération, et qui de leur côté le regardaient comme le saint de son siècle.
 
Il les confirma dans cette idée par son ardeur à remplir toutes les parties d'un si pénible ministère, et surtout par les sentiments avec lesquels il souffrit des douleurs très violentes, dont il fut attaqué vers le milieu de la mission et qui firent craindre pour sa vie. «Sa patience fut héroïque, dit le célèbre professeur dont on vient de parler, et il me donna dans cette occasion, comme dans tout le travail de la mission, des marques d'une vertu non commune. Il me dit une chose particulière : c'es t que tous les ans, vers la fête de la sainte Croix, Dieu lui faisait la grâce de recevoir de son bon Maître crucifié des portions de sa Croix.» La mission finie, on le transporta chez les Frères de la Charité qui gouvernent /140/ les malades à l'hôpital de La Rochelle. Le seul nom d'hôpital avait pour lui quelque chose d'attrayant. Il regardait cette demeure comme la maison de Dieu, où la pauvreté de Jésus-Christ, dont il faisait profession, lui donnait une place. Il aurait souhaité y être confondu avec le dernier des pauvres, et la seule chose qui parut lui faire quelque peine ce fut la[8] distinction qu'on fit de lui,[9] tant pour l'appartement que pour les soins particuliers qu'on eut de sa personne.
 
Jamais il ne montra plus de courage et de fermeté que dans cette cruelle et longue maladie. Une grosse fièvre continue causée par un abcès considérable, les douleurs les plus aiguës, les opérations les plus sensibles qu'on lui faisait régulièrement deux fois le jour, pendant près de deux mois, rien ne fut capable d'altérer la paix et la tranquillité de son âme. Il envisageait toutes ses souffrances comme des marques de la bonté paternelle de Dieu, «qui voulait, disait-il, lui faire faire pénitence, le purifier, et le rendre conforme à Jésus-Christ crucifié.» Aussi bien, loin de s'abattre il rendait à Dieu de[10] continuelles actions de grâces, et la joie qu'il ressentait dans le fond de son cœur se répandait sur son visage et s'exhalait dans ses discours. Il ne parlait que de Dieu et des choses de Dieu. On venait moins pour le voir que pour l'entendre et s'édifier. On tient du fameux[11] M. Seignette, médecin de La Rochelle, qui le visitait ordinairement deux fois le jour, que de cent hommes qui auraient eu le même mal que lui, à peine en aurait-il échappé un seul, que pendant[12] que le chirurgien opérait[13] il ne donnait aucune marque qu'il sentit le mal, et ne poussait pas même le moindre soupir, qu'il les encourageait à ne pas l'épargner, les assurant qu'il se souviendrait d'eux dans ses prières ; qu'il riait avec eux[14], que dans le moment où l'opération était la plus douloureuse, il chantait le cantique «Vive Jésus, vive sa Croix ; n'est-il pas bien juste qu'on l'aime ... »[15] /141/ Le chirurgien et ceux qui l'assistaient ont rendu le même témoignage de sa patience, et ont assuré qu'ils n'en avaient jamais vu de pareille. Enfin[16], il semblait que Dieu par les douceurs et les consolations dont il remplissait son âme[17] prenait plaisir à le dédommager des souffrances qu'il ressentait dan; son corps, et qu'il se fut sans doute épargnée si sa vie eut été moins laborieuse et moins austère.
 
Il en avait fait le sacrifice. Dieu, qui ne voulait que l'éprouver, se contenta de la disposition de sa volonté, et le retira des portes de la mort. L'état de la convalescence lui parut en quelque sorte plus triste que celui dont il sortait, parce que sans lui laisser le mérite de la souffrance, il ne faisait que reculer celui de ses travaux.
 
 
128 - Retraites avec exercice de la mort
 
Il ne fut pas plutôt en état de les reprendre qu'il s'y livra avec une ardeur toute nouvelle. La première occasion qu'il en trouva fut la demande que lui fit M. le curé de Courson[18] de venir donner une retraite dans sa paroisse, où il avait fait une mission au mois de mai précédent. Nous avons déjà vu que c'était sa coutume, lorsqu'il avait fait la mission dans un endroit, d'y retourner peu de temps après pour en assurer et en perpétuer les fruits par une retraite, et tous les exercices de cette retraite étaient sur la préparation à la mort. C'était une suite de méditations, où il développait dans le plus grand détail, pendant plusieurs jours, tout ce qu'on peut dire sur un sujet si intéressant. Il devait dans la circonstance être bien rempli de sa matière. Il venait de voir la mort de près et l'on eut dit qu'il n'avait échappé à ses traits que pour apprendre aux autres à en éviter les surprises[19]. Aussi cette retraite fut-elle une excellente leçon pour apprendre à bien faire ce que l'on ne doit faire qu'une fois, et où l'on ne peut se[20] méprendre sans perdre son salut éternel. Il y donna une représentation sensible du dernier acte et du dénouement de la scène de la vie, où l'on /142/ voyait[21] le chrétien aux prises avec les frayeurs de la mort, assailli par toutes les puissances de l'enfer, tourmenté par les remords de sa conscience, aidé des secours de l'Eglise, assisté du ministre de Jésus-Christ, n'attendant plus que la sentence irrévocable qui va lui décerner[22] une récompense ou une punition éternelle. Tout était[23] vif, animé. Tout était peinture ou spectacle, et chacun sortait résolu de mieux vivre pour bien mourir.
 
Il avait recommencé sa carrière, il ne pensa plus qu'à la poursuivre sans se donner aucune relâche. A peine eut-il fini à Courson, que les religieuses hospitalières le prièrent de donner dans leur église les mêmes exercices. Il les donna avec le même succès. Il est vrai que quelques prétendus beaux esprits plaisantèrent sur la manière dont il représentait le chrétien agonisant, mais outre que les personnes sensées passaient aisément à M. de Montfort de pieuses inventions qui étaient uniques, il était assez justifié par les fortes[24] impressions qu'elles faisaient sur les auditeurs,[25] et une fade raillerie était bientôt déconcertée par d'éclatantes conversions.
 
129 - Mission à Vanneau
 
La calomnie savait bien mieux jouer son rôle, et les prodigieux succès de l'homme de Dieu ne l'en mettaient pas à couvert. Il l'avait souvent éprouvé. Il en fit une nouvelle[26] expérience à la mission du Vanneau, dans le diocèse de Saintes. Si ses ennemis n'avaient pas des émissaires dans presque tous les lieux où il travaillait, il paraît au moins que l'ennemi du salut des hommes avait toujours les siens, qui parlaient tous un même langage et ne savaient pas même varier leurs impostures. On le peignit à l'évêque comme un séducteur, un homme extravagant, un hypocrite qui faisait plus de mal que de bien partout où il était.
 
Il fallait en effet qu'il fît beaucoup de mal si l'on jugeait de l'un par l'autre, car il n'était pas douteux qu'il ne fît un bien infini. Le prélat trop crédule se laissa prévenir. Il fit signifier à M. de Montfort et aux prêtres qui travaillaient avec lui un interdit général de toutes fonctions sacerdotales. Il y avait déjà dix-huit jours que la mission était commencée. «Nous avions, dit un de ces messieurs, dans le mémoire qu'il a fourni, /143/ nous avions entendu toutes les confessions générales. Nous devions, le lendemain, commencer à absoudre les pénitents pour les préparer à la communion générale. Ce fut pour M. de Montfort un coup de foudre. Il en fut touché jusqu'aux larmes, non pas par rapport à lui, mais par rapport à tant d'âmes qui étaient prêtes à rentrer en grâce avec Dieu, et qu'il était obligé de laisser dans l'état du péché. Il nous dit qu'il n'avait jamais eu dans sa vie de mortification plus sensible. Nous reçûmes cette sentence un peu après midi et[27] nous fumes jusqu'au soir à délibérer sur le parti que nous avions à prendre.[28] Nous nous déterminions enfin à retourner à La Rochelle, mais M. le curé de Vanneau, homme sage et fort pieux, nous engagea à rester jusqu'à ce qu'il fût revenu de Saintes, où il voulait aller pour représenter à M. l'évêque les inconvénients qu'allait[29] produire sa suspense, et les dommages qu'en recevraient ses paroissiens. M. de Montfort y consentit. Le curé partit tout aussitôt, et quoiqu'il y eût quinze lieues du Vanneau à Saintes, il fit une si grande diligence qu'il fut de retour le lendemain à cinq heures du soir, et il apporta aux missionnaires la prolongation de leurs pouvoirs jusqu'à la clôture de la mission.» Cette nouvelle[30] leur causa autant de joie que la première leur avait donné de tristesse, et Dieu les dédommagea de l'humiliation qu'ils avaient essuyée par les fruits de grâce et de conversion dont la mission fut suivie.
 
130 - Missions diverses et écoles à La Rochelle
 
M.       de Montfort au sortir de la paroisse du Vanneau, où Dieu avait répandu sur son travail les bénédictions et les croix, revint à La Rochelle et n'en sortit que pour aller chercher dans les paroisses voisines une nouvelle matière à son zèle. Il l'exerça à Saint-Christophe, à Verrines, à Saint-Médard, au Gué, etc. ... répandant partout la semence de la divine parole qu'il arrosait de ses sueurs, qu'il cultivait /144/ par ses exemples et qui croissait toujours à l'ombre de la Croix.
 
Il ne se bornait pas à ramener les pécheurs[31] dans les voies du salut ; il pensait encore à conserver l'innocence dans ceux en qui elle est le privilège de l'âge et le fruit du baptême. Il savait que la réforme la plus entière dans une ville, dans une campagne, ne pouvait durer qu'un petit nombre d'années si on ne s'appliquait à y former une postérité sainte, en apprenant aux enfants l'abrégé de la foi et les devoirs du christianisme. C'était déjà un des exercices ordinaires de ses missions. On le voyait même à l'exemple de Jésus-Christ, donner à cet âge tendre et innocent des marques d'une singulière prédilection. Il prenait plaisir à se voir entouré d'une troupe d'enfants ; il les caressait et formait pour eux des vœux dont leurs saints anges faisaient retomber sur lui-même le fruit et le mérite. «Les enfants, disait-il, sont la plus pure portion du troupeau de Jésus-Christ -, ils ont encore le précieux trésor de l'innocence, mais si l'on n'a soin de leur procurer des secours pour se conserver dans cet état, infailliblement ils la perdront.» Il ne croyait pas devoir se borner[32] à ces secours passagers qui ne pouvaient durer que le temps d'une mission, il leur en préparait de plus durables. Dans cette vue, il fit choix de quelques jeunes gens qui s'étaient mis sous sa conduite et qu'il commença par former solidement[33] à la piété. Ensuite il leur donna un maître pour leur enseigner à bien lire et à bien écrire et l'arithmétique. Par là, il les mettait en état d'enseigner eux-mêmes, et l'instruction des garçons devait leur être confiée[34]. Pour ce qui est de l'instruction des filles, l'établissement destiné en partie à cette fonction et aujourd'hui si étendu,[35] avait déjà pris naissance à l'hôpital de Poitiers et devait bientôt commencer à La Rochelle un exercice[36] de charité[37] d'autant plus utile que l'éducation gratuite qu'on donne aux personnes du sexe est un bien qui se perpétue dans les familles et devient également avantageux à l'Etat et à la Religion. Ce sont en effet les gens de travail et les pauvres qui composent la portion la plus nombreuse /145/ de la société et qui donnent plus de sujets à l'Etat et d'enfants à l'Eglise.
 
Sans le secours des écoles publiques, ils seraient obligés de laisser dans une dangereuse ignorance ceux qu'ils ne peuvent enseigner eux-mêmes. Avec ce secours, non seulement ils procurant l'instruction à leurs enfants, ils les mettent encore en état de la donner eux-mêmes un jour à leur famille. Le père[38] occupé à son travail ne pourra en prendre le soin. Il sera réservé à la mère, qui tiendra une espèce d'école dans sa maison, où elle enseignera ce qu'elle aura appris[39] et sera pour ses enfants ce que furent pour elle les personnes[40] qui eurent la charité de l'instruire. Ses filles plus assidues auprès d'elle profiteront encore mieux de ses leçons. L'esprit de piété se communiquera à la faveur de l'instruction. La lecture entretiendra l'esprit de piété ; une ainée sera bientôt assez instruite pour aider sa mère dans une fonction si essentielle, qu'elle ne manquera pas de remplir à son tour[41] lorsqu'elle[42] y sera obligée[43] au même titre et par le même engagement. On ne saurait donc trop favoriser et secourir[44] les établissements faits pour enseigner les jeunes filles. C'est une œuvre de charité qui non seulement procure un bien présent, mais qui en prépare encore un plus grand pour l'avenir, en se multipliant à mesure qu'il s'éloigne de sa source. Quand [on] parcourt les bourgs et les villages où des vierges consacrées à Dieu se dévouent depuis quelques années à cet emploi, on y verra sensiblement moins de grossièreté et plus de vertu et d'innocence.
 
C'était là le grand projet que formait M. de Montfort, dont il avait déjà jeté les premiers fondements et qu'il se préparait à consommer à La Rochelle. Il le communiqua au seigneur évêque, qui comprit aisément qu'une école chrétienne était d'autant plus nécessaire dans sa ville épiscopale que, s'y trouvant un grand nombre de religionnaires, on ne pouvait trop prémunir la jeunesse contre la séduction, et faciliter à de pauvres familles les moyens de faire instruire leurs enfants des vérités de la foi orthodoxe. M. de Montfort donna en même temps connaissance au prélat des autres fonctions auxquelles il destinait son /146/ nouvel institut.
 
Il lui parla de mademoiselle Trichet, avec qui il avait depuis plusieurs années formé[45] le plan de cette petite société et qui depuis était toujours restée à l'hôpital de Poitiers, revêtue de l'habit que devaient porter celles qui se joindraient à elle, sous le nom de Filles de la Sagesse. M. de Champflour charmé d'une entreprise si sainte et si utile dont ses diocésains devaient recueillir les prémices, lui donna la permission de faire dans sa ville épiscopale et dans toute l'étendue de son diocèse tout ce qu'il jugerait convenable pour le nouvel établissement, l'assurant[46] qu'il pouvait compter non seulement sur sa protection mais encore sur les fonds qu'il serait en état de lui fournir, tant pour la subsistance de ses filles que pour les arrangements qui devenaient nécessaires.
 
Il lui dit de faire savoir ses intentions à la sœur Marie-de-Jésus et de l'inviter à venir à La Rochelle faire l'ouverture des écoles, dont il venait de l'entretenir.
 
Le saint homme,[47] qui n'attendait que la volonté de l'évêque pour agir, écrivit sur le champ à la sœur Trichet. Il lui marquait que le temps où Dieu voulait faire l'établissement des Filles de la Sagesse était arrivé. «Mettez ordre,[48] lui disait-il, à toutes les affaires que vous avez en main dans l'hôpital, afin d'être prête à partir au bout de six mois.»
 
Pendant cet intervalle, il entreprit un voyage où sans se proposer aucun terme fixe, il ne voulait s'arrêter que
 
9ème cayer
 
dans les lieux où il trouverait l'occasion de travailler[49] pour le salut des âmes. Avant de se mettre en route, il prit, à son ordinaire, quelques jours pour vaquer aux exercices de la vie intérieure. Il joignit à ses profondes méditations de ferventes prières pour demander à Dieu de lui manifester[50] ses volontés et de le faire parvenir dans les lieux où il pourrait plus particulièrement procurer sa gloire. Ses prières furent exaucées. Il parut cent fois que c'était Dieu lui-même qui dirigeait les pas de son ministre. A peine était-il arrivé dans un lieu qu'il s'y trouvait quelque bonne œuvre à faire. L'arrivée du prophète inspirait le désir de /147/ l'entendre. Des âmes languissantes et infirmes semblaient n'attendre que l'arrivée de l'ange pour se jeter dans la piscine. Des malheureux couverts de la lèpre du péché[51] se présentaient à lui sur son chemin pour être guéris. Des prodiges de grâce attiraient à sa suite les pécheurs et les pécheresses. Son voyage n'était qu'une suite de courses évangéliques.
 
131 - La mission de Roussay
 
Sa première station fut à Roussay,[52] paroisse considérable, à l'extrémité du diocèse de La Rochelle, et confinant à celui de Nantes. M. Griffon, chanoine régulier qui gouvernait alors cette paroisse avec autant de zèle que d'édification, avait été le témoin et l'admirateur des fruits merveilleux que M. de Montfort avait fait dans celle de la Séguinière voisine de la sienne, et dès lors, il avait conçu pour lui une estime et une vénération singulière. Il fut charmé de le revoir, et le pria de ne point passer outre, mais de donner la mission à son peuple. C'était au mois de juin 1714. Cette paroisse, malgré le zèle et la vigilance du pasteur, avait besoin de ce secours. L'ivrognerie y était le vice dominant et entraînait avec lui les querelles entre les particuliers, les dissensions dans les mariages, la ruine des familles, les jurements, l'impureté, la profanation des jours les plus saints. M. de Montfort, pour arrêter tant de désordres, commença par combattre celui qui en était la source. Ses discours firent toute l'impression qu'il pouvait en attendre, et la débauche fut bannie.
 
Il lui arriva pendant cette mission de se livrer à une action de zèle que certainement nous ne proposons pas pour exemple, mais qui fait voir quel était son courage, son intrépidité, sa force même, quand il s'agissait d'arrêter les scandales et de confondre[53] les ennemis de Dieu. Un jour, comme[54] il prêchait, il y avait dans un cabaret tout voisin de l'église un nombre de buveurs qui non seulement tenaient toutes sortes de mauvais discours, mais qui chantaient, à pleine tête, des chansons abominables, et troublaient par /148/ leur bruit et leurs clameurs les exercices de la mission, mêlant leurs hurlements affreux aux voix des fidèles qui faisaient retentir le lieu saint des louanges du Seigneur. M. de Montfort, saintement indigné d'une scène si scandaleuse, et n'ayant pas, selon les apparences, à sa disposition les officiers de la justice, se transporta lui-même dans la maison où se faisait tout ce vacarme. L'assurance et la fermeté avec laquelle il se présente déconcerte tous ces hardis chanteurs[55] et fait faire un «tacet» général à leur musique. Il profite[56] de ce premier moment de consternation, s'avance, saisit à droite et à gauche ce qu'il trouve sur son passage, renverse les tables et les pots, et sort du cabaret en conduisant tout son monde à la porte. Deux seuls voulurent faire bonne contenance. Il les prit chacun d'une main, les mit dehors et leur dit d'un ton assuré que, s'ils y retournaient, il leur arriverait quelque chose de pire. Ainsi fut dissipée cette impie et scandaleuse bacchanale.[57] Le succès d'une action si extraordinaire en fut l'apologie et fit voir par quel esprit le saint homme[58] avait été porté à l'entreprendre.
 
On ne saurait ici trop entrer dans la peine où se trouvent messieurs les curés pour empêcher de semblables désordres. Il serait téméraire à eux de s'exposer aux suites d'une démarche aussi hasardeuse que celle que nous venons de voir. Ils n'ont pas, comme notre missionnaire, une inspiration qui les autorise, et ne peuvent compter, comme lui, sur un miracle de protection. D'un autre côté le bras séculier est quelquefois trop éloigné, et le plus souvent trop raccourci. L'unique parti qui leur reste à prendre, c'est donc d'avertir, d'exhorter et d'intéresser la religion d'un seigneur, de s'attirer son amitié et sa confiance, et d'agir de concert avec lui pour réveiller l'activité des officiers de la juridiction.
 
Si M. de Montfort savait[59] user d'une sainte rigueur dans des circonstances uniques où elle devenait nécessaire, il savait encore mieux /149/ employer les voies de douceur et de[60] la plus touchante charité, et pour lors il ne faisait que suivre son penchant et les plus intimes sentiments de son cœur. Il en donna une preuve éclatante dans cette même mission.
 
Il arriva qu'un jour, étant en chaire, un scélérat entra dans l'église, et du milieu de la foule apostropha le prédicateur, le chargea de toutes sortes d'injures, et les accompagna de tant de blasphèmes que l'auditoire se bouchait les oreilles pour ne les pas entendre : M. de Montfort s'arrêta.[61] Plusieurs personnes voulurent pousser ce furieux hors de l'église, mais elles ne purent en venir à bout.[62] L'homme de Dieu, amèrement affligé de ce qui se passait, dit tout haut en soupirant : «Mon Dieu voilà un grand scandale.» Cependant le scandale continuait, et il ne pouvait par toutes ses représentations et ses prières engager le malheureux à finir[63] ou à se retirer. Dans cet embarras, il prend un parti, et c'est la charité de Jésus-Christ qui le lui suggère. Il descend de chaire, il perce la foule, cherche l'impie, se jette à ses pieds, et lui parle avec tant de douceur et d'onction qu'il le fait rentrer en lui-même et le détermine à le suivre jusqu'à la maison de la Providence, où il le confia à quelques personnes pieuses qui achevèrent de le ramener,[64] et de lui inspirer du repentir de l'action qu'il venait de faire. Le peuple était demeuré à l'église. Le saint missionnaire y rentra, remonta en chaire et continua son sermon avec la même tranquillité qu'il l'avait commencé, et laissa[65] ses auditeurs aussi touchés de ce qu'il leur avait dit qu'édifiés de ce qu'ils lui avaient vu faire.
 
Tandis qu'il prêchait ainsi de paroles et d'exemples, Dieu se plaisait à autoriser par des événements merveilleux et ses actions et ses discours. Il arriva en effet à la fin de la mission une chose qu'on ne put regarder que comme un miracle de protection, que Dieu accordait aux mérites de son ministre et à la piété des fidèles.[66]
 
/150/ Le jour qu'on devait planter la croix, il vint à cette pieuse cérémonie une multitude[67] prodigieuse de peuple.[68] Le lieu du calvaire était fort étroit eu égard au grand nombre de personnes dont il se trouvait rempli, et tout le monde y était étroitement[69] resserré. Les uns faisaient retentir[70] l'air du chant des cantiques, d'autres récitaient le chapelet à deux chœurs. Rien n'était plus édifiant que la ferveur de ce bon peuple. Dieu voulut l'éprouver et en[71] même temps la récompenser. La croix tombe,[72] on croit que tout est écrasé ; l'alarme est générale. M. de Montfort est le seul qui conserve sa tranquillité.[73] Sa confiance ne fut pas trompée. Le tumulte apaisé, on s'aperçut qu'il n'y avait qu'une seule personne[74] blessée, encore très légèrement, quoique la croix fût d'une grandeur extraordinaire, et qu'étant tombée dans l'endroit où la foule était plus épaisse,[75] sa chute eût dû naturellement faire périr plus de cent personnes. Alors le saint prêtre s'écria : «Allons, mes petits enfants ; disons tous ensemble : « Deo gratias.» Tout ce pauvre peuple à peine revenu de sa frayeur, s'écrie avec lui Deo gratias. Plusieurs personnes, à qui il n'eût pas été possible de faire illusion, et des ecclésiastiques respectables et éclairés furent témoins de cet événement, et chacun y reconnut le doigt de Dieu et un effet[76] sensible d'une assistance toute particulière de la sainte Vierge, à qui l'on faisait des prières pendant cette cérémonie.
 
La circonstance était trop favorable pour n'en pas prendre occasion de parler de la confiance que l'on doit avoir dans la puissante intercession de la Mère de Dieu. Le touchant prédicateur le fit avec ce pathétique[77] et cette onction qui lui étaient ordinaires, et où il paraissait se surpasser lorsqu'il parlait sur ce sujet. Il en avait parlé[78] dans plusieurs de ses sermons,[79] durant le cours de la mission, et dès qu'il sut qu'il y avait dans ce lieu une ancienne chapelle dédiée à la sainte Vierge, mais fort dégradée et en très mauvais état, il entreprit de la rétablir à neuf. Il réussit,[80] et après l'avoir mise[81] en état de pouvoir y célébrer avec décence les saints /151/ mystères il la bénit, et depuis ce temps elle devint[82] le terme de plusieurs voyages de dévotion qu'on y faisait pour implorer la protection de la Reine des anges et des hommes. Son zèle ne se borna pas à relever et à décorer son autel ; il voulut lui assurer un tribut éternel de louange dans toute l'étendue de la paroisse[83] en y établissant la dévotion au saint rosaire.
 
Il la prêcha au peuple et le peuple s'y porta avec une ardeur[84] qu'on ne saurait exprimer. On récitait[85] publiquement cette divine prière[86] en entier les jours de dimanche et de fête dans l'église,[87] à trois temps différents. Les autres jours[88] on disait un chapelet également dans l'église[89]. Ceux du bourg et des maisons voisines s'y rendaient exactement. Les habitants des villages prirent la louable coutume de le réciter en famille. Plusieurs paroisses d'alentour suivirent l'exemple de celle du Roussay. Voici comment s'en explique M. le curé de la Chapelle du Genet,[90] du diocèse d'Angers et voisine de Roussay, dans une lettre qu'il écrivit à un des missionnaires de Saint-Laurent en 1764. «Il y a environ cinquante ans, lui marque-t-il, que quelques bonnes âmes de ma paroisse, ayant été à la mission que faisait le vénérable M. de Montfort à Roussay, commencèrent à réciter le chapelet, tous les dimanches et fêtes gardées, trois fois chaque jour, ce qui formait le saint rosaire. Cette sainte pratique s'est soutenue, avec exactitude et concours des fidèles, en mon église. Depuis quelques années, on y a ajouté le chapelet tous les soirs ... ».
 
132 - A Nantes... Aventure d'un jeune malheureux
 
La mission finie, et le pasteur du Roussay ainsi que le troupeau parfaitement contents du séjour que M. de Montfort y avait fait, et des monuments durables de piété et de religion qu'il y laissait, notre saint voyageur prit sa route vers Nantes.[91] Nous avons vu qu'il avait commencé dans /152/ cette ville un établissement pour les incurables. La première visite qu'd fit, dès qu'il fut arrivé, fut à ces pauvres gens. On ne saurait dire quelle fut leur joie à la vue de leur bon père, et combien de son côté il leur fit de démonstration d'amitié. «Mes chers enfants, leur disait-il, je vous porte tous dans mon cœur.» Il le disait, et pour leur en donner des preuves, il ne cessa, pendant les huit jours qu'il demeura à Nantes, de les consoler dans leurs peines, d'essuyer leurs larmes, de compatir à leurs besoins, de les soulager par les aumônes qu'on lui[92] confiait ; de descendre pour eux[93] aux ministères les plus bas, et d'exercer à leur égard toutes les œuvres de la miséricorde et de la charité chrétienne.
 
Il n'avait pas moins de zèle et d'affection pour ses chers amis de la croix, dont il avait commencé à établir une association dans la paroisse de Saint-Similien. Il employa donc une partie de son temps à les affermir dans la ferveur qu'il leur avait alors inspirée, et à les encourager à observer[94] toujours avec fidélité les règles de l'association.
 
Il se disposait à partir pour Rennes, lorsqu'il lui arriva une de ces petites aventures auxquelles sont souvent exposées les personnes connues par leurs aumônes. Il se présenta à lui un jeune ecclésiastique, réduit dans un état de misère et de pauvreté tel[95] qu'on se dépeint[96] celui du prodigue[97] lorsqu'il prit le parti de retourner chez son père. Le pauvre enfant avait à peine[98] de quoi se couvrir, et ses haillons ne servaient guère qu'à rassembler la vermine qui le rongeait. Il se jette aux pieds du serviteur de Dieu, et, sans lui faire un long détail de sa situation qui parlait assez elle-même, il le prie d'avoir pitié de lui. M. de Montfort le reçut avec bonté, et lui dit que s'il voulait suivre avec une entière soumission les vues que la Providence pouvait avoir sur lui, il tâcherait de le secourir le mieux qu'il lui serait possible. Lejeune homme n'hésita pas à[99] faire les plus belles promesses et /153/ aussitôt son nouveau père lui donna tout ce qui lui était nécessaire : habit, chemises, bas, souliers et le reste. Il espérait sans doute en faire un catéchiste[100] pour ses missions, et l'emmena avec lui jusqu'à Rennes. A peine y furent-ils arrivés que, pour premier exercice de son obéissance, il lui demanda permission d'aller voir ses parents qui étaient, disait-il, à Tréguier, évêché de la Basse-Bretagne éloigné de Rennes d'environ trente lieues. M. de Montfort le lui permit, et comme il comptait rester encore environ trois semaines dans cette capitale, il lui offrit de prendre, pour s'épargner la fatigue du chemin, un mulet qui servait à porter les livres, étendards et autres petits bagages des missions. S'il comptait par là épargner la dépense qu'il lui eût fallu faire pour nourrir la monture pendant le temps où elle n'aurait fait que se reposer, il n'avait sûrement pas assez balancé le risque et le profit. Quoiqu'il en soit, le novice missionnaire et le profès escroc accepta de bon cœur l'offre qu'il lui fit et partit pour son pays. Arrivé chez lui, son premier soin fut de vendre la bête qui désormais lui était inutile, étant bien résolu de ne point retourner auprès de[101] son bienfaiteur.[102] Le temps où il devait[103] venir le rejoindre étant expiré, la désertion et la fraude ne furent plus un problème, et notre charitable prêtre[104] comprit qu'il avait été trop crédule. Cependant la Providence lui fournit l'occasion de recouvrer ce qu'il avait perdu. Quelques[105] mois après, comme il repassait par Rennes, étant dans une rue avec quelques-uns[106] de ses amis, hommes de considération, il aperçut un marchand qui conduisait une monture. Il l'examina[107] attentivement, et se tournant vers ces messieurs, il leur dit : «Voilà le petit mulet dont je vous ai parlé.» Ils firent arrêter le voiturier, l'interrogèrent, et sur l'aveu qu'il leur /154/ fit qu'il l'avait acheté du jeune homme en question, ils voulurent d'abord le condamner à perdre tout l'argent qu'il avait donné[108] ; mais M. de Montfort, touché de compassion pour ce pauvre misérable, fut d'avis d'un dédommagement, et ayant prié quelqu'un de la compagnie de lui donner vingt-cinq francs, il rentra en possession de l'animal qui lui appartenait.
 
133 - La lettre aux Amis de la Croix
 
Il ne voyageait pas seulement pour voyager, il savait[109] également profiter des occasions qui se présentaient de travailler pour le salut des âmes, et des intervalles qui lui laissaient le loisir de jouir[110] des douceurs et des avantages de la retraite. Il voulut se les procurer pendant le séjour qu'il fit à Rennes, et ce fut pendant ces jours de recueillement et de solitude, que tout occupé des souffrances de Jésus-Christ et comme abîmé dans le mystère de ce Dieu crucifié[111], il composa la lettre circulaire qu'il[112] dédia aux Amis de la Croix[113], et dont nous allons donner quelques extraits. Voici comme il commence. «Puisque la divine croix me cache, et m'interdit la parole, il ne m'est pas possible, et je ne désire pas même de vous parler pour vous ouvrir les sentiments de mon cœur sur l'excellence et les pratiques divines de votre union dans la croix adorable de Jésus-Christ. Cependant, aujourd'hui dernier jour de ma retraite, je sors pour ainsi dire de l'attrait de mon intérieur, pour faire sur ce papier quelques légers traits de la croix pour en percer vos bons cœurs Plût à Dieu qu'il ne fallût pour les aiguiser que le sang de mes veines Mais, hélas quand il serait nécessaire, il est trop criminel.
 
Que l'esprit donc du Dieu vivant soit comme la vie, la force et la teneur de cette lettre, que son onction soit comme l'encre de mon écritoire, que la divine croix soit ma plume, et que votre cœur soit mon unique papier. Vous êtes unis ensemble, Amis de la Croix, comme autant de soldats, /155/ crucifiés pour combattre le monde, non en fuyant comme les religieux et les religieuses, de peur d'être vaincus, mais comme de vaillants et braves guerriers sur le champ de bataille même, sans lâcher pied et sans tourner le dos. Courage combattez vaillamment Les démons s'unissent pour vous perdre, unissez-vous pour les terrasser. Les avares s'unissent pour trafiquer et gagner de l'or et de l'argent, unissez vos travaux pour conquérir les trésors de l'éternité, renfermés dans la croix. Les libertins s'unissent pour se divertir, unissez-vous pour[114] souffrir. Vous vous appelez Amis de la Croix. Que ce nom est grand ! Je vous avoue que j'en suis charmé et ébloui. Il est plus brillant que le soleil, plus élevé que les cieux, plus glorieux et plus pompeux que les titres les plus magnifiques des rois et des empereurs. C'est le grand nom de Jésus-Christ, c'est le nom sans équivoque d'un chrétien Un Ami de la Croix est un roi tout puissant, et un héros triomphant du démon, du monde et de la chair qui, par l'amour des humiliations, terrasse l'orgueil de satan ; par l'amour de la pauvreté, triomphe de l'avarice du monde ; qui, par l'amour de la douleur, amortit la sensualité de la chair. Un Ami de la Croix est une illustre conquête de J.-C. crucifié sur le calvaire, en union de sa sainte Mère percée de douleur. C'est un Bénoni, ou Benjamin, fils de la douleur et de la droite, enfanté dans son cœur douloureux, venu au monde par son côté droit percé et tout empourpré de son sang, et qui, tenant de son extraction sanglante, ne respire que la croix, que sang, que mort au monde, à la chair et au péché, pour être tout caché ici-bas avec Jésus-Christ en Dieu. »
 
Après leur avoir fait comprendre ce que c'est qu'un Ami de la Croix, il leur demande à eux-mêmes s'ils entendent bien toute la signification de ce beau nom, et s'ils prennent les moyens de le vérifier en leurs personnes. «Etes[115]- /156/ vous bien tels, leur dit-il, par vos actions, mes chers Amis de la Croix, que votre grand nom signifie ? ou du moins, avez-vous un vrai désir et une volonté véritable de le devenir avec la grâce de Dieu, à l'ombre de la croix du Calvaire, et de Notre-Dame de Pitié ? Méditons bien ces paroles admirables de notre[116] aimable Maître, qui renferment toute la perfection de la vie chrétienne : si quis vult venire post me … tollat crucem suam. Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il porte sa croix à ma suite La connaissance du mystère de la croix, dans la pratique, n'est donnée qu'à peu de gens. Il faut qu'un homme, pour monter sur le Calvaire et s'y laisser mettre en croix avec Jésus, soit un courageux, un héros, un homme élevé en Dieu, qui fasse litière du monde et de l'enfer, de son corps, de sa propre volonté, un déterminé à tout quitter, à tout entreprendre et à tout souffrir pour Jésus-Christ.
 
Rendez-vous donc habiles en cette science suréminente sous un si habile Maître... Celui parmi vous qui sait le mieux porter sa croix, quand il ne saurait d'ailleurs ni A, ni B, est le plus savant de tous. Ecoutez le grand saint Paul qui, à son retour du troisième ciel, où il a appris des mystères cachés aux anges mêmes, s'écrie qu'il ne sait et qu'il ne croit savoir que Jésus-Christ crucifié.»
 
La lettre entière contient 147 pages. Elle est en manuscrit chez messieurs les missionnaires de Saint-Laurent-sur-Sèvre.
 
Si M. de Montfort mettait tant d'onction et d'énergie dans ses lettres, il n'en répandait pas moins dans les entretiens particuliers, et l'on ne pouvait converser avec lui sans en devenir meilleur. Son début avait souvent quelque chose de singulier; mais plus on l'écoutait, plus on se plaisait à l'entendre. Il n'attendait pas qu'on le prévint /157/, il se portait de lui-même avec une ardeur extrême à parler de Dieu. Il en cherchait les occasions, il les faisait naître, et soit qu'il fallût ramener un pécheur ou s'édifier avec un homme de bien, il mettait à profit toutes les conjonctures qui pouvaient lui en faciliter le moyen.
 
134 - Chez M. d'Orville
 
Ayant appris à Rennes que le vertueux marquis de Magnane était[117] chez M. d'Orville, subdélégué de l'Intendance[118], il alla[119] dans la maison pour y voir ce seigneur, qui l'avait autrefois reçu dans son château et avec[120] qui il voulait avoir une de ces conversations de cœur qui font les délices des personnes de piété. Celui-ci de son côté fut charmé de revoir un homme qu'il regardait comme un saint, et, comme il y avait du monde, il le tira à part, et le fit entrer dans le jardin pour s'ouvrir à lui sur des affaires de sa conscience. Leur entretien solitaire ne fut pas longtemps à être interrompu. Plusieurs personnes de la compagnie, dont ils s'étaient séparés, ayant su que le prêtre étranger était M. de Montfort, chacun s'empressa de l'aller saluer, et la conversation devint générale. L'homme apostolique leur parla de Dieu pendant trois heures, mais d'une manière si touchante et si pathétique qu'on en était ravi d'admiration. La dame de la maison[121] était présente ; elle[122] alla faire part à son mari de ce que leur disait M. de Montfort et le pressa de venir l'entendre, mais M. d'Orville ne montra aucune envie d'y aller. Elle,[123] qui ne voulait rien perdre des entretiens[124] du saint prêtre[125] retourna joindre la compagnie qui l'écoutait toujours avec une nouvelle satisfaction. L'ardeur avec laquelle il parlait lui fit[126] oublier qu'il n'avait rien pris dans[127] tout le jour, et personne ne pensait à l'en faire souvenir. On ne devait pas en effet se l'imaginer,[128] car il était déjà quatre heures après-midi. Cependant, madame d'Orville qui se rappela apparemment qu'il était entré vers /158/ une heure, et qui peut-être aussi ne se persuadait pas qu'il fût[129] si tard, parce que le temps ne lui paraissait pas long à l'entendre, lui demanda s'il avait dîné. Il répondit naïvement qu'il était encore à jeun. A l'instant elle le pria d'entrer[130] pour prendre quelque chose. M. d'Orville, qui était dans l'appartement, resta par politesse pour lui faire compagnie. C'était le moment où la grâce devait achever l'ouvrage qu'elle avait commencé. La vie de M. d'Orville n'avait pas toujours été régulière. Il était redevable de sa conversion au zèle du célèbre père Vasseur, religieux augustin, mais Dieu réservait à notre saint missionnaire de consommer l'ouvrage et de le conduire à sa perfection.
 
Sans donner la[131] moindre attention aux mets qu'on lui servait, et avant de prendre aucune nourriture, il commença par parler de Dieu et des attraits de son amour. «Etes-vous bien dévot à la sainte Vierge ? » demanda-t-il d'abord au subdélégué. Ensuite, il tira[132] sa petite statue qu'il portait toujours avec lui, la plaça sur la table, et se jetant à genoux lui adressa[133] de tendres colloques d'actions de grâces, de ce qu'elle inspirait à ses serviteurs de pourvoir à ses besoins, et la pria de verser ses bénédictions sur cette maison[134] et de récompenser sa charité envers un pauvre de Jésus-Christ.
 
M. d'Orville, étonné d'un spectacle si nouveau et si singulier, ne savait dans le premier moment que penser. Il ne put même s'empêcher de sourire et crut[135] que ce bon prêtre pouvait être un peu faible de cerveau. Il ne fut pas longtemps à être détrompé. Le début frappant qui l'avait surpris n'était qu'une préparation aux paroles vives et enflammées qui sortaient de la bouche du serviteur de Dieu.[136] Il en fut si touché qu'il conçut plus fortement que jamais le désir /159/ de se donner à Dieu sans réserve. Il se félicita d'avoir reçu un tel hôte dans sa maison, et d'y voir un saint. Il s'engagea dès ce moment, à sa persuasion, à réciter le saint rosaire tous les jours de sa vie, et le pria de vouloir bien l'aider de ses avis pour se conduire plus sûrement dans les voies du salut, le suppliant surtout d'accepter sa maison pour sa demeure toutes les fois qu'il viendrait à Rennes.
 
Le serviteur de Dieu témoigna à M. d'Orville sa reconnaissance de[137] son offre obligeante mais il ne pouvait en profiter pour lors,[138] n'ayant plus que quelques jours à demeurer[139] à Rennes. Nous le verrons y séjourner au retour du voyage de la Normandie où Dieu l'appelait pour la conversion de bien des âmes.
 
135 - M. de Montfort éprouve un frère
 
Avant son départ, il lui vint dans la pensée d'éprouver un frère qu'il avait avec lui sur l'abandon à la divine Providence. Il lui proposa d'aller à Tréguier. C'était à l'occasion du jeune clerc dont nous avons parlé. «Mon enfant, lui dit M. de Montfort, il faut que vous partiez promptement pour aller à trente-deux lieues d'ici.» Le bon frère répondit qu'il était prêt à obéir. Cependant, comme il vit qu'on ne lui donnait pas autre chose que des ordres et qu'il n'était pas encore au fait de la manière d'agir du serviteur de Dieu, «mon cher Père, lui dit-il, je pars ; mais qui pourvoira à mes besoins pendant un si long voyage[140] ? Car je n'ai aucun argent, et vous ne m'en donnez point.» «Ayez confiance en Dieu, lui répliqua M. de Montfort, et vous ne manquerez de rien.» Cette réponse fut reçue comme un oracle, et c'en fut un en quelque façon, car pendant qu'il parlait de la sorte, on lui apporta une lettre où il trouva une pièce de cinquante sols. Il la donna au frère en lui disant : «Voilà, mon cher fils, un coup de la Providence. Bénissons-en Dieu. Vous aurez beaucoup de peine pendant votre voyage ; mais nous ne pouvons être sauvés sans souffrir ou dans /160/ ce monde ou dans l'autre, sans faire pénitence.» Pour lors le frère lui demanda ce qu'il fallait faire pour faire pénitence. Il ne lui répondit rien, mais il lui découvrit un de ses bras autour duquel était une chaîne de fer hérissée de pointes,[141] qui le serrait si fort que la chair passait par dessus. «J'en demeurai tout saisi de frayeur et d'étonnement», dit ici le frère. Ils se séparèrent[142] ; le frère s'en alla dans la basse Bretagne sans autre ressource que ce que M. de Montfort venait de lui donner. Mais avec cinquante sols, un homme déterminé à mendier son pain, peut aller bien loin[143]. M. de Montfort partit pour la Normandie et prit la route d'Avranches.
 
136 - Péripéties le jour de l'Assomption 1714
 
Il y arriva le second jour de sa marche, et comme il était assez tard quand il entra en ville, il ne put dès le soir aller saluer monseigneur l'évêque et lui faire offre de ses services. Il n'y alla que le lendemain matin, jour de l'Assomption de la sainte Vierge. Si elle se plaisait à voir son dévot serviteur chargé de la croix de son divin Fils, il eut ce jour-là de quoi attirer ses plus tendres regards. En effet, ayant demandé au prélat la permission de dire la messe et de prêcher dans son diocèse si sa Grandeur[144] le jugeait à propos, le prélat sans avoir égard aux certificats des évêques de La Rochelle et de Nantes que le prêtre étranger[145] lui présentait, lui dit pour toute réponse : «Non seulement je ne vous permets pas de prêcher dans mon diocèse, je vous défends même d'y dire la messe. Le plus grand service que vous puissiez m'y rendre c'est d'en sortir et d'en sortir au plus tôt.»
 
Quelqu'accoutumé que fût M. de Montfort à essuyer des humiliations, il ne s'attendait pas à celle-ci. Il dut y être d'autant plus sensible qu'il connaissait de réputation M. d'Avranches. Il savait combien il aimait les bons prêtres[146], et il avait entendu parler plus d'une fois /161/ de la vigueur vraiment épiscopale avec laquelle il avait agi dans bien des circonstances contre les ennemis de la Religion. Ce qu'il faut cependant remarquer, c'est que notre missionnaire se présentait à lui dans une circonstance bien défavorable pour tout prêtre étranger. Tout le diocèse d'Avranches retentissait encore[147] de l'histoire de deux aventuriers qui se disaient missionnaires du père Eudes. Leur extérieur était assez réglé, ils étaient habiles, avaient beaucoup de lecture, et possédaient parfaitement la carte du pays, ainsi que[148] le reconnurent plusieurs respectables curés chez qui ils avaient été se présenter. Il leur fallait quelque chose de plus pour soutenir leur personnage, et ils le possédaient au souverain degré. Fourbes, menteurs, hypocrites, changeant tous les jours leur régime de vie[149], ils eussent longtemps joué leur rôle s'ils ne l'avaient poussé trop loin. Ils furent[150] dénoncés au grand Prévôt qui les arrêta. Il est triste pour des religieux respectables d'avoir d'aussi mauvais confrères[151]. On reconnut par leurs papiers de quel ordre et de quelle congrégation ils étaient[152].
 
Ce fut donc dans cette critique conjoncture que M. de Montfort parut à Avranches. L'[153] évêque était d'un caractère naturellement bon, et[154] il est à croire ou qu'il ne connaissait point du tout notre[155] missionnaire ou, qu'un peu trop facile à se laisser prévenir[156], il aurait ajouté foi à des bruits désavantageux, dont le plus léger examen lui eût fait connaître la fausseté. Quoi qu'il en soit, M. de Montfort, qui ne voyait que Jésus-Christ dans les pasteurs de son Eglise, se soumit sans réplique à un refus si humiliant et se retira de l'appartement du prélat avec la même modestie, la même douceur, la même tranquillité qu'il y était entré. La seule chose qui[157] l'affligea, ce fut de se voir au moment de ne pouvoir dire la messe le jour de la plus grande fête de la sainte Vierge, sa bonne Mère. Cependant, sans perdre de temps en de longues réflexions, il vit qu'en faisant une grande diligence il pourrait être rendu[158] /162/ dans le diocèse de Coutances assez tôt pour y célébrer les saints mystères. Il loua donc un cheval de poste, arriva à une église à heure compétente pour monter à l'autel, et eut la consolation de joindre au sacrifice de Jésus-Christ le sacrifice de l'humiliation qu'il venait d'essuyer, et de l'offrir en même temps comme un trophée à la Reine du Ciel, le jour de son couronnement. Quelque jour qu'il se fût vu privé[159] de dire la sainte messe, c'eût été pour lui une affliction bien sensible. Aussi n'y manquait-il jamais qu'à raison d'une impossibilité entière. «Pendant vingt-trois mois, dit le frère Jacques, que j'ai eu le bonheur de demeurer avec M. de Montfort, malgré toutes ses occupations et tous ses voyages je ne l'ai jamais vu passer un seul jour sans dire la sainte messe, et il la célébrait avec tant de piété et une dévotion si tendre qu'il communiquait cette même ferveur de dévotion à tous les assistants.»
 
L'église où il arriva était celle de Villedieu-les-Poêles. La grâce que Dieu lui faisait était trop précieuse pour ne la lui pas faire acheter par une nouvelle épreuve. Le curé le prit d'abord pour un prêtre qui avait perdu la tête et fit difficulté de lui permettre l'entrée de son église. Cependant, après quelques moments d'entretien avec lui, non seulement il comprit qu'il s'était trompé, mais il conçut pour lui un sentiment singulier de respect et de vénération. Il lui donna[160] la permission qu'il demandait, et le pria même de faire dans son église tout ce qu'il pouvait lui permettre et tout ce que son zèle lui suggérerait pour le bien spirituel et le salut de son peuple. Le saint prêtre profita des bonnes dispositions du pasteur et de celles qu'il trouva ensuite dans le troupeau pour faire de solides et salutaires instructions, dont il eut soin d'assurer les fruits en établissant la récitation du rosaire selon sa méthode, qui est celle de saint Dominique.
 
137 - L'auberge de «La Croix à la main»
 
L'esprit de Dieu qui dirigeait ses pas le conduisit vers Saint-Lô, ville fort marchande du diocèse de Coutances. Après avoir fait cinq bonnes[161] lieues /163/ à pied, il arriva bien fatigué[162] à un village qui se trouvait sur le grand chemin. Il entra dans l'auberge, mais on refusa de l'y recevoir. Il chercha donc quelqu'endroit où il put se reposer. Il en trouva un qui sans lui donner la nourriture ni le couvert le mettait fort à son aise, parce qu'il lui fournissait la matière d'une touchante méditation. Il y avait à la porte[163] une marche de[164] pierre sur laquelle était élevée une espèce de poutre d'environ vingt pieds de hauteur, à laquelle était attaché un bras qui portait à la main une petite croix avec cette inscription La Croix à la main, ce qui formait l'enseigne de l'auberge Ce fut sur cette marche que M. de Montfort alla se reposer avec le frère Nicolas, qui l'accompagnait. Il y passa la nuit ; mais[165] la triste situation où il se trouvait lui rappelant toutes ses peines, il ne lui fut pas possible, malgré toutes ses fatigues, de se livrer au sommeil.[166] Il profita donc du calme et du silence de la nuit pour faire une longue méditation sur la croix, et s'abandonnant tantôt aux mouvements de son cœur, et tantôt à la vivacité de son imagination[167], il composa un cantique dont l'enseigne sous laquelle il était couché lui fournit les premières[168] paroles, et dont voici les deux premiers couplets :
 
J'ai partout la croix à la main, (bis)
Dont le pouvoir est si divin
Qu'il m'élève à l'empire.
Je la porte sans embarras
Dessus mon front, dessus mon bras
J'en goûte en mon cœur les appas,
Tandis que je renverse à bas
Ceux qui me veulent nuire.
 
Je la porte joyeusement,
Sans dire pourquoi, ni comment,
Sans m'en plaindre à personne. /164/
Des mains de Dieu je la reçois
Un Dieu mort m'en fait une loi.
Je tiens pour article de foi
Que la croix renferme dans soi
La palme et la couronne
 
138 - La mission de Saint-Lô
 
Il avait encore deux lieues à faire pour se rendre à Saint-Lô. Il n'y fut pas plus tôt arrivé qu'il s'aperçut qu'il v trouverait un ample exercice à son zèle. La licence des mœurs y était sans frein comme sans bornes. La difficulté de la réforme ne fit que lui donner plus de courage pour l'entreprendre. La première visite qu'il fit en arrivant fut à la communauté du bon Sauveur, dite le petit couvent, nouvellement fondée par Madame du Maunoir, qui à la qualité de fondatrice joignait celle de supérieure. Il y reconnut avec la plus sensible consolation, toute la ferveur d'une communauté naissante. La récitation du rosaire était bien propre à l'y maintenir. Il y en établit l'usage. Il y ajouta celui du[169] chant des cantiques, surtout dans le pensionnat qui était très nombreux.
 
Un vertueux prêtre l'ayant conduit à l'hôpital général, on arrêta[170] qu'il donnerait les exercices d'une retraite ; mais bientôt ces exercices furent convertis en ceux d'une mission pour toute la ville, après qu'on en eût obtenu la permission de M. l'évêque de Coutances. Ses premiers sermons firent tant de bruit qu'on y accourait de toutes parts. Jamais réputation ne fut plus brillante et mieux méritée, et l'on[171] ne peut s'empêcher de reconnaître que par ses prières, ses austérités, ses pèlerinages surtout dans les lieux consacrés au culte de la sainte Vierge, il avait obtenu de Dieu un talent singulier pour instruire et toucher les grands et le peuple. On entendait dire tout haut dans les rues, aux prêtres mêmes et aux religieux : «Quel est donc cet étranger, ce voyageur, qui vient dans /165/ notre ville, qui n'a que son bâton à la main, et dont on parle tant[172].» En effet, il paraissait en chaire avec un air prophétique, son action était vive et expressive, ses discours étaient solides, mais si pathétiques qu'ils remuaient fortement les cœurs les plus endurcis. Avec des avantages aussi supérieurs, il n'était pas possible que le prédicateur ne fût écouté avec empressement et que les fruits de ses prédications ne devinssent de jour en jour plus sensibles. Ils le furent au point qu'ils désespérèrent le libertinage et excitèrent l'envie. Il se forma[173] contre lui un de ces orages auxquels il devait être accoutumé, mais[174] qu'il n'avait pas toujours le bonheur de conjurer. La première semaine de la mission n'était pas encore révolue qu'on lui notifia[175] un interdit. Sa première ressource fut de consulter Dieu dans l'oraison, après quoi, il partit[176] pour Coutances accompagné de M. de l'Angle, l'un des chapelains de l'hôpital. Il confondit la calomnie, recouvra les pouvoirs qu'on lui avait ôtés la veille et revint reprendre ses fonctions à Saint-Lô, au grand contentement de tout le peuple.
 
Ce qui contribua le plus à donner du poids à ses discours, ce fut quelques traits particuliers qui le firent reconnaitre pour un homme très mortifié et très savant. Sa vie pénitente se montrait, il est vrai, dans tout son extérieur, mais ses austérités furent un jour découvertes d'une manière à laquelle il ne s'attendait pas. Il avait à sa suite un frère, avec qui il avait fait une convention dont jamais[177] on ne trouva d'exemple dans celles que l'on fait avec les personnes de qui[178] on achète les services. Elle mettait même ce pauvre frère entre deux extrémités très fâcheuses, et entre lesquelles il lui était très difficile de choisir par l'attachement et la vénération qu'il avait pour son saint maître. Il s'agissait donc ou de renoncer à être avec lui[179] ou de se résoudre à armer son bras d'une[180] discipline et de lui en donner de rudes coups sur les épaules[181]. Les lieux les plus retirés ne l'étaient pas trop pour ce douloureux exercice ; cependant les précautions /166/ ne furent pas toujours suffisantes[182] et l'on eut occasion de les observer de près. «Ce qui nous donna connaissance de ceci, dit la respectable dame du Manoir, c'est qu'il logeait dans la maison de notre chapelain et qu'on fut[183], au bruit, regarder par les fentes de la porte. On l'aperçut à genoux aux pieds de son crucifix, et le frère qui frappait si fort sur lui, qu'à chaque coup[184] M. de Montfort pliait les épaules et taisait un petit cri comme si c'eût été malgré lui qu'on l'eût frappé. On demanda le lendemain au frère pourquoi il lui rendait un tel service. Il protesta que c'était pour lui un rude sacrifice de se prêter ainsi au désir de M. de Montfort, mais qu'il ne voulait le souffrir avec lui qu'à cette condition.»
 
Avec[185] les innocents artifices de son humilité, il pouvait réussir à cacher[186] une bonne partie de ses austérités, mais il ne lui était pas si aisé de ne pas laisser apercevoir sa science, quelque désir qu'il eût de rie point passer pour savant. La manière dont il remplissait le ministère de la chaire et celui du sacré tribunal faisait[187] assez connaître qu'il avait tout ce qu'il faut pour exercer[188] avec fruit l'un et l'autre. Il en donna une preuve distinguée pendant la mission de Saint-Lô, où il fit voir à quel point il possédait la science de la morale. On sait que c'est l'usage parmi les missionnaires de faire chaque jour une conférence[189], qui n'est autre chose qu'une instruction familière, par demandes et par réponses, sur quelques-unes des vérités de la religion et surtout pour résoudre différents cas de conscience, qui sont plus de pratique selon les lieux où l'on se trouve. La seule ville de Saint-Lô pouvait en fournir sur presque toutes les matières. Il y a un bailliage, une élection et un assez gros commerce. Il fallait donc que le missionnaire fût en état de traiter tout ce qui concerne[190] les /167/ contrats, les finances et le palais, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus épineux dans la morale. Quand M. de Montfort n'eût fait que suivre la méthode ordinaire, qui est de faire proposer les cas par un seul ecclésiastique[191] et d'y répondre, il lui eût toujours fallu une grande étendue de connaissances pour embrasser une si vaste matière, et pour traiter chaque point dans un détail instructif et en tirant les conséquences des principes. Mais une, longue expérience, la lecture, et plus encore des lumières puisées dans l'oraison, l'avaient mis en état de s'y prendre d'une autre manière[192], qu'il croyait plus utile et qu'il disait lui-même être plus hardie. C'était de permettre à quiconque de l'interroger et de lui proposer ses doutes et ses difficultés. Il se trouva à Saint-Lô un grand nombre de religieux et de prêtres séculiers qui usèrent de cette permission. Un jour ils concertèrent de venir ensemble à la conférence[193]. C'était apparemment ce qu'il y avait de meilleur en ville pour la science et pour la dispute. Ce qu'il y a de vrai, c'est que plusieurs ne venaient pas dans le dessein de faire briller le conférencier. Ils avaient pris tout le temps nécessaire pour préparer leurs demandes et pour combattre ses réponses. Leurs questions roulèrent sur les matières les plus abstraites[194] et les plus difficiles. Ce n'était pas de leur part un exercice pour instruire le peuple, c'étaient de vaines subtilités pour embarrasser le missionnaire. Ils ne purent y réussir[195] une seule fois. Il répondit à tout avec une justesse et une précision qui ne laissaient point de réplique. Outre l'avantage de la science, il avait encore celui que donne la modération, la douceur et la tranquillité. Excellentes ressources contre un adversaire qui, se livrant à la chaleur de la contestation[196], confond toutes les idées et ne se possède plus lui-même. L'auditoire, dans un profond silence, ne perdait pas un mot de ce que disait l'homme de Dieu et l'on se retirait aussi édifié de sa modestie que charmé de son talent[197]. Ce n'était point celui d'éblouir par de belles paroles. Ses discours n'étaient ni recherchés, ni étudiés. Il les prononçait sans autre préparation que d'avoir bien digéré sa matière et recueilli ses preuves. Sa morale était exacte, également éloignée /168/ du relâchement et du rigorisme, fondée sur les saintes Ecritures, sur les décisions de l'Eglise, sur l'autorité des saints Pères, sur les sentiments des docteurs les plus judicieux et les plus estimés ; et quelqu'étendue que soit la science des mœurs, il en possédait parfaitement toutes les parties. C'est le témoignage que lui ont rendu tous ceux qui l'ont entendu et surtout des prêtres et des religieux très habiles. Ce qu'ajoutent ceux qui l'ont pratiqué de plus près mérite d'avoir ici sa place. C'est qu'il ne montait jamais en chaire qu'après une prière, qui souvent était suivie de quelque austère macération. Il ne lui était pas facile[198] de s'en cacher, et ne pouvant plus en faire de mystère il disait agréablement : «Que le coq ne chantait jamais mieux que lorsqu'il s'était bien battu de ses ailes.»
 
Après avoir fait à la mission de Saint-Lô des prodiges de zèle et un grand nombre de conversions, il la finit comme à l'ordinaire par une procession générale, où tout le monde était dans un ordre si édifiant qu'on eût dit que les anges y avaient présidé[199]. Ce qu'on avait de la peine à comprendre, c'est que lui seul, avec un ou deux frères laïques, eut pu venir à bout de ranger ainsi un si grand peuple[200], distinguant les états, les âges, les sexes, faisant marcher tout ce monde avec une ravissante[201] modestie sans aucun embarras ni confusion[202], réglant tout avec autant de facilité et d'aisance que s'il n'avait eu que peu de personnes à conduire, donnant à ce pieux spectacle un appareil[203] plus propre peut-être à inspirer la dévotion que les exhortations les plus touchantes.
 
La cérémonie du plantement de la croix[204] ne fut ni moins belle[205], ni moins édifiante. Il la plaça hors de la ville sur une éminence[206], où il avait fait construire un calvaire sur lequel il la porta lui-même, après s'être disposé[207] à cette action sainte par un jeûne de vingt-quatre heures. Dès lors, ce calvaire / 169/ devint un lieu de prière pour les fidèles qui avaient fait la mission. Les prêtres furent les premiers à leur en donner l'exemple en y allant processionnellement. Encore aujourd'hui c'est l'usage de s'y rendre tous les ans en procession le jour du Vendredi-saint à une heure après midi, et un prêtre y fait un discours sur la passion de Notre-Seigneur pour les personnes qui n'ont pu assister à celui qui se fait le matin dans l'église de la paroisse[208]. Nous finirons l'article de cette mission par le témoignage qu'en rendit en 1755 M. Le François, curé de la ville de Saint-Lô, le même qui s'y trouva en qualité de vicaire lorsque l'homme apostolique y entra la première fois. «Je ne puis exprimer, dit-il, le bien qu'il fit dans cette ville, où il fit des conversions admirables, et qui ont été constantes, ni les actes de vertu que je lui ai vu pratiquer. Il y établit si bien la piété, que quantité de personnes qui vivent très saintement sont les fruits de ses prédications et de ses avis. Il recommanda si bien le rosaire, qu'il s'y dit encore.»
 
1 39 – La rencontre avec M. Blain
 
M. de Montfort sortit de Saint-Lô vers le mois de juillet 1714 et prit la route de Caen, où il trouva M. l'évêque de Bayeux qui le pria de travailler dans son diocèse ; mais il n'y travailla que très peu de temps. Il donna seulement quelques sermons dans la ville, parce qu'il était pressé de se rendre à Rouen pour y voir son ancien ami M. Blain, chanoine de la cathédrale, avec lequel il avait demeuré à Saint Sulpice à Paris dans le temps de ses premières études de théologie et de cléricature. Celui-ci, de son côté, eut d'autant plus de joie de le revoir qu'il l'avait toujours regardé comme un saint dès sa jeunesse.
 
Voici comme il parle de cette entrevue dans le précis qu'il a donné de ses vertus[209]. «Je finis, dit-il, ce que je sais de sa vie par la visite qu'il me vint faire /170/ à Rouen, à la sortie d'une mission qu'il venait d'achever à Saint-Lô. Comme il y avait longtemps que nous nous étions vus, il m'écrivit de Caen pour m'exhorter de le venir trouver. Mais j'étais dans des conjonctures qui ne me le permettaient pas, et qui m'obligèrent de lui récrire pour le prier de venir plutôt lui-même à Rouen, ce qu'il fit sans tarder. Il arriva sur le midi, avec un jeune homme de sa compagnie, après avoir fait six lieues le matin, à pied et à jeun, une haire de fer sur le corps, et des bracelets à ses bras, car il était toujours armé de quelques instruments de pénitence, et souvent de plusieurs, ne quittant les uns que pour en reprendre d'autres. D'abord que je le vis, je le trouvai fort changé, épuisé et exterminé de travaux et de pénitence, et je fus persuadé que sa fin n'était pas éloignée, quoiqu'il n'eût alors que quarante ou quarante et un an. En effet, sa mort arriva environ deux ans après. Il me dit pour raison de cette grande destruction de ses forces que les huguenots avaient fait mettre du poison dans un bouillon qu'on lui présenta après avoir prêché à La Rochelle, et que quoiqu'il eût pris du contrepoison aussitôt qu'il s'en fut aperçu, il n'avait pu en arrêter parfaitement l'effet. Je commençai donc l'entretien, continue M. Blain, par lui décharger mon cœur sur tout ce que j'avais à dire et entendu dire contre sa conduite et ses manières. Je lui demandai quel était son dessein, et s'il espérait jamais trouver des gens qui voulussent le suivre dans la vie qu'il menait ; qu'une vie si pauvre, si dure, si abandonnée à la Providence était pour les apôtres ; pour des hommes d'une force, d'une grâce et d'une vertu rare. Pour des hommes extraordinaires, pour lui qui en avait l'attrait et la grâce ; mais non pas pour le commun qui ne pouvait /171/ atteindre si haut, et que ce serait témérité de le tenter. Que s'il voulait s'associer dans ses desseins et dans ses travaux d'autres ecclésiastiques, il devait ou rabattre de la rigueur de sa vie, ou de la sublimité de ses pratiques de perfection, pour condescendre à leur faiblesse et se conformer à leur genre de vie ordinaire, ou les faire élever à la sienne par l'[210] infusion de la grâce et de ses attraits si parfaits. A quoi, pour réponse, il me montra son nouveau testament et me demanda si je trouvais à redire à ce que Jésus-Christ a pratiqué et enseigné, et si j'avais à lui montrer une vie plus semblable à la sienne et à celle des apôtres qu'une vie pauvre, mortifiée et fondée sur l'abandon à la Providence. Qu'il n'avait point d'autre vue que de la suivre, et d'autre dessein que d'y persévérer ; que si Dieu voulait l'unir à quelques bons ecclésiastiques dans ce genre de vie, il en serait ravi ; mais que c'était l'affaire de Dieu et non la sienne, que, pour ce qui le regardait, il n'avait point d'autre parti à prendre que celui de l'évangile et de marcher sur les traces de Jésus-Christ et des apôtres. Que pouvez-vous dire contre ? ajouta-t-il, fais-je mal ? Ceux qui ne veulent pas me suivre vont par une autre voie moins laborieuse et moins épineuse, et je l'approuve ; car, comme il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste, il y a aussi plusieurs voies pour aller à lui. Je les laisse marcher dans la leur, laissez-moi marcher dans la mienne, d'autant plus que vous ne pouvez lui disputer cet avantage qu'elle est celle que Jésus-Christ a enseignée par ses exemples et par ses conseils, qu'elle est, par conséquent, la plus courte, la plus sûre et la plus parfaite pour aller à lui ... »
 
«M'ayant ainsi fermé la bouche sur ce point, il ne tarda pas à me la fermer sur celui qui suit. Mais où trouverez-vous, lui dis-je, dans l’évangile des preuves et des exemples de vos manières singulières et extraordinaires ? Pourquoi n'y renoncez-vous pas, ou ne demandez-vous pas à Dieu la grâce /172/ de vous en défaire ? Les rebuts, les contradictions, les persécutions vous suivent partout, parce que vos singularités vous les attirent, vous feriez beaucoup plus de bien, et vous trouveriez beaucoup plus d'aides et de secours dans vos travaux, si vous pouviez gagner sur vous de ne rien faire d'extraordinaire, et de ne point fournir aux libertins et aux mondains dans vos singularités des armes contre vous et contre le succès de votre ministère. Alors je lui nommai des personnes d'une sagesse consommée ; voilà, dis-je, des modèles de conduite sur lesquels vous devriez vous mouler ; ils ne font point parler d'eux, et vous ne feriez point tant parler de vous si vous les imitiez. Il me répliqua que, s'il avait des manières singulières et extraordinaires, c'était bien contre son intention ; que, les tenant de la nature, il ne s'en apercevait pas, et qu'étant propres pour l'humilier, elles ne lui étaient pas inutiles ; qu'au reste, il fallait s'expliquer sur ce qu'on appelle manières singulières et extraordinaires ; que si on entendait par là des actions de zèle, de charité, de mortification et d'autres pratiques de vertus héroïques et peu communes, il s'estimerait[211] heureux d'être en ce sens singulier et, que si cette sorte de singularité est un défaut, c'est le défaut de tous les saints ; qu'après tout, on acquérait à peu de frais dans le monde le titre de singulier, qu'on était sûr de cette dénomination pour peu qu'on ne voulût pas ressembler à la multitude, ni conformer sa vie à son goût ; que c'était une nécessité d'être singulier dans le monde si on veut se séparer de la multitude des réprouvés que le nombre des élus étant petit, il fallait renoncer à y tenir place ou se singulariser avec eux, c'est-à-dire mener une vie fort opposée à celle de la multitude[212], Il m'ajouta qu'il y avait différentes espèces de sagesse, comme il y en avait différents degrés ; qu'autre était la sagesse d'une personne de communauté pour se conduire, autre la sagesse d'un missionnaire et /173/ d'un homme apostolique. Que la première n'avait rien à entreprendre de nouveau, rien qu'à se laisser conduire à la Règle et aux usages d'une maison sainte ; que les autres avaient à procurer la gloire de Dieu aux dépens de la leur et à exécuter de nouveaux desseins. Qu'il ne fallait donc pas s'étonner si les premiers demeuraient tranquilles en demeurant cachés, et s'ils ne faisaient point parler d'eux n'ayant rien de nouveau à entreprendre ; mais que les seconds, ayant de continuels combats à livrer au monde, au diable et aux vices, avaient à essuyer, de leur part, de terribles persécutions, et que c'est signe qu'on ne fait pas grand peur à l'enfer quand on demeure ami du monde ; que les personnes que je lui proposais comme des modèles de sagesse étaient du premier genre, personnes qui demeuraient cachées dans leurs maisons et qui les gouvernaient en paix, parce qu'elles n'avaient rien de nouveau à établir, rien qu'à suivre les pas et les usages de ceux qui les avaient précédés. Qu'il n'en était pas de même des missionnaires et des hommes apostoliques ; qu'ayant toujours quelque chose de nouveau à entreprendre, quelque œuvre sainte à établir ou à défendre, il était impossible qu'ils ne fissent parler d'eux et qu'ils eussent les suffrages de tout le monde ; qu'enfin, si on mettait la sagesse à ne rien faire de nouveau pour Dieu, à ne rien entreprendre pour sa gloire de peur de faire parler, les apôtres eussent eu tort de sortir de Jérusalem. Ils auraient pu se renfermer dans le cénacle, saint Paul n'aurait pas dû faire tant de voyages, ni saint Pierre tenter d'arborer la croix sur le capitole et de soumettre à Jésus-Christ la ville reine du monde ; qu'avec cette sagesse, la synagogue n'eût point remué et n'eût point suscité de persécutions au petit troupeau du Sauveur ; mais qu'aussi, ce petit troupeau n'eût point crû en nombre, et que le monde serait encore aujourd'hui ce qu'il était alors : idolâtre, perverti, corrompu en ses mœurs et en ses /174/ maximes au souverain degré.»
 
«Je lui dis encore qu'on l'accusait de faire tout à sa tête ; qu'il valait bien mieux faire moins de bien et le faire avec dépendance, consulter les supérieurs, et[213] ne rien entreprendre sans leur ordre ou sans leur permission. Il convint de la maxime, en ajoutant qu'il croyait la suivre en tout ce qu'il pouvait, et qu'il serait bien fâché de rien faire à sa tête, mais qu'il y avait des occasions et des rencontres imprévues et subites, où il n'était pas possible de prendre les avis ou les ordres des supérieurs ; qu'il suffisait dans ce cas, de ne vouloir rien faire qu'on ne croie devoir leur plaire et mériter leur approbation, et être disposé à leur obéir au moindre signe de leur volonté. Qu'au reste, il arrivait que des œuvres commencées avec le consentement des supérieurs, n'avaient pas quelquefois, à la fin. leur agrément, soit parce qu'ils étaient prévenus par des gens mal intentionnés et indisposés par de faux rapports, soit qu'ils écoutaient les bruits du monde et le jugement de ces sages qui ne sont presque jamais favorables aux œuvres saintes ; qu'alors il n'y avait point d'autre parti que de se soumettre aux ordres de la Providence, et recevoir de bon cœur les croix et les persécutions, comme la couronne et la récompense de ses bonnes intentions. Qu'enfin il était persuadé que, l'obéissance étant la marque certaine de la volonté de Dieu, il ne fallait jamais s'en écarter ; mais que sa conscience ne lui faisait point de reproches sur ce sujet, et qu'il était en tout temps et en toutes rencontres dans la disposition d'obéir et de ne rien faire qu'avec l'agrément des supérieurs -, mais qu'il ne pouvait pas empêcher les faux rapports, les médisances, les calomnies, les traits d'envie et de jalousie, que l'homme ennemi savait bien faire passer jusqu'à eux pour les indisposer à son égard et mettre en leur esprit sa personne et /175/ ses services en décri.»
 
«Je lui fis plusieurs autres objections que je croyais sans réplique ; mais il y satisfit avec des paroles si justes, si concises et si animées de l'esprit de Dieu que je demeurai étonné qu'il me fermât la bouche sur tout ce que je croyais devoir la lui fermer. J'étais alors dans une grande perplexité par rapport à une cure de la ville de Rouen, que je ne savais si je devais accepter. M. de Montfort, me dit, en termes précis : Vous y entrerez, vous y aurez bien des croix, et vous la quitterez, ce qui est arrivé comme il me l'avait prédit. C'est la seconde prédiction qu'il m'a faite en termes fort clairs, et en des choses qu'il ne pouvait savoir que par la lumière du Ciel. Dans l'entretien que nous eûmes ensemble, il m'avoua que Dieu le favorisait d'une grâce fort particulière qui était la présence continuelle de Jésus et de Marie dans le fond de son âme. J'avais peine à comprendre une faveur si relevée, mais je ne voulus pas lui en demander l'explication, et peut-être n'aurait-il pas pu me la donner lui-même car il y a dans la vie mystique des opérations de grâces inexplicables aux âmes mêmes qui en sont favorisées.»
 
«Le jeune homme qui était venu avec lui ne perdait point de temps ; il s'occupait à faire des chaînes et des disciplines de fer, le débit étant grand à ses missions, des instruments de pénitence. Il avait grâce à la prêcher, puisqu'il en donnait un si grand exemple.»
 
«Je lui fis dire le lendemain la sainte messe à l'autel qu'on appelle des vœux, dans la cathédrale de Rouen dédiée en l'honneur de la Ste Vierge. Il la dit avec une piété et une tendresse de religion si sensible qu'il attira les yeux de tout le monde, peu accoutumé à voir des prêtres si dévots au saint autel. Il alla ensuite voir une religieuse du St-Sacrement de sa connaissance, qui le pria de faire une conférence à la communauté, et il la fit sur /176/ l'esprit de sacrifice, avec l'onction qui lui était particulière. Sa rétribution fut la portion de la Ste Vierge, qu'il demanda pour son dîner. C'est une coutume dans l'ordre du St-Sacrement de laisser au réfectoire une place vide que l'on regarde comme la place de la sainte Vierge, supérieure née et élue de la maison, et cette portion se donne tous les jours aux pauvres. Elle fut donc envoyée au pauvre prêtre, qui voulut en faire son dîner par préférence à celui que je lui avais fait préparer, par esprit de pauvreté et de prédilection pour tout ce qui portait le nom de la sainte Vierge. Le soir, je le fis parler dans une communauté de maîtresses d'école, (dont lui, M. Blain, était fondateur). Son discours fut sur les avantages de la virginité, matière que son grand amour pour la pureté lui rendait agréable et délicieuse à traiter. Aussi le fit-il dans l'esprit et avec les termes des Ambroise et des Jérôme, qui en ont si divinement bien parlé. Dans ce discours il lui arriva une de ces sortes de singularités qu'on blâmait en lui, et dont il ne s'apercevait pas. Pendant qu'il parlait, une de ces jeunes filles qui l'écoutaient le regardait. Il parut le trouver mauvais, et par une espèce d'enthousiasme, il lui dit en l'apostrophant : «Vous me regardez ? Convient-il qu'une jeune fille fixe les yeux sur un prêtre ? » Je lui demandai, en particulier, après le discours quel mal il trouvait qu'on regardât le prédicateur, et s'il était possible de l'écouter attentivement et de le suivre sans jeter des regards sur lui. Il me dit qu'il ne trouvait pas à redire là-dessus. Je lui fis reproche de l'apostrophe qu'il venait de faire. Il en fut surpris, et dit qu'il n'en avait aucun ressouvenir. Cela me fit juger qu'il n'était pas maître de certaines singularités qui lui échappaient sans qu'il y fît attention et qui servaient de matière à l'humilier. »
 
Quoique M. de Montfort dût effectivement passer condamnation /1 77/ sur cet article, il est pourtant vrai[214] que la bienséance exige que l'on baisse les yeux ou qu'on les détourne quand ceux du prédicateur les rencontrent, et que de le fixer dans ce moment c'est, surtout pour une jeune personne, un manque d'éducation.
 
M.       Blain continue : «Après son entretien il leur parla du rosaire, une de ses plus chères dévotions et, à leur prière, il dit le chapelet en sa manière, mais d'un air si dévot et si tendre pour Marie qu'il l'inspirait à l'entendre. »
 
140 - Sur le bateau de la Bouille
 
Il s'en retourna le lendemain par le coche d'eau, qu'on appelle en ce pays-là le bateau de la Bouille. Cette voiture est une vraie Babylone, par la confusion et la licence qui y règnent. Il s'y trouve ordinairement près de deux cents personnes qui viennent à Rouen et s'en retournent les jours de marché. On ne serait pas bien reçu là à parler de Dieu. Les entretiens ordinaires de ces allants et venants sont ou des discours impies, ou les plus grossières obscénités. Tout y retentit de jurements et de chansons lascives. A peine[215] notre missionnaire y fut-il entré qu'il commença à tirer son grand crucifix, qu'il avait apporté de Rome et qu'il portait toujours sur lui, et à l'élever[216] au bout de son bâton par le moyen d'une vis et d'un écrou faits exprès, l'un au pied du crucifix, l'autre au haut du bâton, et en l'ajustant il dit tout haut, d'un ton ferme et animé : «Que tous ceux qui aiment Jésus-Christ se joignent à moi pour l'adorer.» Puis ayant avancé quelques pas[217] en l'ajustant encore, il s'écria une seconde fois : «Que tous ceux qui aiment Jésus-Christ se joignent à moi pour l'adorer.» Ensuite il se jeta à genoux pour l'adorer devant toute l'assemblée, et prenant dans[218] l'autre main son grand rosaire, il les exhorta à le dire avec lui. Un spectacle si extraordinaire devint un sujet de risée pour tout le monde. Le saint prêtre toujours à genoux continua sa prière, et quand les éclats de rire furent finis, il proposa de nouveau à tous ces passagers[219] de dire le chapelet. Cette seconde /178/ invitation[220] fut reçue comme la première et donna encore plus d'occasion de rire. Lui, cependant, sans rien perdre[221] de sa tranquillité, attendait que le tumulte fut apaisé, et profitant[222] de quelques moments de silence, il les invita[223] pour la troisième fois à dire le rosaire, mais d'un air si animé de l'esprit de Dieu qu'il gagna[224] sur toute la compagnie de le dire tout entier et d'écouter ses instructions, ce qui dura jusqu'à la descente du bateau. M. Blain, qui rapporte ce fait, dit qu'il le tient d'une personne qui était présente. «Nous voyons, ajoute-t-il, en cette rencontre, une de ces singularités qu'on reprochait au saint prêtre.»
 
141 - Halte dans une paroisse restée inconnue
 
Il continuait sa route pour[225] Nantes, lorsqu'un jour il arriva dans une paroisse[226] à onze heures du matin sans avoir dit la sainte messe. Il demanda au curé permission de la dire. Cette permission[227] lui fut d'abord refusée fort sèchement, et quelqu'instance qu'il pût faire, le curé persistait toujours dans son refus. M. de Montfort lui représenta qu'il le mettait dans l'impossibilité de célébrer ce jour-là, n'ayant pas assez de temps pour rencontrer une autre église. Le pasteur restait inflexible. Les pressantes sollicitations du pieux étranger[228] commençaient à être importunes, mais elles avaient un motif que peut-être on ne pénétrait pas.[229] Sa douleur[230] était grande[231] de ne pouvoir monter au saint autel un samedi, jour consacré à la sainte Vierge, pour qui il avait une si tendre dévotion. Il est à croire qu'elle vint à son secours. Après un long débat,[232] il obtint enfin la consolation qu'il avait si vivement sollicitée et qu'un grand nombre de personnes partagèrent avec lui ; car à peine eut-on sonné quelques coups de cloche que l'église se trouva presque remplie de monde. Plusieurs femmes y avaient apporté leurs enfants qui firent beaucoup de bruit[233], ce qui donna occasion au saint prêtre de faire, après la messe, une exhortation contre cet abus, et sur le respect qu'on doit avoir pour le lieu saint et pour la personne adorable de Jésus-Christ qui y réside. M. le curé, qui était demeuré dans l'église,
 Xème cayer
 
fut extrêmement édifié de la dévotion avec laquelle avait célébré celui à qui il avait eu tant de peine à le permettre. Il le pria d'accepter le dîner chez lui, à quoi le saint prêtre consentit, mais il ne rentra avec lui au presbytère[234] qu'après une demi-heure d'action de grâces. Il n'en /179/ faisait jamais moins, et les délices spirituelles qu'il[235] y goûtait étaient si sensibles qu'il disait[236] : «Que non seulement il ne donnerait pas sa demi-heure d'action de grâces après la messe pour toutes les couronnes de la terre, mais que, s'il était au choix d'être une demi-heure en paradis, il ne balancerait pas un moment à préférer son action de grâces.» L'hyperbole est forte sans doute,[237] mais on la trouvera moins outrée si l'on fait attention que les saints qui voient Jésus-Christ dans la gloire[238] ne la possèdent pas au dedans d'eux-mêmes[239] qu'une demi-heure passée dans le ciel[240] ne paraîtrait pas la millième partie d'une minute et ne serait d'aucun mérite[241], au lieu qu'une demi-heure employée à adorer Jésus-Christ qu'on vient de recevoir et à produire des actes fervents de son amour nous procure, avec un avant-goût du bonheur céleste[242], l'avantage de nous enrichir des trésors de la grâce et d'embellir la couronne qui nous est préparée[243].
 
Le saint homme, après un si fervent exercice, rentra[244] avec le curé qui était demeuré pour l'attendre[245]. Il dina avec lui[246] et[247] lorsqu'il fut question de partir l'ayant remercié de sa charité, celui-ci lui demanda par grâce de rester jusqu'au lendemain pour donner ce jour-là à son peuple quelques mots d'édification. C'était un dimanche, le vingt-unième après la pentecôte. M. de Montfort se rendit à sa prière. Il fit deux discours sur l'évangile du jour, qui est la parabole des deux débiteurs, et parla avec tant de solidité et d'onction que tout l'auditoire fut vivement touché. Il s'y trouva quelques prêtres, qui ne furent pas moins satisfaits que le peuple. Pour ce qui est du curé, il se sut aussi bon gré d'avoir reçu un si saisit hâte qu'il eut de regret de l'avoir d'abord assez mai accueilli. Il lui fit beaucoup de questions pour savoir qui il était, mais le serviteur de Dieu, qui aimait à être inconnu, ne lui répondit que par ce peu de paroles : «Hélas ! Je suis un pauvre prêtre qui court par le monde, en espérant de gagner quelque pauvre âme par mes sueurs et mes travaux, avec le secours de la grâce de notre bon Maître.» Il sortit ainsi de cette paroisse, emportant avec lui l'estime du pasteur et les /180/ bénédictions du peuple.
 
C'eût été aussi une grande consolation pour le frère qui l'accompagnait dans son voyage, de pouvoir jouir[248] de sa conversation pendant la route, mais il était si absorbé en Dieu et son silence était si peu interrompu, qu'il passait souvent[249] plusieurs jours de suite sans lui parler. «Souvent, dit-il, il me commandait, par signe, de marcher devant lui ; quelquefois je regardais par derrière moi, pour voir s'il me suivait, et je le voyais la tête prosternée contre terre. Il marchait presque toujours son chapeau sous le bras, la tête découverte, par respect à la présence de Dieu, et je crois, selon ce que j'ai vu et ce que j'en puis juger, qu'il ne la perdait jamais de vue.»
 
Ils arrivèrent enfin dans le diocèse de Nantes. M. de Montfort alla d'abord dire la messe à l'a chapelle de Saint-Sauveur à Aigrefeuille[250]. Cette chapelle était nouvellement bâtie. Il aperçut quelques irrévérences qui s'y commettaient. Il ne put se retenir[251] d'en témoigner sa peine, et fit une vive exhortation pour empêcher qu'elles ne se commissent à l'avenir.
 
142 - M. de Montfort veut charger un frère sur ses épaules
 
Sur le chemin d'Aigrefeuille à la ville de Nantes, son compagnon se trouva si accablé de lassitude qu'il ne pouvait presque plus marcher. «Ce fut alors, s'écrie ce bon frère, dans un transport d'admiration et avec sa simplicité ordinaire, que cet homme tout admirable et tout rempli de charité pour son cher prochain, pour me soulager me pria avec toutes sortes d'instances, et avec un cœur vraiment paternel, de monter sur ses épaules pour me porter, et j'eus bien de la peine à m'en défendre, parce qu'il ne cessait de m'en solliciter pendant près d'un quart de lieue ; mais ne pouvant rien obtenir, il me fit quitter mon habit qui était fort gros et embarrassant , le mit sur son épaule, le tenant d'une main, tandis que de l'autre il me tenait sous le bras pour m'aider à marcher et me conduire, près de trois lieues, en cette situation. Nous trouvions /181/ de temps en temps des troupes de messieurs et de dames et d'autres personnes qui venaient de Nantes. Je lui disais : Mon cher père ! que dira tout ce monde ? et il me répondait : Mon cher fils ! Que dira notre bon Jésus qui nous voit ? »
 
143 - Le transport des figures du Calvaire de Pontchâteau
 
Enfin arrivé à Nantes, il se retira à son ordinaire dans sa petite maison de la Providence, destinée à ses pauvres incurables. Ce fut dans la chapelle, attenante à cette maison, qu'il pensa à déposer ses figures du Calvaire de Pontchâteau. Il recommanda à Dieu cette œuvre pieuse, et se disposa en conséquence à partir au plus tôt pour les aller chercher lui-même. Il sortit de Nantes de grand matin afin d'être rendu à temps pour dire la, sainte messe au monastère des religieuses de saint François de Savenay. Elles le reçurent comme un envoyé de Dieu. Après le dîner, elles vinrent toutes à la grille, et s'étant jetées à genoux elles lui demandèrent sa bénédiction ; ce qui lui donna lieu de leur faire une exhortation, dont le fruit fut un renouvellement de ferveur dans tout le monastère.
 
Il continuait son chemin vers Pontchâteau, lorsque quelques personnes lui dirent que M. le recteur de cette ville n'était pas de ses amis, et qu'il ne faisait pas de difficulté de dire hautement que, s'il s'avisait jamais de mettre le pied dans son église et même dans sa paroisse, il l'en chasserait honteusement. Mais le serviteur de Dieu, qui ne connaissait d'autre ennemi dans le monde que le péché, en jugea tout autrement, et répondit en souriant : «Eh ! non, non ! M. le curé, c'est mon bon ami ; je vas de ce pas chez lui pour le saluer.» Effectivement le curé les reçut fort poliment, lui et son compagnon, leur offrant sa table et le coucher qu'ils acceptèrent. Il fit plus. M. de Montfort lui ayant déclaré le sujet de son voyage, il s'offrit à lui aider dans tout ce qui dépendait de lui pour le transport des figures du Calvaire. Le lendemain, M. de Montfort se leva[252] /182/ de grand matin pour cette opération. M. le curé de son côté fit apprêter deux charrettes et se transporta avec lui dans la maison où les figures étaient en dépôt. Il lui aida même à les charger, ce qui ne se fit pas sans beaucoup de peine, car comme elles étaient extrêmement grandes et pesantes, il était difficile de les disposer dans la voiture de manière qu'elles ne fussent point endommagées par le cahotage et par[253] la longueur du chemin. M. de Montfort les fit conduire à Laveau, pour les charger dans une barque qui, de là, les porterait sur la Loire jusqu'à Nantes.
 
Il n'est pas possible d'exprimer et de détailler les peines et les fatigues qu'il essuya dans ce transport. Les croix et les figures étant arrivées un peu avant lui sur le bord de la rivière, «nous voulumes, dit le frère Jacques, les décharger ; mais nous ne pûmes jamais en venir a bout. Mais à peine eut-il paru, que nous voyant dans l'embarras, il se jette au milieu des vases jusqu'à mi-jambe, se courbe le dos sous la croix et en moins d'un demi quart d'heure elle fut déchargée.» Ce qui fut encore plus difficile, ce fut de la passer dans la barque. Dieu, pour lui en laisser à lui seul le mérite, permit qu'une troupe de bateliers et plusieurs autres personnes qui étaient présentes, ne voulurent[254] point lui donner de secours[255], quoiqu'il les en priât instamment. Au contraire, ces gens le raillaient en le voyant se donner tant de mouvement. En effet, il ne s'épargnait point. «Il se jetait, continue le frère Jacques, à corps perdu dans la boue, jusqu'à ce qu'il eut fait ranger dans la barque sa chère Croix, c'est ainsi qu'il l'appelait.»
 
Il eut soin de recommander à un aubergiste voisin de faire bien souper les bons habitants de Pontchâteau qui avaient[256] amené et aidé à décharger les pieux fardeaux, les assurant qu'il prierait Dieu pour eux en récompense de leur charité[257] et des /183/ services qu'ils lui avaient rendus. Pour lui, comme il était couvert de fange depuis les pieds jusqu'à la tête, il demanda une chambre pour s'y retirer, tandis que le frère fut à la rivière chargé de toutes ses hardes pour les passer dans l'eau. «De retour, continue-t-il, M. de Montfort les mit sur lui, quoiqu'elles fussent toutes mouillées ; il me donna ordre de partir avec les bateliers, tandis que lui s'en alla par terre, et marcha toute la nuit pour être rendu le lendemain matin aussitôt que nous.»
 
Il semble que M. de Montfort ne pouvait manquer de contracter une sérieuse maladie dans ce pénible voyage. Cependant, il n'en fut pas seulement incommodé, et ce fut là, sans doute, un de ces miracles de protection par où Dieu se plaît à récompenser le zèle de ceux qui pensent ne pouvoir jamais assez faire pour sa gloire et pour son amour. Le saint prêtre avait eu soin, avant son départ de Nantes, de faire arranger la chapelle de la Providence pour y placer ces précieux dépôts et cette chapelle, bénite sous le titre de Notre-Dame-du-Calvaire[258] fut depuis fort fréquentée.
 
144 - Une première reconstruction du Calvaire
 
Elle ne devait être que pour un temps la dépositaire des monuments sacrés élevés d'abord sur le fameux calvaire de Pontchâteau. L'homme de Dieu, selon le témoignage de personnes dignes de foi, avait prédit[259] qu'ils y seraient un jour replacés. L'accomplissement de cette prophétie du saint missionnaire Louis-Marie[260] Grignon était réservé à l'auguste personne de Louis-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, gouverneur de la province. Ce fut en 1748 que son Altesse Sérénissime obtint[261] du Roi la permission de relever les ruines de ce grand ouvrage, et s'il n'a pas[262] toute l'étendue qu'il eut à sa première construction, on peut dire qu'il a plus de splendeur et d'éclat par la réunion de tout ce qui a concouru à son rétablissement ; les vœux[263] ardents de tous les peuples circonvoisins, /184/ qui depuis quarante[264] ans attendaient avec impatience cet heureux événement ; une prédiction vérifiée après un temps qui devait, ce semble, en avoir fait perdre le souvenir, mais que la sainteté du prophète rendait toujours présente ; les bénédictions que Dieu répandit sensiblement[265] sur la pieuse activité[266] des missionnaires, qui présidèrent eux-mêmes aux travaux et[267] firent enfin revivre l'ouvre de leur père sous le bon plaisir du monarque, par la protection d'un prince de son sang, du consentement du seigneur de la terre, avec l'agrément de monseigneur Pierre de la Muzanchère, évêque de Nantes, qui eut une joie extrême de voir renaître ce trophée de la Croix[268], moins par l'attachement singulier dont il honore les disciples de M. de Montfort que par la tendre piété avec laquelle il se porte à tout ce qui peut contribuer à l'édification des fidèles et à la gloire de la religion.
 
145 - L'hôte de M. d'Orville
 
Notre saint[269] missionnaire, bien content d'avoir réussi dans le pénible transport de ses figures et de les avoir placées dans un lieu saint et sacré, partit de Nantes et revint à Rennes, où ses amis le virent avec un nouveau plaisir, M. d'Orville surtout, qui profita avec empressement de l'avantage de lui donner l'hospitalité qu'il lui avait offerte. La maison de cet homme de bien était située dans un endroit assez écarté, appelé la Rue Haute ; une place assez vaste occupait tout le devant. C'était tous les soirs le rendez-vous d'une jeunesse volage et libertine, du menu peuple qui s'y assemblait[270] pour danser et se livrer sans pudeur à des indécences dont auraient rougi d'honnêtes païens. Il y avait bien du temps que M. d'Orville gémissait de ces désordres, sans pouvoir trouver de moyens pour y remédier. M. de Montfort, à qui il s'en ouvrit, lui en suggéra un. «Donnez-moi, lui dit(-il), un maçon avec des matériaux. Faisons une niche bien façonnée au-dessus de votre portail, plaçons-y une figure de la sainte Vierge, notre bonne Mère, pour ensuite réciter devant cette image le chapelet, et j'ai /185/ confiance que bientôt vous verrez cesser tous ces scandales. Le projet était saint, il ne tarda pas à être exécuté. Les ouvriers furent mis en besogne, et comme on ignorait quel ouvrage ils allaient faire la curiosité rassembla d'abord auprès d'eux beaucoup de monde. Le concours fut encore plus grand lorsque l'on sût à quoi ils travaillaient. Le bon peuple y venait en foule, non plus par un esprit de curiosité, mais par fin motif de religion.
 
La figure ne fut pas plus tôt placée que M. de Montfort voulut commencer lui-même à réciter le chapelet, et pria M. et Mme d'Orville de s'en charger[271] dans la suite. Ils furent fidèles à s'en acquitter et le disaient[272] exactement tous les soirs, prononçant les offrandes de chaque dizaine que le peuple, récitait à deux chœurs[273]. Un soir, que M. d'Orville s'acquittait de ce pieux exercice, il passa plusieurs carrosses remplis de personnes de considération dont il était fort connu. Dès qu'il entendit le bruit des voitures, la mauvaise honte et le respect humain mirent le trouble dans ses pensées[274]. La rougeur lui monta au visage, et il se sentit fortement tenté de se retirer[275]. Le combat fut si violent qu'il lui prit par tout le corps une sueur qui pénétra jusqu'à ses habits. L'esprit du monde lui faisait regarder comme un sujet de confusion qu'un homme de son rang parût ainsi, dans une place publique, prononçant[276] tout haut des prières à la tête de la populace. Mais enfin, l'esprit de Dieu prit le dessus, il s'arma[277] de résolution et de courage et détournant[278] les yeux des objets qui avaient pu le distraire pour ne les fixer que sur l'image de la sainte Vierge, il continua le tribut de louanges[279]            et de prières qu'il avait commencé à lui rendre. Un effort si généreux le mit pour toujours au-dessus de toute considération. Non seulement il continua depuis à présider à la récitation du rosaire, mais on le voyait aller autour du peuple assemblé pour contenir chacun dans l'ordre et la décence, et même chasser, le fouet à la main, ceux qui occasionnaient[280] du bruit et du tumulte. On ne peut méconnaître à ces traits un disciple de M. de Montfort, /186/ formé sur ses exemples et ses maximes.
 
L'expédient que le saint missionnaire avait trouvé pour détruire un scandale réussissait au gré de ses désirs. On voyait dans une place publique une pratique de dévotion succéder aux coupables[281] indécences qui s'y commettaient auparavant, en effacer le crime et la honte. M. d'Orville soutenait avec un courage héroïque les mépris et les railleries, à quoi l'exposait une œuvre de piété si ressemblante[282] aux singularités qu'on reprochait à son saint conducteur.
 
Le temps était venu où ils devaient se séparer. M. de Montfort sortit de Rennes. Son vertueux disciple l'accompagna assez loin hors de la ville, et lorsqu'il fallut enfin le quitter il ne put s'empêcher de laisser couler quelques larmes. L'homme de Dieu s'en aperçut et en fut sensiblement touché, mais sans écouter le mouvement de sa tendresse, il ne pensa qu'à l'affermir dans la voie pénible[283] par où Dieu voulait le conduire, en lui faisant envisager l'adversité[284] comme le bien le plus désirable. Il fit donc sur lui le signe de la croix, et la formule de sa bénédiction fut de lui répéter par trois fois «Monsieur, je vous souhaite bien des croix.»
 
Tels furent les tendres adieux qu'il fit à son ami ; le ciel les lui avait dictées et prit soin d'en remplir toute l'énergie. La patience et l'humble résignation[285] de M. d'Orville furent mises aux plus rudes épreuves. Il eut des croix et des plus grandes ; mais le saint prêtre qui les lui avait prédites, plus qu'il ne les lui avait désirées, lui aida puissamment à les porter, et il trouva dans ses avis et les secours spirituels qu'il en reçut le moyen[286] d'acheter par quelques afflictions passagères un bonheur infiniment plus grand que celui que les mondains ne souhaitent sincèrement que pour eux-mêmes et auquel ils ne sauraient atteindre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


[1]
1er texte : Malgré les chaleurs excessives de la saison, car c'était vers le milieu du mois d'août, M. de Montfort se mit en chemin (correction en surcharge : route)
[2]
1er texte : qu'on avait prises contre lui
[3]
1er texte : de ne pas rester plus de vint-quatre heures dans la ville
[4]
1er texte : n'était fondé que sur la calomnie
[5]
1er texte : en recevant un ordre si fâcheux ... au messager...
[6]
1er texte : il, barré ; puis : quelque sensible que dût lui être cette humiliation, il s'en consola par la satisfaction qu'il eut de. Après : consola, en surcharge : en voyant le fondement de son
[7]
1er texte : quelques lettres barrées, illisibles
[8]
1er texte : la la distinction
 
[9]
1er texte : ce fut les égards qu'on y eut pour lui
[10]
1er texte : lettres barrées, illisibles
[11]
1er texte : Le fameux M. Seignette
[12]
1er texte : que dans les
[13]
1er texte : les chirurgiens opéraient
[14]
1er texte : comme s'il eut ressenti le plus grand plaisir du monde
[15]
1er texte : Le
[16]
1er texte : Enfin de
[17]
1er texte : son cœur
[18]
1er texte : M. le curé de Courson vint le voir à l'hôpital de la Charité, et l'ayant trouvé beaucoup mieux
[19]
1er texte : et à n'en pas redouter les suites
[20]
1er texte : un mot barré, illisible
[21]
1er texte : un mot barré, illisible, et en surcharge : voyait
[22]
1er texte : qui va lui assurer
[23]
1er texte : deux mots barrés, illisibles, et en surcharge : Tout était vif
 
[24]
1er texte : par les salutaires impressions
[25]
1er texte : sur les esprits et sur les cœurs
[26]
1er texte : une nouvelle et bien triste expérience
[27]
1er texte : et, barré, puis repris en surcharge
[28]
1er texte : et, barré, repris en surcharge et barré de nouveau
[29]
1er texte : qu'allaient produire
[30]
1er texte : Cette nouvelle, barré, repris en surcharge
[31]
1er texte : Sa sollicitude pour le salut des âmes
[32]
1er texte : Mais il ne se bornait pas
[33]
1er texte : qu'il commença par bien former
 
[34]
1er texte : il ne paraît pas que cette bonne œuvre ait subsistée longtemps, si ce n'est dans le bourg de Saint-Laurent-sur-Sèvre, où l'un des frères fait encore ces écoles charitables
[35]
1er texte : un mot barré, illisible
[36]
1er texte : cette partie, et en surcharge : un exercice, barré puis repris
[37]
1er texte : si utile à la religion et à l'état
[38]
1er texte : Mais même, et en surcharge : Le père
[39]
1er texte : (remplacé par celui qui suit) jusqu'à ce que ses filles puissent aller s'instruire plus amplement sous les mêmes maîtresses qui l'auront instruite elle-même.
[40]
1er texte : les maîtresses
[41]
1er texte : elle-même, et en surcharge : à son tour
[42]
1er texte : lorsqu'elle aura donné des enfants à l’église : en surcharge plusieurs mots barrés, illisibles, sauf le dernier : obligation
[43]
1er texte : un mot barré, illisible
[44]
1er texte : un mot barré, illisible, et en surcharge : secourir
 
[45]
1er texte : depuis longtemps concerté
[46]
1er texte : lui promettant
[47]
1er texte : plusieurs mots barrés, illisibles, et en surcharge saint homme
[48]
1er texte : qu’elle, puis un mot barré, illisible
[49]
1er texte : de travailler à détruire le péché et à sauver les âmes.
[50]
1er texte : lui faire connaître
[51]
1er texte : (remplacé par les trois phrases qui suivent) demandaient à être guéris. Des Zachées semblaient l'attendre sur le chemin. Puis, plusieurs mots barrés, illisibles, et ensuite : des pécheresses; il leur reprochait leur vie et les forçait de venir pleurer à ses-pieds.
[52]
1er texte : Roussay, barré, puis repris en surcharge
[53]
1er texte : de prend(re)
[54]
1er texte : qu'il prêchait
[55]
1er texte : tous ces chanteurs ; en surcharge un mot barré, illisible
[56]
1er texte : il saisit
[57]
1er texte : et le succès d'une action véritablement trop hardie (en surcharge : si hardie) fit connaître par quel esprit le saint homme s'était porté à l'entreprendre
[58]
1er texte : un mot barré, illisible
[59]
1er texte : savait donc
[60]
1er texte : un ou deux mots barrés, illisibles
[61]
1er texte : s'arrêta au milieu de son sermon
[62]
1er texte : Cependant l'homme de Dieu
[63]
1er texte : à sortir
[64]
1er texte : de le gagner
[65]
1er texte : et toucha
[66]
1er texte : la piété du peuple
 
[67]
1er texte : multitude, barré et en surcharge : foule également barré
[68]
1er texte : de monde
[69]
1er texte : extrêmement resserré
[70]
1er texte : l'air retentissait
[71]
1er texte : et en, barré puis repris
[72]
1er texte : La croix tombe, et sa chute
[73]
1er texte : Cependant il voit que la croix, qui était d'une grandeur extraordinaire était précisément tombée dans l'endroit où la foule était plus pressée.
[74]
1er texte : légèrement blessée
[75]
1er texte : plus serrée
[76]
1er texte : une preuve sensible
[77]
1er texte : cette force
[78]
1er texte : il l'avait fait
[79]
1er texte : ses disc(ours)
 
[80]
1er texte : et il réussit
[81]
1er texte : dès qu'il l'eut mise
[82]
1er texte : elle est devenue un terme
[83]
1er texte : et dans les lieux circonvoisins
[84]
1er texte : et un zèle
[85]
1er texte : On récitait tous
[86]
1er texte : cette dévote ou plutôt cette divine prière tous
[87]
1er texte : savoir : un chapelet après la première messe; un autre après midi en attendant que l'on chantât vêpres, et le troisième quand elles étaient finies
[88]
1er texte : Tous les autres jours
[89]
1er texte : vers le coucher du soleil
[90]
1er texte : le curé du Genet
[91]
1er texte : où l'esprit de Dieu, puis, un mot barré, illisible
[92]
1er texte : qu'on leur confiait
[93]
1er texte : en leur faveur
[94]
1er texte : à se soutenir
[95]
1er texte : semblable
[96]
1er texte : qu'on se représente
[97]
1er texte : celui de l'enfant
[98]
1er texte : n'avait pas seulement
[99]
1er texte : un mot barré, illisible
[100]
1er texte : catéchiste; barré puis repris en surcharge
[101]
1er texte : de ne point retourner rejoindre
[102]
1er texte : (remplacé par la phrase suivante) Cependant, quelques mois après, elle fut rendue à son premier maître, M. de Montfort
[103]
1er texte : il devait le
[104]
1er texte : le (en surcharge : notre) saint prêtre
[105]
1er texte : Etant, puis trois lettres barrées
[106]
1er texte : quelques personnes de considération
[107]
1er texte : il la considéra
[108]
1er texte : au voleur
[109]
1er texte : et (en surcharge : mais) il savait
 
[110]
1er texte : de goûter
[111]
1er texte : le mystère de la croix
[112]
1er texte : des lettres barrées, illisibles
[113]
1er texte : aux amis de la croix, repris en surcharge avec lettres capitales
[114]
1er texte : lettres barrées, illisibles
[115]
1er texte : Etes, barré puis repris
[116]
1er texte : de notre, barré puis repris
[117]
1er texte : était à Rennes
[118]
1er texte : de M. l'intendant de Bretagne
[119]
1er texte : il se transporta
[120]
1er texte : et avait
[121]
1er texte : Madame d'Orville
[122]
1er texte : un mot barré, illisible, et en surcharge : elle
[123]
1er texte : Elle cependant
[124]
1er texte : de ce que disait
[125]
1er texte : du saint homme
[126]
1er texte : lui faisait
[127]
1er texte : en tout le jour
[128]
1er texte : et il n'eût pas en effet été faute (ou : facile) de l'imaginer
[129]
1er texte : qu'il était            
 
[130]
1er texte : de rentrer
[131]
1er texte : Au lieu de; puis, deux mots barrés, illisibles
[132]
1er texte : ensuite, tirant
[133]
1er texte : lui fit des prières
[134]
1er texte : un mot barré, illisible
[135]
1er texte : et pensa
[136]
1er texte : (remplacé par le suivant) Elles firent tant d'impression sur son esprit et sur son cœur
 
[137]
1er texte : pour son offre
[138]
1er texte : alors
[139]
1er texte : à rester
[140]
1er texte : dans le cours du voyage
[141]
1er texte : ce qu'on appelle bracelet
[142]
1er texte : donc
[143]
1er texte : avec cinquante
 
[144]
1er texte : s'il le
[145]
1er texte : que le saint prêtre lui présentait
[146]
1er texte : qu'il était d'un caractère naturellement (bon)
[147]
1er texte : retentissait alors de
[148]
1er texte : comme
[149]
1er texte : changeant tous les jours de personnage et de régime de vivre
[150]
1er texte : lis furent donc
[151]
1er texte : frères
[152]
1er texte : On reconnut par les papiers de ceux-ci qu'ils étaient de l'ordre de saint Benoît
 
[153]
1er texte : Le
[154]
1er texte : mais
[155]
1er texte : le saint missionnaire
[156]
1er texte : (remplacé par celui qui précède) L'évêque, d'un caractère naturellement bon, ou ne connaissait point du tout le saint missionnaire ou peut-être, comme il était assez facile à se laisser prévenir, avait
[157]
1er texte : qu'il
[158]
1er texte : rendu assez tôt
[159]
1er texte : qu'on l'eût privé
 
[160]
1er texte : toute permission
[161]
1er texte : cinq gra... ou gro... lieues
[162]
1er texte : il entra dans une auberge
[163]
1er texte : Il aperçut au milieu du chemin
[164]
1er texte : une marche de, barré, puis repris
[165]
1er texte : et la
[166]
1er texte : de goûter la douceur du sommeil
[167]
1er texte : (remplacé par le précédent) Il trouva bien du plaisir à goûter à son aise toute l'amertume de la croix. Il en fit le sujet d'une longue méditation, et profitant du loisir que lui donnait le silence profond de la nuit, il mit en vers ce que son imagination lui traçait et composa
 
[168]
1er texte : les pre, et en surcharge : les
[169]
1er texte : l'usage, aussi bien que celui du
[170]
1er texte : il fut (arrêté)
 
[171]
1er texte : et il
[172]
1er texte : et qui fait tant de bruit
[173]
1er texte : Il s'éleva
[174]
1er texte : et qu'il
[175]
1er texte : de la p(art)
[176]
1er texte : avec un des chapelains
[177]
1er texte : un mot barré, illisible ; en surcharge : jamais
[178]
1er texte : les personnes dont
 
[179]
1er texte : ou de se séparer de lui
[180]
1er texte : un mot barré, illisible
[181]
1er texte : ou de lui prêter son ministère pour une cruelle macération
[182]
1er texte : cependant, comme ils logeaient dans la maison du chapelain
[183]
1er texte : on fut, au bruit. Plus haut (cf. p. 39) le manuscrit porte "Maunoir" au lieu de "Manoir"
[184]
1er texte : de discipline
[185]
1er texte : Malgré tous les
[186]
1er texte : il ne lui était pas aussi facile de cacher la partie de
[187]
1er texte : Les fonctions (en surcharge : le ministère) de la chaire et celui qu'il exerçait au sacré tribunal faisaient assez connaître
[188]
1er texte : pour remplir
[189]
1er texte : une conférence pour expliquer au peuple
 
[190]
1er texte : toutes les matières qui concernent
[191]
1er texte : un seul prêtre
[192]
1er texte : de suivre une autre route (en surcharge : système)
[193]
1er texte : ils s'assemblèrent (en surcharge et vinrent) : en grand nombre et vinr(ent)
[194]
1er texte : les plus épineuses (en surcharge : rares)
[195]
1er texte : ils ne purent le faire
[196]
1er texte : la dispute
[197]
1er texte : ses talents
 
[198]
1er texte : pas toujours
[199]
1er texte : y eussent présidé
[200]
1er texte : dans un si bel ordre
[201]
1er texte : une édifiante modestie
[202]
1er texte : sans que aucune confusion
[203]
1er texte : un mot barré, illisible, avec en surcharge : appareil
[204]
1er texte : deux ou trois mots barrés, illisibles
[205]
1er texte : ni moins belle (répétition)
[206]
1er texte : sur une éminence, hors de la ville, qui dominesur la rivière
[207]
1er texte : il se disposa
[208]
1er texte : l'église paroissiale
[209]
1er texte : qu'il avait commencé
[210]
1er texte : par l'infus
[211]
1er texte : s'estimait
[212]
1er texte : fort opposée et différente de la
[213]
1er texte : de (barré)
 
[214]
1er texte : Quoique M. de Montfort aurait pu, ce semble, ne pas si aisément passer condamnation sur cet article, et répondre à M. Blain (en surcharge son ami)
[215]
1er texte : Cependant à peine
[216]
1er texte : et à le
[217]
1er texte : et en l'ajustant
[218]
1er texte : en
 
[219]
1er texte : tous ces gens
[220]
1er texte : proposition
[221]
1er texte : ne perdant rien
[222]
1er texte : et quand
[223]
1er texte : il leur proposa
[224]
1er texte : qu'il engagea
[225]
1er texte : vers Nantes
[226]
1er texte : sans avoir
[227]
1er texte : C'était un samedi, jour
[228]
1er texte : ne pouvaient obtenir la grâce qu'il demandait, et en surcharge : devaient avoir un motif qu'on ne pénétrait pas
[229]
1er texte : Il ne dissimulait pas la douleur qu'il ressentait
[230]
1er texte : Elle
[231]
1er texte : en effet
 
[232]
1er texte : M. le curé
[233]
1er texte : pend(ant)
[234]
1er texte : il n'alla le rejoindre
[235]
1er texte : qu'il y épr(ouvait)
[236]
1er texte : que pour les expérimenter (en surcharge : lorsqu'il en parlait) il se servait d'une expression qui paraîtra un peu (en surcharge : à la vérité trop) hyperbolique, mais qui, dans un sens, était assez exacte; il disait donc
[237]
1er texte : des mots barrés, illisibles
[238]
1er texte : dans le ciel
[239]
1er texte : on comprend en effet
[240]
1er texte : dans le paradis
[241]
1er texte : ne procurerait aucun mérite
[242]
1er texte : du bonheur des saints
[243]
1er texte : l'avantage de glorifier Jésus-Christ, de nous pénétrer de son esprit, de nous immoler avec lui
 
[244]
1er texte : rentra, barré, puis repris
[245]
1er texte : qui était resté aussi pendant tout ce temps (en surcharge : avec lui) dans l'église
[246]
1er texte : ils dinèrent ensemble
[247]
1er texte : et, puis en surcharge : mais, puis de nouveau : et
[248]
1er texte : quelques moments
[249]
1er texte : quelquefois
[250]
1er texte : Aigrefeuille, barré, puis repris
 
[251]
1er texte : s'empêcher
[252]
1er texte : M. de Montfort et lui s'étant levés
[253]
1er texte : dans toute la longueur
[254]
1er texte : ne voulussent
[255]
1er texte : aucun secours
[256]
1er texte : lettres barrées, illisibles
 
[257]
1er texte : pour lui
[258]
1er texte : y fut
[259]
1er texte : deux mots barrés, illisibles
[260]
1er texte : Louis-Marie, barré, puis repris en surcharge en capitales
[261]
1er texte : s'intéressa pourqu'on obtint
[262]
1er texte : lettres barrées, illisibles
[263]
1er texte : les désirs
[264]
1er texte : cinquante
 
[265]
1er texte : la sainte activité des missionnaires
[266]
1er texte : les pieuses-démarches
[267]
1er texte : et qui firent
[268]
1er texte : ce pieux monument ; en surcharge ce trophée de religion
[269]
1er texte : le saint missionnaire
[270]
1er texte : s'y rendait
[271]
1er texte : de s'en acquitter ; en surcharge, un mot barré, illisible
[272]
1er texte : le récitaient
[273]
1er texte : Madame d'Orville prononçait seule les offrandes de chaque dizaine que le peuple récitait à deux chœurs
[274]
1er texte : dans son esprit
[275]
1er texte : de laisser
[276]
1er texte : récitant
[277]
1er texte : il s'anima
[278]
1er texte : et de courage
[279]
1er texte : tribut de pri(ères)
[280]
1er texte : qui caus(aient)
[281]
1er texte : criminelles
 
[282]
1er texte : si frappante
[283]
1er texte : la pénible carrière
[284]
1er texte : envisager les afflictions
[285]
1er texte : et la soumission
[286]
1er texte : lettres barrées, illisibles
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